Voyage à Noirmoutier, au temps du Saint-Philibert de Pornic à Noirmoutier : été 1924

Je fais suite aux derniers commentaires relatifs au naufrage du Saint Philibert en 1931.

Le récit qui suit est une rédaction écrite par ma tante Odette Guillouard pensionnaire à Châvagnes à Nantes. Le thème imposé devait sans doute être : « racontez une belle journée »….  et je suppose que le temps employé était imposé, car il va vous écraser … Pour avoir bien connu ma tante, je puis vous certifier qu’elle ne parlait jamais ainsi, mais que ne lui a-t-on faire faire à l’école, moi on ne m’a jamais imposé un tel temps.

Je comprends dans ce récit pourquoi ma famille avait gardé un si grand souvenir du Saint Philibert, en effet vous allez voir que mon grand père l’utilisait avec ses enfants, par chance, par beau temps… Alors, nul doute qu’en 1931, année des 17 ans de ma maman, le naufrage du Saint Philibert rappela à ma famille la chance qu’elle avait eue.

Mon premier voyage à Noirmoutier

Longtemps déjà papa nous avait promis un voyage sur mer, celui de Noirmoutier, et nous brûlions d’impatience depuis cette promesse de connaître ce nouveau pays et voici que ce jour si heureux et si ardemment attendu arriva.

Après avoir entendu la messe[1] de sept heures à la Bernerie, nous montâmes, papa, mon frère et moi à la gare  où nous devions prendre le train[2] de huit heures et demie.

Les billets pris, nous allâmes nous asseoir sur un banc car nous étions en avance de quelques minutes. A huit heures et demie le train arriva chargé comme de coutume de nombreux voyageurs. Après avoir freiné le train s’arrêta et le chef de gare cria de sa voix rude : « les voyageurs pour La Bernerie descendent , La Bernerie ». Les portières s’ouvrirent en grand nombre pour laisser passage à des gens descendant à La Bernerie. Nous montâmes donc dans un wagon[3] vide et nous entendîmes bientôt le sifflet, signal du départ. Nous ne fîmes qu’un petit voyage dans le chemin de fer, car nous ne nous sommes arrêtés qu’au Clion et puis ensuite à Pornic où nous devions descendre.

A la descente du train, nous nous sommes dirigés vers la porte de sortie, puis nous avons pris le chemin du bateau.

Nous passâmes par le port où les bateaux allaient et venaient sans cesse. Après avoir pris une sucette chez le patissier nous arrivâmes au bateau.

Neuf heures sonnaient lorsque nous prîmes place que le pont supérieur du bateau où déjà un certain nombre de personnes prenaient place. Nous attendîmes quelques minutes avant le départ du bateau lorsque tout à coup, le capitaine monta dans sa petite cabine. Le bateau siffla plusieurs fois, puis il démara. Nous sortîmes du port à une faible vitesse car nous accostâmes à la Noëveillard afin de prendre quelques personnes.

Vers neuf heures un quart, nous partîmes, en pleine mer pour ne plus s’arrêter qu’à Noirmoutier.

Le temps était radieux, la journée s’annonçait belle. Le ciel, couleur d’azur, ne présentait aucun nuage. La mer, loin d’être fougueuse et déchaînée semblait d’huile et le bateau ne secouait pour ainsi dire pas. Le trajet se fit sans encombre. Nous étions assis non loin des cheminées et de la chaudière, et nous voyions très bien le capitaine. La mer, boueuse à La Bernerie, moitié bleue à Pornic, devint bleu couleur du ciel, de plus en plus que l’on se rapprochait de l’île.

Plus le bateau avançait, plus l’île se découpait. En avançant toujours nous pûmes distinguer le bois de la Chaise, le grand Hôtel Beau Rivage. Le chemin se continuait toujours. Enfin nous voici arrivés. Le bateau fit une grande manœuvre et nous débarquâmes. Là, se trouvait des gens, un certain nombre, qui attendaient des voyageurs. Arrivés sur l’esplanade, une petit garçon, chargé de donner pendant la traversée des feuilles de réclame pour une hôtel, laissa tomber par mégarde sa casquette dans la mer, mais un bateau vint la prendre.

A la sortie de l’esplanade nous fîment notre entrée dans le bois. C’était charmant, ce petit coin était très pittoresque. A la sortie du bois, nous vîmes une grande plage s’étaler sous nos yeux occupée par quelques baigneurs.

Nous louâmes un sapin[4] qui devait nous mener au bourg même de Noirmoutier, mais il devait auparavant nous descendre à l’hôtel St Paul (ci-contre).

Arrivés à Noirmoutier, nous furent descendus auprès de l’église. Nous y entrâmes quelques secondes car c’était la grand’messe. Nous firent une petite promenade dans le bourg et nous visitâmes l’église la messe terminée, elle était très jolie. Elle renferme les restes de St Philibert mais comme la crypte était fermée nous n’avons pu visiter son tombeau. Ensuite nous avons pris le chemin de l’hôtel, car, je l’avoue, nous avions bien faim. Après avoir bien mangé, nous allâmes faire une promenade à pieds dans le bois. Il y faisait frais, il y faisait bon y respirer la suave odeur émanée par les pins ; nous avons examiné de près le phare rouge, nous avons vu un beau bateau à voile accoster.

Après s’être ainsi promenés, nous allâmes louer des ânes. L’on fit monter papa sur « La Parisienne », mon frère sur « Caroline » et moi sur « Martin ». Mon âne ne voulait faire que du trot et je l’avoue encore je n’étais pas très rassurée là-dessus.

Notre promenade à âne finie, nous nous sommes rafraichis puis nous envoyâmes des cartes postales. Quatre heures arriva bientôt, heure où le bateau retourne à Pornic. Nous partîmes très tranquillement prendre le bateau St Philibert. Assis sur le St Philibert, nous attendîmes le départ un bon moment. Notre attention se tourna vers la place près de laquelle sur la mer dormante de nombreuses périssoires[5] évoluaient. Une course de périssoires s’engageait, une dizaine participait au concours, mais les périssoires tournèrent près des rochers et ceux-ci nous interdisaient de suivre la course des yeux.

Après avoir fait entendre son appel, le bateau démarra et nous partîmes sur la mer encore plus tranquille et plus dormante que le matin.

Plus le bateau s’éloignait, plus l’île faiblissait à nos yeux, et, au contraire plus le bateau avançait plus la côte opposée devenait apparente.

Partis de Pornic sur le petit St Nazaire, nous revinrent à Pornic sur le grand St Philibert. Enfin après une heure de bateau nous accostâmes à Pornic à la Noëveillard. Nous allâmes à pieds jusqu’à la gare de Pornic où nous prîmes le train pour La Bernerie. Après un petit parcours de vingt minutes à peine nous entrâmes en gare de La Bernerie. De nouveau l’employé de gare crie : « les voyageurs pour La Bernerie descendent, La Bernerie ». Nous ouvrîmes la portière et nous descendîmes du train, nous sortîmes et nous partîmes heureux et contents du beau voyage de Noirmoutier.

Comme Noirmoutier est en face La Bernerie, j’essaie tous les jours à retracer les différents lieux où je suis passée car on voit très bien Noirmoutier de La Bernerie.

Odette Guillouard, non daté (mais ma famille situe ce voyage en 1924).

[1] Odette Guillouard est élève à Chavagnes, donc dans sa rédaction elle prend soin de noter un zèle religieux

[2] ce train existe toujours (voyez le site des TER Pays de Loire)

[3] non un « compartiment vide », car les wagons voyageurs de l’époque avaient de multiples portes latérales, une par compartiment.

[4] nom populaire du fiacre hippomobile, qui tire son nom du bois du véhicule

[5] canot