Un gentilhomme pouvait être rompu vif : le cas de La Fontenelle.

Dans le cadre de l’étude de l’exécution à Angers le 19 septembre 1609 de Claude Simon aliàs Simonin, rompu vif à la barre de fer et mis sur la roue, certains se sont posés à juste titre l’apparente contradiction entre son rang social, gentilhomme cadet de famille noble, et le mode d’exécution, pensant que seule la têtre tranchée était appliquée à un gentilhomme, et, a contrario, s’il a été rompu vif sur la roue, ne serait-il pas simple roturier.

  • Du délit à la peine
  • La gravité des délits a évolué au fil du temps. Il faut oublier notre époque pour comprendre que la peine de mort était alors courante pour des délits qui nous paraîtraient aujourd’hui moins graves tels les vols.

    Le vocabulaire est rempli de pièges. Le terme crime signifie seulement faute, délit, forfait, et nullement la notion de meurtre, si ce n’est lorsqu’il est précisé crime de sang. Donc, voler est un crime, c’est à dire un délit. Et on est pendu pour ce crime, qui n’est pas un meurtre mais un vol, car autrefois on pendait pour vol.
    Ce qui fait qu’en préparant ce billet, je me suis rendue compte que les Archives des tibunaux de l’époque, civil ou criminel, ne traitent pas forcément les crimes de sang au criminel et vice et versa.

  • Le mode d’excution ordinaire : la corde
  • Elle est souvent le lot de voleurs, mais s’y ajoute l’absence d’inhumation, probablement autrefois le plus infâmant, puisque les corps restent exposés, y compris aux oiseaux de proie, à une époque où on tient tant à l’inhumation en terre bénie, voire à l’inhumation tout court.
    Cette importance de l’inhumation en terre bénie autrefois, vous avez pu la remarquer dans les registres paroissiaux : certains sont inhumés dans l’église, pour être au plus près de Dieu, tandis que les autres sont autour de l’église, et il faudra un combat hygiénique important pour créer des cimetières plus loin.

    Un assassinat célèbre cache une telle infâmie : le 23 décembre 1588 non seulement on assassine les Guise, mais on les prive de sépulture en dépeçant leurs corps pour les priver d’inhumation afin d’éviter tout culte posthume.

    Et, de nos jours, même si nous partons en fumée pour plus de 60 % d’entre nous Nantais désormais, les familles tiennent encore à faire leur deuil !

  • Un privilège démocratisé à la Révolution : la décapitation
  • C’est la corde du noble.

    DECAPITER, v. act. (Jurispr.) en France c’est la peine des nobles que l’on condamne à mort, lorsque le crime n’est pas assez atroce pour les dégrader de noblesse. Ce supplice ne déroge point ; mais il ne fait pas une preuve suffisante de noblesse pour attribuer la noblesse aux descendans de celui qui a été décapité. (Diderot, Encyclopédie)

  • L’exécution barbare : cuit, brûlé ou rompu sur la roue.
  • Mais au delà de la corde pour le roturier ou décapitation pour le noble, il existe des moyens plus barbares pour des crimes plus importants au regard de la morale du temps.
    Il sont au nombre de 3 : cuit, brûlé, rompu sur la roue (je laisse de côté Ravaillac)
    cuit vif dans l’huile bouillante : « Les faussaires ne sont plus bouillis vifs dans l’huile à partir du milieu du XVIe siècle au parlement de Paris. Celui de Bordeaux prononce encore de tels arrêts en 1532 et 1545. » (R. MUCHEMBLED, voir bibliographie)

    brûlé vif sur un bûcher

    rompu vif à la barre de fer et mis sur la roue

    Arrêtons nous d’abord sur le terme VIF, car contrairement à une idée reçue, tous n’ont pas été exécutés vifs, entre autres, Cartouche eut droit au retentum, qui consistait en un étranglement discret avant le supplice, étranglement bien sûr à l’insue du public et tout à fait légal si autorisé discrètement dans le jugement.
    Si on a la certidude que Cartouche a profité du retentum, il est difficile de savoir pour Claude Simon et bien d’autres… faute de posséder les jugements de l’époque.

  • La roue
  • « La décision de rouer vif quelqu’un est en réalité réservée aux pires brigands et à leurs chefs, tel Cartouche et Mandrin. Peu fréquente et atroce, son applicaiton contribue à forger la légende de ces jeunes bandits auréolés d’une infinie puissance de transgression…. L’adoucissement des peines date du milieu du XVIIe siècle. » (R. MUCHEMBLED, voir bibliographie)

    ROUE, (Jurisprud.) est un supplice pour les criminels, dont l’usage est venu d’Allemagne. La peine de la roue s’exécute sur un échafaud dressé en place publique, ou après avoir attaché le condamné à deux morceaux de bois disposés en sautoir en forme de croix de Saint-André, l’éxecuteur de la haute-justice lui décharge plusieurs coups de barre de fer sur les bras, les cuisses, les jambes & la poitrine ; après quoi il le met sur une petite roue de carrosse, soutenue en l’air sur un poteau. Le criminel a les mains & les jambes derriere le dos, & la face tournée vers le ciel pour y expirer dans cet état.
    Anciennement, & encore dans quelques pays, le criminel étoit attaché tout-d’un-coup sur une grande roue de charrette, où on lui cassoit les membres.
    Quelquefois, pour adoucir la peine, les cours par un retentum qu’ils mettent au-bas de l’arrêt, ordonnent que le condamné sera étranglé dans le tems de l’éxecution.
    Cette peine n’a lieu que pour des crimes atroces : tels que l’assassinat, le meurtre d’un maître par son domestique, le vol de grand chemin, le parricide, le viol.
    Les femmes ne sont point condamnées à cette peine, par des raisons de décence & d’honnêteté publique, voyez le gloss. de M. de Lauriere, & les institutes au droit criminel de M. de Vouglans. (Diderot, Encyclopédie)

  • La Fontenelle, seigneur de la Ligue 1572-1602
  • Voici un autre gentilhomme, contemporain de Claude Simon, qui a fini sur la roue en place de Gresve à Paris en septembre 1602. Je reviendrai sur lui, au parcours assez parallèle surement.

    Guy Eder appartenait à l’illustre famille des Beaumanoir, membre d’une branche cadette, fils de René Eder et de Péronnelle de Rosmar. Au nombre de ses parents fortunés, voire haut placés, citons le maréchal de Lavardin, René Marec de Montbarot, gouverneur de Rennes, les de Sesmaisons du pays nantais. Après un court passage au collège Boncourt à Paris, où il semble mener une vie turbulente, il devient très jeune chef de bande pour la ligue, dirigeant attaques et pillages, au service de la Ligue. Il dut même prendre part dans les rangs de celle-ci au siège de Craon, qui fut une des plus belles victoires de la Ligue, le 23 mai 1592, puis poursuit la lutte en Bretagne. Puis, passant à côté ou outre les mesures de réconciliation d’Henri IV, il la poursuite, jusqu’au jugement rendu à Maris le 27 septembre 1602 qui stipule entre autres :

    Le Conseil a déclaré et déclare lesdits Eder, Bonnemetz et André attainctz et convaincus du Crime de Lèze-Majesté et d’avoir consipiré contre le Roy, son Estat, bien et repos public. Pour réparation desquels Crimes a condempné et condempne lesdits Eder, Bonnemetz et André à estre deslivrés ès mains de l’exécuteur de haulte justice et ledit Eder trainé sur une claye, lesdits Bonnemetz et André menez dans ung tombereau en la place de Gresve de ceste ville de Paris et là estre lesdits Eder et Bonnemetz rompus et leurs os brisés sur ung eschafault que pour ce faire sera dressé audit lieu, et ce faict leur corps mis sur une roue pour y demeurer jusqu’à ce que mort s’ensuive, et la teste dudit Eder portée à Rennes ; et ledit Andréa pendu et estranglé à une potence.

  • Bibliographie
  • MUCHEMBLED Robert, Une Histoire de la violence, de la fin du Moyen Âge à nos jours, éditions du Seuil, 2008. Je vous recommande cet ouvrage, qui m’a permis de me remettre les idées en place sur bien des points. J’ai le sentiment, après cette lecture, d’appréhender nos ancêtres beaucoup mieux, et je situerai cet ouvrage dans ma culture du passé et des modes de vie du passé tout aussi indispensable et édifiant que l’ouvrage de Michel Nassiet, Noblesse et pauvreté.

    LORÉDAN Jean, La Fontenelle, seigneur de la Ligue, 1582-1602, collection Brigands d’Autrefois, Librairie académique Perrin 1926

    DIDEROT, Encyclopédie

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    Sépulture d’un suplicié, Angers, 1642

    Angers St Pierre BMS 1488-1668 vue 552

    Hier la douceur, aujourd’hui la sévérité.


    Cette image est la propriété des Archives Départementales du Maine-et-Loire.

    Le 14 avril 1642 fut ensépulturé Urban Langlois par permission de messieurs de la Prévosté après avoir été supplicié dans le pilory sans cérémonies toutefois de l’église sinon le sebverite lorsqu’on le mettra en terre.

    Je suppose que le sebverite est une prière en latin, destinée à ce genre de situation.

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    Commis à la conduite des condamnés aux peines de galères, Angers, 1639

    Voici un métier dont le nom est long mais explicite. Je le rencontre à Angers prenant livraison nominative de 4 condamnés

    Voici un métier dont le nom est long mais explicite. Je le rencontre à Angers prenant livraison nominative de 4 condamnés venant de Nantes :

  • L’acte notarié qui suit est extrait des Archives Départementales du Maine-et-Loire, série 5E6 :
  • Voici la retranscription de l’acte : Le 30 juin 1639 Dvt Louis Coueffe notaire à Angers (AD49), Valentin Boutin Sr de la Boutinière, commis à la conduite des condamnés aux peines de galères des provinces de Bretagne, Anjou, Touraine et le Mayne, comme il a fait aparoir par commisison de Me Dupont de Courlay, général des galères de France, expédiée à Paris le 8 septembre 1635, a reconnu que Me Guillaume Cherot concierge et garde des prisons royaux de cette ville (Angers) pour et au nom de Pierre Giteau concierge des prisons de Nantes, lui a mis en mis en mains les nommés René Marquet Pierre Guyet dict Desforges, maréchal, François Guyet dit La lame et Jean Legal dit Leroy condamnés aux peines de galères par sentence.
    Trois d’entre eux portent un surnon, dont l’un assez parlant « la lame ».
    Le surnom est assez rare en Anjou, probablement plus fréquent dans ce milieu.
    Ces 4 hommes en rejoignent d’autres, dont ils viennent grossir les rangs, car la « chaîne » était plus souvent de quelques dizaines de forçats.
    L’organisation de la « chaîne » était médiocre avant 1670, faute le plus souvent de pouvoir recruter des gens expérimentés pour ce type de besogne, assez délicate. Le métier ne devait pas être des plus recherchés : Boutin sait signer certes, mais tout juste.

    La signature est maladroite, et rarement aussi maladroite chez quelqu’un qui se pare du titre de « sieur de la Boutinière ». A droite, c’est Cherot le concierge des Prisons d’Angers, puis Coueffe le notaire royal à Angers, et enfin deux témoins.
    Enfin, pour un BOUTIN être « sieur de la Boutinière » est pour le moins curieux.
    La culture n’était pas la qualité requise, juste savoir lire les noms des condamnés. Mais cet acte montre que Boutin avait la charge de 4 provinces, pas moins. Il devait acheminer les condamnés jusqu’à Marseille. Tout au long du chemin, les foules accouraient au spectacle du passage de la « chaîne ».
    En savoir plus avec :
    Zysberg André, Les Galériens, vies et destins de 60 000 forçats sur les galères de France 1680-1748 , Le Seuil, 1987 – son site

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