Dispense de consanguinité entre Jean Juliot et Anne Pipard, La Rouaudière (53), 1754

L’acte qui suit est extrait des Archives Départementales du Maine et Loire, série G

Je poursuis les dispenses.
Comme vous l’avez remarqué, elles étaient classées à l’évêché, étant de nature religieuse, puis ces archives ont été versées aux Archives Départementales, mais comme la carte d’un diocèse différe de celle d’un département, il faut trouver dans le département voisin beaucoup de paroisses d’antan…
J’ai le même problème en Normandie, où La Sauvagère n’est pas à ALençon mais relevait de l’évêché du Mans et non existant, à la Cornuaille relevant de l’évêché de Nantes, etc… donc c’est très fréquent…

Voici la retranscription de l’acte : Le 22 novembre 1754, en vertu de la commission à nous adressée par monsieur l’abbé de Monteclerc grand doyen et vicaire général de monseigneur l’évêque d’Angers en date du 15 de ce mois, signée l’abbé de Monteclerc, vicaire général, et plus bas par Monsieur Péan avec paraphe, pour informer de l’empêchement qui se trouve au mariage qu’ont dessein de contracter Jean Julliot de la paroisse de la Rouaudière âgé de 24 ans, et Anne Pipard de la paroisse de Saint Aignan, âgée de 25 ans, n’ayant plus ni père ni mère tous deux de ce diocèse, et de famille de laboureur, nous prieur curé soussigné avons dressé le procès verbal qui suit, pour y être fait droit, selon les raisons à nous alléguées tant de la part des parties que des témoins et parents y appelés,
de tous lesquels ayant pris serment séparément pour nous dire vérité, nous ont affirmés que ledit Jean Juliot et ladite Anne Pipard se recherchent de bonne foie en mariage depuis longtemps, de sorte que s’il ne leur était par accordé permission de s’épouser, il pourrait s’ensuivre un scancale et un grand préjudice à l’un et à l’autre, (de vous à moi, le scandale était surtout pour la fille, et je vous rappelle qu’on était scandalisé de peu, en l’occurence de simples fréquentations)
de plus ils nous ont attestés que cette dite Anne Pipard n’a jamais été recherché par aucun autre parti convenable à sa famille à cause de sa difformité naturelle,
en outre nous ont protesté que dans leurs paroisses voisines limitrophes, ils sont presque tous parents et alliés sans pouvoir trouver en ce petit pays de si peu d’étendue, autre parti convenable qu’il ne s’y trouve même empêchement, (ces arguments marchent bien, comme nous l’avons déjà vu, aussi sont-ils toujours avancés, même si cela n’est pas tout à fait vrai…)
de plus par appréciation faite en conscience par Pierre Juliot père (tiens tiens !!! tout à l’heure il n’y avait plus de père ! j’ai l’impression qu’on fait dans l’approximation…) et par Pierre Juliot frère dudit réquérant et cy présents, ledit Jean Julien leur fils et frère n’a de tout bien valant, y compris la dot de 100 livres qu’on lui promet que la somme de 300 livres,
et ladite Anne Pipard par estimation faite de même nature, aux dires de François Jeufreau son beau-frère, et de Jean Gasnier son cousin germain, aussi présents, et de tous serment pris, comme déjà dit cy-dessus, n’a tout au plus tant en bien fond qu’effets mobiliers qu’à la concurrence de 1 500 à 1 600 livres (il peut fermer les yeux sur la diformité ! Descendants si vous existez, pardonnez moi et riez … on s’amuse quand on fait l’histoire des familles…), jointes à celle de 300 livres dudit Jean Juliot, font de total ensemble celle de 1 800 ) 1 900 livres, (notez bien que cette somme de 1 900 livres est jugée trop faible pour envoyer à Rome, et payer la dispense de Rome, donc, même avec cette somme, qui n’est pas la pauvreté, mais l’aisance moyenne de l’époque, l’évêché n’est pas trop exigeant et octroie tout de même la dispense à son niveau. Je reviendrai sur les chiffres de fortune, soyez patients)
en outre lesdites parties et témoins nous ont protesté que ledit Jean Juliot et ladite Anne Pipard n’étaient parents que du 3 au 4e degré selon l’arbre généalogique qu’ils nous ont fait dresser cy-après, à quoi comme à tout cy-dessus mentionné ils sont souscrit avec nous pour en constater,

de Jacques Faguier et de Jeanne Geslin, souche commune, sont issus

  • Fiacre Faguier mari de Mathurine Poisson – 1er degré – Jacques Faguier mari de Jeanne Geslin
  • Louise Faguier épouse de Philippe Desestre – 2e degré – Jeanne Faguier mariée à Michel Pipard
  • Perrine Desestre mariée à Pierre Juliot – 3e degré – Anne Pipard requérante, fille dudit Michel Pipard et de ladite Anne Faguier
  • Jean Juliot Reguérant, issu de Pierre Juliot et de Perrine Desestre – 4e degré
  • à Brain ce même jour et an que dessus, nous parents témoins appelés souscrivons à toutes les raisons mentionnées cy-dessus pour foie y être ajoutée, les deux parties ont déclaré ne savoir signer, également que Pierre Juliot le jeune. Signé Pierre Juliot (c’est donc le père, et il n’a pas appris à ces fils… tiens, tiens !!!), P. Girard, François Jeuffrault, Poirier curé de Brain

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    Journal d’Etienne Toysonnier, Angers 1683-1714

    1686 : juillet, août, septembre, (octobre absent du mansucrit), novembre, décembre

    Journal de Maître Estienne TOYSONNIER, Angers, 1683-1714
    Numérisation par frappe du manuscrit : Odile Halbert, mars 2008. Reproduction interdite.
    Légende : en gras les remarques, en italique les compléments – Avec les notes de Marc Saché, Trente années de vie provinciale d’après le Journal de Toisonnier, Angers : Ed. de L’Ouest, 1930

  • Le 1er juillet (1686) le Sr Bodard grenetier à Candé épousa la fille du défunt Sr Durand Me apothicaire en cette ville, et de la dame Coueffé.
  • Le même jour (1er juillet 1686) se fit la cérémonie de l’établissement de l’Académie royale. Le canon tira le matin ; toutes les cloches de la ville sonnèrent depuis midy jusques à une heure. Les habitants sous les armes firent quantité de décharges ; plusieurs pièces devin coulèrent, les harangues commencèrent sur les cinq heures du soir Mr l’intendant et Mr Goureau conseiller honoraire au présidial y parlèrent savamment ; toutes les dames qui y furent, firent un des principaux agréments de cette feste ; cela fut suivi d’un superbe repas ; il y eût sur les neuf heures du soir des feux d’artifice et des illuminations par toutes les fenêtres des maisons de la ville. On éleva ce même jour l’effigie du Roy en buste dans le fond du jardin de l’Hôtel de ville.
  • Le 10 (juillet 1686) mourut le sieur Fagotin sergent ; son fils marchand de soye a épousé la fille du feu Sr Mabit.
  • Le 16 (juillet 1686) Mr Souché marchand à Nantes, riche de trente mil écus, épousa la fille de Mr Desmazures Sailland et de la dame Lejeune. Cette fille l’engagea par son mérite et sa beauté ; il est âgé de 54 ans.
  • Le même jour (16 juillet 1686) mourut monsieur Guynoiseau prêtre curé de la Salle.
  • Le 18 (juillet 1686) les ambassadeurs du Roy de Siam arrivèrent en cette ville. On tira la canon et on leur fit les présents. Ils partirent le lendemain pour Paris, chargés de plusieurs présents très riches pour le Roy.
  • Le 22 (juillet 1686) le fils de Mr Yvard notaire en cette ville épousa la fille du sieur Delmur marchand de soye.
  • Le 23 (juillet 1686) mourut la femme de monsieur Davy, notaire royal en cette ville, âgée de 34 ans. Elle a laissé 5 petits enfants ; elle s’appelait Boisard.
  • Le 24 (juillet 1686) mourut la femme de feu monsieur Petit de la Pichonnière de Piedfelon gentilhomme. Elle a laissé cinq enfants ; elle s’appelait Eveillard. Elle a été enterré en l’église de St Michel du Tertre.
  • Le même jour (24 juillet 1686) le nommé Gibert de Champfleury, de la paroisse de Thouarcé, fut pendu pour avoir tué deux femmes sortant de l’église de Thouarcé, et une autre qu’il tua dans son lit. Il y avait dans cette action de la rage et de la folie, ces femmes ne luy ayant jamais rendu aucun mauvais service. La mère sur Sr Simon praticien en était une. Il avoué que s’il n’avait été arresté il aurait tué tous ceux qui se seraient présentés devant luy.
  • Le 2 août (1686) mourut madame … veuve de feu monsieur La Chapelle et remariée avec monsieur Jacquelot, gentilhomme. Elle est morte fort riche et elle a plusieurs héritiers fort pauvres ; elle n’a point laissé d’enfants. (E. Toysonnier donne souvent la mention sans enfants, et je découvre une fréquence relativement importante de ces couples sans enfants, qui signifiaient toujours une succession fort interressante pour les collatéraux, j’y reviendrai)
  • Le 10 (août 1686) mourut la femme de Mr du Ribet Duménil ; elle s’appelait Jameray sœur de feu Mr Jameray avocat.
  • Le 12 (août 1686) le Sr Chouteau praticien, veuf de la dame Rigault épousa la fille de défunts Goubault Me chirurgien en cette ville et de la dame Gendry.
  • Le 18 (août 1686) la fille de défunt monsieur Bachelot, grenetier en cette ville et de la demoiselle Panetier, fit profession au couvent des religieuses Ursulines ; elle s’appelle Lézine.
  • Le 19 (août 1686) la fille de monsieur Butin et de la dame Gigon épousa monsieur de Vaulogé de la ville du Mans.
  • Le 25 (août 1686) mourut le sieur Briand praticien ; il avait épousé la fille du Sr Rocher, hôte de la Bataille.
  • Ce même jour (25 août 1686) mourut la femme du Sr de la Chaussée Me écrivain.
  • Le 26 (août 1686) le fils de Mr Deniau Me apothicaire et de la dame Chaudet épousa la fille du St Delhommeau huissier.
  • Le même jour (26 août 1686) mourut la femme du feu sieur Guyollay Sr de Puirengeard praticien ; elle s’appelait Françoise Janvier ; elle n’a point laissé d’enfants.
  • Le 1er septembre (1686) mourut Mr Pasqueraye prêtre chantre de St Martin
  • Le 10 (septembre 1686) le sieur Rigault clerc fils du défunt sieur Rigault huissier audiencier au siège de la prévôté, épousa la fille du Sr Richomme sergent et de la défunte dame Bovet.
  • Le 15 (septembre 1686) il y eut des feux de joie à la manière ordinaire pour l’heureuse naissance de Monsieur le Duc de Berry, fils de monseigneur et de madame la Dauphine.
  • Le 17 (septembre 1686) mourut Mr Duhalay maître chirurgien ; c’était un des plus habiles hommes du royaume pour accoucher les femmes.
  • Le mesme jour (17 septembre 1686) mourut le sieur Barault âgé de 89 ans. Il a laissé une fille mariée avec le Sr Gaultier huissier audiencier en l’élection de cette ville.
  • Le 20 (septembre 1686) Mr de la Grange Salmon, avocat à Saumur, épousa Melle Dupont. Cette fille avait été auparavant toute sa vie au service de madame de Milière.
  • Le même jour (20 septembre 1686) monsieur de Lancrau gentilhomme épousa mademoiselle de Bréon. (Le qualificatif de gentilhomme est réservé aux nobles et E. Toysonnier reflète dans sa manière de s’exprimer, la manière dont parlait entre eux les bourgeois d’Angers, j’y reviendrai)
  • Le 18 (septembre 1686) mourut la femme du feu Sr Guerin ; son fils est commis au greffe de la prévôté de cette ville.
  • Le 27, 28, 29 et 30 (septembre 1686) arrivèrent en cette ville seize cent hommes du régiment d’Alsace, les mêmes que nous avions l’année dernière pour y passer leur quartier d’hyver. (cette mention fait allusion à l’impôt de l’ustencile, qui était le logement par les habitants des militaires, et vous allez voir bientôt que la ville d’Angers tentera de négocier une somme avec le roi, pour éviter les militaires… sans doute peu appréciés durant autant de mois…inactifs…)
  • Le 28 (septembre 1686) le fils de feu monsieur Lanier qui avait été maître des requestes et ambassadeur en Portugal, et de la dame Liquet sa femme, épousa la fille de monsieur Vollaige de Vaux Girault et de la demoiselle de la Cartrie Talour. Le mois d’octobre est absent du manuscrit original et semble avoir été sauté par l’auteur.
  • Dans ce même temps, le sieur Goubault Me chirurgien, veuf de la dame Salais et fils de feu Sr Goubault aussy Me chirurgien et de la dame Gendry épousa la fille du feu Sr Delhommeau marchand de dentelles et de la dame Deschamps.
  • Le 4 novembre (1686) le fils du Sr Bertelot marchand épousé la fille du sieur Bridié aussy marchand et de Delle Brintaut.
  • Le 7 (novembre 1686) mourut la femme du sieur de la Carte Lesourd, commis au greffe de l’élection de cette ville ; elle a laissé trois petits enfants ; elle s’appelait Delommeau.
  • Le 9 (novembre 1686) mourut la femme du sieur Cireul ; elle n’a point laissé d’enfants ; elle s’appelait Cheminant.
  • Le 10 (novembre 1686) mourut monsieur de la Saunerie Gault, avocat. Ce n’était qu’un brouillon et qui plaidait de fort mauvaise grâce. Il était avocat de 1645 ; il a été enterré dans l’église d’Etriché.
  • Le 2 décembre (1686) monsieur Bachelot, fils de défunt Mr Bachelot contrôleur au grenier à sel de cette ville et de la demoiselle Panetier épousa la fille du feu sieur Ganches de la Fourerie et de la demoiselle Margaritteau.
  • Le 6 (décembre 1686) mourut le Sr Robert, commis au greffe du siège présidial de cette ville.
  • Le 8 (décembre 1686) mourut d’hydropisie le sieur de la Mothe Vieil praticien en cette ville. (HYDROPISIE. s.f. Enflure causée en quelque partie du corps par les eaux qui se forment & qui s’épanchent Dictionnaire de L’Académie française, 4th Edition, 1762)
  • Le 16 (décembre 1686) mourut monsieur de Narbonne Coutard, cy-devant marchand, de paralysie et de létargie. Il était d’une taille extraordinairement grosse.
  • Le 22 (décembre 1686) le fils de monsieur Dumenil cy-devant avocat du Roy au siège présidial de cette ville et de la défunte dame des Roches Gurie épousa la fille de monsieur Poullain Sr de Greez doyen de messieurs les conseillers du présidial et de la dame Deniau avant veuve du feu Sr la Marche Gandon.
  • Le 26 (décembre 1686) mourut madame Gohin ; elle a laissé plusieurs enfants ; une fille a épousé Mr Belot Sr de Martou ; une autre a épousé Mr du Planty Boylesve, lequel était veuf auparavant de la dame Juliot ; et un garçon a épousé la fille du Sr Bertelot auditeur des Comptes de Bretagne ; elle s’appelait Sérézin.
  • Le 28 (décembre 1686) mourut la femme de Mr Coutard avocat ; elle s’appelait Subleau sœur du feu Mr Subleau secrétaire du Roy.
  • Le 30 (décembre 1686) monsieur Avril Sr de Louzil conseiller au siège présidial de cette ville, fils de feu Mr de Louzil Avril aussy conseiller audit siège et de la dame Galisson, épousa la fille de monsieur Chérot avocat et de la demoiselle de la Combe Garciau.
  • Dans ce même temps, mourut Mr de Vaulogé gentilhomme du pays du Maine, mari de la demoiselle Butin.
  • Le mesme jour monsieur de la Hussaudaye Robert sénéchal de Craon, épousa mademoiselle Harangot, fille de défunts Mr Harangot receveur des décimes à Poitiers et de la demoiselle de la Butte Sara.
  • Journal de Maître Estienne TOYSONNIER, Angers, 1683-1714
    Numérisation par frappe du manuscrit : Odile Halbert, mars 2008. Reproduction interdite.
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    Contrat d’apprentissage de tonnelier à Saint Lambert du Lattay (49), 1723

    pour Jean Vaillant chez Pierre Gaultier

    Nous poursuivons les contrats d’apprentissage.

    L’acte qui suit est extrait des Archives Départementales du Maine-et-Loire. Voici la retranscription intégrale. Ce contrat est fort mal écrit, et pour le comprendre il faut faire de la phonétique mentalement. Pour vous aider, j’ai parfois mis en italique l’orthographe exacte. : Le 29 may 1723, par devant nous Charles Billault notaire royal Angers résidant à Rablay, furent présents établis et soubmis Pierre Gaultier thonelier (tonnelier) demeurant à la Mulonnière paroisse de Saint Lambert du Lattay,
    Renée Chevallier veufve René Vaillant et Jean Vaillant son fils, demeurant au bourg de Rablay,
    entre lesquelles parties a esté fait le marché d’aprentisage qui suit pour le temps et espasse (espace) de 18 mois qui commanseront (commenceront) le 18 juillet prochain et qui finiront le 10 janvier de l’année 1725,
    c’est à scavoir que ledit Gaultier a promis et par ces présentes promet et s’oblige montrer et enseigner sondit métier de thonelier audit Jean Vaillant sans rien luy en celer scavoir doller à faire les tonneaux de toutes fasons façons le norir (nourrir) coucher et reblanchir et luy donner bon trestement traitement ainsy que les mestres (maîtres) sont tenu de faire à leurs aprantifs à la charge par ledit Jean Vaillent d’obéir audit Gaultier et de faire ce qui luy commandera touchant sondit métier de thonnelier d’aller et venir où il voudra l’envoyer

    et est fait le présent marché d’aprantisage (apprentissage) pour la somme de 50 livres que ladite veufve Vaillent promet et s’oblige payer et bailler audit Gaultier scavoir 25 livres dans le jour et feste de Magdelaine prochaine et les 25 livres restent de la Saint Jean Baptiste prochaine en un an à paine (peine) etc
    ce qui a esté ainsy voulu consenty stipulé et accepté, s’obligeant lesdites parties leurs hoirs etc biens etc renonçant etc dont etc s’oblige ladite veufve Vaillant fournir coppie des présentes audit Gaultier dans un mois prochain, aussy à paine (peine),
    fait et passé audit Rablay en notre étude présents Pierre Chosteau couvreur d’ardoise Louis Beugnon sergent et René Vaillant Vigneron, demeurants audit Rablay, ladite veufve Vaillant et dedit René Vaillant ont déclaré ne scavoir signer

    Planche extraite de l’Encyclopédie de Diderot, article Tonnelier, Outils.

    DOLER, v. act. DOLOIRE, s. f. Doler apartient à tous les Arts, qui travaillent sur le bois. Égaler, aplanir; blanchir et unir le bois. — Doloire est un instrument de tonnelier, qui sert à doler le bois. (Jean-François Féraud, Dictionnaire critique de la langue française, Marseille, Mossy 1787-1788). Le doloire de tonnelier était une sorte de hache dont le manche, très gros, est déporté pour faciliter le travail de l’ouvrier.

    La durée d’apprentissage est de 18 mois, et ce tonnelier travaille au coeur du vignoble Angevin, des côteaux du Layon, donc on peut le considérer comme représentatif de son métier.
    Or, une fois encore (voir Commentaire de la durée d’apprentissage du vinaigrier), j’observe une durée d’apprentissage totalement différente de ce que dit l’Encyclopédie de Diderot : L’apprentissage est de six ans, après lequel l’aspirant doit faire chef-d’oeuvre, pour être admis à la maîtrise. Cette phrase de Diderot semble extraite de Statuts exclusivement Parisiens et le moins qu’on puisse dire c’est qu’une fois encore ils ne représentent pas la France entière… Sans doute à Paris ne travaillait-on que des objets de luxe, pour la Cour ou autre, mais dans tous les cas qui n’avaient strictement rien à voir avec les objets du Français moyen…

    Odile Halbert – Reproduction interdite sur autre endroit d’Internet Merci d’en discuter sur ce blog et non aller en discuter dans mon dos sur un forum ou autre blog.

    Journal d’Etienne Toysonnier, Angers 1683-1714

    1686 : janvier, février, mars, avril, mai, juin

    Ce billet fait suite aux précédents, dans cette catégorie (cliquez à droite ANGERS, JOURNAL TOYSONNIER) et il sera à suivre. Le carnet mondain est souvent incomplet, et ouvre seulement la piste, mais par contre il regorge de données qu’il est rare d’avoir en généalogie : les maladies. J’y reviendrai. Je répondrai également à toutes les questions que vous posez… patience…

    Journal de Maître Estienne TOYSONNIER, Angers, 1683-1714
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  • Le premier janvier (1686) mourut monsieur de la Peroussaye Gaillard ; il s’emporta si violemment contre son soldat qu’il luy en prit un tremblement dont il mourut quelques heures après ; il n’a point laissé d’enfants ; sa femme s’appelle …
  • Dans ce temps mourut Mr Blandouët gentilhomme mari de demoiselle Hyron. Il laissa sa femme grosse qui est accouchée d’un garçon qui mourut quelques jours après.
  • Le 5 (janvier 1686) mourut la veuve du feu sieur Deschamps revendeur ; elle a laissé plusieurs enfants, savoir la défunte femme du feu Sr Hubon droguiste ; une autre fille a épousé le Sr Métayer marchand de bled, et une autre le Sr Lebreton marchand de draps de laine.
  • Le 13 (janvier 1686) la fille de Mr de Chenedé, procureur du Roy en l’élection de Paris et de dame Louise Aveline ; elle s’appelait Marie-Anne, âgée de 17 ans ; elle est morte de phtysie ; cette maladie a duré un mois. Elle m’honorait d’une amitié toute particulière et j’ai l’honneur d’avoir été son compère. Elle fut enterrée le lendemain dans l’église de St Michel du Tertre avec grande pompe.
  • Le 14 (janvier 1686) Mr Blanchard, avocat, Sr de la Pinaudière, fils du feu Sr Blanchard bourgeois de cette ville et de la dame Loyseau, épousa la fille de feu Mr Dugué, aussy avocat et de défunte Delle Viel.
  • Le mesme jour (14 janvier 1686) Mr Delaunay avocat fils du Sr Delaunay marchand et de la dame Robert épousa la fille du sieur Allard, banquier, et de la défunte dame Lagou.
  • Le 15 (janvier 1686) monsieur Charlot, cy-devant maire de cette ville, se fit installer dans la charge de conseiller et échevin perpétuel de l’Hôtel de ville, possédée cy-devant par Mr Elie des Roches, conseiller honoraire à la Prévôté.
  • Le 21 (janvier 1686) le nommé Hubert de la ville du Mans fut convaincu de l’assassinat commis dans la personne d’un particulier dans les bois du Fouilloux le 11e de juillet dernier. Les preuves n’étant pas assez fortes, on l’appliqua le 19 à la question ordinaire et extraordinaire préparatoire ; il avoua le crime de bonne foy ; il fut condamné d’être rompu et exécuté le même jour. J’avais fait un voyage avec luy de cette ville à Rouen depuis 10 ans ; je ne lui avais rien remarqué indigne d’un honnête homme. Il avoua encore plusieurs vols qu’il avait fait en différents lieux.
  • Le même jour (21 janvier 1686) le fils de défunts monsieur Desmazières et de la demoiselle Bardin épousa mademoiselle de Dieusie (ou de la Blairie)
  • Le 24 (janvier 1686) mourut Mr Deroye docteur régent en droit fils de feus Mr Deroye conseiller au siège présidial de cette ville et de la dame Davy d’Argenté. Il a mis au jour plusieurs beaux ouvrages entr’autres les Instituts du droit canon, son livre de jure patronatus, de juribus honorificiis et autres. C’était un des beaux esprits de ce siècle ; il est mort garçon âgé de 68 ans ; on m’a dit qu’il tombait du mal caduc.
  • Le même jour (24 janvier 1686) mourut Mr Galard bourgeois de cette ville ; il se mêlait de la chimie ; on dit que s’étant enfermé dans son opératoire, la fumée du charbon l’étouffa. Il a laissé sa femme appelée Leveau chargée de six enfants.
  • Le 4 février (1686) mourut mademoiselle d’Artois fille de feu Mr d’Artois bourgeois et de Delle Courant, âgée de 26 ans ; elle avait de l’esprit et du mérite infiniement. Elle fut enterrée le lendemain dans l’église des pères Jacobins en grande pompe.
  • Le même jour (4 février 1686) mourut Melle Anne Phelipeau, cy-devant directrice de l’hôpital général. C’était une fille d’une dévotion et d’un mérite consommé.
  • Le 6 (février 1686) mourut mademoiselle Gautier fille, âgée de 77 ans, sœur de feu monsieur Gaultier, prêtre, abbé de Montron.
  • Le 7 (février 1686) mourut la femme de défunt Mr Bousselin marchand de laine âgée de 87 ans ; elle s’appelait Gaury. Elle a laissé plusieurs enfants ; Mr Pichard avocat a épousé une fille.
  • Le 9 (février 1686) mourut madame Le Cout veuve de feu monsieur Le Cout marchand de bleds.
  • Le 12 (février 1686) mourut monsieur Hunault de la Chevalerie gentilhomme. Il fut enterré le lendemain dans l’église des Augustins.
  • Le même jour (12 février 1686) mourut la femme de Mr Potier docteur en médécine ; elle s’appelait Raimbaut fille du feu Sr Raimbault Me apothicaire en cette ville et de la dame Grézil ; elle était âgée de 35 ans ; elle a laissé quatre petits enfants.
  • Le même jour (12 février 1686) mourut le sieur de la Feronière Benois, marchand cirier.
  • Le 12 (février 1686) Mr Landereau avocat à Baugé épousa la fille de Mr Crosnier notaire et de la défunte dame …
  • Le même jour (12 février 1686) le sieur Duveau épousa mademoiselle Daburon nièce de Mr Daburon avocat.
  • Le 18 (février 1686) le sieur Girard Cordon fils du St Corson cy-devant marchand de soye et de la défunte dame … épousa la fille de défunts Mr Valtère avocat au siège présidial de cette fille de Delle Cécile Ménard.
  • Le même jour (18 février 1686) mourut la femme de feu Mr de la Varanne du Tremblier conseiller au siège présidial de cette ville ; elle s’appelait Eveillard. Elle a laissé plusieurs enfants ; son fils aîné aussi conseiller au siège présidial a épousé la fille de feu Mr de Louzil Avril aussy conseiller et de la dame Galisson ; un autre est curé de Villevesque ; une fille a épousé Mr Avril Sr de Pignerolle, académiste de cette ville.
  • Le 21 (février 1686) mourut le sieur Gandon, marchand droguiste en cette ville ; il était d’une taille extraordinairement puissante.
  • Le 25 (février 1686) mourut le sieur Dupuy huissier audiencier au siège présidial. Il avait épousé la défunte fille de feu Mr de la Jumelière Moreau dont il n’y a point eu d’enfants.
  • Le 1er mars (1686) mourut la femme de Mr Baillif docteur en médecine. Elle a laissé plusieurs enfants, une fille a épousé Mr des Monceaux Avril, lieutenant en l’élection de cette ville ; elle s’appelait Héard.
  • Le 20 (février 1686), la fille de Mr Coutard Sr de Narbonne cy-devant marchand de draps de laine épouse le Sr Marquis marchand de fil et de toiles.
  • Le 25 (février 1686) mourut Mr Loyant avocat au siège présidial de cette ville.
  • Le 5 (mars 1686) mourut la femme de défunt Mr Phelipeau vivant avocat au siège présidial de cette ville ; elle s’appelait Guyonne Blouin, âgée de 48 ans. Elle est morte de langueur, maladie héréditaire en sa famille. Elle a laissé plusieurs enfants, deux filles sont religieuses dans la ville de Rennes, un fils est mort à l’armée.
  • Le 8 mars (1686) mourut monsieur de la Possardière Brichet, avocat au siège présidial de cette ville, âgé de 54 ans ; il ne plaidait point.
  • Le même jour (8 mars 1686) mourut la femme de défunt Mr Loyant aussy avocat. Elle s’appelait Malville ; elle a laissé 4 enfants.
  • Le même jour (8 mars 1686) mourut monsieur Guyard notaire royal en cette ville. Il est mort d’une maladie de langueur.
  • Le 11 (mars 1686) mourut monsieur de Narcé Aveline, conseiller honoraire au siège présidial de cette ville, âgé de 58 ans. Il avait épousé la fille de défunts Mr de la Boulaisière Guilbault marchand de bétail et de la dame Paytrineau. Il était fils de feu Mr Aveline qui faisait un gros commerce de vin et de la dame Louise Beauchêne ; il a laissé un garçon et 4 filles dont deux sont religieuses au couvent de St Fleurant. Il fut enterré le lendemain dans l’église de Saint Michel du Tertre.
  • Le 17 (mars 1686) mourut la femme de Mr de la Richelière Toublanc bourgeois de cette ville ; elle s’appelait … Elle a laissé deux garçons dont le fils aîné a épousé Melle …
  • Le même jour mourut subitement la femme de feu Mr de Lizières Margariteau avocat, âgée de 59 ans. Elle s’appelait Garciau ; elle a laissé 13 enfants ; son mari est aussy mort d’apoplexie.
  • Le 19 (mars 1686) un soldat du régiment d’Alsace fut passé par les armes pour avoir tué son camarade.
  • Le 30 (mars 1686) mourut le sieur Bouët marchand de dentelles.
  • Le 1er (avril 1686) mourut le Sr Martin, marchand cirier
  • Le 4 (avril 1686) mourut mademoiselle Martineau, fille de monsieur Martineau conseiller honoraire au siège présidial de cette ville et de la feu dame … Cette fille était du beau monde et de la belle galanterie ; elle n’a été malade que 4 heures.
  • Le 2, 4, 5 et 6 (avril 1686) seize cent hommes du régiment d’Alsace qui étaient icy en quartier d’hyver depuis le 25 de novembre dernier partirent pour le camp Maintenon pour travailler à la continuation des ouvrages.
  • Le 10 (avril 1686) mourut le sieur Poitras, bourgeois.
  • Le 22 (avril 1686) Mr de la Maurinière Margariteau cy-devant assesseur en l’élection de cette ville, fils du feu sieur Margariteau marchand et de la dame Avril épousa la fille de défunt Sr Trochon marchand droguiste en la ville de Nantes époux de la dame Panetier ; une autre fille a cy-devant épouse Mr Bruneau avocat.
  • Le 23 (avril 1686) Mr Rousseau fils de feu Mr Rousseau conseiller au présidial de cette ville épousa mademoiselle Charbonneau.
  • Le même jour (23 avril 1686) mourut Mr de la Chalerie Héard ; il avait épousé une femme de Paris, que sa famille n’a jamais voulu considérer.
  • Le 28 (avril 1686) Mr Louët fils de feu Mr Louët l’aîné, cy-devant conseiller au siège présidial de cette ville et de la dame Grimaudet épousa la fille de défunts Mr Gueniveau Durceau éleu et de la demoiselle Guedier.
  • Le 30 (avril 1686) mourut Mr Pierre Sr de la Plante, bourgeois, fils du feu Sr Pierre marchand droguiste et de la dame Barbier. Il avait épousé le 11 de juin dernier la fille des feus Sr du Brossé Ganches, et de la Delle Toublanc. Il n’a point laissé d’enfants ; il était âgé de 36 ans.
  • Le 1er mai (1686) les sieurs de Fougeray Artaud et Guitteau marchand furent élus échevins.
  • Le 2 (mai 1686) le sieur Richard marchand droguiste épousa la fille du sieur Henriette marchand.
  • Le 6 (mai 1686) mourut le sieur Boussion, fils de Boussion boucher, cy-devant marchand de draps de soye ; il tomba aussitôt après son mariage dans la disgrâce ; il avait épousé la fille du sieur Plé Me chirurgien. Il est mort d’hydropisie.
  • Le 17 (mai 1686) mourut Mr Antoine Gasté avocat. Il était savant et plaidait bien. Il avait épousé en premières noces la demoiselle de Boisguérin dont il y a plusieurs enfants, Mr Gasté avocat qui a épousé Melle Nairault, deux religieux Augustins, un prêtre chanoine à St Pierre.
  • Le 22 (mai 1686) mourut Monsieur Goureau Sr de … Il avait épousé …
  • Le 23 (mai 1686) mourut la femme de Mr Grimaudet sieur de la Roirie. Il avait épousé la dame de la Chausseraye Bérault, dont elle a laissé un enfant ; elle n’a été mariée que 10 mois ; cette femme était très vertueuse.
  • Le 26 (mai 1686) le sieur Bouët marchand de dentelles épousa la fille du St Viot marchand droguiste.
  • Le 27 (mai 1686) monsieur de la Maurousière Boylesve président au siège présidial de cette ville, fils de feu monsieur de la Maurousière Boylesve maître d’hôtel du Roy et de la dame Lanier, épousa la fille de feu monsieur de Ménardeau et de la dame Ayrault
  • Le 28 (mai 1686) Mr Saget, fils de défunts Me Saget commis au greffe de la prévôté de cette ville épousa la fille du feu Sr Poilpré et de la dame Bachelot.
  • En ce même temps, Mr de la Marsilière Musard, capitaine au régiment de Pompone, fils du Sr Musard secrétaire de Mr l’évesque d’Angers et de la dame Le Masson, épouse la demoiselle … fille du sieur … procureur au parlement.
  • Le 4 juin (1686) monsieur de Longueil épousa la fille de monsieur de la Béraudière Cupif et de Delle Leroyer.
  • Le même jour (4 juin 1686) monsieur Brouard avocat épousa la veuve du feu Sr Pelletier de Terrière, Me chirurgien.
  • Le 7 (juin 1686) mourut monsieur du Tertre Babin avocat au siège présidial de cette ville. Il était retenu au lit depuis 8 ans par les gouttes ; il était très habile homme et plaidait avec un grand feu.
  • Le 10 (juin 1686) monsieur de l’Étoile de Bouillé gentilhomme épousé mademoiselle Claude Lefebvre fille de défunts Mr de la Guiberdrie Lefebvre gentilhomme ordinaire chez le Roy et de la dame Guedier.
  • Le 10 (juin 1686) monsieur Dumas Gurie major du château de Saumur, épousa mademoiselle Moncelet.
  • Le même jour (10 juin 1686) monsieur de la Haye Grandet épousa la fille de Mr Hardy sieur de la Jouannière avocat au siège présidial de Château-Gontier ; elle était veuve du sieur …
  • Le même jour (10 juin 1686) mourut madame Trochon veuve du défunt sieur Trochon marchand. Elle a laissé plusieurs enfants ; un garçon est religieux Carme, une fille a épousé Mr Allard cy-devant marchand de soye ; elle s’appelait Gault de Beauchêne.
  • Le même jour (10 juin 1686) monsieur de Fontenay Thomas se fit installer en la charge de conseiller honoraire au siège présidial possédée par Mr de la Rousselière Thomas son oncle.
  • Le 12 (juin 1686) le fils de Mr Jameron procureur du Roy à Beaufort épousa la fille de défunt sieur Tissier clerc juré au greffe du siège présidial de cette ville.
  • Le 15 (juin 1686) les lettres accordées par le Roy pour l’établissement d’une académie royale française en cette ville furent lues et enregistrées à l’audience sur les conclusions de Mr l’avocat du Roy Martineau qui parla fort éloquemment.
  • Le 22 (juin 1686) un orage de grêle d’une grosseur prodigieuse tomba sur les paroisses de Chalonnes, St Laurent de la Plaine, St Germain, Ste Christine et plusieurs autres qui en désola toutes les campagnes et brisa les bleds vignes et bois en sorte qu’il n’y a rien à recueillir cette année, tout étant entièrement perdu.
  • Le 24 (juin 1686) mourut Melle Hardy, fille, âgée de 78 ans ; son père était avocat qui mourut huguenot corrompu par les sollicitations d’un clerc.
  • Le 30 (juin 1686) mourut Mr Maugin ; il était garçon, âgé de 56 ans ; il est mort d’apoplexie.
  • Journal de Maître Estienne TOYSONNIER, Angers, 1683-1714
    Numérisation par frappe du manuscrit : Odile Halbert, mars 2008. Reproduction interdite.
    Légende : en gras les remarques, en italique les compléments – Avec les notes de Marc Saché, Trente années de vie provinciale d’après le Journal de Toisonnier, Angers : Ed. de L’Ouest, 1930
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    La maison à chambre haute pour les gentilshommes et bourgeois,

    et la maison sans chambre haute des agriculteurs, autrefois

    J’ouvre une nouvelle catégorie (en colonne de droite) NIVEAU DE VIE, terme que je préfère à VALEUR DE L’ARGENT parce que je compte vous exprimer comment on vivait selon les métiers etc… Il est vain de vouloir transposer en monnaie actuelle le prix puisque le contenu des dépenses est totalement différent. A titre d’exemple, il est indispensable au 17e siècle d’avoir un ou plusieurs coffres, fermant si possible à clef. Or, le coffre a quasiement disparu de nos jours, donc à l’image du coffre, comprenez bien que ce qui importe c’est de comprendre ce qu’il faut pour vivre et combien cela coûte à l’époque par rapport au budget de l’époque. Il faut donc appréhender le contenu des dépenses, et du budget d’alors, et même où trouver et acheter etc… ce qui est aussi important que le prix, vous en conviendrez, donc cette rubrique sera aussi un peu l’annuaire du qui fait quoi.

    Au fil de cette rubrique, je tenterai de distinguer le nécessaire et le superflu. Je voulais commencer par le lit, et j’allais le faire, lorsque j’ai constaté que je mettais la charue avant les bœufs, car ce qui surprend le plus dans les modes de vie d’antant c’est le type de maison, et l’endroit où sont les lits. Pire, au-delà du type de maison, c’est le mode de vie dans cette maison.
    Je m’explique :
    Nombre de gentilshommes ou bourgeois ont construit des maisons manables dans leur campagne d’origine, fin 16e siècle. Les nombreux auteurs s’entendent à reconnaître un nom comme maison manable ou gentilhommière, à tout ce qui a des chambres hautes avec cheminée et un escalier fut-il en tour ou inclus par la suite dans le corps de maison, alors que toutes les autres maisons étaient basses.
    Dans les baux à ferme en Anjou, elle est souvent nommé maison de maître, et, plus récemment manoir.

    Mais, ces mêmes gentilshommes durent rapidement trouver un office à la ville, à Angers, voir Tours ou Paris, car leurs revenus fonciers ne leur permettaient plus d’assumer leur train de vie (ou, quand ils sont restés à la campagne, ils se sont appauvris, et à ce sujet voyez : NASSIET Michel, Noblesse et pauvreté, la petite noblesse en Bretagne, 15e-18e siècle, Archives historiques de Bretagne, 1997
    Quittant leur campagne pour la ville, ils louèrent par bail à moitié, leurs terres et maison à un agriculteur, qui eut souvent pour logement la maison de maître. Durant des siècles, ces agriculteurs ont vécu au rez de chaussée de la maison, et les chambre hautes étaient grenier à foin ou céréales.
    Dans les années 1990, visitant de telles maisons manables faisant office depuis 4 siècles de logement de l’agriculteur, j’ai rencontré encore de tels agriculteurs, et vu des mes yeux vu, qu’on vivait encore uniquement au rez de chaussée à la fin du 20e siècle, dans ses ex-maisons manables…
    Ceci signifie clairement qu’il y a eut un mode de vie du monde agricole, probablement allant à l’économie de chauffage, et l’harmonisation des modes de vie entre eux. D’ailleurs, un agriculteur qui aurait le mauvais goût d’installer son lit dans la chambre haute, aurait sans doute été la risée de ses confrères…
    Dans le même ordre d’idée, il y a une vingtaine d’années, j’ai visité avec des généalogistes l’écomusée de la Bintinaie, près de Rennes. La Bintinaie était une grosse ferme ayant récemment cessé son activité. La salle, car c’est ainsi qu’il convient d’appeler la pièce à vivre et tout faire des agriculteurs au rez-de-chaussée, comportait queluqes lits, et le guide nous assurait que 13 (ou 17) personnes dormaient dans cette pièce. A l’époque, je n’avais pas encore cherché et dépouillé autant d’inventaires après décès que je l’ai fait depuis, et ce fut pour moi, comme pour tous les autres visiteurs, un choc. Je me souviens fort bien que nous tentions d’imaginer combien par lits, etc… en vain. Nous avions beaucoup de mal à nous imaginer la scène… Malheureusement, cet écomusée n’a pas de site Internet, mais allez le visiter, c’est frappant…
    Voyez également ANTOINE Annie, Fiefs et villages du Bas-Maine au 18e siècle, Editions régionales de l’Ouest, Mayenne, 1994

    Changé, Mayenne
    Changé, Mayenne

    Cliquez sur l’image pour l’agrandir :Collections privées – Reproduction interdite, y compris sur autre lieu d’Internet comme blog ou site

    Dans ce Vieux Manoir, ici il y a 100 ans, à Changé (53), la fenêtre de la chambre haute n’est pas d’origine, mais elle atteste un usage en maison de maître au fil des siècles, sinon cette chambre haute aurait été transformée en grenier et cette fenêtre aurait l’air d’un accès au grenier par l’extérieur, pour engranger les récoltes de céréales.

    Alors me direz-vous, j’ai bien de la chance d’avoir trouvé quelle maison avait chambre haute ou non. Je ne sais pas si j’ai eu de la chance, car j’ai surtout longuement et même plus que longuement cherché.
    Au fil de cette rubrique, je vais tenter de vous donner une image exacte de l’intérieur des divers métiers, car il se trouve que j’ai tout l’échantillonnage des métiers dans mon escarcelle maintenant, et vous pourrez alors extrapoler sur vous, même sans avoir un acte vous concernant directement. Mais d’abord, souvenez vous bien de l’histoire de la chambre haute à la campagne… ceci sera moins vrai en ville car on y construit plus en hauteur… Mais comme l’immense majorité des Français étaient paysans, il est important de se pencher sur leur mode de vie…

    La semaine prochaine, avant de voir les lits, maintenant que vous savez qu’on ne le met pas n’importe ou, il faut que nous parlions propriété versus bail à moitié et bail à ferme. En effet, dans le budget d’aujourd’hui le logement est la part importante, et il faut donc y passer un moment.

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    NANTES LA BRUME, Ludovic GARNICA DE LA CRUZ, Paris, 1905 CHAPITRE VIII. LES ÉCAILLES.

    Ludovic Garnica de la Cruz. Nantes la brume. 1905. Numérisation Odile Halbert, 2008 – Reproduction interdite.

    Ils se réunissaient chaque soir à l’heure de l’apéritif dans une petite salle au premier étage du café de Nantes. Buvant des bocks, fumant des pipes, jouant au billard, les amis causaient d’art, de femmes, du mauvais temps. Léris débitait parfois un monologue comique pour les dérider ; Geray chantait ses romances sur le vieux piano du coin.
    Alors que la pluie curieuse frappait du doigt contre les vitres et que le brouillard y collait ses yeux gris, Channel contait des blagues ensorcellées de soleil méridional. Il exhibait ses caricatures in- vraisemblables qu’il piquait le lendemain sur le mur de sa chambre. Ormanne crayonnait des angles de ruelles tristes, les égayant d’un coloris étincelant. De Remirmont, était la gazette. On apprenait les dernières nouvellés locales, les petits potins passionnants, les grands mariages, les spectacles en vogue, le dernier scandale. Il intervenait pour calmer les rages de Delange et les tempêtes de Mussaud. Ce dernier travaillait dans l’atelier de son père, fabricant talentueux de statues pour églises. Cependant, dans cette athmosphère d’anges et de vierges, il s’était passionné d’un réalisme charnel effréné. Il sculptait des femmes nues, d’une nudité saillante. Là était son idéal entier, la matière captivante par elle-même. Delange le jugeait avec sa brutalité ordinaire.

  • Tes oeuvres, ç’a vous met bêtement en rut !
  • A Verneuil on ne disait rien. En pleine tranquillité il dessinait ses paysages surchagés d’une couleur presqu’unique qu’il savait merveilleusement modifier. Un jour il leur apporta une toile représentant la cale aux foins un matin de printemps. On aurait dit voir le quai chargé de meules à travers une émeraude finement éclairée.
    Ensemble l’on blaguait cruellement l’idole qui exposait rue Crébillon chez Laugé. L’idole favorite du grand public routinier. Celui qui fait des pastels comme des chromos, celui qui a un génie pour les lavis, les choses bien propres, les bonnes copies d’un élève de dessin. Le monsieur peintre devant lequel des groupes s’extasient, s’entassent, s’étonnent, s’émerveillent, qui croque des chairs nues, de simples chairs sans voiles, de simples chairs, comme les chairs de tous ceux qui n’ont pas eu la petite vérole. Le brocanteur de toiles qui aurait fait, un excellent photographe ou décalqueur avec un peu d’exercice. Et l’on n’épargnait jamais les malheureux peinturlureurs des crânes graves et d’occiputs glorieux, de bouquets naïfs et de marines qui vous donnaient le mal de mer à regarder leur eau verte.
    Le méditatif Monnés toujours côtoyé de l’infatigable Trémat venait mêler sa voix impérative aux discussions artistiques. Médiocrement estimé, pas aimé, on lui faisait cependant bon accueil. René le trouvait commun, Mussaud trop fat ; il donnait à Delange la sensation d’un crapaud. Un soir il déclama son fameux drame en cinq actes. Ses joues se gonflaient de vers sonores ; ses bras scandaient les scènes énergiques. Une sueur épaisse coulait sur son animation. A la fin de chaque acte, il s’arrêtait. Charles hurlait :

  • Garçon, un bock !
  • A minuit le sobre auteur en avait bu six. Il fut obligé de prendre le bras de Trémat pour se rendre chez lui. A sa porte il eut un suprême effort.

  • C’est étrange, jamais la lecture de mon oeuvre ne m’a tant grisé qu’aujourd’hui.
  • Hum !!! Bonsoir, répondit Trémat en lui serrant la main.
  • Le mois de décembre allait se terminer suivant son habitude dans une chlorose de boues et de pluies. Delange proposa à ses amis la préparation d’une exposition dans son atelier pour le mois de mars prochain. Mussaud exposerait ses statues, Frayssère ses cannes et ses marrons sculptés, Charmel ses satires, Ormanne ses vieilles masures, Verneuil et lui quelques toiles. Le jour de l’ouverture René réciterait ses poèmes, Géray ses compositions musicales. On applaudit le projet. Une exposition étrange, formidable, de quoi renverser les idées neutres du hourgeois Chacun se creusa la tête pour trouver l’idée meurtrière.
    Quelques jours avant Noël, Delange semblait triste ; les dents serrées il fumait avec rage, ne causait pas. René soupçonna quelque chagrin, et se rappelant avoir vu plusieurs fois Malteigne, le procu¬reur de femmes, rôder dans la rue Prémion, il interrogea son ami au café.

  • Qu’as-tu, Charles ? Est-ce Berthe qui te cause de l’ennui ?
  • Je n’ai rien, grommela Delange.
  • Allons donc, tu ne causes plus depuis deux jours. Est-ce donc un mystère que nous ne puissions connaître ?
  • Tous insistaient amicalement.

  • Tenez, foutez-moi la paix !
  • Et il s’en alla.
    Pendant trois jours il fut impossible, même à René, de voir le peintre. Ses amis s’inquiétaient. Quel chagrin pouvait-il avoir ? Ils soupçonnaient Berthe d’en être la cause. Un soir René força la porte de Charles. Il le trouva fumant sa pipe couché sur son lit, les yeux indécis dans les spirales de la fumée.

  • Charles, tu n’es pas gentil envers moi. Tu manques de confiance.
  • Le peintre sauta du lit et prenant la main de son ami,

  • Viens voir, René, mon chef d’oeuvre.
  • Il lui montra une toile au milieu de la chambre.

  • Je l’ai terminée aujourd’hui.
  • Parmi des touffes de nuées violettes comme une pluie indiscontinue de tristesses, Berthe, demi-nue, laissait flotter ses lourds cheveux d’or. Son corps se dessinait sous les plis d’une tunique de gaze transparente. Les dents riaient un rire devenu cruellement ironique en l’expression des yeux. La main gauche soutenait dans sa coupe un des seins, l’autre écrasait d’une crispation brutale les plumes de l’aile d’un cygne planant à ses pieds. Le cygne fusait un foyer de neige sur le fond douloureux, et sa tête se tournait vers l’aimée avec deux regards frémissants d’orgueil surhumain et d’un noble chagrin silencieux.

  • Elle est partie !… Sans raison !.. J’ai voulu conserver d’elle un souvenir… Nuit et jour dans la paix et la peine sa pensée m’a conduit la main… La souffrance !… merveilleuse maîtresse d’art !
  • Il avait pris le poignet de René, et le serrait dans un étau de fer.

  • Son image était gravée là en mon cerveau brûlant,… plein de son corps… de ses cheveux de feu… Je ne suis même pas bien certain d’avoir allumé une lampe… l’éclat de ses regards resté dans mes yeux m’éclairait… René.,. les heures pénibles… mes larmes, elles flottent dans ces nuages, ce sont elles seules, ces nuages, l’atmosphère de mon coeur meurtri… La femme, bonne souffrance… sans elle, aurais-je fait cette œuvre ? Si elle revenait maintenant, je lui dirais merci… Merci d’avoir ouvert la barrière de l’art pur, de l’inspiration sublime… Je suis tranquille, je ne souffre plus… J’ai tout mis là, tout, trois jours d’hypertrophie douloureuse de l’âme et du corps… tout le passé, tout le présent… tout mon moi des hier… A mes tâtonnements infructueux il manquait cela… Je me repose un instant au but … Demain, je reprendrais une autre route incertaine. Cette fois qui allumera la lampe indicatrice ? Le hasard, un inconnu, un passant d’une seconde qu’on ne reverra plus jamais nous rendre visite en notre salon d’espoir !
  • Il haussa les épaules en riant du coin des lèvres.

  • Tu les rassureras mes braves amis qui me croyaient perdu. Je les inviterai à venir voir l’enfant de mon chagrin.
  • La semaine suivante le peintre entendit gratter doucement à sa porte — le frôlement d’une souris qui veut se faire savoir. C’était Berthe, un peu timide malgré son aplomb habituel.

  • Bonsoir, Charles.
  • Bonsoir, répondit Delange très calme.
  • Arrêtée au milieu de la chambre, n’osant ni avancer, ni reculer, elle le regardait en dessous. Il ne dit rien.

  • Tu ne m’attendais plus ?
  • Non.
  • Elle leva les yeux plus franchement. Le peintre n’avait rien de sévère.

  • Tu me renvoies, mon petit Charles.
  • Non.
  • Si tu savais… Je te dirais tout sans mentir.
  • Non.
  • Elle baissa complètement la tète et fixa le plancher, tortillant ses gants dans ses deux mains.
    Le silence dura quelques secondes. Comme elle ne disait plus rien, Charles, très doux, la conduisit près du tableau.

  • Voici le pardon, murmura-t-il simplement…
  • Et il l’embrassa, dévot, sur le front.

    Janvier comme la momie d’un pape embaumé sous son catafalque de verglas. Gels et dégels, bougies qui coulent de la graisse noire sur les pavés, sur les miroirs ramoneurs des trottoirs. Les rues ont des tapis moelleux entaillés de fioritures. Les souliers balourds s’y font l’illusion de pantouffles, les sabots à clous de lapper du beurre. La ville est engourdie, malade de névrose monomane, et le ciel bienveillant sème dans ses entours la paille du silence. Nul ne songe à lever les carpettes moirées de la boue. Le caricaturiste nantais l’affiche à la salle des dépêches du journal « Le Populaire » de sa légende ironique : « Vu l’impossibilité de laver les rues les habitants sont invités à se munir d’échasses. »
    Emmitoufllés courageusement dans des débris de bêtes ou fourrures, Lolette et René se hasardaient au dehors. Ils pataugeaient au milieu du cloaque. Des points d’exclamation s’imprimaient au passage des voitures sur les vêtements, s’y collaient tenaces comme des poux affamés. Leur amour s’éternisait de tendresse, soit sous les grandes voûtes du plein air, soit dans l’intimité des nuits bien closes.
    Devant la cheminée flambante, il lisait ses chères préférences, recopiait les vers nés ça et là d’un effort d’imagination hâtive, elle brodait quelque chaussette détériorée. Sur la table toujours, tachant de son doigt jaune, un livre de poèmes. Et le piano accompagnait aussi des chansonnettes, des ballades que René chantait par les soirs d’inspiration. La liseuse vernie emplissait son ventre d’œuvres modernes de poètes nouveaux, ceux que la province ignore, de romans quelle ne comprend pas. Et l’on éteignait la lampe à l’heure des baisers, la lampe, le candide fermoir du missel de leurs veillées tranquilles.
    Des plaisirs enfantins, insignifiants, les trouvaient passionnés. Ils prenaient des numéros de loteries sur la place Bretagne ; ils perdaient, gagnaient de la vaisselle, des bibelots de rien, qu’elle conservait précieusement.
    La place Bretagne où se tenait la foire d’hiver était située dans le Marchix, un quartier pouilleux, verminé de crapules. Le cirque Plège arrondissait sa forte corpulence jaunasse. Il semblait le soir, un gros pachyderme à l’oeil circulaire du sommet jetant des flammes. Deux rangs de baraques foraines s’appuyaient à l’ombre du colosse. Bateleurs gueulant une réclame affriolante, orgues de barbarie nasillant cent airs différents à la fois ; ça faisait avec les grosses caisses et les tambours un charivari monstre comme un vent de tempête qui ramasserait des grelots, des piécettes d’argent, des castagnettes, des tuiles et des rochers. Les roues de la machine électrique luisante du cinématographe sursautaient les pistons ; l’électricité s’omnipotait aux frontons de la baraque brune peinturlurée de scènes grotesques. Dans des trous noirs au silence dune lampe à huile, on montrait quelque phénomène : la femme tigre, le veau à deux têtes, — les minuscules barnums vidant les poches des naïfs badauds. Et puis, plus clairs, les marchands de nougats à leurs tables joyeuses délicatement ordonnées. Les papiers dorés et argentés, les faveurs bleues et jaunes, les gommes rouges et vertes, un méli-mélo d’yeux vifs qui s’entre-regardaient, narguaient de colorés sourires les passants qui les épiaient du coin de l’oeil, les séduisaient d’un signe de tête gourmand. La tringle de laiton grinçait des dents sur les manivelles des loteries. Celles-ci virotaient reflétant des étincelles de porcelaines miroitantes, de couvertures de sucre d’orge. Et les macarons étageaient leurs petits pâtés près du plat rouge bossé de trous à numéros où la roulette saccadait son bedon de bois. En rang de quilles des bouteilles de champagne le goulot ceint d’un cache-nez d’or recevaient les anneaux des joueurs dont elles étaient l’enjeu. Les tapisseries de vaisselles croulaient des vagues lumineuses du fond des concavités polies, de la transparence des flacons de cristal, du mat net des poteries bizarres. Chaque tente fusait un foyer excentrique de lumière crue sur les promeneurs en foule barbotant jusqu’aux chevilles dans la boue nauséeuse jonchant la place éternellement comme les roses noires échappées au corsage de Dame la ville des brouillards. Pour six sous on montre la passion de N. S. Jésus-Christ par des pitres massacrant de leur mascarade les mystères religieux. Ici, ce sont des exhibitions féroces de tableaux militaires ; des soldats morts sur le champ de bataille, des nonnes soignant les blessés ; la leçon criarde du patriotisme à la foule des bambins et des retraités impotents. S’il fut jadis un art mangeant la soupe à la table des forains, il est crevé au coin d’une route, il a culbuté cul par dessus tête au fond de quelque égout irretrouvable. De ces mesquineries affreuses ne jaillit qu’une foule braillarde à la curée des gains de hasard, de veuleries abêtissantes ou érotiques. Pitres et badauds, avilisseurs inconscients de la nature humaine.
    Au cirque les bancs étaient entièrement recouverts de leur nappe humaine. La piste semée de sable fin se remplissait de clowns, de chevaux, de sauteuses.Tous ces pantins d’amusement gesticulaient dans la cuvette fauve sous le nez des spectateurs béats. Là, comme partout ailleurs, le talent des gymnasiarques les fatiguaient vite. On réclamait la pantomime. Oeuvre dégénérée du scénal primitif. Qu’ils sont loin de vous, mimes Romains, ceux qui farandolent leurs lamentables singeries ! Contorsionnistes de la laideur physique, croyez-vous en votre nécessité ? Pauvres gens qui salissez la volonté morale de votre créateur ! Tristes criminels que d’imbéciles complices entraînent au meurtre de l’honneur du soi !
    Pendant l’entracte, sous le pourtour, les deux amants rencontrèrent le banquier Delange. Il avait le visage grave et froid, une barre soucieuse comme la peur d’un malheur inévitable sur le front. René salua. Le Banquier vint à lui.

  • Bonsoir, Monsieur de Lorcin, bonsoir, mademoiselle, j’ai eu l’occasion de vous défendre aujourd’hui même près de votre oncle.
  • Me défendre ?
  • Je me suis trouvé nez à nez chez lui avec Mme Derrin une de mes clientes, qui s’était fait la confidente de vos amours auprès de ce brave M. de Lorcin. Je ne sais ce qu’elle lui a conté, mais il était furieux, d’une fureur terrible. Il rumine contre vous projets coercitifs. Il ne parle rien moins que de mater ce qu’il appelle votre rébellion. J’ai fait mon possible pour le calmer… Il faut bien que jeunesse se passe… Mon coquin de Charles fait ce qui lui plaît. Ce pauvre Charles… Il avait prononcé tout bas, dans un murmure, ces derniers mots. René surpris le regarda fixement.

  • Merci, Monsieur Delange, de votre bonté. J’attendrai mon oncle de pied ferme. Qu’ai-je à craindre ? Ne suis-je pas libre ? Ais-je besoin de lui ?
  • Vous êtes jeune, mon cher ami, modérez-vous. Les discordes ne valent jamais rien. Le bonheur même que l’on croit avoir n’est souvent qu’un leurre. J’ai simplement voulu vous prévenir, pour vous montrer ma sympathie.
  • Les deux hommes se serrèrent la main.

  • As-tu remarqué, René, quelle tristesse en ses yeux, dit-elle quand il fut loin.
  • René ne répondit pas ; il avait aussi remarqué. Cela l’intriguait d’un pressentiment de mauvais augure.
    Aux abords de l’écurie, à demi-cachées par un pilier, deux gamines causaient avec un vieux monsieur. A leur approche, le monsieur s’éclipsa derrière une toile, pas assez tôt pour que René ne reconnût l’architecte Varlette. Quant à Belle et Line, — c’étaient elles, – elles vinrent leur dire bonjour.

  • On vous y prend, mes petites, sourit René, à faire la cour aux vieux.
  • Oh ! C’est, lui, répliqua Belle.
  • Que vous a-t-il dit ?
  • Rien, dit Line
  • Comment rien ?
  • Tu peux bien le dire, sotte, reprit Belle.
  • Il nous a dit qu’on était très gentilles, qu’on devait faire de jolis bébés jumeaux comme il en rêvait, que si on voulait aller de suite avec lui, ils nous donnerait un louis.
  • Je vous ai alors interrompu.
  • Non ! C’était fini.
  • Ah ! Il vous attend ?
  • A la sortie. Nous allons bravement aller voir ce qu’il nous veut.
  • Allez, allez, bon courage, et amusez-vous bien, vous me raconterez la suite.
  • Détails complets.
  • Chez eux la cheminée se dorlotait de tisons rouges. La cendre chaude chauffait les prunelles de René rêveur, tandis que Lolette tirait la couverture et préparait les chemises de nuit. La lampe sur la table bavardait silencieusement comme une vieille avec l’abat-jour vert.
    René, tu ne te couches pas ? Je suis fatiguée.
    Couche-toi, j’ai bien le temps.
    Comme tu me parles ! T’ai-je fait quelque chose ?

    Elle s’approcha de lui se penchant pour regarder ses yeux.
    Il eut un geste agacé.

  • Laisse-moi. Va te coucher ; j’irai te rejoindre tout à l’heure.
  • Méchant, tu ne m’aimes plus ?
  • Sotte, tu ne peux donc pas me laisser une seconde en paix.
  • Dix, répondit-elle vexée.
  • Elle se déshabilla lentement. René continua de rêver.
    Un profond silence montait à la lueur de la lampe troublé par la sempiternelle romance du bois qui brûle, le crépitement des crochets du corset, le criss des boucles de jupons qu’on délie, le frôlement de moire et des étoffes. Les jarretelles claquèrent, les bas glissèrent leur fin murmure le long des mollets blancs. Puis dans la glace elle défit ses cheveux, jeta épingles sur le marbre de la toilette, un bruit de petits doigts d’acier pianotant.
    René n’avait pas bougé. Alors, de la descente de lit où elle se tenait debout en chemise et pieds nus, elle appela suppliante.

  • René !
  • Il ne bougea pas davantage. Craintive de cette scène inaccoutumée, elle s’assit à ses pieds sur le paillasson du foyer, exposant ses cuisses à l’ardeur grillante de la chaleur. Ses cheveux encadraient son visage tendre et ses grands yeux inquiets.

  • Mon petit René, qu’as-tu ce soir ? Dis à ta Lolette chérie ? J’ai peur de te voir ainsi. Mon coeur me fait mal. Ma gorge me pique. Suis-je la cause de ton ennui ? Ce sont peut-être les paroles de M. Delange ?… Ton oncle ?
  • Oui, reprit enfin René d’un ton âpre, j’ai de la colère dans tout le corps, contre ces gens qui s’occupent de ma vie, de mon existence intime. De quel droit ces pignoufs de mon voisinage s’érigent-ils en contrôleurs de ma conduite et voudraient-ils entraver ma route ? Il n’est pas possible de prendre au grand jour une femme que l’on aime ! L’amour est-il donc si terrible qu’il leur fasse peur ? Je ne leur vole pas leur femme aux bourgeois, je ne trouble pas leurs ménages ! Nombre de gens qu’ils saluent bas leur font porter des cornes si longues que pas un chapelier n’a de formes assez hautes pour les y cacher. Je les laisse en paix dans leurs chenils de préjugés, dans leurs épiceries de routines, qu’ils ne m’insultent pas derrière leur comptoir d’ineffables âneries !… Cette Derrin, de quoi s’occupe-t-elle ? Prévenir mon oncle de mes faits et gestes. J’aurais du plaisir à la gifler. Quant à mon oncle je m’en moque. Tiens, voici une carte de lui que j’ai trouvée en rentrant : M. de Lorcin prie son neveu de venir sans retard lui parler pour une affaire urgente. Un discours de reproches, les calembredaines de la tante ramollie par les priéres et l’odeur des chapelles. Il peut attendre le vieux fou, ce ne sera pas cette fois-ci. Si sa langue lui démange trop, qu’il vienne ! Je rage, vois-lu, ma Lolette, je rage de ne pouvoir d’un crispement de main mincer tons ces imbéciles. Je sens qu’ils me narguent dans la nuit. Du haut de leur échafaudage d’embûches, ils vont m’accabler de pierres cruelles. Je serais obligé de recevoir les coups sans pouvoir frapper des adversaires trop lâches pour se montrer, ou se cachant derrière la haie du défensif devoir. J’entrevois ce soir une lutte violente et souterraine, une mine creusée sous notre bonheur si tranquille. Alentour notre idylle aimée, les « chulos » d’une morale idiotisée agiteront leurs manteaux agaçants. Et pourtant, Lolette, parle, leur avons-nous cherché querelle ? N’avons nous pas vécu jusqu’à ce jour en dehors de leur commerce sournois ? N’avons-nous pas chéri notre solitude exquise, n’avons-nous pas agi de même que s’ils n’existaient pas ?
  • Lolette lui avait passé ses bras autour du cou et s’était attirée sur ses genoux.

  • Mon René, ne pense pas à ces choses. Laisse de côté ce qui te préoccupe. Aimons-nous. Caresse-moi plus fort. Pourquoi chercher si loin le trouble et la tristesse ? Ici nous sommes uniquement le bonheur et je suis ton aimée.
  • Elle se pressait contre lui. Et René oubliait. Il oubliait sa rancune au contact de la chair tiède qui le voulait, des lèvres folles qui cherchaient les siennes comme le moineau cherche les chauds raisins d’une grappe dorée. Il glissa ses mains sous la chemise, caressa la nudité entière de son amante. Il posa ses lèvres sur le ventre poli et les petits seins durcis de passion. Elle l’appelait, lui criait son désir en un délire d’enivrement, l’appel enfiévré du bonheur de la possession complète, de l’unification voluptueuse de leurs deux corps en une seule âme.
    René comprit la voix puissante de l’amour, la source du courage, la consolation de la douleur, la communion eucharistique du pain transfigurateur. Ils mêlèrent leurs râles de plaisir devant la flamme qui mélodiait un rythme très doux de bénédiction.
    Et peu à peu la lampe s’éteignit faute d’huile. La cheminée comme un tabernacle d’or éclairait le délicieux sacrement d’amour sur l’autel des divins mystères.

    Ludovic Garnica de la Cruz. Nantes la brume. 1905. Numérisation Odile Halbert, 2008 – Reproduction interdite.

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