Voir aussi Les Gardes d’Honneur 3ème régiment : table de mes publications
Tours, le 3 aout 1813
Mes chers parents
Nous sommes à présent en quelque sorte casernés, c’est pourquoi je m’empresse de vous faire connaître mon adresse pour vous prier de satisfaire au plutôt le désir ardent que j’ai de recevoir de vos nouvelles et de celles de toute ma famille. Je vous dirai que la troisième compagnie des gardes d’honneur devant partir incessamment, nous croyons aussi, nous qui faisons partie de la quatrième, que nous ne ferons pas un long séjour à Tours ; c’est une raison, mes chers parents, pour mettre dans votre réponse toute la promptitude possible.
Je vais vous donner maintenant quelques détails sur nos occupations journalières. Le matin, nous nous levons vers quatre heures et demie ; à cinq heures on fait l’appel : cela fait, chacun prend son étrille, sa brosse, son peigne et son éponge, pour nettoyer son cheval pendant une heure. Il est sept heures environ lorsque les chevaux sont passés à l’eau : ensuite on nous distribue l’avoine pour la faire manger. A sept heures et demie nous sommes libres jusqu’à dix heures où nous allons déjeuner pendant une petite demie heure. Le déjeuner fini, nous sommes encore nos maîtres jusqu’à deux heures où l’on fait l’appel comme le matin, après quoi nous prenons de nouveau nos instruments d’écurie. Il est près de quatre heures quand nos chevaux sont pansés, quand ils ont bu et mangé l’avoine. Vient ensuite le dîner composé de soupe, de bouilli, d’un ragoût ou d’un rôti avec des pois verts ou des haricots. Notre soupe est faite à la miche, mais nous mangeons la viande avec le pain de munition, qui est passable, ou bien, ceux qui veulent, achètent du pain blanc. Lorsque tout le monde est contant, chacun va seller son cheval ; et à cinq heures et demie tout le monde met le pied à l’étrier pour aller à la manœuvre sous les yeux du général et de tous ceux qui nous commandent. Nous rentrons vers huit heures un quart et nous nous couchons entre neuf heures et demie et dix heures, sur des lits, qui comme vous pensez bien, ne sont pas des plus mollets. Mais ce qu’il y a de plus dur et de plus tuant c’est de garder l’écurie : on y entre à onze heures du matin et on n’en sort que le lendemain à la même heure. Il faut toute la nuit veiller à ce que les chevaux ne se battent pas et le jour avoir continuellement la pelle et le balai en main pour nettoyer l’écurie. J’ai déjà éprouvé une fois ce qu’il en est ; et voilà la punition de ceux qui manquent à l’appel ; ou bien c’est la salle de police. J’ai pour agrément un cheval parfaitement commode ; mais malheureusement il trotte dur ; j’ai aussi le plaisir de voir plusieurs Angevins ; entr’autres Monsieur Logerais et Monsieur d’Elbée. En général nous sommes tous bien les uns avec les autres, car rien ne prend mieux ensemble que les malheureux.
Veuillez, mon cher papa et ma chère maman, me rappeler au souvenir de toute ma famille, entr’autres de ma chère tante Vernault, et prier tous mes parents ainsi que monsieur le curé et sa nièce de ne plus m’oublier que je ne les oublie moi même. Je compte écrire demain à la pauvre Aimée. Il faut donc enfin que je finisse mes chers père et mère, mais croyez que c’est avec le plus cuisant regret de ne pouvoir m’entretenir plus longtemps avec vous, et que je vous embrasse, avec toute la tendresse du cœur le plus sensible, vous ainsi que Dominique.
J. Guillot.
Adieu, adieu.
Saint-Sébastien-sur-Loire, le 21 mai 2021
Mon cher Jean
Si je comprends bien tu es en caserne, ce qui n’est pas le cas de tout le régiment, car vous êtes si nombreux qu’il y en a un peu partout dans Tours.
J’ai vu le rôle de ton régiment, qui est conservé aux Archives de l’armée de terre à Vincennes. Ainsi, tu as été enregistré dès ton arrivée. Vous étiez tellement nombreux que tous n’ont pas été enregistrés aussi vite.
Le rôle m’en a appris beaucoup sur ton régiment. Ainsi, lorsque vous vous présentiez, vous pouviez bien dire ce que vous vouliez. Il n’y a pas eu de contrôle d’identité, et manifestement beaucoup n’ont pas beaucoup de papiers sur eux. Toi-même tu n’avais même pas ta date de naissance.
Mais au fait, cela devait être difficile aux jeunes gens de ta génération de connaître sa date de naissance : vous étiez nés sous le calendrier républicain. Certains de tes camarades ne connaissent que ce calendrier pour donner leur date de naissance. Le secrétaire était parfois un peu perdu avec ce calendrier, c’est le moins qu’on puisse dire. Quand il écrit « an 13 » je suis persuadée qu’il a mal entendu ou mal compris. Il était même sans doute un peu dur d’oreille, certainement une personne âgée non appareillée. En fait c’était peut-être « an 3 ».
Même quand tes camarades donnent leur date en calendrier Grégorien, il note souvent les mois de janvier et février, plus que de raison, donc ces dates ne sont certainement pas très fiables. Au fond, bon nombre d’entre vous ne connaissait pas trop sa date de naissance, puisque l’église catholique avait interdit les anniversaires, et seul l’anniversaire du Christ était une fête. Même Louis XIV ne connaissait pas sa date de naissance.
L’état civil était tenu par les prêtres avant la Révolution, et l’âge était toujours indiqué avec la mention « environ » tant on ignorait le plus souvent la date de naissance. Mais toi Jean, tu est né le 1er vendémiaire an II selon ce qui s’appelait alors l’état civil tenu par les mairies. Tu n’a donc pas connu l’ancien état civil tenu par les prêtres.
Tu m’as tout de même bien amusée avec ce blanc dans ta date de naissance. Tu es cultivé, comme le montre ton usage de la langue française, et je suppose que tu as suivi tes études au Lycée de la Rossignolerie, inauguré en 1806 sous le nom de « Lycée Impérial ». Il s’appelle maintenant « David d’Angers, rue Célestin Port, mais on le doit comme tous les lycées à Napoléon.
Ainsi 73 d’entre vous ne connaissaient pas leur date de naissance, soit 73 pour 2 206 gardes d’honneur, donc 3 %. C’est beaucoup pour des jeunes gens cultivés. Alors, je suppose que cet oubli de votre de naissance était volontaire, sans doute aviez vous parmi votre groupe d’arrivée l’un d’entre vous trop jeune pour avouer son âge, et vous avez alors tous décidé de le soutenir en faisant comme si vous ne connaissiez pas votre date de naissance. Vous étiez donc des jeunes gens tout à fait normaux pour votre âge, et prêt à faire quelque petite blague.
Tu sais de nos jours, les jeunes gens ne connaissent plus la guerre depuis 75 ans, et comme ils ont l’envie de se défouler de leur âge, ils n’hésitent pas à sortir, mais des raves interdites, sorte de fête ou la musique moderne avec très hauts parleurs, et la boisson, font se trémousser tout le WE.
Donc tu connaissais ta date de naissance mais avec tes camarades vous aviez décidé de narguer l’autorité et faire semblant de ne pas la connaître, sans doute parce que l’un d’entre vous avait besoin de masquer cet élément de sa personne. En tout cas vous y êtes bien parvenus.
Mais le rôle du troisième régiment m’a révélé que de nos jours on a totalement oublié la variole. Pourtant nous sommes depuis 15 mois en pandémie de Covid-19, un virus qui est venu troubler un peu nos existences paisibles. On a connu plusieurs pandémies depuis toi, mais on a éliminé la variole à grands coups de vaccins obligatoires sur toute la planète. On l’a si bien éliminée qu’on l’a oubliée et même les films historiques des siècles passés ne nous montre que de très beaux visages, tous plus beaux les uns que les autres, et aucun n’a la petite vérole. Donc on nous désinforme comme je l’ai découvert en retranscrivant le rôle de ton régiment, car à chaque page au moins un visage de petite vérole, et vous êtes 6 par page. C’est impressionnant, et je t’avoue que cela m’a un peu bouleversée, surtout parce que je constatais combien nous avons oublié ces marques de la variole, si visibles sur les visages. Et ces marques étaient si usuelles qu’elles n’étaient en aucun cas un obstacle au mariage. Ainsi quelques garçons de ton régiment, plus chanceux que toi, et revenus chez eux, ont trouvé épouse malgré la petite vérole.
Ta fidèle arrière-arrière petite nièce
Odile