Mémoire d’Avent, l’oeuvre clandestine d’un Angevin à Saint-Julien-de-Concelles 1794-1802 : René Lemesle – chapitre 6 : l’enregistrement civil

Ouvrage paru en 1990
(C) Editions Odile HALBERT
ISBN 2-9504443-1-8

Chapitre VI

  • L’ENREGISTREMENT
  • Ryhtme hebdomadaire du mariage civil civil
  • Les noces traditionnelles se sont donc maintenues pendant la guerre civile, mais quand régularisait-on civilement ?
    La seule étude connue porte sur Avignon (18). La comparaison entre les dates des 2 formes de mariage, civil et religieux, montre que 15 % des couples régularisent le jour même, et que 62 % ne régularisent qu’après, dans un délai relativement court : la moitié des retardataires en l’espace d’une semaine, le reste en un an.
    Avignon est cependant d’une ville dans laquelle les interdits religieux, les temps clos et le vendredi, ont été levés par la hiérarchie catholique. Le prêtre réfractaire bénit 82 % des unions un vendredi, et on ne peut donc comparer Avignon à Saint-Julien-de-Concelles.

    L’attachement à la fête du mardi ou du lundi est encore plus marqué lorsque l’on étudie le jour de mariage civil. L’érosion du mardi est très sensible, au profit de tous les jours de la semaine y compris le dimanche. Les couples des lundi et mardi ont pu être ceux, rares, qui expédient le mariage civil le même jour que le religieux.

  • Le délai d’enregistrement
  • L’attitude est bien diffèrente à Saint Julien de Concelles comme au Loroux. Rien de comparable avec Avignon. Le mariage civil est n’importe quel jour et il n’y a pas de corrélation avec la date religieuse : avant, même jour, quelques jours après, mais aussi très longtemps après, jusqu’à 30 ans après au Loroux.
    Ce retard des couples mariés religieusement clandestinement à « régulariser » civilement n’a jamais été mesuré statistiquement en région de Venée Militaire. Au Loroux, il est si élevé, qu’il était intéressant de mesurer quantitavement cet écart dans la paroisse voisine de St Julien de Concelles, pour mieux ultérieurement évaluer l’attitude lorousaine.
    Mais pour évaluer cet écart, les difficultés s’amoncèlent : non seulement il faut chercher jusqu’à 30 ans après, mais encore il faut faire les 2 collections d’archives : les communales et les départementales. Et ce n’est pas tout, car la plupart n’ont pas régularisé dans la même commune : on régularise plutôt dans la commune de l’époux alors que l’inverse est fréquent pour le mariage religieux. Enfin, le Conseil Régional a interdit l’accès aux archives communales et les mairies ferment leur porte. Je remercie donc particulièrement celles qui m’ont ouvert leur porte.
    Les collections d’état civil des archives communales de La Chapelle-Heulin, du Loroux-Bottereau, de La Chapelle-Basse-Mer, sont totalement différente des collections départementales. Elles sont beaucoup plus riches que les départementales, et il convient d’analyser ce phénomène. Voici donc à titre d’exemple l’analyse des différences pour les deux collections, départementales et communales, concernant Saint-Julien-de-Concelles.

    Les mariages des AD, dépouillés par le CGO, sont au nombre de 123 de 1793-1802, alors qu’ils sont au nombre de 245 dans la collection communale. Bien entendu, les fascicules communaux sont reliés dans le désordre le plus total : non seulement les décès sont mélangés aux mariages, mais les années commencent n’importe quand et se suivent n’importe comment. Mieux, les années dont la copie est aux AD, ne sont pas copiées intégralement et il manque plusieurs mariages à l’intérieur d’une année copiée. Il a fallu exactement 70 heures de relevé communal suivies d’environ 30 heures de coordination informatique pour compléter la table départementale faite par le CGO, et ce pour les seuls mariages. Les décès ne sont pas pris en compte dans ce temps de travail.
    L’expérience acquise dans les trois communes citées me permet de préconiser pour l’avenir une méthode d’approche plus rationnelle : dépouillement exhaustif de chacune des deux collections indépendamment, suivi d’une confrontation entre les deux relevés. Pour retrouver ensuit matériellement l’acte lui-même à partir d’une table, il ne suffit pas d’indiquer dans la table « archives communales », et il faudrait une autorisation de numérotation manuelle des pages des registres et faire figurer ce numéro de page après chaque relevé de la table.
    Toutes les communes ayant souffert de la guerre civile ont le même problème. A Vern d’Anjou, paroisse d’adoption de la famille Lemesle, il existe encore plus incroyable : l’année 1791, comme toute la période prérévolutionnaire, a brûlé lors du passage des Vendéens, mais en 1803 le maire retrouve une table manuscrite du XVIIIe siècle se terminant en 1791, rassemble les couples de 1791 et réécrit les mariages. Le tout est relié dans la table manuscrite du XVIIIe qui n’est répertoriée nulle part, puisque rares sont les communes qui attachent de l’importance à une table manuscrite du XVIIIe et jugent utile de les signaler aux AD.
    L’état civil de la période révolutionnaire souffre donc, en pays de guerre civile, de la plus grande misère : son état est le reflet des difficultés rencontrées par les diverses administrations municipales de l’époque.
    Or, depuis deux siècles, les archives souffrent du mode de classement franco-français : « avant » et « après » 1789 ; Avant, les registres de catholicit ; après, l’état civil. Ceci est faux en région de guerre civile, et l’application de cette césure archivistique fran‡aise pose dans notre région un sérieux problème.
    Il serait temps, deux siècles après, de se pencher sur l’indispensable complément de l’état civil : le registre de catholicité, source incomparable du patrimoine historique en région de guerre civile.

  • L’enregistrement civil des mariages
  • 313 mariages sur 411 clandestins, soit 76,2%, ont pu être retrouvés civilement à Saint-Julien et dans les paroisses voisines : le Loroux, Basse-Goulaine et Saint-Sébastien.
    Les mariages pour lesquels les deux dates sont connues concernent dans 75% des cas des Concellois et 25% de non-Concellois.
    Ce nombre de mariages civils permet une exploitation statistique du délai d’enregistrement. L’analyse permet de cerner les réticences des couples.
    Le nombre de mariages trouvés hors de Saint Julien excède le nombre de mariages de horsains constaté dans le registre clandestin. Mais ce pourcentage élevé de horsains est dû en partie au fait que les mariages de Concellois n’ont pas tous été retrouvés, malgré le dépouillement des 2 collections : départementales et communales.
    Le délai d’enregistrement varie selon que l’on considère les Concellois et les horsains. Les Concellois ont eu l’enregistrement facilité par le contexte municipal compréhensif (voir chapitre Pertes de Mémoire). Ils ont donc régularisé massivement 1 à 4 ans après la cérémonie religieuse.

    Le délai, exprimé ci-contre en mois s’étire de 3 ans avant à 27 ans après. Les 2 mariages 3 ans avant sont en fait les 2 mariages constitutionnels rebénis par Lemesle. Il est à noter que ces 2 couples ne sont pas repassés ensuite à la mairie. J’ai rencontré 1 couple dans ce cas au Loroux, qui d’ailleurs repasse dans la paroisse de l’épouse puis dans la paroisse de l’époux, soit 4 mariages au total, en comptant le constitutionnel, pour un seul et même couple.
    Le délai d’1 mois ne concerne pas la moitié des mariages civils.

    Les mariages régularisés 26 et 27 ans après sont plus nombreux pour les borsains, d’ailleurs on observe pour ceux-ci un creux des enregistrements : il n’y a rien entre 1 an et 10 ans. L’histogramme ci-dessus est donc typique de la bonne volonté de la municipalité concelloise. Il y a eu quelques vagues massives mais une régularisation échelonnée sur 27 ans.

  • Saint-Sébastien-sur-Loire
  • Les mariages civils « régularisés » très tard à Saint Sébastien sur Loire sont plus nombreux que les mariages religieux clandestins trouvés à ce jour. D’autres prêtres ont donc unis des mariages clandestins qui nous sont inconnus. En outre, les couples mariés clandestinement par René Lemesle ne viennent plus après leur mariage faire baptiser d’éventuels enfants issus de leur union : ils ont donc trouvé un autre prêtre. En effet, le baptême est considéré par tous les auteurs (17,18) comme le sacrement auquel on ne renonce pas le premier. Un couple ne peut donc avoir été béni dans des conditions difficiles et ne pas faire baptiser ensuite ses enfants. Ainsi, pour Saint Sébastien, les couples de Jean Corgnet et Marie Clestras d’une part et de Pierre Corgnet et Marie Jeanne Choismet d’autre part. Unis le 5.5.1795, ils ne font pas baptiser à Saint Julien de Concelles.

    Baptêmes clandestins
    Après une période de privation de prêtre, la venue d’un prêtre dans une paroisse, est immédiatement suivie du baptême des enfants n’ayant pas pu le recevoir entre-temps (voir chapŒtre 2).
    Le livre de paroisse, commencé en 1829, retrace la période clandestine en ces termes « Monsieur Bascher, ancien curé de Rezé, fût le premier prêtre qui célébra la messe dans la paroisse depuis 1792, et ce le 2 avril 1800. Son successeur fût Monsieur Martin. Enfin le 22.11.1802 J.B. Blanchet est nommé curé de Saint Sébastien (28).

    Ce livre de paroisse est malheureusement écrit 30 ans après les évennements et il est basé sur des témoignages qui donnent une verson tronquée des faits, puisque René Lemesle a dit la messe à Saint Sébastien en la chapelle de la Savarière le 26.11.1795 au moins (voir p.46), si clandestinement que les témoins intérrogés ne relatent pas ces faits 30 ans après.
    Le registre de catholicité de Saint Sébastien, qui suit la période révolutionnaire, donne des indications qui diffèrent de ces témoignages. Ce registre commence le 19.08.1800 comme suit :

    Registre pour inscrire les mariages et baptêmes de la paroisse de Saint Sébastien au diocèse de Nantes depuis le 14 du mois d’Août 1800 et la premier acte est du 19 du dit mois d’août même année, la page où il se trouve doit être regardée comme la première de ce registre qui a été quotté et millésimé par nous prêtre catholique desservant et l’avons signé … J. Martin Rr desservant de Saint Sébastien (registre de catholicité, Saint Sébastien, Archives paroissiales).

    M. Martin baptise et marie dès le 19 août 1800, or les enfants qu’il baptise viennent de naître, donc les enfants de Saint Sébastien nés avant cette date avaient déjà été baptisés. Est-ce que Bascher les auraient tous baptisés entre le 2 avril 1800 et le 19 août ? Bascher a-t-il pu tenir un registre, ou bien a-til tenu uniquement des minutes des actes ?
    Toujours est-il que l’on ne trouve la trace d’un prêtre avant Martin que par déduction, à partir de l’âge des enfants qu’il baptise. Mais on retrouve par contre une feuille volante dans le registre de Saint Sébastien :

    Cet acte écrit en 1799 est signé de façon authentique par le parrain et la marraine. En outre, l’écriture est bien celle de Marchand. Ce prêtre, recteur de la Chapelle Heulin, se déplaca beaucoup pour échapper aux poursuites, et ne réussit à faire que de courtes apparitions à la Chapelle-Heulin. Il aurait donc été présent à Saint Sébastien en 1799. L’acte qu’il signe à Saint Sébastien peut être considéré comme un bel exemple de précision « en la ville de Nantes, au lieu dit Vertais, trêve de Saint Jacques paroisse de Saint Sébastien ». Marchand commence par la géographie communale « ville de Nantes », qu’il n’ignore pas, puis le quartier de Vertais, aujourd’hui absorbé par notre Ile Beaulieu, qui dépendait avant la révolution de la paroisse de Saint Sébastien à travers la trêve de Saint Jacques. Le statut de trêve n’était pas cité fréquemment par les paroissiens de Saint Jacques avant la révolution, on peut donc affirmer que c’est Marchand qui avait appris, sans doute au séminaire, le statut de chaque paroisse du diocèse.
    Cette précision, en pleine persécution, montre que ces hommes poursuivis savent garder un savoir-faire exceptionnel de rigueur et de précision. Les actes de baptêmes délivrés par ces hommes ne sont pas des certificats au rabais : tout se passe comme si, faute de moyens, on avait à coeur de noter rigoureusement le plus de détails possible.
    Marchand ne fût pas le seul prêtre à passer à Saint sébastien. Le registre de 1800 n’est pas écrit de la seule écriture de Martin. La seconde écriture était soit celle de Jaulin, soit celle de Connard. Ces 2 prêtres signent chacun un acte à Saint Sébastien en 1800. J’ai un programme d’analyses graphologiques en cours pour toutes ces écritures.

  • Basse Goulaine
  • René Lemesle a marié des Bas-Goulainais, et il a même marié le 27.1.1795 dans l’église de Basse Goulaine (voir le registre à cette date). Ces Bas-Goulainais ont régularisé civilement plus tard, mais on relève à Basse Goulaine dans l’état civil en 1814 au moins 2 mariages de régularisation qui ne figurent pas dans les registres clandestins connus à ce jour. Il s’agit d’ailleurs de 2 couples qui font enregistrer le jour de leur mariage civil respectivement 7 et 8 enfants vivants, dont plusieurs non déclarés auparavant. Ces mariages laissent supposer un mariage clandestin religieux non connu à ce jour. Il existait donc un prêtre itinérant à Basse Goulaine, qui y fiat des passages pendant la guerre civile. Le registre d’état civil lui-même permet de mettre ainsi en évidence cette existence.
    Pour ce qui est du phénomène d’enregistrements d’enfants, et même nombreux enfants, il est fréquent lors de ce type de mariage civil de régularisation. En fait les enfants avaient besoin de papiers pour se marier d’où la nécéssité dans laquelle étaient finalement les parents de se rendre à la mairie. Une grande partie de ces enfants n’avaient jamais été déclarés, toujours 1 sur 4, souvent 2 sur 4. Les registres de naissances de l’état civil sont donc incomplets, si l’on ne tient pas compte de ces déclarations très tardives. Au moment de la déclaration, les enfants, qui sont dans tous les cas des baptisés clandestins, ont plus de 20 ans.
    Pour mesurer le taux de baptêmes, la comparaison entre le nombre de naissainces dans l’état civil, et le nombre de baptêmes dans les registres clandestins a déjà été tenté. Patricia Lusson-Houdmon s’est heurtée au surplus de baptêmes comparé aux naissances (29). Ce surplus n’a pas d’autre cause que la sous déclaration des naissances. Malgré les menaces, plusieurs couples par commune ont réussi à ne pas déclarer des enfants avant leur âge adulte.

  • Le mariage civil seulement
  • Les mariages civils ne recoupent pas tous les mariages religieux, et quelques mariages civils n’ont pas d’équivalent dans le registre clandestin.
    De là à conclure que les couples mariés uniquement civilement sont détachés de la religion, il faut être prudents. En effet, l’un de ces mariages civils pour lesquels on ne trouve pas d’équivalent religieux est celui du couple de Charles
    Marie Goguet de la Salmonière (voir p.42) et d’Emilie Bonchamps, la soeur du général tombé à Saint Florent le Viel le 20.10.1793. Leur mariage civil le 19.07.1800 à Saint Julien est une régularisation de plus, mais n’a pas été pris en compte dans la statistique du délai d’enregistrement du mariage, car cette statistique n’est basée que sur le registre de Renée Lemesle. Le délai est dans le cas de ce couple de 6 ans et 7 mois. Nous ne disposons que du récit de la Marquise de la Rochejaquelein, mais il est crédible.
    Les autres couples, uniquement civils apparamment, ne sont pas nombreux, puisque non compris le couple ci-dessus, ils sont au nombre de 12. Il n’est pas à exclure que quelques uns soit républicains.
    Certains Concellois ne dédaignent pas les prêtres contitutionnels. Ainsi, le 7 pluviose an IV de la République Française (sic) en l’église de Saint Jacques de Nantes, François Limousin, marinier, 33 ans, né à St Julien de Concelles, et demeurant rue du Port Maillard, épouse religieusement Marguerite Raimbaud de St Fiacre.

  • L’enregistrement
  • Dans ce chapitre, il a été question de « délai d’enregistrement » et non de délai entre le mariage religieux et le civil. C’est que ce dernier était considéré en 1798 à St Julien comme un enregistrement (voir p.).

    Ouvrage paru en 1990
    (C) Editions Odile HALBERT
    ISBN 2-9504443-1-8

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    Mémoire d’Avent, l’oeuvre clandestine d’un Angevin à Saint-Julien-de-Concelles 1794-1802 : René Lemesle – chapitre 5

    Ouvrage paru en 1990
    (C) Editions Odile HALBERT
    ISBN 2-9504443-1-8

    Chapitre V

  • LA FÊTE
  • La fête prérévolutionnaire
  • Les noces traditionnelles villageoises ont lieu le mardi dans la France rurale avant 1789. Pour la période de 1753 à 1789 à Saint-Julien-de-Concelles, 86,8 % des couples se marient le mardi, et 11,4 % le lundi, également considéré comme jour traditionnel. Ces deux jours totalisent 98,2% des mariages (voir graphique p.43).
    Au Loroux-Bottereau pour la période de 1740 à 1789, ces chiffres sont respectivement de 84% pour le mardi et 10 % pour le lundi, soit 94 % pour ces deux jours (24).
    La préférence du mardi s’explique : on prépare le festin le lundi en tuant le cochon, en confectionnant terrines, plats de volailles. Le mardi on fait ripailles, le mercredi on prolonge. Toute la famille et tous les voisins et amis sont réunis, en outre plusieurs couples sont souvent unis le même jour ; ainsi, le record dans la région est de 22 couples le mardi 22.02.1779 au Loroux-Bottereau.
    Les variations saisonnières sont rythmées par l’église et les travaux agricoles. L’église tient pour interdits le Carême et l’Avent. Ces interdits, aussi appelés « temps clos », sont respectés. Le Carême commence plus ou moins tôt selon les années, au plus tôt le 4 février, et se termine au plus tard le 25 avril, d’où un creux étalé sur deux mois. En outre, on se marie moins quand le travail agricole est intense ; à Saint-Julien ce sont les mois du chanvre, de l’osier et de la vigne, c’est à dire septembre et octobre. De même au Loroux on ne se marie guère en septembre et octobre, alors que 27% des mariages y sont célébrés en février.

  • La fête clandestine
  • La fête clandestine est-elle traditionnelle ? Des récits de mariages clandestins et festifs ont été racontés. En voici deux exemples, extraits de mémoires :

    Mon mariage fut arrêté pour le 18 janvier 1796. Il eut lieu en effet ce jour, mais ce fut au milieu des batailles, car à 2 heures de l’après midi, au moment de se mettre à table, une vive fusillade se fit entendre à 3 lieues et nous laissa dans l’incertitude de prendre le repas ou de rejoindre le bataillon aux prises, commandé par MM Douarin frères, officiers très distingués, lesquels, après une heure de combat, poursuivirent l’ennemi jusque sous les murs de la petite ville de Nort d’où il était sorti et dont le canon de la fortification nous annonça la victoire des Royalistes. Un courrier vint annoncer le succès de MM. DOUARIN et l’on se mit à table aux cris de « Vive le Roi ». Nous passâmes la journée joyeusement car, il faut en convenir, par un bienfait de la Providence dans un temps si malheureux, la tristesse était bannie de tous les esprits et, doutant de son existence au lendemain, on conservait cependant une sérénité, une absence de soucis que l’on n’a pas en temps de paix (25).

    C’est Pierre-Michel Gourlet, général de cavalerie à l’Armée de Scépeaux qui commande la région de Nort-sur-Erdre, qui relate ainsi son mariage clandestin dans ses mémoires. L’union est bénie par M. Royer, vice-gérant de Saint-Mars-la-Jaille, après publication d’un ban à Pannecé. Le registre clandestin est de nos jours à l’état civil de Saint-Mars-la-Jaille.

    La Marquise de la Rochejacquelein raconte le mariage de Charles Goguet de la Salmonière pendant la virée de Galerne :

    Il arriva à Fougères une histoire fort comique; la soeur de M. de Bonchamps suivait l’armée; comme elle était brouillée avec la veuve de ce général, elle restait à peu près seule, ou du moins avec des personnes indifférentes. Elle entra, pour une affaire, avec d’autres dames, à l’état-major ; tout en causant, ces dames dirent combien les femmes qui n’avaient point d’officiers pour parents, étaient à plaindre, abandonnées pour les logements et le reste ; on observa en badinant qu’il leur était aisé d’en avoir, qu’elles pouvaient se marier, qu’il ne manquait pas de jeunes gens. Melle de Bonchamps répliqua en riant que le conseil était excellent, mais que les femmes ne devaient faire d’avances et que c’était à ces messieurs à se proposer. Alors, M. de la Salmonière, officier du corps de Bonchamps, lui demanda si elle parlait sérieusement et si elle accepterait une proposition. Cela dépendrait, répondit-elle, de celui qui la ferait. M. de la Salmonière lui dit : « Eh bien, mademoiselle, me voilà, je me propose et serai fort heureux si vous voulez de moi ». Melle de Bonchamps était jeune et, comme je l’ai dit, se trouvait isolée, elle accepta sur-le-champ; ils se marièrent le lendemain ; M. de Talmond, toujours prêt à s’amuser, leur donna des fêtes. (8)

    Le mariage religieux fut probablement écrit sur une feuille volante et ne nous est pas parvenu, si ce n’est par le récit de la marquise de la Rochejaquelein, qui a tout lieu d’être véridique, même si la marquise n’est pas toujours fiable.
    René Lemesle assista probablement à ce mariage festif en plein coeur de la Virée de Galerne, à Fougères. En tous cas, la marquise ne cite pas le nom du prêtre qui a béni cette union, donc il ne devait pas être connu.
    Comme dans les contes, les époux furent heureux et eurent des enfants à Saint-Julien-de-Concelles. Il y font baptiser le 24.08.1801 leur fils Charles, né le 02.08.1801. Le parrain est l’aîné des enfants, Auguste Charles. La cérémonie réunit trois prêtres : Veillard, Fremont, et René Lemesle.
    Le couple fait enregistrer le mariage civilement le 19.07.1800 à Saint-Julien-de-Concelles : il réside à la Salmonière. Ce mariage civil aurait pu être qualifié de « républicain » car sans son équivalent religieux. Il est donc vain de comparer les mariages civils aux mariages religieux dans le but d’en conclure que les mariages uniquement civils sont le fait de bons républicains.

    Rythme hebdomadaire des mariages clandestins

  • On compare ci-contre la période de 1753 à 1789 à Saint-Julien, à la période clandestine.

    Les mariages clandestins ont maintenu la tradition du mardi et du lundi. L’érosion du mardi est en partie reportée sur le lundi. Ces deux jours représentent 88,3 % des mariages clandestins.
    L’érosion de ces deux jours est plus importante quand la persécution s’accentue. Ceci est surtout sensible pour les non-Concellois.

    L’année 1795 est une année sans difficultés : le profil hebdomadaire est identique au profil prérévolutionnaire pour les Concellois, mais deux Sébastiennais se marient le jeudi.
    Beaucoup de couples sont parfois unis ensemble un autre jour que le mardi ou le lundi. Ainsi, on observe cinq mariages clandestins le mercredi 13.09.1797, trois le jeudi 28.09.1797, deux le dimanche 12.11.1797 et deux le jeudi 26.04.1798. Pour la plupart de ces mariages collectifs, René Lemesle était manifestement situé dans un village proche du Loroux et de La Chapelle-Basse-Mer. On ne peut pas conclure qu’il s’est rendu au Loroux car il y toujours des couples concellois le même jour.
    Par contre, il s’est rendu à Basse-Goulaine le 27.01.1795 pour marier dans l’église deux couples de Saint-Sébastien.
    Il est aussi à la Gagnerie en Saint-Sébastien ou quelques Sébastiennais festoient le lundi 23.11.1795 : cinq couples de Sébastiennais et de Concellois se pressent dans la Chapelle de la Gagnerie « pour éviter les poursuites des révolutionnaires ennemis qui nous environnent ». Les personnes présentes sont au minimum 27, en ne citant que les époux et les témoins, auxquelles il faut ajouter le prêtre et les épouses des hommes présents comme témoins. Car, si ce sont les hommes qui sont témoins et laissent leur nom dans le registre, on doit admettre
    que leurs épouses n’étaient pas restées à la maison, d’ailleurs dans toutes les études de la pratique religieuse en période révolutionnaire, elles sont donnés généralement comme majoritairement présentes aux messes clandestines (18,19).
    Le lundi est jour de mariage festif avant la Révolution, même si cela est de fa‡on secondaire. Il le reste pendant la guerre civile et l’analyse des mariages bénis ce jour-là par R. Lemesle est significative : ce sont très souvent des mariages collectifs : cinq les 14.09.1795, 23.11.1795, 23.01.1798 et 12.11.1798, quatre les 16.02.1795 et 23.05.1796, trois les 18.01.1796 et 08.02.1796, deux les 26.06.1796, 13.11.1797 et 22.10.1798.

  • Saisonnalité des mariages clandestins
  • Les mariages clandestins à Saint-Julien-de-Concelles respectent les temps clos. Le graphique de saisonnalité (voir p.28) montre nettement le creux des mois du mois de mars et celui du mois de décembre. La saisonnalité est identique chez M. Robin à la Chapelle-Basse-Mer, avec cependant une légère différence : René

    Lemesle bénit plus d’unions que M. Robin pendant les mois de travail agricole. Pour voir si la saisonnalité de René Lemesle diffère vraiement d’une saisonnalité connue, on compare ci-contre à celle du Loroux prérévolutionnaire. On constate à nouveau que R. Lemesle bénit un peu plus que d’autres pendant le travail agricole ? Or, ce travail est collectif, lors de rassemblements importants autant que festifs. René Lemesle, qui avait 28 ans en 1794, est capable de se déguiser en ouvrier agricole.

    Il a donc pu bénir des couples au milieu du travail. Le père Petard raconte que cela se produisait quelquefois au milieu des champs (9 p.247). Les champs sont le meilleur espace discret, puisque le rassemblement est justifié par le travail. René Lemesle ne ménage pas pour autant le cérémonial. Il aime une certaine solennité qu’il sait, avec bonheur, concilier avec la réalité quotidienne. S’il se transforme facilement en ouvrier agricole, son voisin, C. Massonnet, refuse de « se déguiser » en otant sa soutane. R. Lemesle montre ainsi que très t“t il a su retirer sa soutane, sans doute dès 1791, pour se fondre dans le paysage agricole ou artisanale. Cette aptitude à se glisser parmi la population témoigne d’une certaine faculté d’adaptation pour ce fils du forgeron issu d’une lignée de marchands de fil.
    En période de persécution, la population reste donc attachée à la forme traditionnelle des noces, et fait la fête à ses risques et périls. En effet, les 411 couples unis en 8 ans représentent un déplacement considérable de population.
    On peut donc se poser la question des allées et venues de toutes ces familles sans se faire remarquer, d’autant plus que les mariages le même jour sont nombreux, jusqu’à cinq ou sept, comme avant la Révolution.

  • Rythme annuel des mariages clandestins
  • Le registre de René Lemesle contient 411 mariages, et sa moyenne annuelle est très supérieure à la moyenne prévolutionnaire avec 50 contre 31. Mais il y a des variations. On observe une pointe trés élevée pour 1795 et 1796, puis un retour progressif aux chiffres prévolutionnaires, avec cependant une chute en 1799, non significative : avant 1789 les variations annuelles sont supérieures. Elle traduit cependant la difficulté à trouver le prêtre durant 1799.

    En 1795 et 1796, René Lemesle bénit trois fois plus de couples que la moyenne prévolutionnaire.
    Le nombre élevé de mariages en 1795 traduit à la fois la pacification et le fait que les couples ont attendu longtemps : les mariages sont d’autant plus nombreux qu’auparavant on en était privé. La reprise d’armes par Charette en juin 1795 et par Stofflet en février 1796 ne contribut pas à faire chuter le nombre des mariages de l’année 1796. On peut tenter d’en conclure que les Concellois n’ont sans doute pas beaucoup suivi cette reprise.
    Les années 1795 et 1796 traduisent également l’affluence des non-Concellois.
    Ces derniers ne viennent plus faire bénir leur union à partir de 1800, donc les années 1800 à 1802 restent élevées pour des mariages de Concellois seulement.
    Les mariages de Concellois, de 1795 à 1802, n’auraient pu être aussi nombreux si la moitié de la population avait disparue en 1794, comme cela a été raconté au Père Pétard (9). La majorité des Concellois a effectivement survécu et le taux annuel de mariages vient renforcer l’hypothse émise à partir des baptêmes, pour estimer le nombre de survivants à environ 2952 (voir p.36).
    Le décompte exact des mariages concellois est délicat, car les couples de Concellois avec non-Concellois sont fréquents avant 1789, comme pendant la guerre civile. Or, un couple de de Concellois avec non-Concellois peut aussi bien concerner une paroisse voisine, dans laquelle le nouveau couple créé s’installe.

  • Pâques avant les Rameaux
  • Avant la Révolution, le premier enfant nait généralement environ 12 à 16 mois après le mariage religieux (26,27). Cette moyenne est loin de refléter la situation individuelle car les écarts sont très élevés : quelques couples ont un enfant moins de 9 mois après le mariage, d’autres 2 ans et plus après le mariage. Le laboratoire de démographie historique considère comme « normale » la période 9 à 30 mois. Passé les 30 mois, c’est qu’une naissance entre temps a pu échapper à l’attention.
    En l’absence de prêtre insermenté entre 1791 et 1794, les couples en ont cherché, parfois vainement, un pour faire bénir leur union. La première naissance du couple est donc un paramètre qui pourrait montrer l’impatience à trouver le prêtre. Elle peut être rapprochée de la date d’union religieuse ou bien de la date d’union civile, lorsque celle-ci a précédé l’union religieuse.
    Citons : Michel Bergalome, marié le 26.09.1796 à Louise Amiot, qui ont un enfant le 06.02.1797 etc…
    Le délai de première naissance n’a pu être établi que pour un nombre assez limité de couples : une bonne partie des enfants ne sont pas des premiers nés.
    L’intervalle entre naissances a pu être évalué dans les baptêmes clandestins pour quelques couples qui ont trois ou quatre enfants pendant cette période. Il se rapproche de la normale prérévolutionnaire.

    En conclusion, en période de privation de prêtres, une partie non négligeable des couples a dû faire Pâques avant les Rameaux.

  • Fille ou fils de « feux »
  • Les père et mère des époux sont toujours, qualifiés de « feu » s’ils sont
    décédés. Cette qualification est assez fiable dans les registres de catholicité du XVIII e siècle. Elle fait partie d’une méthode d’enregistrement des actes soigneusement apprise au séminaire : questions précises à tous les témoins avant d’écrire.
    Les témoins sont moins précis dans l’état civil, à moins que ce soit les
    officiers municipaux qui ne savent pas les questionner. Tous les recoupements des fiches de familles des Lorousains révèlent ces différences de fiabilité, même sur un point de détail comme celui-ci.
    On peut donc suivre avec une grande précision le nombre de parents survivants au moment du mariage de leurs enfants. Pour 411 couples, il y a 1644 parents, dont 1049 sont décédés, soit 63,8%.

  • Veuf et veuve
  • Les remariages sont fréquents au XVIIIe siècle. Ainsi on observe à Saint-Aignan en Loire-Atlantique, 8,6% des hommes et 17,4% des femmes pour la période 1674-1742,(27). A Avrillé dans le Maine-et-Loire, Jacques Thomé constate observe une pointe à 31% chez les hommes et 20% chez les femmes dans le premier quart du XVIII e (28).
    Dans le registre clandestin de Saint-Julien-de-Concelles les remariages
    touchent 13,8% de veufs et 19% de veuves pour 67,2% de premiers mariages. Le taux de remariages est normal, c’est à dire qu’il ne permet pas de dire qu’il y avait plus de veuf ou veuves du fait de massacres.

  • Mémoire d’Avent
  • Tous les Concellois ont respecté les temps clos de l’église pendant la guerre civile. Pourtant, ces temps clos faisaient parfois l’objet de dispenses avant la Révolution. Ces dispenses étaient rares et concernaient surtout les mariages entre veufs. Sur les 6000 actes de mariages du XVIIIe siècle que j’ai déjà dépouillés dans cette région, quelques veufs ne suivent pas le profil traditionnel. Ils acceptent très souvent les mariages hors du mardi ou lundi, et pendant les temps clos. Ils ne refaisaient pas la fête traditionnelle en attirant tout le ban et l’arrière ban. Ceci se comprend étant donné la fréquence relativement élevée des veuvages au XVIIIe.
    René Lemesle a accordé lui-même une dispense du temps de l’Avent à Jean Gautier, veuf de Marie Clestras, et Anne Bretagne, veuve de Michel Chatelier, tous deux Sébastiennais, qui se sont mariés le lundi 07.12.1795 « après la publication d’un ban canoniquement faite et sans opposition au pr“ne de la messe paroissiale de Saint Sébastien, la dispense des 2 autres bans, du temps de l’Avent et d’un empêchement de consanguinité du 4 au 4ème degré donnée par nous en vertu des pouvoirs re‡us des supérieurs légitimes… ». Jean est laboureur à la Goulonnière en Saint-Sébastien et ne fera enregistrer civilement ce mariage que le 25.06.1809 à Saint-Sébastien, soit 13 ans et 6 mois après la cérémonie religieuse (voir p.49).
    Ce couple est l’unique cas de mariage pendant l’Avent sur les 411 mariages. Il s’agissait de laboureurs sébastiennais, qui avaient probablement connu René Lemesle dans la division de Lyrot. Ils avaient « galerné » avec lui et avaient connaissance de sa présence toute proche.
    Ils assistaient probablement à ses messes célébrées en Saint-Sébastien, et dont il est question dans les prônes des mariages de Sébastiennais : « après publication au prône de la messe paroissiale de Saint-Sébastien… ». En effet, R. Lemesle, comme ses confrères, cite toujours la paroisse dans laquelle a été publié le seul ban qui reste souvent ; lorsque le ban a été publié par un confrère, il cite l’autorisation de ce confrère et le nomme, ainsi de M. Robin ou D. Guillet.
    Ces messes sébastiennaises et basse-goulainaises cessent de 1796 au 7.01.1799, date à laquelle il marie encore un couple sébastiennais. D’autres prêtres clandestins ont donc très probablement dit la messe dans ces paroisses pendant cette période.
    René Lemesle est jeune, et comme la plupart de ces contemporains, il est rompu à la marche : en 1800 il va même baptiser une nièce à Vern, à 50 km de Saint-Julien. Pour desservir Saint-Sébastien ou Basse-Goulaine, il résidait parfois à la Vrillère qui est aux confins de ses deux paroisses, à l’Ouest de Saint-Julien. Le père Pétard cite la Vrillère, dans son ouvrage, comme ayant été l’un des lieux où R. Lemesle s’est caché.

    Ouvrage paru en 1990
    (C) Editions Odile HALBERT
    ISBN 2-9504443-1-8

    Odile Halbert – Reproduction interdite sur autre endroit d’Internet seule une citation ou un lien sont autorisés.

    Mémoire d’Avent, l’oeuvre clandestine d’un Angevin à Saint-Julien-de-Concelles 1794-1802 : René Lemesle – chapitre 4

    Ouvrage paru en 1990
    (C) Editions Odile HALBERT
    ISBN 2-9504443-1-8

    Chapître IV

  • LA VIE
  • Selon une tradition, Saint-Julien-de-Concelles serait le berceau de la catholicité dans notre région ; le premier baptême reçu dans le diocèse de Nantes le fut à Saint Barthélémy, sur l’emplacement de bains romains.
    La Chapelle Saint-Barthélémy, du XVème siècle, fut épargnée par les Bleus, sans doute plus hostiles à Marie qu’à un saint, patron des tanneurs, gantiers et relieurs, qui avait connu le supplice d’être écorché vif.
    Le pélerinage à Saint-Barthélémy, le 24 août, attirait les pélerins de Clisson, Beaupréau, et même de l’autre rive de la Loire. A l’occasion des pélerinages, la Loire traversée. Ceux-ci cessèrent pendant la Révolution, mais certains y vinrent prier.
    Le baptême est le sacrement qui fait membre du peuple de Dieu. Ceci est rappelé sur le plus ancien baptistère de la chrétienté, dans la basilique du Latran à Rome : « ici naît un peuple destiné au ciel ».
    L’attachement à ce sacrement permet de mesurer la pratique religieuse pendant la guerre civile : les fidèles y tiennent au Loroux (voir p.22).
    Nous allons maintenant étudier le comportement des Concellois face au baptême et paralèllement nous appréhendererons leur fécondité pendant cette période de difficultés. Et puisqu’à cette époque le taux de natalité est lié au nombre d’habitants, nous estimerons grossièrement le nombre des survivants.

    Le baptême prérévolutionnaire et postrévolutionnaire

  • L’administration du baptême est soigneusement définie dans le rituel catholique romain. Celui-ci remplace depuis 1614 les rituels diocésains, mais certains diocèses ont conservé leur rituel propre. Il est mis en pratique et ses règles sont apprises au séminaire.
    Dans le diocèse de Nantes, c’est le « Rituale Nannetense », édité en 1776 par l’éditeur Joseph Vatar, qui fixe les règles liturgiques. L’extrait suivant montre qu’une ancienne ordonnance royale est toujours en vigueur :

    Par la Déclaration de 1698, le Roi enjoint à tous ses sujets de faire baptiser leurs enfants à l’Eglise de leurs Paroisses, dans les 24 heures après leur naissance, s’ils n’ont obtenu permission de l’Evêque de différer les cérémonies du Baptême. Les Ordonnances du Diocèse chap.1-4 défendent de différer au-delà de trois jours. (14, p.8)

    Selon certains auteurs, pour convaincre les parents de la nécessité du baptême rapide, l’église aurait utilisé, à certaines périodes, la menace d’excommunication envers ceux qui n’ont pas fait baptiser leur enfant dans les huit jours (18). Cette excommunication ne semble pas concerner le diocèse de Nantes en 1776, car le rituel ne donne aucune indication de ce genre.

    Le délai de baptême est par conséquent inférieur ou égal à trois jours avant la Révolution. Puisque l’église et le roi exigent le baptême aussi rapidement, certains parents ont probablement eu la tentation de dissimuler la date exacte de la naissance. Cette « tricherie » devait être tempérée par l’ardeur de la sage-femme à dire la vérité. Lorsque l’enfant avançait en âge, il devenait également impossible de cacher la vraie date de naissance au prêtre.
    Le père part le jour même de la naissance au bourg avec l’enfant, quelles que soient la saison et la distance. Ce voyage a lieu dans la majorité des cas à pied et comme il n’est pas rare d’avoir 4 à 5 km pour atteindre le bourg, on voit que l’enfant subit une rude épreuve qui ne contribue pas à améliorer son espérance de vie.
    En 1869, la situation est inchangée à Saint-Julien-de-Concelles. Michel Launay cite cette paroisse dans son étude du diocèse de Nantes, en tant que paroisse représentative dans le domaine social, économique et religieux. Il observe que la règle des trois jours y est toujours respectée (22) :

    Le délai de baptême a une particulière valeur de témoignage en ce qui concerne la soumission à la loi de l’Eglise. Les statuts diocésains précisent à ce propos :

    « les curés et desservants avertiront les pères et mères de faire baptiser leurs enfants le plus promptement possible et sous trois jours, au plus tard, après leur naissance » (22).

  • Le délai de baptême dans la clandestinité
  • En période clandestine, les prêtres administrent le sacrement de baptême sans faire de difficultés quel que soit l’âge des enfants, et parfois à des enfants très âgés pour l’époque. Ainsi, René Lemesle baptise quatre enfants de trois ans. L’âge de l’enfant ne pose plus de problème et les parents n’ont pas de raison de le dissimuler pour se conformer à la règle des trois jours.
    L’âge déclaré lors du baptême clandestin peut ainsi être considéré comme exact pour les nouveaux-nés. La date de naissance des enfants plus âgés, en particulier ceux qui dépassent quelques mois, pose un problème d’exactitude du fait des défauts de mémoire des dates (voir p.67).

    Dans le registre clandestin de Saint-Julien, 65 % des enfants sont baptisés dans les trois jours, 92 % dans les trois mois, et 8 % de trois mois à trois ans.
    L’histogramme ci-contre donne le cumul en fonction de l’âge exprimé en jours. Ces chiffres recouvrent en réalité des situations variables dans le temps.
    Le même histogramme, en période de persécution accentuée, traduit un allongement du délai de baptême. Il existe une corrélation entre l’intensité de la répression et le délai de baptême.
    Pour mesurer cette corrélation, il faut extraire les périodes de forte persécution de l’ensemble de la période couverte par le registre clandestin.
    Le délai de baptême des non-Concellois diffère de celui des Concellois, de la même façon que celui des non-Lorousains privés de prêtre en 1793 et début 1794.

    DELAI DE BAPTEME en jours

    Le délai de baptême des Concellois est rapproché ci-dessus (voir tableau) de celui des non-Concellois. Les années retenues sont significatives : une année de calme relatif, 1796, et deux années de difficultés, 1798 et 1799. L’écart entre les années est symptomatique ; le délai augmente dès que la persécution reprend le dessus. L’année 1798 est la plus difficile, si l’on en juge par les délais de baptême. Ordinairement, l’année 1799 passe pour avoir été pire.
    Les non-Concellois mettent en moyenne huit à dix fois plus de temps à trouver le prêtre que les Concellois. Ceci recoupe les observations faites au Loroux (voir p.22).

    La reprise du culte, dans une paroisse privée de prêtre, doit par conséquent s’accompagner de baptêmes d’enfants âgés. Toutefois, lors de la reprise du culte à Saint-Sébastien-sur-Loire, on n’observe pas d’enfants âgés. Ceci plaide en faveur de la présence intermittente d’un prêtre ayant baptisé, et dont nous n’avons pas de trace. Les seuls baptisés âgés de quelques semaines, qui viennent à Saint-Sébastien en 1802, sont des non-Sébastiennais, surtout de Nantes-Saint-Jacques et Nantes-les-Ponts.

  • Mode d’expression du délai de baptême
  • Le délai de baptême exprime le nombre de jours entre la naissance et le baptême. Il s’évalue à partir des deux dates notées par le prêtre.
    Les historiens-démographes expriment toujours un délai en jours, mois, ans, révolus. Ils considèrent donc le jour de la naissance pour un délai de zéro jour.
    Néanmoins, selon le rituel, les enfants doivent être baptisés dans les trois jours. Le jour de la naissance compte comme premier jour, soit un délai d’un jour. Dans la présente étude, le délai de baptême est compté en jours non révolus comme dans le rituel car on mesure la pratique religieuse et non la démographie. On a ainsi un délai d’un jour pour le jour de la naissance, de deux jours pour le lendemain, et de trois jours pour le surlendemain.
    Les dates de naissance sont fidèlement transcrites par René Lemesle. Les cérémonies nocturnes ne sont pas précisées et pourtant une partie des baptêmes a eu lieu la nuit en période clandestine.
    Les baptêmes effectués pendant la nuit permettent de baptiser tard le soir un enfant né le matin alors qu’avant la Révolution on aurait été le lendemain matin. Les baptêmes nocturnes raccourcissent ainsi le délai à l’intérieur des trois jours, toutefois, en l’absence de détails sur l’heure, on se contentera du calcul de l’âge des enfants sans tenir compte de l’heure nocturne probable.
    René Lemesle précise très souvent si l’enfant est né le matin ou le soir, même lorsqu’il s’agit de la veille. Ainsi, 246 baptisés sont nés le matin et 188 le soir.

  • Chercher le prêtre
  • Avant la Révolution, le père part avec l’enfant à faire baptiser. C’est aussi parfois le prêtre qui se déplace. Dans les deux cas, il est facile de trouver un prêtre au bourg de Saint-Julien ; ils sont trois prêtres pour desservir la paroisse, et l’un d’entre eux est toujours présent à la cure.
    Il en va tout autrement en période de clandestinité. Encore qu’il faille distinguer les périodes de clandestinité totale et les périodes de semi-clandestinité. Elles correspondent aux périodes pendant lesquelles les officiers municipaux sont soit réfugiés à Nantes, soit de retour à Saint-Julien mais ferment les yeux ou font eux-mêmes baptiser leurs enfants…
    Le délai de baptême dépend surtout du temps mis à trouver un prêtre. La rapidité de localisation du prêtre suppose une organisation, une sorte de réseau d’information, puisqu’il n’y a pas de lieu fixe comme la cure. Un délai aussi court que celui que nous venons de constater est obtenu grâce à un relais d’information dans chaque village, ou tout au moins dans chaque gros village. Cet informateur est capable de situer le prêtre à tout moment, car n’oublions pas que celui-ci doit souvent changer de cachette. La sage-femme peut aussi avoir été un agent de liaison, encore que bien souvent on a d– s’en passer. Tout un réseau de communication était mis en place, pour informer la population (voir p.64).

  • Les baptêmes clandestins
  • Le registre clandestin contient 1095 baptêmes du septembre 1794 à novembre 1802 inclus. Les enfants ne sont pas tous concellois : 184 baptisés sont nés hors Saint-Julien-de-Concelles, soit 16,8 %.

    Les 66 Lorousains sont suivis de ceux de Basse-Goulaine, Nantes et Saint-Sébastien. Les divers sont les enfants venus par la Loire (voir ci-après), et deux de Vertou et trois de La Chapelle-Basse-Mer. Les trois Chapelains sont baptisés le jour de leur naissance. Les parents ont trouvé R. Lemesle plus vite que M. Robin.
    Ces non-Concellois viennent se faire baptiser à des périodes différentes qui sont le reflet de la situation temporaire dans leur paroisse.

  • Loroux-Bottereau
  • Au Loroux-Bottereau, l’année 1794 s’est terminée par un grand nombre de baptêmes. Après le départ de Clair Massonnet, c’est Denis Guillet qui entre en fonction à Sainte-Radegonde. Ce dernier est loin pour les Lorousains vivants à l’ouest de la paroisse, plus proches de Saint-Julien. En outre, Denis Guillet est parfois empéché ; en particulier au printemps 1796, fin 1797, 1798 et 1799. Le registre de Saint-Julien complète ainsi partiellement celui du Loroux.
    Aucun Lorousain ne vient se faire baptiser à Saint-Julien fin 1794 et début 1795. A cette date, Clair Massonnet est encore au Loroux ; ce prêtre a une plus grande influence que Denis Guillet et tient ses ouailles en main.

  • Basse-Goulaine
  • Les Bas-Goulainais viennent irrégulièrement à Saint-Julien parce qu’ils ont parfois une possibilité de culte clandestin sur place. Il n’y a pas de prêtre desservant à demeure Basse-Goulaine comme au Loroux, mais des prêtres itinérants, par intermittence. Sinon, on aurait ils iraient plus souvent à Saint-Julien.
    Curieusement, aucun Bas-Goulainais ne vient durant l’année difficile de 1799 se faire baptiser à Saint-Julien ; malgré la répression, il y a un prêtre à Basse-Goulaine, pour lequel nous ne possédons pas de registre clandestin, mais dont la présence est attestée a contrario.
    Le même raisonnement s’applique à Saint-Sébastien-sur-Loire.

  • Saint-Sébastien-sur-Loire
  • La paroisse de Saint-Sébastien a été divisée en deux en 1791. Une moitié de cette paroisse, annexée par Nantes, englobe Pirmil, la Prairie d’Amont, Sèvres, la Gilarderie (23).
    René Lemesle ne connaît pas la région mais note « paroisse de Saint-Sébastien » pour la partie annexée. Les habitants de ces quartiers sont déclarés « de Nantes » dans les actes civils. En fait, lorsqu’on leur demande de quelle paroisse ils sont, ils se déclarent de Saint-Sébastien au prêtre, de Nantes à l’officier municipal, qui rectifie le cas échéant.
    Le même phénomène se retrouve dans le registre clandestin de Haute-Goulaine, lorqu’il s’agit d’actes de Sébastiennais (24). Le baptême signe la naissance dans une paroisse, non dans une commune, dans une communanté religieuse et non civile.
    Dans la nouvelle paroisse de Saint-Jacques, il y a un prêtre assermenté, mais quelques couples ont attendu de trouver plus loin un prêtre insermenté. Pourtant le prêtre constitutionnel baptise beaucoup : 600 baptêmes par an. Ces baptêmes dépassent en permanence les limites de la paroisse, tout en ne couvrant pas la totalité des paroissiens.

  • Venus par la Loire
  • Les baptisés de Mauves sont au nombre de huit, de Thouaré sept, de Carquefou deux, de Sucé un, de Sainte-Luce un, de Rezé trois, de Bouguenais deux, de Chantoceaux un.
    Tout laisse à penser qu’ils venaient par la Loire, et que c’est par les échanges fluviaux que l’on avait connaissance de la présence de René Lemesle, à moins que ce ne soit par les anciennes connaissances faites pendant la Virée de Galerne.
    Ainsi, les deux enfants Bessac sont de Trentemoult. Il est plus facile à leurs parents de sortir par la Loire que par le faubourg Saint-Jacques, bien gardé.
    Les bateaux républicains de la deuxième division stationnent devant la Chebuette, BoireúCourant et la PierreúPercée (25). On sait déjouer la vigilance des canonniers qui surveillent la Loire.
    Rezé a eu épisodiquement le ministère de prêtres clandestins rezéens. Cette présence est attestée malgré l’absence de registre connu. Ainsi, fin 1797 :

    Il est constant par les rapports qui nous ont été faits, que les prêtres Bascher frères exercent encore leurs manoeuvres perfides dans la commune de Rezé, et que le prêtre Métayer agit dans le même sens en celle de Bouguenais. (26)

    Il n’est pas possible de déterminer avec certitude si c’est le prêtre qui s’est déplacé ou les familles. Le travail intense du prêtre ne lui laisse guère le temps de traverser la Loire : il baptise le même jour des non-Concellois et des Concellois, ce qui laisse penser qu’il quitte peu Saint-Julien.

    Les enfants, « venus par la Loire », sont plus âgés que les Concellois : leurs parents ont cherché un prêtre plusieurs mois. On voit ci-contre l’origine des baptisés âgés de plus de trois mois.
    Les 17 Concellois sont nés entre 1792 et août 1794. La majorité de ces baptêmes ne sont pas faits par R.úLemesle, mais par MM. Robin et Massonnnet, puis retranscrits au début du registre clandestin, avant le 07.10.1794.
    Les retranscriptions faussent généralement les statistiques.
    Elles ont été gardées dans cet ouvrage, car le registre de M. Robin a été brûlé en août 1794 et celui-ci n’a pas pu reconstituer tous les baptêmes des enfants nés hors La Chapelle-Basse-Mer, en particulier ceux des baptisés concellois. Les deux Concellois du registre de La Chapelle ne sont pas dans celui de Saint-Julien ; ce sont Julien Bouhier de Saint-Barthélémy et Pierre Moreau de la Chebuette.

  • Nombre de naissances par an
  • Pour le XVIIIème siècle, on peut évaluer le taux annuel de natalité avec la date de baptême des enfants, peu différente de la date de naissance. En période clandestine, l’âge des enfants est variable et il faut calculer la date de naissance par soustraction de l’âge annoncé par les parents le jour du baptême.
    La date de naissance est portée sur la courbe ci-contre, pour tous les baptisés, Concellois ou non.

    La moyenne concelloise prérévolutionnaire, représentée par un trait horizontal en pointillés, est dépassée en 1795, 1798 et 1800.
    Cette moyenne élevée est partiellement due aux non-Concellois.
    Seul le taux de natalité des Concellois est comparable. Ceux-ci sont au nombre de 911, dont il faut retrancher les 17 enfants retranscrits avant René Lemesle, dans le registre. On obtient 894 naissances concelloises sur 8 ans et 2 mois, soit en moyenne 109 par an. La moyenne prérévolutionnaire était de 119 enfants : on constate que le taux de natalité s’est presque maintenu pendant la guerre civile.
    Cette moyenne élevée peut être partiellement due à un abaissement de l’âge au mariage, ce qui sera étudié sur le Loroux (étude en cours).
    On peut obtenir un ordre de grandeur de la population survivante. Pour 3 165 Concellois avant la Révolution, on a (3 165 x 109) / 119 = 2 899 survivants.
    Ce chiffre est très approximatif, car d’autres facteurs ont pu avoir une influence. Ceux-ci nous sont inconnus en l’absence de reconstitution des familles concelloises.

    Les enfants et les vieillards ont généralement été massacrés en plus grand nombre que les femmes et les hommes en âge de procréer, ainsi au Loroux (27). Il n’en est rien à Saint-Julien, où les hommes de 20 à 50 ans sont très représentés dans les décès déclarés (voir p.80).
    L’évaluation du nombre des survivants, donnée ci-avant, n’a qu’une valeur indicative, toutefois, elle infirme la tradition orale racontée à l’abbé Petard en 1892 (11), selon laquelle la moitié de la population avait été massacrée.
    Elle permet cependant d’affirmer qu’une partie seulement des décès par mort violente a été déclarée à l’état civil. En effet, si on ajoute au chiffre théorique de survivants, le chiffre des décès déclarés (voir p.80), on n’atteint pas les 3 165 Concellois d’avant 1789. La sous-déclaration des décès serait de l’ordre de 50 % de ceux-ci.
    Les courbes ci-contre donnent le nombre annuel de naissances à Saint-Julien comparé au flux des non-Concellois.

    Le taux de natalité est faible en 1795, et fin 1794. L’année 1794 est dure : les colonnes infernales sont au Loroux à partir du 8 mars.
    Dès 1796, la moyenne annuelle prérévolutionnaire, figurée ci-contre par un trait horizontal, soit 119 enfants, est presque maintenue. Les non-Concellois viennent surout de 1794 à 1796. Puis, ils ne fréquentent plus René Lemesle avec autant d’assiduité, alors qu’ils connaissent certainement une remontée du taux de natalité, comme à Saint-Julien-de-Concelles.
    L’année 1796 correspond à la pacification. Le « baby-boom » commence en novembre 1795. Le traité de la Jaunaye a été signé le 26.02.1795 et l’espoir que la paix fait naître est sensible neuf mois après.
    De novembre 1795 à fin 1796, la vie prend sa revanche sur la mort. dans la décennie qui précède la Révolution, il y a en moyenne 11,6 naissances en novembre pour un écart-type de 2,2. En novembre 1795, il y a 12 enfants pour un nombre d’habitants supposé très inférieur.
    En 1796, sur 176 baptisés, il y a 45 non-Concellois, ce qui ramène
    les Concellois à 131. Ce chiffre
    reste considérable et est assimi-
    lable à un « baby-boom ».

    La répartition indique une pointe au printemps, qui correspond
    à un été de paix neuf mois plus tôt.
    Le mois de mai est comparable à ceux de 1801 et 1802, mais plus
    accentué qu’en 1800.
    Le taux inférieur de la conception en mai 1800 correspond à la période de persécution maximale en 1799, déduction faite des variations saisonnières normales (voir p.27).

    En période de paix, le rythme de la conception est lié aux saisons et aux travaux des champs.
    Les historiens-démographes observent le même profil saisonnier en France au XVIIIème siècle.
    On note une particularité concelloise liée au type de culture : chanvre et vigne. Le travail y est maximal en septembre.

  • Enfant de l’impossible
  • Mathurin Beranger, fils de Mathurin et de Marie Vivant, est baptisé par René Lemesle le 09.04.1795 en présence des parents, de Marie Beranger sa tante et marraine et de Gilles Vivant. Rien n’est plus banal, puisque 1095 baptêmes ressemblent à celui-ci. Cependant, ce baptême n’est pas tout à fait comme les autres, car l’enfant revient de très loin.
    Il est né le 07.03.1794 dans les prisons de Nantes et son baptême atteste de la vitalité de toute sa famille, car les parents sont présents.
    Le cas des parents de Mathurin n’est pas rare ; l’abbé Petard cite six
    Concellois emprisonnés ayant échappé à la mort : « Pierre Ripot 37 ans et sa femme née Marie Redureau 33 ans, femme Joubert née Thomas 48 ans, Renote Coutant 23 ans, femme Bizière née Guichard, femme Trébuchet née Perrine Litou » (11).
    Marie Vivant ne figure pas dans cette liste et est donc à y ajouter.
    Mathurin Beranger est un enfant de l’impossible, c’est-à-dire un de ceux que l’on ne s’attend pas à trouver.
    Pendant la guerre civile, la vie a été plus forte qu’on le raconte souvent.

  • Prénoms
  • Les prénoms des baptisés suivent-ils une éventuelle influence ? La totalité des 1 095 enfants est analysée ci-après, ce qui représente 1 234 prénoms, compte-tenu des doubles prénoms. Les non-Concellois ont été conservés, et comparés avec les prénoms des époux et épouses des 1 192 mariages de 1753 à 1802 de Saint-Julien-de-Concelles, dont nous disposons grâce aux tables du C.G.O.
    Les prénoms donnés aux baptisés clandestins sont exempts de prénoms révolutionnaires, comme de prénoms royalistes : il n’y a aucune évolution significative.
    Rose, vierge sainte honorée dans la région, est un prénom relativement fréquent avant la Révolution et pendant la guerre civile à Saint-Julien.
    Barthélémy est absent à toute les époques de l’histoire de Saint-Julien-de-Concelles, ce quiest surprenant, s’agissant du saint local le plus estimé. Enfin, les Brice sont en baisse pendant la Révolution, alors que le prénom de ce saint évêque de Tours figure au « Rituale Nannetense » de 1776 et se donne encore de nos jours.
    A la mode : Armand, Victoire, Félicité, Joséphine … , mais passés de mode : Catherine, Maurice, Antoine, Nicolas…

      PRENOMS CONCELLOIS
      nombre d’occurrences par ordre alphabétique

    FEMMES baptêmes clandestins mariages 1753-1802 HOMMES baptêmes clandestins mariages 1753-1802
    (je n’ai pas pu remettre en format WIKI mon tableau, aussi vous avez deux colonnes, les filles à gauche, les garçons à droite, et les chiffres indique FEMMES baptêmes clandestins mariages 1753-1802 HOMMES baptêmes clandestins mariages 1753-1802

    TOTAL 611 611×100 (1126) 623 623×100 (1184)
    1126 1184

    Adéla‹de 2 0,5 (1) Aimé 3 –
    Adèle 1 – Alain – 1 (2)
    Agathe – 1,0 (2) Alexandre – 3,6 (7)
    Agnès – 1,0 (2) Alexis 1 1,0 (2)
    Aimée 1 – Amant 1 –
    Andrée – 0,5 (1) André 4 4,8 (9)
    Angélique 2 0,5 (1) Antoine 2 10,6 (20)
    Anne 34 31,5 (58) Armand 4 –
    Antoinette 1 – Auguste 2 –
    Augustine – – Augustin 2 2,1 (4)
    Catherine 1 6,5 (12) Barthélémy – 1,5 (3)
    Cécile – 1,6 (3) Bennjamin 1 –
    Céleste – – Bertrand – 1 (2)
    Charlotte – 0,5 (1) Brice 1 3,1 (6)
    Claire 1 – Charles 4 4,8 (9)
    Claude 1 – Christophe – 2,1 (4)
    Claudine – 1,0 (2) Clément – 1,5 (3)
    Constance – 2,2 (4) Cyprien 1 –
    Denis 1 – Daniel – 1 (2)
    Elisabeth 6 3,2 (6) David – 0,5 (1)
    Emerance 1 – Denis 1 –
    Emilie – 0,5 (1) Donatien 1 0,5 (1)
    Félicité 4 – Elie 1 0,5 (1)
    Fidèle 2 0,5 (1) Emmanuel – –
    Françoise 35 24,4 (45) Etienne 1 4,8 (9)
    Gabrielle 1 1,6 (3) Eutrope – –
    Geneviève – 6,5 (12) Félix 2 0,5 (1)
    Hélène 1 – François 60 52,6 (100)
    Henriette 1 0,5 (1) Frédéric 1 –
    Honorée 2 1 (2) Gabriel 6 3,1 (6)
    Isabelle – 1,0 (2) Gatien 1 –
    Jacquette – 2,7 (5) Georges 1 0,5 (1)
    Jacquine – – Gervais – 2,1 (4)
    Jeanne 138 95,5 (176) Gratien – 2 1 (4)
    Joséphine 3 – Guillaume 10 15,2 (29)
    Julie 1 0,5 (1) Henri 1 0,5 (1)
    Julienne 46 41,8 (77) Hervé – 0,5 (1)
    Laurence 2 3,8 (7) Hilarion 3 2,1 (4)
    Louise 14 13,6 (25) Honoré – –
    Luce – 0,5 (1) Jacques 23 31,5 (60)
    Lucrèce – 0,5 (1) Jean 114 97,3 (185)
    Magdeleine 25 15,2 (28) Jean-Baptiste 8 –
    Marguerite 8 22,2 (41) Jér“me 4 1,0 (2)
    Marie 163 164,4 (303) Joseph 19 21,2 (40)
    Mathurine 3 8,7 (16) Jude – 0,5 (1)
    Ménanie 3 – Jules – 0,5 (1)
    Michelle 4 18,4 (34) Julien 75 53,1 (101)
    Modeste 2 0,5 (1) Laurent 5 9,5 (18)
    Nicole – 0,5 (1) Leger 1 –
    Olive 1 2,2 (4) Louis 24 20,5 (39)
    Pauline 1 – Luc 3 3,6 (7)
    Pélagie 1 – Mathieu – 1 (2)
    Perrine 60 78,7 (145) Mathurin 20 32,1 (61)
    Radegonde – 0,5 (1) Martin – 2,1 (4)
    Renée 16 47,2 (87) Maurice 2 5,8 (11)
    Rosalie 4 Michel 16 29,4 (56)
    Rose 7 3,2 (6) Nicolas 1 4,8 (9)
    Sébastienne – – Noel 1 0,5 (1)
    Sophie 1 – Paul 4 1,0 (2)
    Thérèse 3 3,2 (6) Philippe 1 0,5 (1)
    Victoire 5 – Pierre 137 119,4 (227)
    Rémy 1 –
    René 45 54,2 (103)
    Samuel 1 0,5 (1)
    Sébastien – 1,5 (3)
    Sévère 1 –
    Simon – 0,5 (1)
    Sylvestre – –
    Thomas – 3,6 (7)
    Toussaint 1 1,5 (3)
    Vincent – 0,5 (1)
    Yves 1 0,5 (1)

    Mémoire d’Avent, l’oeuvre clandestine d’un Angevin à Saint-Julien-de-Concelles 1794-1802 : René Lemesle – chapitre 3 l’oeuvre de René Lemesle

    Ouvrage paru en 1990
    (C) Editions Odile HALBERT
    ISBN 2-9504443-1-8
    VOIR LE SOMMAIRE

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    Chapître III

  • L’OEUVRE DE RENE LEMESLE
  • Importance du baptême clandestin
  • Pour évaluer l’oeuvre religieuse des prêtres clandestins, nous ne disposons que de baptêmes et de mariages, qui sont des sacrements, et de sépultures plus ou moins exhaustives. Les messes, bénédictions, confessions, communions… ne laissent pas plus de trace écrite que l’extrême-onction.
    La tâche accomplie par René Lemesle peut être évaluée comparativement aux données chiffrées disponibles à ce jour. Les études relatives aux registres clandestins sont rares. Patricia Lusson-Houdemon donne un relevé fragmentaire pour 3 départements (18) repris ci-dessous :

    Le pourcentage de baptêmes, par rapport à la somme des baptêmes et mariages, est toujours supérieur à 70 dans l’Ouest. Les études de registres clandestins de catholicité déjà publiées, s’accordent à reconnaître l’importance relative du baptême. C’est le sacrement auquel les populations sont le plus attachées. Pour Bernard Cousin, il représente seulement 62 % des actes du registre d’Avignon (19). Le pays lorousain, qui figure dans la seconde partie du tableau ci-dessus, totalise 1 528 mariages, dont 26,9 % bénis par René Lemesle. Ces nombreux mariages infirment la phrase de M.úRobin selon laquelle il n’y avait pas de prêtre de Liré à Nantes.
    Le registre de Saint-Julien est numériquement le plus important. Celui de Vallet est inconnu des Valletais, car généralement attribué au Loroux et inconnu du R.P. Laure (20) dans son ouvrage.

  • Activité de René Lemesle comparée à M. Robin
  • L’activité de René Lemesle est donc comparable à celle de son célèbre voisin de La Chapelle-Basse-Mer. Tout comme M. Robin, il n’a pas limité son ministère clandestin aux frontières paroissiales. Il n’y aurait pas autant d’actes si les Concellois avaient seuls profité de son secours pastoral.
    Alors pourquoi l’un est-il si connu, l’autre non ? L’un a le sens de la publicité, est l’enfant du pays et soutenu par sa famille. L’autre n’est pas né en Loire-Inférieure, et protège de son mieux sa famille restée à Vern la républicaine, en s’en détachant. Enfin, il n’a pas oublié qu’il a commis une erreur de jeunesse, qu’il rachète sans ostentation.
    L’un abonde en détails hauts en couleur : « … qui ont été transférés au cimetière par les catholiques après la retraite des anthropophages (sic) qui faisaient partie d’une armée révolutionnaire qui déshonorat à jamais le nom français… » (Robin, registre clandestin du 25.05.1794). L’autre a un style sobre et voici son unique détail, extrait des mariages dans la chapelle de la Gagnerie en 1799 : « pour échapper aux ennemis de la religion qui nous entourent.. »

    Ils ont beaucoup marié et respecté la tradition. La saisonnalité des mariages, étudiée ci-contre en nombre moyen de mariages par mois, est de type prérévolutionnaire.
    R. Lemesle et M. Robin observent les temps clos du Carême et de l’Avent, qui sont des interdits religieux.
    La période des travaux agraires, se situe pour M. Robin en septembre et octobre, comme avant la Révolution. Cette baisse correspond au travail du chanvre et de la vigne. La courbe diffère chez M. Lemesle, alors que la culture est de type comparable (voir chapître « la Fête »).

  • Activité concelloise prérévolutionnaire
  • Avant la Révolution à Saint-Julien, la moyenne annuelle des naissances de 1780 à 1789 est de 119 avec un écart-type de 10,6, celle des sépultures, y compris les enfants en nourrice, de 121,6 avec un écart-type de 21,5, et celle des mariages de 31,1 avec un écart-type de 4,8.
    Les courbes ci-contre donnent la saisonnalité des naissances et des sépultures avant la Révolution à Saint-Julien. La chute des naissances en juin correspond, neuf mois avant, au travail du chanvre, fort pénible, durant lequel on concevait moins.

    Les naissances des mois suivants ne sont pas nombreuses : la conception était généralement moins facile l’hiver du fait de la promiscuité.
    La comparaison qui suit n’est pas une étude de démographie ; c’est une estimation rapide de la fréquentation du prêtre clandestin.
    En période clandestine, on aurait pu s’attendre à une chute du nombre de baptêmes et des mariages pour plusieurs raisons : difficultés à trouver un prêtre, nombre des victimes de la période révolutionnaire ayant entraîné une diminution des vivants, baisse probable de la pratique religieuse.

    Or, on constate l’inverse. René Lemesle a baptisé et marié chaque année en moyenne plus qu’en temps de paix prérévolutionnaire. Seul le nombre des sépultures montre une chute assez brutale.
    Les sépultures sont donc sous-déclarées, tandis que le nombre relativement élevé de sacrements de baptêmes et mariages, témoigne de la vitalité en cette période troublée.

    Il y a plus de mariages qu’avant la Révolution alors que trois prêtres y exercaient alors.
    Ce surcroît d’actes effectués par René Lemesle, est liée à la présence de nombreux non-Concellois (voir chapitres suivants).
    En période prérévolutionnaire les sépultures à Saint-Julien-de-Concelles sont surévaluées du fait de décès d’enfants nantais en nourrice. Ces mises en nourrice
    se ralentissent pendant la guerre civile, mais reprennent dès le moindre signe de paix ; les conditions de vie sont plus mauvaises à Nantes qu’à la campagne. La ville, qui a toujours eu un déficit démographique au XVIIIème siècle, offre une promiscuité favorable à l’élévation du taux de mortalité. Il semble que les enfants de réfugiés aient une mortalité supérieure à celle des enfants restés au pays ; il n’existe aucune étude sur ce sujet et cette constatation découle seulement d’observations personnelles.

  • Le courage des foules
  • Le nombre considérable d’actes contenus dans le registre de René Lemesle nous surprend puisque la population concelloise a eu des victimes pendant la guerre civile ; selon l’abbé Pétard, la moitié de la population aurait disparu (11). On observe le même phénomène sur le registre clandestin du Loroux-Bottereau pour la population lorousaine.
    Cette activité prouve que les survivants sont assez nombreux et ont maintenu une certaine pratique religieuse, et que les non-résidents viennent parfois de loin chercher un sacrement.
    Au XVIIIème siècle, les prêtres mentionnent très souvent les liens de parenté de tous les témoins ; René Lemesle aussi, et cela représente une foule de personnes car à chaque baptême, il faut, au minimum, le père accompagné d’un parrain et d’une marraine, et a chaque mariage, 7 à 10 personnes. Lorsque l’un des époux est mineur et orphelin de mère, à défaut de pouvoir se faire décréter de justice, comme avant la Révolution, on remet en vigueur l’ancienne coutume de Bretagne et on fait témoigner 6 à 10 parents supplémentaires. La majorité n’est qu’à 25 ans et les mineurs sont nombreux. Tous les prêtres du pays lorousain ont remis cette coutume en vigueur, car ils possédaient des éléments de Droit Coutumier.

    René Lemesle a baptisé 1 095 enfants, béni 411 couples, soit 822 époux, et enterré 412 morts. Certaines personnes ont participé à plusieurs cérémonies et quelques couples font baptiser jusqu’à quatre enfants.
    René Lemesle cite rarement le même jour des parrains et marraines communs à plusieurs enfants. Lorsqu’il a affaire à des non-Concellois, c’est-à-dire à des familles qui ont plus de difficultés que les autres à se déplacer en groupe, il se contente parfois de prendre le père de l’enfant précédent comme parrain du suivant. Les familles venues de loin se sont souvent déplacées ensemble et s’utilisent mutuellement comme parrains et marraines.
    Pour estimer combien de personnes ont rencontré René Lemesle, on élimine les recoupements et on atteint environ 3 300 personnes en l’espace de huit ans.
    Aucun n’hésite à décliner son identité. Pourtant, chacun sait que le prêtre note les liens de parenté et que les papiers peuvent être saisis avec lui par les républicains. Cette saisie du registre pourrait les faire condamner à mort par le tribunal révolutionnaire.
    En 1984, Rome a béatifié 50 personnes fusillées à Avrillé près d’Angers. Elles n’avaient commis d’autre crime que celui d’assister à une messe clandestine. Les Concellois risquaient eux aussi le martyre pour la foi. Ainsi, au delà d’une simple mesure de la pratique religieuse, les registres clandestins témoignent des risques pris par les populations pour rester fidèles à leur foi.
    Parmi les milliers d’actes dépouillés à ce jour, il n’existe qu’un cas d’absence d’identité. Ceci se passe au Loroux-Bottereau où des non-Lorousains sont venus faire baptiser leur enfant. Pressés de repartir chez eux, ceux-ci n’ont pas le temps de décliner leur identité, si bien que le prêtre n’a pas assez de temps pour noter et enregistre le 17.10.1794 :

    …Jean Visonneau fils de Georges et Anne Pineau, né à Haute-Goulaine le 17.10.1794, le parrain et la marraine n’ont pas décliné leur identité avant de s’en aller. (Registre clandestin du Loroux-Bottereau)

    L’importance de documents comme les registres de catholocité clandestins est inestimable. Ainsi, René Lemesle donne avec la même exactitude qu’avant la Révolution, c’est-à-dire avec une probabilité très élevée de précision, les filiations et les liens familiaux des personnes présentes. On peut reporter ces détails filiatifs sur les fiches de familles et les reconstituer. Ces fiches de familles complétées, permettent de pister la vie et de la situer dans le temps.
    En comptabilisant ainsi les vivants, on peut, a contrario, estimer les décès, car il y a deux façons de mesurer un verre à moitié plein : on peut mesurer la partie vide, mais aussi la partie pleine. Au lieu de tenter l’impossible martyrologe, on peut faire la démographie des survivants.

      « Toute science humaine, sans une puissante base démographique, n’est qu’un fragile château de cartes, toute l’histoire qui ne recourt pas à la démographie, se prive du meilleur instrument d’analyse. »
      Pierre Chaunu (21)

    Ouvrage paru en 1990
    (C) Editions Odile HALBERT
    ISBN 2-9504443-1-8

    Odile Halbert – Reproduction interdite sur autre endroit d’Internet Discussion autorisée sur ce blog.

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    Mémoire d’Avent, l’oeuvre clandestine d’un Angevin à Saint-Julien-de-Concelles 1794-1802 : René Lemesle – chapitre 1er

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    Chapître I

    DE L’ANJOU A SAINT-JULIEN-DE-CONCELLES

  • Neuville et Grez
  • La commune de Grez-Neuville, près du Lion-d’Angers, dans le Segréen, au nord de l’actuel département de Maine-et-Loire, a été constituée en 1789 du bourg de Neuville et de sa succursale paroissiale, Grez, située sur l’autre rive de la Mayenne. En 1766 les prêtres desservent la succursale, mais il n’y a pas de pont pour s’y rendre et la rivière est large…

    En ce 23 février 1766, le grand froid dure depuis si longtemps que J. Davy ne se sou-vient plus quand il a commencé : il a vu la Mayenne prendre en masse, et on la traverse à pied sec. Il a même entendu dire que la Loire est traversée elle aussi à pied, entre Saint-Florent-le-Vieil et Varades. Les anciens ont beau essayer de se remémorer, aucun hiver ne leur a laissé un souvenir aussi glacial depuis 1709.

    Engourdi par le froid, monsieur le vicaire de Neuville et Grez, vient de faire deux grosses ratures. Il s’est trompé de sexe dès le début de l’acte de baptême et cela n’est pas pardon-nable. Peut-on confondre Marguerite avec René ? Enfin, il a écorché le prénom de Françoise-Scholastique Gardais. Certes, elle porte un prénom peu fréquent, mais il figure pourtant dans le rituel et il l’a oublié.

    Maître Jean Lemesle, forgeron à Neuville, est heureux d’avoir un fils pour lui succéder un jour. Il aime sa forge et il en est fier, depuis qu’il a appris son métier à Nyoiseau chez le père Gardais. Car Jean est le troisième fils de Jean Lemesle et d’Anne Houdmond, issus d’une longue lignée de marchands de fil et de filassiers du Craonnais et du Segréen. Le fil ne suffisait plus à nourrir tous les Lemesle qui y travaillaient et Jean avait choisi la forge.
    Marié à Nyoiseau, le 12.02.1760, à Françoise-Scholastique Gardais, il a eu avant 1766 deux fils, prénommés Jean-Charles, décédés peu après leur naissance.
    Paul Gaudin, parrain de ce nouveau fils Lemesle, n’a pas donné son prénom au baptisé ! Il est pourtant cultivé : il signe très habilement. Les Lemesle ne peuvent donc pas faire comme tout le monde, et appeler leur fils Paul comme le parrain, ou Jean comme le père… Pensez donc, ils l’ont appelé René, comme de nombreux Angevins depuis ce Plantagenet. On aime tant se souvenir du bon roi René dans ce petit coin du diocèse d’Angers, tellement qu’à Neuville et Grez il y a autant de René que de Pierre (1). Tous les Angevins ont la même adoration pour leur roi favori et nulle part en France on a autant de René dans les familles du XVIIIème siècle.

    Mais l’abbé J. Davy est jeune et avec le temps, il s’habituera à écrire correctement « Scholastique ». Avec M. le Recteur, qui est très âgé, il a la charge de 1 300 âmes et administre chaque année en moyenne 35 baptêmes, 14 mariages et 33 sépultures (1).

    La besogne n’est pas facile depuis que le pont s’est écroulé. Pour traverser la Mayenne, qui sépare Neuville de sa succursale Grez, l’abbé J. Davy prend souvent le bac. Le prieur de la Chapelle de Grez, Louis-Sébastien Bestrie y dit chaque jour la messe sous le retable de cuir doré, sans avoir le droit d’administrer les sacrements de mariage et de baptême ; M. le Vicaire doit s’y rendre.

    Le petit René ne grandit pas longtemps à Grez-Neuville, car bientôt son père quitte la forge pour celle de Vern-d’Anjou, plus apte à nourrir la petite famille composée déjà de Marie-Anne, René et Charlotte-Françoise.

    L’église de Neuville, reconstruite en 1704, conserve encore, en 1990, un arceau ogival du XIIIème siècle et un autel richement décoré de marbre.

  • Vern-d’Anjou
  • La petite famille s’installe à Vern vers les années 1770. Le bourg est un noeud de communications : de Candé et du Louroux-Béconnais au Lion-d’Angers, et de Segré à Saint-Georges. Il est aussi un centre artisanal préindustriel, avec un four à chaux et une briquetterie à la Drouère, qui fournit « une excellente chaux, préférable à celle de Montjean et d’Angers » pour approvisionner le Craonnais, ainsi que des ardoisières à la Bichetière et à la Pinardière (2). En 1806, Vern compte 14 moulins dont 4 à eau et 4 huiliers, 9 filassiers, 4 cardeurs, 3 tanneurs, 1 charbonnier et 34 fileuses (2).
    Le jeune René grandit au milieu de ses quatre soeurs et de son frère, la famille s’est agrandie à Vern de Gervais, Anne et Perrine. Il aime le contact de ses camarades fils d’ouvriers et artisans, admire les fours à chaux, les ardoisières, où il se fait des amis. Il découvre les aspects variés des activités humaines et il saura bientôt s’y fondre comme un caméléon. Mais n’anticipons pas, car pour le moment son père le cherche encore.

    le prieuré de Vern en 1910

    Tout en martelant, Jean Lemesle fulmine. Françoise-Scholastique ne lui a donné qu’un « bon à rien » : René a encore disparu dans l’un de ces endroits dont il a le secret.
    Son fils se plaît mieux dans la fraîcheur de l’ancien prieuré, parmi les livres, que dans l’atelier de la forge.
    C’est pourtant à la forge qu’est sa place, car il faudra bien qu’il la prenne un jour en main, car Gervais n’en sera jamais capable : il est maladif.
    Il y a du travail à la forge et ce fainéant n’est pas pressé d’apprendre le métier de forgeron.

    Voilà qu’il s’est mis dans la tête d’étudier avec M.le Recteur. Qu’a-t-il besoin d’étudier ? On sait écrire depuis longtemps chez les Lemesle et cela est bien suffisant. Jean craint l’influence du prêtre qui pourrait bien lui ravir son fils.
    Puis un jour, René annonce à son père sa décision :

  • Tu es maréchal en oeuvres blanches ; ta forge attire du monde, et je sais que tu veux que je te succède, mais je souhaite entrer au séminaire car Dieu m’appelle à une autre forge, celle des âmes.
  • Françoise-Scholastique tente en vain de s’interposer entre les deux hommes qui s’affrontent maintenant. Elle est si fière de ce fils et elle souhaite tant qu’il devienne prêtre. Seulement, son père s’y oppose : il ne pense qu’à la forge…
    Elle se souvient alors de sa jeunesse et une idée jaillit dans sa tête :

  • Ne te tracasse donc pas comme cela pour la forge, Jean. Regarde plutôt chez les Phelippeau, à la Pouèze, ou chez les Robert, au Louroux-Béconnais : ils ont chacun un fils qui ferait bien l’affaire, et puis tes filles… Te souviens-tu comment tu m’as connue ?
  • Oui, Jean se rappelle. C’était à Nyoiseau, il y a tout juste 20 ans. Le père Gardais l’avait pris comme apprenti. Il avait une fille lui aussi… une Françoise-Scholastique. Les deux jeunes gens s’étaient unis au pied de la magnifique abbaye.
    Jean a déjà remarqué le jeune Mathurin Phelippeau de la Pouèze, et le jeune François Robert du Louroux-Béconnais : eux au moins, ils aiment le travail. Il pourrait en parler au père Phelippeau, et prendre son fils comme apprenti.
    Françoise-Scholastique a peut-être raison, et il s’avoue vaincu. Il a perdu son fils, car qu’est ce qu’un fils au séminaire pour un forgeron ? Alors, il admire l’ardeur de Mathurin, et l’une de ses filles fera bien l’affaire… Tout de même, jamais il ne pourra se faire à l’idée que lui, Jean Lemesle, a un fils prêtre.
    A la forge on voit passer du monde, ceux de Loiré, de Craon, de la Pouèze, du Louroux-Béconnais, de beaucoup plus loin ; on colporte les nouvelles, on discute.
    Vern se prépare à la Révolution, elle va devenir républicaine et Jean Lemesle sera bientôt l’un de ses partisans.

  • Chemazé
  • Située à 7 km au sud-ouest de Château-Gontier, la paroisse de Chemazé possède en 1789 deux succursales : Molière et Bourg-Philippe. Rattachée au diocèse d’Angers, elle va en être séparée le 26.02.1790 pour rejoindre le département de la Mayenne nouvellement créé.
    En ce mois de décembre 1790, René s’apprête à rendre visite à sa famille dont il n’est séparé que par 27úkm qui sont vite franchis à pied. Il vient d’être nommé à Chemazé, sur la route de Segré à Chateau-Gontier. A 24 ans, il manque d’expérience, mais doit prendre une terrible décision : il a l’intention d’en faire part à sa mère. Il redoute la discussion avec son père, car pour Jean Lemesle cela ne fait aucun doute : son fils doit prêter serment.
    Et Françoise-Scholastique est inquiète de ce serment car son intuition féminine lui annonce des jours difficiles pour son fils. Cette Constitution ne lui dit rien de bon. Qu’adviendra t-il s’il prête serment comme lui suggèrent son père et son curé, Jean Gentilhomme ? Elle a bien senti qu’il était influencé par les deux hommes, plus âgés que lui. Ils ont des tas de bonnes raisons : liberté, égalité, fraternité…, mais son René ne peut tout de même pas renier son Dieu !
    Doucement, elle le confie à la Vierge du retable qu’elle a vue dans l’église de Chemazé, le jour où toute la famille était venue assister à l’installation.

    Noël s’est passé dans la tension à la cure de Chemazé. Aujourd’hui Jean Gentilhomme et son vicaire René Lemesle allongent le pas pour rencontrer Louis Labouré, vicaire desservant la succursale de Molière.
    Les 4,2 km sont vite franchis, car les deux prêtres sont habitués aux distances à pied. De trente ans son aîné, M. le Curé exprime fermement sa position : « nous prêterons serment tous les deux ». Et chemin faisant, il affirme sa confiance en cette république naissante.
    La jeunesse de René le rend dépendant de cet homme si ferme sur ses positions. D’ailleurs, il se sent aussi ébranlé par la position de Pierre Letourneur, vicaire de la succursale de Bourg-Philipe, qui, lui aussi, préconise de prêter serment. Pierre Letourneur se rétractera après avoir prêté serment, et reprendra son ministère en 1801 (3).
    Louis Labouré, natif de Gennes, les reçoit cordialement, mais la discussion est vive cependant. Louis n’est pas de l’avis de son curé, mais il ne réside pas sous le même toit et peut se montrer plus indépendant. Il s’apprête à refuser le serment ; plus tard il rejoindra l’armée vendéenne, puis se cachera dans le pays de Laval, Meslay et Changé, avant de devenir au Concordat curé de Loigné (4).

    Jean Gentilhomme, né à Angers en 1737, curé de Chemazé, sera élu officier municipal après son serment, mais sera destitué le 09.01.1793. Il apostasiera le 07.02.1794 et jouira à Château-Gontier d’une pension de l’état en 1796 (4).

    Nous retrouvons René Lemesle grâce à l’article « Chemazé » du dictionnaire bibliographique de l’Abbé Angot pour la Mayenne, et l’article « Vergonnes » de celui de Célestin Port pour l’Anjou (5,ancienne édition)

    René Lemesle prête d’abord un serment restrictif, mais finit pas suivre l’exemple de son curé. Il est nommé curé de Vergonnes le 02.08.1791. Il ne reste curé intrus de Vergonnes que cinq semaines et est remplacé le 13.09.1791 par Violay (3).

    Lemesle, vicaire de Chemazé, est élu le 02.04.1791, mais c’est Gagneux qui signe en 1793 « curé et officier public » (5).

  • Vergonnes
  • Bordée au nord par la forêt d’Ombrée, surplombant Noëllet et Combrée, entre Pouancé et Le Lion-d’Angers, la bourgade de Vergonnes ne compte que 248 âmes. Le maire, Jacques Jallot, est un bon patriote. Le curé Trochon a prêté serment en février 1791, puis s’est rétracté aussit“t. Il sera arrêté le 4 germinal V (=24.03.1797).
    Voici donc René, à peine âgé de 25 ans, nommé curé assermenté d’une paroisse de 248 âmes majoritairement patriotes, en pleine région de bourgs patriotes.
    Le registre de catholicité de Vergonnes est muet sur Lemesle. S’il y est resté un mois, il n’a laissé aucun acte dans le registre. C’est Paillard, vicaire, qui le signe jusqu’au 28.08.1791 et ses actes se suivent à un rythme normal. Puis, dès le 06.09.1791, on voit la signature de Gagneux qui y reste longtemps ; il signe en 1793 « curé et officier public ».
    Les sources écrites utilisées par Célestin Port (5), qui indiquent que René Lemesle n’aurait été que le seul mois d’août 1791 curé intrus de Vergonnes, sont probablement des traces de sa nomination ; il n’y a aucune trace de son installation dans le registre de catholicité et par ailleurs le registre communal des délibérations de cette époque n’existe plus.
    René Lemesle ne s’est donc probablement jamais présenté à Vergonnes et il disparaît dès août 1791. Qu’est-il devenu de 1791 à 1793 ?

  • La longue marche
  • Pendant les deux années qui suivent le mois d’août 1791, on perd la trace de René Lemesle. Il n’est pas pensable qu’il soit allé se cacher à Vern chez un père patriote, qui l’aurait mal supporté, au milieu d’un bourg très patriote.
    René va immédiatemment apprendre à se cacher tout seul, en se transformant en ouvrier agricole, etc,… favorisé en cela par son jeune âge et sa force physique.
    Il sait utiliser toutes les formes de déguisement pour se rendre « invisible », et n’a qu’une obsession : ne pas impliquer sa mère et ses soeurs.
    Il parviendra si bien à ne pas compromettre sa famille et à se faire oublier, que, lorsque Françoise-Scholastique sera arrêtée avec deux de ses filles, Marie et Charlotte, elles seront envoyées à la Commission Militaire d’Angers par Chollet, agent municipal du district de Segré le 27 germinal II (=16.04.1794), mais elles ne seront pas exécutées (Liste des prisonniers de Vern envoyés à la Commission militaire d’Angers par Chollet, agent national du district de Segré) : femme Lemesle (sa mère), fille Lemesle (sa soeur), femme Phelippeau (sa soeur) (6).
    Sa soeur Marie épouse constitutionnellement à Vern, le 21.11.1791, Mathurin Phelippeau. Sa seconde soeur, Charlotte, épousera François Robert le 20.11.1798 au Louroux-Béconnais.
    A quelques kilomètres de Vern, Noël Pinot, curé insermenté du Louroux-Béconnais, prêche la résistance à la Constitution Civile du Clergé ; il doit se cacher avant de mourir sur l’échafaud le 27.02.1794, place du Ralliememt à Angers.
    La bonne parole de celui qui deviendra le bienheureux Noël Pinot parvient-elle à René ? On peut le supposer. René, qui ne fait pas connaître sa qualité de prêtre, et encore moins sa qualité de prêtre assermenté, commence clandestinement une longue marche de réhabilitation, car il regrette son serment. Pendant cette période de sa vie, il fait l’apprentissage de la clandestinité dans laquelle il excellera.
    Il se cache au nord-ouest de l’Anjou, région qui vit quelques soulèvements dès mars 1793. La répression est sévère à Combrée qui compte 22 hommes guillotinés le 01.04.1793 (7). Peu après, avec un groupe d’angevins du nord de la Loire, René Lemesle rejoint près de Nantes la division de Lyrot, qu’il suivra désormais. Il a définitivement tourné le dos à Vern la patriote. Voici ce qu’en dit l’Abbé Angot :

    René Lemesle, vicaire, finit par se joindre aux Vendéens ; il affirme en l’an X qu’il assistait Bonchamps quand il sauva la vie aux prisonniers républicains, à Saint-Florent. Il habitait alors à Saint-Julien-de-Concelles, agé de 36 ans. Il passa dans le diocèse de Nantes, décédé à Nantes le 07.04.1824 (4).

    Ce passage à Saint-Florent-le-Vieil peut être rapproché de l’anecdote ci-après, racontée dans ses Mémoires par la marquise de la Rochejacquelein :

    On promena un peu M. de Lescure sur la plage, pour éloigner la foule, et, dans le moment où elle était moins nombreuse, une quarantaine d’officiers mirent le sabre en main et formèrent un cercle ; par ce moyen, on l’embarqua facilement. M. du Rivault, ma fille, mon père et moi, avec nos domestiques, nous sautâmes dans le bateau. Melle de Mesnard aussi ; mais le bateau étant trop petit, nous lui dîmes que nous ne pouvions y prendre sa mère, couchée sur un brancard, et elle redescendit à terre.
    Nous voilà donc partis; un matelot en chemise, tout en sueur, nous conduisait ; mon père lui dit de nous faire contourner l’île et de nous mener jusqu’à Varades, pour éviter à M. de Lescure le danger et la fatigue d’un double débarquement. Jamais on ne put l’y faire consentir par promesse, ni par menace ; enfin mon père tira son sabre, alors cet homme lui dit : Monsieur, je vous avoue que je ne suis pas marin, je suis un prêtre ; la charité me fait passer ces pauvres gens depuis huit heures sans relâche, faute de matelot, mais je n’ose traverser que ce petit bras peu profond, et je risquerais de vous noyer si je vous faisais faire le tour de l’île. Nous fûmes contraints d’y débarquer… (8)

    La marquise avait une mémoire considérable des noms. Si le prêtre avait dit son nom, elle l’aurait sans nul doute retranscrit. Il existait donc au sein de l’armée catholique et royale des prêtres qui se faisaient discrets sur leurs origines. René Lemesle en était ; il avait de bonnes raisons, sa famille, son serment. Le 23 novembre 1793, Jean Lemesle et Mathurin Phelippeau, père et beau-frère de René, déclarent le décès de Gervais, le fils cadet de Jean. A-t-il reconnu quelques semaines plus tôt son frère René dans les rangs de l’armée vendéenne ? A-t-il tenté de le suivre ? Nous savons seulement que l’armée vendéenne est bien passée à Vern fin octobre 1793.
    Gervais est-il mort naturellement ? Nul ne sait, mais à Vern les règlements de compte et les morts violentes furent nombreuses pendant la guerre civile (voir Annexe I).

  • Le ministère clandestin
  • Saint-Julien-de-Concelles s’étale sur 6 km, sur la rive gauche de la Loire, à l’est de Nantes. Bordée par La Chapelle-Basse-Mer, Le Loroux-Bottereau, Haute-Goulaine et Basse-Goulaine, cette paroisse de 3ú200 ha compte 3ú165 habitants en 1790 (9). Leur activité est tournée vers le trafic fluvial, la pêche, la culture de la vigne, du chanvre…
    L’abbé Frémont, vicaire insermenté de Saint-Julien, y exerce clandestinement fin 1791, puis il est à Haute-Goulaine début 1792. Il sera arrêté le 05.06.1792 et déporté en Espagne. Un prêtre irlandais, du séminaire de Nantes, vient pendant quelques mois dire la messe dominicale en l’église de Saint-Julien à 7 h, alors que Le Couteux, curé assermenté, la dit à 10 h. Cette situation est probablement due à l’organisation de fidèles (voir p.63). Les conflits sont nombreux :

    A messieurs les administrateurs du district de Clisson : nous vous donnons avis que le sieur Formon (sic) prêtre cy devant vicaire de Saint-Julien-de-Concelles, après avoir passé trois mois dans notre municipalité, et exercé toute l’emprise de l’aristocratie, s’est retiré depuis quelque temps à Haute-Goulaine et qui entraîne une grande partie des habitants de notre paroisse, qui les confesse et leur fait faire leurs pâques depuis le commencement du Carême, et attire aussi la majeure partie des enfants, qu’il leur fait faire leur première communion quoiqu’ils ne soyent point instruits de leur religion ; tous les jours le nombre en diminue dans notre église puisque nos prêtres nous en ont porté plainte, c’est pourquoi que nous vous le dénonçons et requerons qu’il soit conduit au département lieu de sa destinée suivant l’arrêté du département et sommes messieurs avec un fraternel attachement à Vertou le vingt et un mars 1792, vos très humbles serviteurs Saupin maire, Michel David, Gendron officier municipal, Besnard, Rozier, Affilé, Sauvestre (10)

    A messieurs les membres du directoire du département de la Loire-Inférieure résidant à Nantes : le citoyen Riverin Md épicier à Nantes ayant esté passer les festes de Pasque au bourg et paroisse de Saint Julien canton du Loroux, y a vu avec surprise un prêtre irlandais non conformiste y dire la messe et ce à l’invitation de nombreux aristocrates qui se cotisent entre eux pour le salaire du dit prêtre a qui ils donnent six livres par chaque messe à l’insu du curé constitutionnel, ce qui attire un monde considérable de l’endroit et des paroisses voisines, qui ne veulent pas reconnaître de prêtre assermenté, si bien qu’à la grand’messe de la paroisse, il ne se trouve pas soixante habitants patriotes. D’après cet exposé il en a résulté une rixe populaire, dont j’esté le témoing. Un nommé Guillaume Pineaux, domestique dans la paroisse du Loroux, ayant refusé à payer sa contribution pour la messe du prêtre irlandais le jour de pasque a été battu et maltraité dans la cimetière et à la porte de l’église de Saint Julien, après la dite messe basse qui se dit à sept heures du matin, heure ordinaire, qui se dit tous les faites et dimanche depuis environ cinq mois, le dit Guillaume Pineau étant bien blessé a esté trouvé le chirurgien juré du Loroux qui la pansé comme il apput. Par son procès verbal, attaché en joint, que je requis pour preuve des faix que je citte cy dessus et dont plusieurs citoyens patriotes du dit lieu mon priez de dénoncer devant vous, ne voulant pas paraître estre le dénonciateur des troubles que cette messe occasionne, crainte destre assommé par ces fanatiques qui les menassent tous les jours, c’est pourquoi ils désiraient que cette messe nussent plus lieu et que votre arresté soit suivie de point en point, qu’il vous plut de déffendre au prêtre irlandais d’aller davantage faire aucun office ecclésiastique dans l’église de Saint Julien. Le curé Mr le Couteux est bien du mesme avis, mais nossent vous requerir par la mesme cause de ces bons citoyens, je me suis chargé de la présente requeste pour vous prier d’y avoir égard. signé Riverin, Nantes le 11 avril 1792 (10)

    Rapporté par moi René Denis Ragneau Maitre es arts et en chirurgie, chirurgien juré commis au rapport demeurant ville et paroisse du Loroux Bottreau, département de la Loire Inférieure, district de Clisson, Canton dudit Loroux, que ce jourd’hui avril 1792 l’an 4 de la liberté, le nommé Guillaume Pineau agé de 49 ans domestique chez Pierre Lembert laboureur à ses terres demeurant au village de la Guissaudière en cette paroisse du Loroux, est venu me trouver à mon domicile se plaignant davoir été battu et maltraité ce même jour, auquel j’ai remarqué deux contusions l’une légère sur la partie moyenne postérieure de l’avant bras gauche et au dessous du coude une autre plus considérable large de 8 pouces environs du même c“té, encore du même c“té une excoriation sur le coude, ce qui relativement aux fêtes ne peut l’empêcher de vaquer Mercredi à son travail qi’il n’arrive pas d’accident. Les contusions et excoriations paroissent faite par un instrument contondant comme baton, pierre, chute ou autre. Je certifie le présent sincère et véritable en foi de quoi… signé D. Ragneau (10)

    René Lemesle arrive à Saint-Julien-de-Concelles le 07.10.1794. Il vient de Saint-Sébastien, car les deux premières minutes copiées dans le registre sont des baptêmes de Sébastiennais âgés de deux et trois mois respectivement.
    Son action a été relatée 100 ans après par l’abbé Petard (11) :

    « René Lemesle né le 23.02.1766 à Grez-Neuville, vicaire à Chemozé (sic) (partie de l’ancien diocèse du Mans, dont a été formé celui de Laval). Au passage de l’armée vendéenne, il s’était attaché à nos paysans et était venu chercher asile sur le territoire de Saint-Julien. Cet abbé Lemesle devint l’ap“tre de notre pays pendant les plus mauvais jours de la Révolution. Il ne comptait encore que 28 ans quand il se rencontra pour la première fois avec l’abbé Bertaudeau. Déguisé et changeant d’asile tous les jours, il échappa constamment aux poursuites acharnées dont il fut l’objet. Il célébrait la messe et administrait les sacrements partout o— il le pouvait, dans les granges, dans les celliers, quelquefois en plein champ (la messe fut assez souvent célébrée aux Planches, à la Vrillière et dans les greniers de la Richardière, au bourg). Semblable aux prêtres de la primitive église, il avait avec lui son diacre qui ne le quittait point et l’aidait dans la célébration des saints mystères. L’abbé Lemesle eut près de lui l’abbé Bertaudeau jusqu’au mois de mai 1795. Le vénérable confesseur de la foi portait partout sur lui un petit registre, sur lequel étaient inscrits fidèlement les baptêmes, mariages et sépultures. Ce registre, précieuse relique d’un apôtre dont le nom sera à jamais béni parmi nous, existe encore pour l’année 1799 et les années qui suivent jusqu’en 1803. Les actes antérieurs à l’année 1799 ont été perdus ; mais une copie bien fidèle en est conservée dans les archives du presbytère. » (11)

    En 1802, l’abbé Charbonnier vient aider quelques mois Lemesle.
    Gautron, fabriqueur en charge, verse une somme de 137 livres à Charbonnier. Les Concellois estiment qu’elle appartient à René Lemesle :

    « Il n’est pas juste, disent-ils, que M. Lemesle, ancien desservant, soit frustré de son traitement au profit d’un nouveau qui n’est arrivé que 5 mois après l’amas de la somme » (11).

    Pendant 7 ans, avant cet incident, l’abbé Lemesle a vécu de l’hospitalité et de la charité de ses ouailles. En février 1803, il est nommé vicaire à Saint-Nicolas de Nantes et c’est Mathurin Livinic qui prend la cure de Saint-Julien. Cependant son départ de la paroisse laissera des regrets universels parmi les Concellois. Ceux-ci ne surent probablement jamais qu’il avait autrefois prêté serment. Il s’était certes immédiatement racheté, et ceux qui avaient connaissance de l’existence de ce serment étaient en Anjou.
    En règle générale, pendant la guerre civile, la population gardait un certain mépris pour les jureurs qui s’étaient repris par la suite. Ainsi à Chanzeaux, on raconta au comte de Quatrebarbes, 30 ans après les faits, l’anecdote suivante. Les assiégés sont réfugiés dans le clocher, sous la conduite de Maurice Ragueneau. Les républicains ont amené de la paille et mis le feu :

    L’abbé Blanvillain, environné de mourants qui lui demandaient sa bénédiction venait d’être blessé à la tête. Inondé de sang, épuisé de souffrances en face de cette mort présente de toutes parts, un dernier regret de la vie s’empara de son âme, et sa bouche laissant échapper quelques paroles de merci, il exprima à voix basse le désir de se rendre. « Qu’ai-je entendu ? reprend Ragueneau ; ah, monsieur, est-ce à vous de mendier votre vie ? Rappelez-vous le serment sacrilège que vous avez prononcé ; Dieu vous donne pour l’expier le bonheur du martyre. Remerciez le, priez pour nous, et donnez l’exemple du courage … » (12)

  • René Lemesle oublié
  • Nommé vicaire à Saint-Nicolas de Nantes en février 1803, curé de Teillé en 1808, curé de Cordemais en 1810, aumônier du lycée de Nantes en 1818, René Lemesle meurt iacre d’office à la cathédrale le 07.04.1824.
    Sa soeur cadette, Anne, a épousé à Vern le 24.11.1801 un marchand de toile, René Poirier, qui s’installe à Nantes vers 1805. Leurs deux enfants, également marchands de toile à Nantes, furent sa seule famille proche.
    De nos jours, nul ne se souvient de lui à Grez-Neuville et à Vern-d’Anjou. Aucune trace de lui dans les archives et monographies communales. Seuls, Mercier-la-Vendée du Lion-d’Angers, et les serviteurs de M.de la Grandière, ont laissé à Grez-Neuville le souvenir de la guerre civile (1).
    René Lemesle aurait aimé cette discrétion, toute à son image. Mais deux siècles ont passé, et pour sauvegarder l’oeuvre des prêtres clandestins, il paraissait souhaitable de faire connaître un exemple.
    J’ai choisi le registre clandestin de Saint-Julien-de-Concelles par hasard, dans le seul but d’attirer l’attention sur ce type de documents en voie de perdition.
    Ces registres conservent la trace de l’héro‹sme de beaucoup de nos ancêtres et leur mémoire y est consignée. Les Concellois risquaient le martyr pour la foi (voir p.30).
    J’avais commencé la copie informatique du registre de Saint-Julien, afin d’en assurer la sauvegarde, lorsqu’une chose étrange m’arriva.
    Une nuit, je me suis réveillée avec une intuition : « Ce Lemesle dont j’allais faire connaître l’oeuvre ne m’était pas inconnu » ! J’avais autrefois fait une généalogie « Lemesle » dans le Segréen, et des générations de marchands de fil, dont je descends, s’y succédaient de 1600 à nos jours.
    Me levant immédiatement, je me dirigeais vers mon dossier généalogique « Lemesle », qui sommeillait depuis plus de 5 ans. A peine ouvert, le dossier confirmait l’intuition : René Lemesle était présent à Vern en 1800 comme « témoin » d’une déclaration de naissance à l’officier municipal. Il y était dit « vivant à Saint-Julien-de-Concelles ».
    Le prêtre clandestin, dont j’allais faire connaître l’oeuvre, était à Vern en 1800 et il m’était allié.
    Une grande émotion me saisit alors : je travaillais depuis plusieurs années sur la population lorousaine sans me douter que j’avais un lien quelconque de parenté avec le prêtre clandestin voisin de Saint-Julien !
    Remontant alors du doigt la volumineuse descendance, à la recherche du lien de parenté, je découvrais qu’il était le frère de mon ancêtre Marie, celle-là même qui épousa constitutionnellement Mathurin Phelippeau.
    Je me recouchais, avec la certitude qu’une main divine m’avait guidée à lui.

      à René LEMESLE mon « arrière (4 fois)…grand-oncle »
      fait à Nantes le 25.12.1990
      Odile HALBERT

    Odile Halbert –
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    Mémoire d’Avent, l’oeuvre clandestine d’un Angevin à Saint-Julien-de-Concelles 1794-1802 : René Lemesle – chapitre 2

    (C) Editions Odile HALBERT
    ISBN 2-9504443-1-8
    VOIR LE SOMMAIRE

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    Chapître II

  • DANS LE SILENCE DES CLOCHERS
  • Dans le silence des clochers
  • Le « silence des clochers » est l’expression utilisée par certains auteurs (13) pour masquer la double face de la réalité religieuse et ne retenir que le côté négatif. Ceux qui étalent complaisamment l’apostasie sont plus discrets pour mettre en avant l’héro‹sme de beaucoup d’autres prêtres : l’église du silence a de tous temps répondu au silence des clochers. C’est elle qui de nos jours, comme il y a deux siècles, envers et contre tout, a maintenu et maintient encore la lampe allumée en Chine, en URSS et partout où l’église est en détresse.
    Les saints ne s’épanouissent pas nécessairement dans le bruit des cloches. Le silence de celles-ci favorise leur éclosion car c’est dans l’épreuve que se révèlent les plus grands.
    Non seulement des prêtres catholiques insermentés ont exercé leur ministère clandestin dans le silence, mais ils manquaient aussi des éléments indispensables à leur ministère. Les cloches ne sont pas indispensables, mais le vin, le pain et le papier le sont. Les deux premiers n’ont pas manqué à Saint-Julien-de-Concelles pays de vigne : les républicains n’ont pas tout pris ou détruit. Le papier a fait défaut, or, le prêtre doit noter. Il consigne méthodiquement les baptêmes depuis l’ordonnance de Villers-Cotterêts en ao–t 1539, et les baptêmes, mariages et sépultures depuis celle de Blois en mai 1579. Les registres, tenus obligatoirement en double, sont confidentiels encore de nos jours, pendant 100 ans.
    Voici comment l’Evêque de Nantes rappelait cet aspect de la confidentialité dans le « Rituale nannetense » de 1776 :

    Ces Registres étant d’une extrême conséquence pour la tranquillité des familles, les Curés et Vicaires apporteront tous leurs soins pour les conserver et les tenir en bon ordre. Pour cet effet ils les garderont enfermés sous la clef ; et comme ils contiennent souvent des secrets très importants à l’honneur des familles, ils ne les confieront à personne, non pas même à leur sacristain ; et ils ne s’en rapporteront pas à lui pour dresser ces Actes ; l’expérience faisant connoitre que la plupart de ces sacristains ne sont pas instruits de ce qui est essentiel à ces Actes, pour être chargés de leur enregistrement (14).

    La tenue d’un registre est difficilement conciliable avec la clandestinité. On ne retrouve pas de registre clandestin avant août 1794 en pays lorousain. A cette date, la hiérarchie a manifestement autorisé la tenue de registres ou de minutes, sous réserve d’un minimum de garantie du secret, malgré la persécution. Les confréries servirent-elles de garant de la confidentialité en assurant la garde des papiers ? En raison de son volume, un registre circulait rarement sur le prêtre ; celui-ci rédigeait des minutes d’actes pour les recopier, quand cela était possible, sur le registre qui restait caché en lieu sûr. C’est certainement de cette manière que René Lemesle opérait.

  • L’attente concelloise
  • René Lemesle a desservi Saint-Julien-de-Concelles pendant 8 ans et 2 mois. Les Concellois se sont en grande partie soulevés en 1793. Le pays concellois comprend surtout La Chapelle-Basse-Mer et Le Loroux-Bottereau. Ces deux paroisses représentent à elles seules plus de la moitié des mariages avec des non-Concellois avant 1789. Viennent ensuite les paroisses voisines : Basse-Goulaine, La Chapelle-Heulin, La Boissière-du-Doré, La Remaudière, Landemont, La Varenne. Les alliances plus lointaines sont épisodiques.
    Le pays concellois bute contre la Loire, frontière naturelle étudiée par Yves Durand (15), qui y voit les différences de culture historico-géographique entre les deux rives. La guerre civile va quelque peu rendre perméable cette frontière. Une partie de la municipalité concelloise ne s’est-elle pas réfugiée à Thouaré dès mars 1793 !
    Lorsque René Lemesle arrive, et commence son ministère, la paroisse est sans prêtre ; toutefois, un diacre natif de Saint-Julien, Sévère Bertaudeau, a recopié quelques baptêmes de Concellois faits par les recteurs Massonnet et Robin. Lui-même a commencé à baptiser, mais n’a sans doute pas pris seul l’initiative de cet intermède. On peut supposer une intervention des confrères (voir chapître « les Réseaux concellois »), en contact avec la hiérarchie catholique réfractaire.
    René Lemesle commence à baptiser le 07.10.1794 des enfants qui ont quelques jours à un mois, à l’exception de 3 enfants âgés de quelques mois. Puis la règle du baptême dans les trois jours est suivie. Que s’est-il passé entre-temps pour que l’on trouve peu d’enfants âgés dans les premières semaines de son ministère ?
    La Virée de Galerne d’octobre à décembre 1793, les colonnes infernales en mars 1794, les mauvaises conditions de vie de l’automne 1793 à août 1794, ont pu faire chuter la natalité et augmenter la mortalité infantile. On serait tenté de conclure, au premier abord, que s’il n’y a pas de baptisés âgés, c’est qu’il y a peu d’enfants.

    Avant l’arrivée de René Lemesle, on observe quelques retranscriptions de baptêmes de Concellois bénis par Massonnet et Robin en août 1794. Le registre du recteur Robin à La Chapelle-Basse-Mer a brûlé pour cette période. Il refit aussitôt un autre registre qui ne contient pas les mêmes actes de baptêmes que ceux retranscrits à Saint-Julien. Robin a baptisé au moins 6 Concellois connus, deux de 7 mois. Les Concellois, pendant l’absence de prêtre insermenté, ont donc cherché un prêtre ailleurs et n’ont pas hésité à se déplacer.
    L’attitude des Concellois, pendant cette période de privation de prêtre, peut être appréhendée à travers les registres voisins. En effet, on y décèle le comportement des populations privées, ou non, de prêtre. Le registre clandestin du Loroux-Bottereau, entre autres, permet de retracer les conduites individuelles, famille par famille, en particulier pour les non-résidents.

  • Les non-Lorousains baptisés au Loroux
  • Les Concellois, comme d’autres populations privées de prêtre avant août 1794, ont été au Loroux-Bottereau où Clair Massonnet, baptise 88 enfants non-Lorousains entre le 09.08.1794 et le 03.02.1795, dont 35 nés à Saint-Julien-de-Concelles, 28 à Haute-Goulaine, 9 à Basse-Goulaine, 7 à La Chapelle-Heulin, 7 à Vertou, 2 à la Haye-Fouassière. Deux enfants n’ont pas été pris en compte car ils se révèlent des enfants de Lorousains réfugiés dans leur proche famille, l’un à Rezé, l’autre à Nantes.
    Les Concellois sont baptisés entre le 9 août et le 16 août, puis ne vont plus au Loroux. M. Robin et S. Bertaudeau, le diacre concellois, ont pris la relève.

    Ainsi, le 24.08.1794, M. Robin s’intitule « recteur du Pellerin desservant la paroisse de Saint-Julien, où il n’y a aucun prêtre maintenant, et celle de La Chapelle-Basse-Mer ». Pour ce baptême d’un Concellois, M. Robin se déplace lui-même à la Chebuette « baptiser au foyer à cause de la persécution ». L’enfant a 6 mois et demi : à cet âge, et en cette saison, les parents pouvaient lui faire faire quelques kilomètres.
    De février 1795 à juin 1797, il n’y a pas de baptêmes de non-Lorousains dans le registre du Loroux. Les non-Lorousains ont sans doute trouvé un autre prêtre.
    Les baptisés non-lorousains, toutes paroisses d’origine confondues, sont âgés, alors que la règle est de baptiser dans les trois jours (voir p.31). Plus les baptisés sont âgés, plus les parents ont rencontré de difficultés pour trouver un prêtre qui leur convienne.
    Si on considère les dates de naissance, et non les dates de baptême des baptisés non-Lorousains, on observe une corrélation entre leur nombre et le calendrier des difficultés.
    On voit ci-contre que la pénurie de prêtre commence en septembre 1793. Si elle avait été plus ancienne, on observerait des enfants plus âgés en plus grande quantité.
    La période critique culmine de novembre 1793 à août 1794. Après cette date, des prêtres clandestins apparaissent progressivement dans le pays.
    La courbe ci-dessus doit être rapprochée de celle de la saisonnalité des naissances (voir p.28). Le mois de juin est un mois naturellement creux en période normale, par conséquent la baisse en juin n’est pas significative. On dénombre 35 Concellois baptisés au Loroux, ce qui signifie qu’il n’y a aucun prêtre à Saint-Julien-de-Concelles avant René Lemesle. Cette courbe met en évidence, a contrario, l’absence de prêtre et cette observation concorde avec la phrase de M.Robin fin août 1794, citée ci-avant. On a ainsi la certitude que René Lemesle n’était pas physiquement présent à Saint-Julien avant le 07.10.1794.
    Dans le registre du Loroux, entre juin 1797 et ao–t 1799, il y a de nouveau des baptisés non-lorousains. Ils sont, cette fois, au nombre de 79, dont : 38 baptisés âgés, nés à Vallet, 24 à La Chapelle-Heulin d’âge très variable, 6 à La Chapelle-Basse-Mer, 3 à la Remaudière, 2 à Monnières, 2 à Saint-Sébastien, 2 à Saint-Julien-de-Concelles, 1 à Nantes Saint Denis, 1 à Haute-Goulaine. Il est intéressant de les étudier, car ils reflètent les difficultés momentanées propres à chaque paroisse.
    Les difficultés à Vallet culminent entre octobre 1798 et mars 1799. A La Chapelle-Heulin, le recteur Marchand est présent entre 1795 et 1796 et l’est moins régulièrement en 1797 : beaucoup d’enfants ont deux ans et plus.
    Mis à part les baptisés nés à Vallet et à La Chapelle-Heulin, tous les autres enfants sont nés dans des familles ayant des attaches familiales au Loroux.

    Ainsi, en juin 1795 Denis Guillet baptise la fille de Louis Godin meunier à Sèvres en Saint-Sébastien, âgée de 23 mois. Ce Louis Godin est né au Loroux et a épousé à Pirmil en Saint-Sébastien, le 17.06.1788 la fille du meunier de Sèvres.
    Le jeune couple est installé à Sèvres avec le beau-père, mais les échanges commerciaux et familiaux entre meuniers sont maintenus.
    Le 25.08.1797, l’abbé Guillet baptise Jean-Louis Grandpoirier né à Saint-Julien-de-Concelles. Son père, Pierre-François Grandpoirier, né à Salins dans le Jura, chasseur au Bataillon de Cassel, a épousé à Nantes-Lepelletier, le 11.09.1794, Jeanne Alalinard, née à Oudon d’un père natif de Lourdoueix-Saint-Pierre près de Guéret dans la Creuse. Le couple vit à Oudon, déclare l’enfant né à Saint-Julien, mais a des attaches lorousaines, puisque le père Alalinard, couvreur, s’était installé au Loroux en 1769 et puisque Maurice Alalinard, le frère de Jeanne, y vit pendant la Révolution. Cette famille n’a rien à voir avec Saint-Julien et ne faisait qu’y transiter.

  • Le choix du prêtre ?
  • Si la présence dans le registre du Loroux de baptisés non-lorousains, âgés ou non, d’ao–t 1794 à février 1795, est liée aux difficultés des populations voisines à trouver un prêtre pendant cette période, on est tenté de conclure que leur absence par la suite correspond à l’apparition de prêtres clandestins dans ces paroisses. La date de février 1795 est celle de la pacification et de l’espoir qui va durer un peu ; le culte a repris, même s’il n’a pas laissé de traces écrites d’actes.

    Existe-t-il des actes de baptêmes et mariages dont nous n’avons aucune trace ?

    A cette hypothèse, on pourrait objecter la baisse de la pratique religieuse de ces populations après février 1795, ou la fréquentation d’un prêtre assermenté à défaut de prêtre insermenté. L’étude ci-après tente d’appréhender le comportement de ces populations privées de prêtre. Nous verrons successivement le cas de Nantes, avec prêtre assermenté, puis celui de paroisses sans prêtre assermenté.

    Ainsi, toutes les familles de Nantes-Saint-Jacques n’acceptent pas le prêtre assermenté : certaines vont aller à Saint-Julien voir René Lemesle (voir p.35), ou au Loroux comme ci-avant (voir p.23) et vraisemblablement ailleurs. Pourtant 362 enfants sont baptisés à Saint-Jacques de Nantes du 01.01.1796 au 05.06.1796 par le prêtre constitutionnel. Le délai de baptême dans les trois jours y est respecté, même pour les enfants nés hors de la paroisse. Seuls quelques baptisés ont quelques mois et même quelques années. Ce registre constitutionnel des baptêmes de Saint-Jacques est écrit sur un livre de comptes de l’Oratoire. La récupération de registres, devenus désormais inutiles, pallie l’absence de papier, qui fait défaut même à un prêtre assermenté.
    Les baptisés âgés ne sont donc pas seulement le reflet de l’absence de prêtre. Ils témoignent aussi de l’attachement des parents à un prêtre insermenté. Il y avait des paroisses qui possédaient encore un prêtre assermenté, accepté par la majorité de la population, mais rejeté par quelques familles.

  • La continuité dans la pratique
  • La pratique religieuse d’une famille est continue : si elle fait baptiser un nouveau-né et a par ailleurs un enfant de 18 mois dont le baptême nous est inconnu, c’est que le baptême de ce dernier ne nous est pas parvenu et non que l’enfant n’a pas été baptisé. Cette continuité s’observe sur les familles lorousaines reconstituées.

    Cette règle de la continuité s’est avérée au fur et à mesure que les registres clandestins du pays lorousain étaient mis sur ordinateur. Au départ, seul celui du Loroux-Bottereau avait été dépouillé, dans le cadre de l’étude de démographie historique de la période révolutionnaire. Ce registre est relativement volumineux et il est supposé complet. Il laisse cependant des lacunes inexpliquables dans certaines familles : il manque soit un mariage, soit un ou plusieurs baptêmes, dans des familles qui ont une attitude clandestine prononcée. On peut en déduire que des actes religieux ont existé ailleurs ; le registre clandestin du Loroux-Bottereau n’est pas exhaustif.
    A ce stade du dépouillement, l’hypothèse de l’existence d’un autre registre clandestin, qui aurait précédé celui qui est connu, paraît plausible. Si l’on considère la difficulté à avoir du papier, soulevée par Clair Massonnet au début du registre du Loroux, on peut admettre qu’avant ao–t 1794 les baptêmes auraient été notés sur des minutes volantes qui ont disparu. Ce préregistre n’expliquerait pas toutes les lacunes, car le dépouillement exhaustif des registres des paroisses voisines comble une grande partie des lacunes. Ils contiennent des actes qui manquaient dans les familles lorousaines. L’une de ces familles est citée au chapître « Pertes de mémoire ».

    Le registre de Saint-Julien-de-Concelles a engendré, à son tour, des lacunes, par extension du phénomène à des familles concelloises, sébastiennaises (voir p.50) ou bas-goulainaises (voir ci-après) ; d’où l’existence d’actes inconnus.
    Tous les actes clandestins ne nous sont donc pas parvenus. Chaque registre ne recouvre pas la totalité d’une paroisse, même lorsque le prêtre est solidement ancré sur place pendant la durée de la guerre civile comme au Loroux, à La Chapelle-Basse-Mer et à Saint-Julien-de-Concelles. Chaque registre complète les autres par les actes de « non-résidents » venus chercher un sacrement là où ils ont connaissance de la présence d’un prêtre à un moment donné. Opportunité et proximité comptent plus que la notion de paroisse.
    Tous ces recoupements entre registres voisins, après reconstitution des familles, montrent la continuité de la pratique religieuse ; un couple ne fait pas baptiser un enfant sans l’autre ; un couple uni pendant la guerre civile ne fait baptiser un enfant sans avoir fait bénir son union.

    Par ailleurs, la tâche était numériquement trop lourde pour certains prêtres. La somme de travail du prêtre desservant Le Loroux était considérable, puisque Denis Guillet était pratiquement seul pour un territoire d’environ 5 000 survivants, après le départ de Clair Massonnet au printemps 1795. Une grande partie des Lorousains était plus proche des paroisses voisines que de Sainte-Radegonde où il se cachait. La position excentrée de cette cachette explique partiellement le surcroît de Lorousains trouvés dans le registre de René Lemesle.

  • « Pas un prêtre de Liré à Nantes »
  • Cette petite phrase est extraite du registre de M. Robin, desservant La Chapelle-Basse-Mer, qui aimait donner des détails dans son registre. Elle fut probablement vraie dans le premier semestre 1794, puis il y eut des prêtres à Chantoceaux dans le Maine-et-Loire, entre Liré et La Chapelle-Basse-Mer (16), à Vallet, au Loroux-Bottereau, à Saint-Julien-de-Concelles, à La Remaudière. Il y en eut temporairement à La Chapelle-Heulin où M. Marchand fit quelques passages. En outre, les paroisses suivantes connurent aussi provisoirement un prêtre :

    Haute-Goulaine

    Pierre-Honoré Jaulin, né à Nantes-Saint-Donatien le 24.07.1749, est âgé de 45 ans en 1794. Il se déplace beaucoup pendant la Révolution : il est à Haute-Goulaine d’août 1795 à octobre 1797. Manquant de papier, il a l’idée d’utiliser la fin du registre de catholicité de 1746. Ce registre n’a guère attiré l’attention sur lui depuis deux siècles, car il était dans une double clandestinité grâce au stratagème utilisé par P. Jaulin. C’est en recherchant les Lorousains que je l’ai trouvé en mairie. Tous les registres clandestins ne sont pas encore identifiés ou découverts à l’heure actuelle.
    P.H. Jaulin a eu ensuite un registre en octobre 1795, conservé en mairie et assimilé à l’état civil, d’où l’oubli de l’aspect sacramentel de ces actes :

    Ce n’est qu’en fin 1795 qu’apparut l’Abbé Jaulin. Ce prêtre réfractaire, non assermenté, était un fugitif. Pourchassé par les « bleus », il se cachait de ferme en ferme, célébrant de nuit la messe dans les fermes. Il mit pourtant à jour le registre d’état civil. (17)

    L’état civil d’autres communes possède de tels registres clandestins, ainsi à Chantoceaux. La « fusion » discrète avec le document officiel est un gage de conservation dans de meilleures conditions. Peu de mairies cependant ont conscience de la présence de ce type de document.
    P. Jaulin bénit 45 couples, dont 74,2 % sont venus de loin, alors qu’il ne reste que peu de temps à Haute-Goulaine. Il est apparemment connu par ses passages à Vertou et Basse-Goulaine. Il n’y était pas vicaire et n’y est pas né ; il avait donc l’habitude de s’y cacher. Le graphique ci-après donne les origines exprimées en pourcentages rapportés aux 90 mariés.

    Les « divers » représentent 13 mariés nés à Sainte-Luce, Thouaré, Orvault, Chantenay, Nantes, Monnières, Saint- Philbert, La Haye-Fouassière, La Chapelle-Heulin, La Varenne, Drain, diocèse de Bordeaux, diocèse de Saint-Brieuc.
    Pour la plupart d’entre eux, Jaulin a reçu un certificat de l’un de ses confrères. Il est donc en relation avec eux.
    On le signale fin 1797 à Fresnais.
    Il est à Saint-Sébastien en 1800 et y rédige deux actes de mariages. Nommé à Saint-Vincent-des-Landes en 1803 puis à Pannecé en 1808, il meurt en retraite à Nantes-Saint-Nicolas le 16.04.1829. C’est le type même des prêtres itinérants ; il a d– tenir des minutes qui ne nous sont pas parvenues.

    Basse-Goulaine
    Le registre clandestin de René Lemesle montre que les Bas-Goulainais viennent moins après 1794. Ce manque de suite dans la pratique religieuse ne s’avère pas concevable et on peut supposer qu’un autre prêtre clandestin est à leur service. M. Connard y est présent grâce à la retranscription suivante :

    Le 07.09.1798 a été baptisé à Basse-Goulaine par Mr Conard prêtre catholique Jeanne-Marie née le 01.01.1798 fille de Jean Ménager et de Marie-Rose Brevet son épouse légitime…(registre clandestin de Vallet)

    Landemont
    Le registre clandestin de Vallet retranscrit des baptêmes faits par A.L. Peuriot, desservant Landemont à partir de 1798, alors âgé de 64 ans :

    Le 19.05.1798 Marie née le même jour au Bois-Benoît fille de Mathieu Babonneau et de Jeanne Sebileau a été baptisée par Mr Peuriot vice gérant de Landemont … (Acte recopié par Aubert dans le registre clandestin de Vallet)… Le 01.08.1799 Jean fils de Mathieu (idem)

    Ouvrage paru en 1990
    (C) Editions Odile HALBERT
    ISBN 2-9504443-1-8

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