Châtreur, greleur affranchisseur, restaurateur, maréchal, marchand briffon, puis hongreur, et enfin vétérinaire

On racontait autrefois qu’on appelait le « vétérinaire » dès qu’une bête avait un problème, mais qu’on attendait un peu pour appeler le médecin pour sa femme… Bien entendu, seules les méchantes langues racontaient de pareilles choses… Un proverbe dit cependant :

« La mort de sa femme n’est pas une ruine mais la mort de sa vache en est une »

J’ai mis en italique les métiers car leur nom était tout autre par le passé !
Méchantes langues ou pas ; il faut bien l’avouer, la santé des bêtes a compté pour l’homme de tous temps… surtout lorsqu’assurances et autres indemnités, même partielles, étaient inconnues. Il a fallu des spécialistes dont le métier était de soigner les bêtes, et bien sûr parfois de les chastrer.

Je mets ce jour sur mon site un 2e contrat d’apprentissage « d’affranchisseur, restorateur et grelleur », qui m’amène à faire le point sur ces études spécialisées. La durée est de 24 mois (en 1727 à Loiré) pour 30 mois (en 1746 à Louvaines). Si on veut bien admettre que la durée est fonction de la difficulté du métier à apprendre, c’est une durée qui atteste une certaine difficulté.
Le prix diffère du précédent contrat, car manifestement il est négociable au cas par cas.
Le détail des clauses particulières est toujours un plaisir à découvrir et comparer, c’est pourquoi je tente de récapituler ce que je sais de ces clauses (c’est en cours, mais vos relevés persos seront bienvenus).

L’apprenti bien sûr n’a pas le droit de s’absenter sans autorisation. Ce contrat précise le cas de maladie : « et si la maladie continue plus de 8 jours, ledit Boulay se retirera où il avisera bon être, et l’excédant au delà dudit 8 jours, sera récompensé par ledit Boulay au delà desdites années ». En d’autres termes, passé 8 jours pour maladie, la femme de son maître le met dehors car elle ne fait pas hôpital. Voilà, c’est cruement dit, mais c’est ainsi ! En outre, non seulement il sera prié d’aller se faire soigner ailleurs, mais il devra payer l’absence.
Bien entendu, il est aussi passible de la prison s’il n’effectue pas son contrat en entier : « et à tenir mesme par corps faute d’exécution de clauses et conditions cy-dessous ». Le terme « par corps » suffit à signifier qu’il répond de la saisie de son corps donc de la prison. La menace de saisie par corps est fréquente pour les contrats d’apprentissage long, c’est à dire 24 mois et plus.
Une autre clause est prévue : « il obéira à ce que le maître luy commandera, et en ce que sera honneste et licite, sans pouvoir cependant luy faire bucher (pour bêcher) ni labourer la terre ». Il faut croire que certains maîtres se seraient permis d’utiliser l’apprentis pour lui faire cultiver leurs terres… et qu’il est sage de borner le maître lui-même. C’est une jolie clause n’est-ce-pas ? … que certains stagiaires actuels envieraient sans doute…
Enfin, l’apprenti doit fournir à ses frais du matériel car « le maître fournira tout ce qui sera nécessaire pour sa dite profession à l’exception du baston, vice, et crochet ». Il est probable que vice soit vis, mais de toutes manières je ne connais pas l’usage de ces instruments, par ailleurs assez primitifs, sans doute pour maintenir l’animal ?
L’apprenti est orphelin, puisqu’il a un curateur. C’est un point notable, qui conforte mon hypothèse que ces contrats d’apprentissage touchent surtout les orphelins de père et les cadets…

Revenons au nom du métier lui-même. On voit que ces deux contrats d’apprentissage sont clairs sur le nom du métier de greleur affranchisseur et affranchisseur, restaurateur, greleur. Le greleur dans ce cas ne peut être assimilé au Grêleux : Campagnard qui se charge de nettoyer le grain. (Glossaire angevin, Ch. Ménière, Angers 1880). Définition reprise par d’autres dictionnaires. Il est utile de le rappeler car certains ont confondu parfois ces métiers, alors que ces contrats d’apprentissage confirment clairement le nom du métier. En effet, ces contrats d’apprentissage ne visent qu’un métier, portant plusieurs noms mis bout à bout afin de bien le décrire. C’est aussi la preuve que pour désigner les métiers des soignants les bêtes, il a existé beaucoup de vocabulaire.

Restaurateur, ou restorateur comme on l’a orthographié à la Renaissance, est un terme parlant : « qui restaure, qui guérit », appliqué aux bêtes en l’occurence.

Affranchisseur et châtreur sont équivalents, et les termes les plus anciennement nationaux, donnés par tous les grands dictionnaires, contrairement au hongreur, alors inconnu, mais qui sera utilisé plus tard pour dire la même chose.
Affranchisseur 1. Celui qui affranchit. 2. Homme qui fait le métier de châtrer les animaux. (Émile Littré, Dictionnaire de la langue française 1872)
Châtreur. s.m. Celui qui fait métier de châtrer des animaux. Châtreur de chiens. Couteau de châtreur. (Dictionnaire de L’Académie française, 4th Edition, 1762)

Hongrer : Chastrer un cheval. Hongrer un cheval. ce cheval est trop vicieux, il le faut hongrer. (Dictionnaire de L’Académie française, 1st Edition, 1694). Hongreur n’existe pas dans les dictionnaires nationaux. Il est donné par le Dictionnaire du Monde Rural (Lachiver, 1997)

Je trouve plus tard seulement le terme Vétérinaire : adj. des 2 genres. Il ne se dit qu’en parlant De la médecine des chevaux et des bestiaux. Médecine vétérinaire. Art vétérinaire. École vétérinaire. (Dictionnaire de L’Académie française, 5th Edition, 1798). Voulant comprendre quand on est passé de l’adjectif au substantif, j’ai sorti mon Dictionnaire Encyclopédique Quillet 1938, année de ma naissance, et constaté que le terme vétérinaire n’était alors qu’un adjectif. Ainsi j’ai vécu sans le savoir un grand tournant de l’histoire de ce métier, passé d’adjectif à substantif décrivant la profession.

Bien sûr, tout ou partie de ce corps de métier d‘affranchisseur, restaurateur, assistait aux foires aux animaux, pour prodiguer des conseils sur l’état des bêtes. J’ignore si les marchands, que l’on appelait joliement marchand briffon dans le Maine, et faisaient commerce des bêtes, avait suivi une formation pour reconnaître le vrai prix de chaque bête, et ne pas faire le maquignon, marchand qui trompe un peu sur la qualité des bêtes.

Mais, c’est aussi le travail du maréchal : Artisan qui ferre les chevaux, et qui les traite quand ils sont malades. On dit dans le même sens : maréchal ferrant, maréchal vétérinaire. (Émile Littré, Dictionnaire de la langue française, 1872). J’avoue que je n’ai pas encore compris comment se répartissaient les taches entre tous ces métiers.

Bien sûr, ces ancêtres de nos vétérinaires, ont eu des variantes locales… et ce billet était typique de l’Anjou. En tous cas, j’habite une ville qui possède une école de vétérinaires, qui dispense la formation moderne de ce dont je viens de vous parler…

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