Quand mon grand papa mourra j’aurai sa culotte de drap ! Qu’est ce que le drap à l’époque ?

Voici cette chanson ancienne, comptine, telle que mémorisée à Nantes, grâce au commentaire laissé avant-hier sur ce blog. Merci à vous ! La version chantée est sur la page du drap de laine.

Quand mon grand papa mourra j’aurai sa vieille culotte
Quand mon grand papa mourra j’aurai sa culotte de drap
Oui j’aurai sa ch’mise et sa casquette
Oui j’aurai sa dépouille complète
Quand mon grand papa mourra j’aurai sa culotte de drap

Manifestement il n’existe que ce couplet, comme dans d’autres ritournelles anciennes, telle Une poule sur un mur, etc… Elle est beaucoup moins connue car le sujet est difficile à comprendre de nos jours, voire terrifiant pour des enfants habitués maintenant à changer de tenue chaque jour.

Autrefois, tout était fait pour durer, donc un tissu devait être résistant. Lors d’un décès, le notaire dressait un inventaire estimatif. Quelques jours plus tard avait lieu dans la maison même du défunt, une vente publique, aux enchères, lors de laquelle les voisins venaient acquérir tous les objets et vêtements, un par un, quelque soit l’état d’usure, scrupuleusement noté. Les vieux poêlons, les vieux tabliers, les vieilles vestes, tout partait refaire ailleurs une seconde vie, voire une troisième ou quatrième vie.
Je suis née, comme on disait dans les années 50, avant-guerre. Même après la guerre, et durant de longues années, ma principale activité de petite fille fut de mettre des pièces carrées pour réparer les vêtements de travail de mon papa, retourner les draps avant l’usure totale : on les coupait par le milieu en longueur, puis on faisait à la main, un mince surjet pour lier les deux bords moins usés, devenus le milieu et assurant quelque temps encore la résistance du tissu.
N’allez pas en conclure que j’étais dans une famille pauvre, pas du tout. Ce qui signifie que ces pratiques étaient le lot de l’immense majorité des Français.
J’ai de quoi parler pendant des heures de toutes ces récupérations… qui feraient l’objet d’un billet entier. Mais revenons au drap de la chanson-comptine.

Le drap de la chanson devait être non seulement résistant, mais aussi chaud, car nous avons vu que les fenêtes étaient sans vitre.
Il fallait donc des vêtements plus chauds que ceux que nous portons aujourd’hui. Le terme drap est devenu pour nous au fil des siècles un faux-ami, car nous l’utilisons uniquement pour désigner un drap de lit.
Le drap fut longtemps une étoffe de laine. Par extension, on dit Drap d’or, drap de soie, Étoffe dont le tissu est d’or ou de soie.
La fabrication du drap est liée au très ancien élevage du mouton. L’homme inventa de multiples façons de le tisser, mais l’achèvemement consistait à fouler, laver, lainer etc… ce qui était fait dans les multiples moulins à foulons qui ornaient autrefois nos rivières.
Notre drap de lit fut longtemps Linceul : drap de toile qu’on met dans un lit pour se coucher, et pour ensevelir. C’est ainsi qu’il est désigné encore dans des contrats de mariage ou inventaires après décès, mais en Anjou, je trouve toujours le terme plus moderne de drap pour désigner les draps de lit.
Dès 1639, dans mon plus ancien inventaire après décès mis en ligne il y a quelques années, les draps de lit sont désignés ainsi : 18 draps de toile de brin de 8 aulnes 44 L \ 16 draps de toile de brin en brin 22 L \ 12 essuiemains de grosse toille 2 L 10 s (Inventaire après décès de Madgeleine FEILLET, hôtellerie de la Fleur-de-Lys, La Membrolle 1639)
Un linguiste vous expliquerait alors que c’est le drap, un drap, et que l’étoffe est du drap. Quoiqu’il en soit, ma génération aura vu s’effondrer les vêtements résistants et chauds, d’origine natuelle, au profit du tout jettable et surtout pas si chaud que cela quoique la pub veuille bien chanter !
Mais me direz vous, et le lavage des vêtements en drap ! Ceci est un autre sujet, où j’ai des anecdotes croutillantes … mais retenez pourtant que ce tissu avait une qualité essentielle : il ne prenait pas les odeurs (sous entendu, comme les tissus modernes)

Odile Halbert – Reproduction interdite sur autre endroit d’Internet seule une citation ou un lien sont autorisés.

20 réponses sur “Quand mon grand papa mourra j’aurai sa culotte de drap ! Qu’est ce que le drap à l’époque ?

  1. Report des commentaires de mon ancien blog :
    Galissoniere le 31 décembre 2007 : Ma belle-mère dont les ancêtres étaient originaires de l’Anjou méridional (Mozé, Denée,) avait une quantité impressionnante d’essuiemains en grosse toile. En effet à l’époque on ne faisait pas la lessive aussi souvent que de nos jours, mais 1 ou 2 fois par an.
    Ma belle-mère a eu 10 enfants, et chaque enfant a eu à sa mort une douzaine de ces essuiemains. Il faut reconnaitre que je n’ai jamais trouvé mieux en qualité et solidité ?

    Lyne, le 26 mai 2008 : Bonjour, Lyne, le 26 mai 2008 : Je trouve enfin la trace de cette chanson, entendue dans mon enfance. Elle ne se termine pas là… j’ai en mémoire :
    « grand papa laboureur est mort un beau matin… parmi… »
    … et c’est tout ! Je me souviens l’avoir entendue à la radio chantée par une chanteuse dite « réaliste » connue à l’époque (vers 1954/55 peut être)

  2. Une question qui n’a rien a voir avec le drap, mais avec les métiers.

    Mon mari vient de trouver dans un acte de baptème à Angers St Pierre du 16 12 1634 (vue 220) que le père du baptisé était « marchand enjolliveur ».

    A quoi correspond ce métier?

  3. Marchand enjoliveur, celui qui vend des guirlandes, festons (Littré). La passemanterie d’antant m’a toujours impressionnée – Longue réponse dans prochain article.

  4. A votre évocation de tous ces souvenirs autour de la récupération des draps, surgissent dans ma mémoire les mêmes images … Et pour essuyer les verres quoi de plus performant que ces draps taillés dans les draps usagés !
    Mais nos enfants ne veulent plus ces merveilleux draps brodés, trop dur à laver

  5. Avant la « Société de Consommation » le gaspillage était un « péché  » est les bonnes ménagères faisaient en sorte de ne rien jeter de ce qui pouvait être recyclé : en GB, le dicton est :  » Waste not want not ».
    Pour sauver notre planète il nous est conseillé de retourner à ces méthodes raisonnables…

  6. Autrefois les jeunes filles passaient beaucoup de temps à broder leur trousseau qui devait être prêt pour le jour du mariage (avec des jours « Venise  » ), un long travail ! Mais ces jolis draps ne sont plus compatibles avec nos machines à laver et bien longs au séchage …La housse de couette a pris le relais, mais on en trouve encore dans les armoires des grand- mères …

  7. j’avais appris cette chanson à ma petite copine claudette, qui riait à gorge déployée lorsque je la chantait, par contre ma grand mère ne l’aimait pas et me rossait avec une oucine (tige d’osier) lorsque je l’entonnait, voila de ça 65 ans !

  8. Il y a une chanson de Felix Leclerc sur ce thème.

      Note d’Odile :

    Pas tout à fait !
    Car ici, le sujet est qu’on utilise la culotte du grand père après sa mort pour en faire des vêtements aux petits enfants !
    C’est tout de même un point important !
    Odile

  9. Bonjour à tous et merci à Odile,

    Cette chanson m’est revenu à l’esprit cet après-midi, et je me suis dit « chiche je vais voir sur google si elle est connue.

    Je ne m’attendais pas à toutes ces explications. J’ai d’ailleurs encore à la maison des torchons qui ont été faits à partir de vieux draps de lit.
    Pour le vrai drap en laine, mon mari tout jeune a eu une cape faite de ce
    drap.

    Je crois come Odile, que la chanson de 1957 de Catherine Sauvage venait certainement d’une chanson traditionnelle.

    Bonne journée à vous

      Note d’Odile :

    Bonjour
    J’avoue que je n’utilise que des torchons coupés dans mes vieux draps, il est vrai que je suis une inconditionnelle des draps le lin, hélas en train de disparaître totalement.
    J’ai eu une tante, célibataire, et non salariée ni autre travail, qui a vécu longtemps correctement, en coupant ses jupes dans les anciens manteaux de sa mère etc…
    Bon WE à tous
    Odile

  10. Bonjour !

    J’atterris ici parce qu’en fait c’est la chute de la chanson interprétée par Catherine Sauvage que je ne comprends pas : est-ce que c’est le fils qui reprend son père à la fin , et pourquoi donc ? regrette-t-il son papi mort trop tôt ou de ne pas avoir hérité directement de la culotte de drap, des boutons sangliers, etc.

    Un grand merci si quelqu’un-e peut m’éclairer !

    1. Bonjour
      Je suis Odile, l’auteur du blog, et avant que d’autres vous répondent, ce qu’ils (elles) ne vont pas manquer de faire, je souhaite vous préciser qu’avec mes 80 ans, j’ai connu l’époque où on récupérait les vêtements des autres membres de la famille, et qu’on n’achetait pas souvent de vêtements.
      J’ai moi-même été habillée des vêtements d’une de mes tantes pendant toute mon adolescence jusqu’à ce que je gagne ma vie, à 21 ans.
      Et une autre de mes tantes, célibataire, s’habillait encore à l’âge de 81 ans, dans une jupe taillée dans le manteau de sa mère décédée.
      Les tissus, autrefois, étaient plus solides que maintenant.
      Je crois que notre société de consommation telle qu’elle est maintenant en 2018 a tout oublié du peu de consommation d’antan, et mon blog témoigne de cette contine qui est ancienne et si Catherine Sauvage l’a chantée, elle ne date pas d’elle, mais des siècles passés.
      Merci à d’autres lecteurs (lectrices) de mon blog de donner leur point de vue aussi.
      Odile

  11. Mon papa ( né en 1916) dans les années 60 me chantonnait cette chanson qui avait pour effet de me mettre en sanglots en imaginant sa mort!
    Le temps est passé mon papa et ma maman sont partis…..

  12. Bonjour,

    Je fais de la généalogie depuis de nombreuses années et nous avons les mêmes ascendants.
    Je descends de Jean Denis et Suzanne Marchand ainsi que Charles Denis et Gaudin Marie de la Cornuaille et Angrie.

    J’ai regardé votre site très enrichissant, je vais certainement y passer beaucoup de temps à apprendre sur l’histoire.

    Merci pour votre fabuleux travail…

    Amicalement.

  13. Bonjour à tous. Je suis Daniel Popp, fils d’André Popp compositeur de cette chanson dont le texte fut écrit par Jean Broussolle quelques années avant le Libération, quand ils se rencontrèrent à Fontenay le Comte en Vendée où Broussolle un peu plus âgé que mon père, s’était réfugié pour faits de résistance chez sa soeur, amie de la famille de mon père. Ce n’est pas une chanson traditionelle, c’est bien une chanson originale qui s’est inspirée du mode de vie d’antan. La chanson fut enregistrée le 1 er Octobre 1952 par Catherine Sauvage dont mon père a été le premier pianiste, quelques années après son arrivée à Paris avec Broussolle à la Libération, en Juin 44. C’est curieux, je suis tombé tout à fait par hasard sur votre site alors que je venais de poster tout un sujet sur cette chanson sur mon fil Facebook consacrée à l’oeuvre de mon père. Vous y êtes tous et toutes cordialement invités. https://www.facebook.com/daniel.popp.31945

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