Sergent royal à Denazé : saisie de vaches à Bouillé-Ménard, 1601

Officier de justice dont la fonction est de donner des exploits, des assignations, de faire des exécutions, des contraintes, des saisies, d’arrêter ceux contre lesquels il y a contrainte par corps.

Ce billet répond à Elisabeth, qui s’étonne d’avoir un ancêtre aubergiste et sergent. Après avoir vu la semaine dernière l’aubergiste, voici le sergent, et si j’ai bien saisie la question, vous l’assimilez à un gendarme. Le Dictionnaire de l’Ancien Régime, de Lucien Bély, PUF, 1996, traite le sergent à la rubrique HUISSIERS, SERGENTS, à la lettre H. Puis, traite ailleurs le sergent dangereux, le sergent d’armes, le sergent-major, les sergents à la douzaine, le sergent de bataille, le sergent des bois du Roi. C’est dire que le terme sergent est utilisé dans un très grand nombre de métiers, que vous pouvez voir dans l’Encyclopédie Diderot.
Pour ma part, bien que cela existe théoriquement, je n’ai rencontré qu’une fois, au 16e siècle, sous le nom de verdier, un sergent de seigneurie. Seul le sergent royal est généralement rencontré sous l’ancien régime, pour signifier les exploits etc… En effet, pour se payer des officiers seigneuriaux, qui n’ont le droit d’officier que sur le territoire de la seigneurie, il faut avoir une bien grande seigneurie, et les moyens… Je ne suis pas certaine que même la puissante baronnie de Châteaubriant en ait possédé un. Pour couvrir le territoire, le sergent royal fut donc le seul à avoir acheté l’office du roi, et pouvoir exercer sur un territoire plus vaste : la France.
Rejoignant le dictionnaire de Lucien Bély (cité ci-dessus), Diderot précise :

Présentement presque tous les sergens se sont attribué le titre d’huissier-sergent ou d’huissier simplement quoique le titre d’huissier ne convienne véritablement qu’à ceux d’entre les sergens qui sont préposés à la garde de l’huis ou porte de l’auditoire.(Encyclopédie Diderot)
Le terme d’huissier ne convient que partiellement pour désigner le sergent royal, qui tient à la fois (pour ceux qui veulent absoluement comparer à nos métiers actuels) de l’huissier et du gendarme.

Le procès-verbal qui suit illustre les deux fonctions. Il est un document exceptionnel, car les PV des sergents royaux sont rarement conservés et celui-ci est une archive privée, que la famille détentrice m’autorise à vous faire lire. Il s’agit d’un impayé, et autrefois rappelons qu’un impayé passait TOUJOURS pas la case PRISON. Donc, pour un impayé on passe par le sergent (fonction huissier) qui saisit ici des vaches pour les vendre et récupérer l’argent dû, mais aussi arrête les débiteurs et les met en prison (fonction gendarme). Le tout sur un territoire relativement étendu : il demeure à Denazé, traite à Bouillé-Ménard (22 km) et vend à Craon la saisie (15 km). Admirez au passage le sergent qui a fait 15 km avec les bêtes, sans camion…

Procès-verbal fait par Guillaume Gyuon sergent royal à Denazé (53), le samedi 2 juin 1601 suite à un commandement à payer sur Revers et Bouvet à Bouillé (Bouillé-Ménard, 49), avec saisie de bestiaux et prise de corps de Bouvet, mis en prison à Craon à la garde de Julien Mellier geolier (Archives privées) retranscription O. Halbert et Pierre Grelier, décembre 2007

Raporté par moy Guillaume Guyon sergent royal et général résidant à Denazé
que ce sabmedy deuxiesme jour du mois de juin l’an mil
six cent ung, à la requeste de Michel Cochery demeurant
en la ville de Craon et en vertu de l’ordonnance
de monsieur des Matiaz lieutenant assesseur de
monsieur le sénéchal d’Anjou Angers estant au pied de
sa requête à luy présentée en datte du vingt cinquiesme
du mois de mai dernier signée Bautru, j’ay ladite
requête et ordonnance à laquelle cet exploict est
ataché signifié notifié et faict entendre
à Me Pierre Revers prêtre et à Pierre
Bouvet y desnomméz et d’icelle baillé copie avec
aultant de cet exploict audit Revers tant
pour lui que ledit Bouvet et en sa présence qu’il
receu et ay faict commandement par
le roy notre sire auxdits Revers et Bouvet tant
en vertu de ladite ordonnance que de l’obligation
dudit Cochery (deneu) en forme passée soubz
la cour de Craon par Cheruau notaire de payer
présentement audit requérant ou a moy pour luy
la somme de quinze escuz sol mentionnée
en ladite obligation et pour les causes y contenues
la response desquelle j’ay prise par
refus au moyen de quoi j’ay reellement
et de fait pris en la possession dudit Revers
en la paroisse de Bouillé trois mères vaches

f°2
dont y a deulx rouges et une noire avecques deulx
petites génisses lesquelz bestiaulx ayant voulu
exposer et mettre en vente publique au
plus ofrant
et dernier enchérisseur et de fait
les ayant mises et exposées estre à vendre avec
huitaine de recousse, lesdits Revers et Bouvet et
voir faire inthiméz estant sur l’heure de sept à
huit heures de la matinée de ce jour et estant
lesdits bestiaulx au hault des halles dudit bourg de
Bouillé le marché ordinaire dudit lieu y tenant personne
ne les à enchériz ny mis à prix que ung homme
estant audit marché à moy incongneu qui a
le total desdits bestiaulx mis à prix à la
somme de deulx escuz ung tiers quoy voyant
que ladite offre estre impertinente j’ay audit Revers
déclaré que je vays présentement transportés lesdits
bestiaulx dudit bourg de Bouillé à Craon pour estre
lundy procédé à la vente avec huictaine de recousse
au hault des halles de Craon et marché ordinaire
dudit lieu y tenir comme estant le proche marché
de cette exécution après celuy de Bouillé pour
voir procéder à la vente desquelz ay lesdits
Revers et Bouvet inthimez à comparoir
audit jour et lieu sur les sept à huit heures
du matin pour des deniers qui en
proviendront estre convertiz au payement de ladite
sentence tant qu’ilz y pouront sufire et
d’aultant que lesdits bestiaux ne seront suffisants
pour le payement de ladite somme j’ay auxdits Revers et

f°3
Bouvet déclaré qu’il sensuit et le reste mettre en
mains du roy notre sire et de justice tous et
chacuns leurs biens immeubles et fruictz d’iceux en
quelques lieulx qu’ilz soient et qu’il y sera étably
commissaires affin qu’ilz n’en ignore et outre
jusqu’à l’entier payement de ladite somme j’ay pris
et apréhendé au corps ledit Bouvet et iceluy
mené et constitué prisonnier es prisons ordinaires de
Craon et baillé de faire en garde
Me Jullien Mellier geolier et garde desdites prisons

aulx charges de l’ordonnance lesquels bestiaux
j’ay aussi transporté audit Craon et baillé de fait
en garde à Gilles Hersant à la charge de me
les représenter lundy prochain sur les
sept à huit heures du matin et qu’il m’a promis
faire dont il s’est chargé et faute de ce faire
s’en est rendu et constitué de cour de justice
aux charges de l’ordonance royale et déclaré
ne savoir signer. Fait le présent exploit
audit bourg de Bouillé par moy sergent royal
susdit soussigné présent Me Thugal Gauvin
Jean Cheruau et autres. Signé Cheruau, Gauvin, Guyon

Alors notre aubergiste et sergent dans tout cela ? Effectivement, on peut s’étonner du cumul de ces 2 emplois, car Lucien Bély (cité ci-dessus) précise qu’ils ne pouvaient être ni geôliers, cabaretiers ou agents d’affaires, et comme le dit Elisabeth, ils auraient pu entendre leurs clients discuter de problèmes par exemple concernant les droits seigneuriaux etc… et donc perdre tout crédit. Entendre les clients discuter à l’auberge est en partie vrai, mais pas en ce qui concerne les droits seigneuriaux, dans lesquels le sergent n’avait aucun pouvoir de remonter un litige, et ces différends étaient directement traités au Présidial à Angers (ou autre Présidial comme Château-Gontier). Le seigneur était bien assez grand pour aller traiter directement à ce niveau lorsque ses sujets ne voulaient rien entendre… En matière criminelle, peu de seigneuries avaient en Haut-Anjou ce droit, et j’ignore si à Bouvron (44, dont parle Elisabeth) le seigneur possédait ce droit, et je suggère à Elisabeth de vérifier ce niveau des droits seigneuriaux locaux, afin de préciser si son sergent aurait pu se trouver face au problème.
Il faut croire qu’au fil du temps, faute de volontaires pour exercer un métier potentiellement dangereux, pour arrêter, faire les saisies, les procès-verbaux de perquisition, et faute aussi de personnes sachant écrire (c’est utile pour rédiger les PV), on avait fini par se contenter des volontaires et fermer les yeux sur le cumul en question. Longtemps, dans les petites paroisses, seuls le curé et parfois un notaire, étaient capables de rédiger un acte, et vous avez vu le PV ci-dessus, il est fort bien rédigé et précis.
Une chose reste sure, votre ancêtre vivait plus dangereusement que d’autres, car les rixes étaient souvent à l’auberge (le vin aidant, sans doute…), et le sergent était aussi un métier potentiellement dangereux. Donc, il avait de la trempe…
De nos jours encore, dans les petites communes, voyez une secrétaire de mairie (entr’autres), qui doit savoir tout faire… et tout connaître, et c’est vaste juridiquement. Cela me laisse toujours admirative… Sans doute que dans les campagnes, il a toujours fallu savoir tout faire… et les métiers hyper-spécialisés sont le propre des grandes villes.

Odile Halbert – Reproduction interdite sur autre endroit d’Internet Merci d’en discuter sur ce blog et non aller en discuter dans mon dos sur un forum ou autre blog.