Toujours collectif, il est estimé garni, et coûte de 200 à 10 L en 1700, de la classe aisée au domestique ou paysan peu aisé, mais c’est le meuble indispensable et la pièce maîtresse du mobilier.
Dans cette catégorie NIVEAU de VIE, vous allez découvrir, au fil de ces billets, les éléments du coût de la vie, et de véritables indicateurs économiques. Nous avons vu que le logement était considérablement moins onéreux que de nos jours (sans eau, électricité, gaz, chauffage central), qu’il avait cheminée pour faire cuire les aliments et accessoirment se chauffer, mais pas de vitres au fenêtres de la grande majorité des Français.
Je vous invite à découvrir quelques meubles et je commence par le lit. Sa principale caractérisque est d’être collectif, et surtout pas individuel : même à l’hostellerie, on y dort à plusieurs.
J’ai dépouillé beaucoup d’inventaires, et les lits ci-dessous sont uniquement pour vous habituer à différencier les classes sociales. D’ailleurs, dans les 3 premiers cas, le lit est dans la chambre haute, ce qui signifie un minimum d’intimité, laquelle n’existe pas à partir du métayer, René Bouvet qui suit.
Les lits sont décrits garnis, et les éléments qui composent la garniture sont amplement énumérés dans mon LEXIQUE DES INVENTAIRES, mais je vous en ferai un billet spécial si les couvertures et rideaux vous branchent… Mais au fait, les rideaux sont là pour clore le lit et être à l’abri des courants d’air puisque les volets de bois n’assurent pas l’isolation. D’ailleurs on porte même un bonnet de nuit aussi…
Voici quelques exemples, de la classe très aisée, à la plus pauvre, le lit principal (il y en a toujours tout plein d’autres) :
Jacquette Lefebvre, décédée en 1575, femme de Jacques Ernault Sr de la Daumerye, conseiller et juge magistrat au siège présidial d’Angers, et fille de François Lefebvre de Laubrière et Roberde Bonvoisin, Angers, 1575 : un grand charlit (celui-ci est dans la chambre haute, mais il y en a un assez indentique dans la salle basse, et pour les amateurs de petite histoire, Mr le conseiller Ernault possède une hallebarde, mais elle est près du lit de la chambre haute. Aurait-il à craindre des malfrats ?) de bois de noyer (bois noble) fait à grosses quenouilles tournées et cannelées et les costés et pieds à voyses et godronnées (Voyez ci-dessous les commentaires qui expliquent les godrons) enrichy et garny d’une corniche par le hault aussi enrichye de toile et garni de sa carrye et à corde sur lequel charlit y a une couette de grand lict garnye de son traverlit et vestue de chacun une souille de lin le tout garny de bonne plume avecque deux mantes l’une blanche et l’autre verte (la couleur verte est souvent présente lorqu’il y couleur dans le lit, je ferai un billet sur les couleurs) presque neuve avecque 4 pantes de ciel d’estame verd garny de sa frange et frangette de lin vert ensemble 3 grands rideaux et ung petit de serge verte le tout presque neuf 88 L (attention, ceci est en 1575, et compte tenu de la déflation sur un siècle suivant, vous pouvez multiplier par deux pour comparer les prix ci-dessous)
René Richard, ancien conseiller du roi au grenier à sel de Pouancé, décédé en 1730 veuf d’Elisabeth Hiret, décédée en 1725 à 76 ans : charlit de bois de noyer (c’est le bois noble) garni de son fond foncaille paillase et vergettes, une couette de plume d’oye ensouillée de coutty, un travers-lit et oreiller pareil, un matelas fourré de laine et crin, une mante de catalogne blanche, une courtepointe de toile peinte picquée, un tour de lit de serge couleur brune bordé d’un ruban couleur aurore 100 L
Antoine Pillegault Sr de l’Ouvrinière, Dt à Angers possède aussi une maison de campagne à la Maboullière au Bourg-d’Iré, 1704 : 1 bois de lit ancien et ses vergettes, garni d’une paillase, couette, traverses de lit, le tout ensouillé de toile, matelas (rare, et pourtant il ne s’agit que de sa résidence secondaire), courtepointe d’Indienne picquée, rideaux et pants d’étamine rouge rayée de noir (tout le mobilier d’Antoine Pillegault est raffiné et suit les nouveautés, ici on remarque l’Indienne et les rayures rouge et noire, et le tout était surement du plus bel effet) 78 L
René Bouvet métayer à la Gerbaudière paroisse de Montreuil sur Maine, 1690 : un charlit de chêne (c’est le bois solide, qui fait plusieurs générations) à quenouille carrée (écrit « quarée », et cela n’est rien à côté de tout ce qu’il m’a fallu déchiffrer dans tous les inventaires qui sont en ligne.), une couette (écroit coitte) de plume ensouillée de coutil (écrit coittis), 2 traverslits aussi en plume ensouillés de toile, 2 draps de toile de réparon mesurés de 6 aulnes le couple, une mante de beslinge gris presque neufve, un demi tour de toile de brin plus que mi usé avec son chef de fil, un vieil linceul servant de font 30 L, mais il y a 3 autres lits dont 2 de cormier et poirier, et un de chêne, soit 4 lits dans la chambre (il faut vous y faire, c’est le terme pour ce que nous appelons « pièce »), et pour un total de 106 L.
Maurice Debediers, métayer Saint-Julien-de-Vouvantes, 1766 : Un lit à 4 quenouilles garni d’une couette, 1 traversier, 2 draps, 1 vieille couverture de beslinge, avec des rideaux de toile teinte (écrit tainte) 27 L (Le métayer est la classe paysanne aisée, passons à un paysan moins aisé.).
François Gohier laboureur à la Maisonneuve à Pouancé 1737 : Un bois de lit de bois de cerisier garni de 2 couettes, 3 traverslits, 1 oreiller ensouillé de toille, 1 lodier gani de filasses , 1 mauvaise couverture de meslinge avec ses rideaux de serge de Can ( pour Caen) verte 15 L (La Maisonneuve est une maison manable, à deux chambres hautes à cheminée renaissance chacune, construite vers 1575 par la famille Hiret que j’ai tant étudiée, et peu après baillée à ferme à moitié à un closier qui vit en bas, et a transformé durant des siècles les 2 chambres hautes en grenier à récolte.)
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Fenêtres des chambres hautes de la Maisonneuve, en 1997 : à gauche dimensions conservées, avec sa grille, et à droite, la seconde fenêtre, qui avait été transformée en porte d’accès extérieur aux chambres devenues grenier à récolte.
Et les domestiques ? ?
Les domestiques ont bien entendu une catégorie en dessous, donc mettez 10 L pour leur lit. Et, lorsqu’il s’agit d’une maison manable, c’est à dire dans laquelle les maîtres dorment en haut dans la chambre haute, la ou les domestique(s) dorment dans la salle basse, et si celle-ci est divisée en salle basse et cuisine, ils dorment dans la cuisine. Les vagabonds, et autres routiers dorment sur la paille de la grange.
Et les enfants ?.
Attention, vous allez revecoir un choc.
Moi-même, après le choc que j’avais reçu (je n’étais pas la seule) lors de la visite de la Bintinaye (pourtant l’odeur en moins, et il faudrait leur suggérer de l’ajouter), qui donne une idée impressionnante de la salle collective d’alors, j’ai eu un second choc lorsque j’ai lu l’ouvrage de François Lebrun Les hommes et la mort en Anjou aux 17e et 18e siècles, Flammarion, 1675.
François Lebrun y traite de la fréquence des décès d’enfants en ces termes :
« Comment voir disparaître autant d’enfants au berceau – un sur quatre en moyenne avant l’âge d’un an – sans considérer le fait non comme un scandale, mais comme un événement aussi inéluctable que le retour des saisons ? Cela est si vrai que l’on n’essaie même pas de prendre pour les nouveau-nés ce minimum de précautions qui aurait évité peut-être certaines morts prématurées. Les statuts synodaux du diocèse doivent interdire de faire coucher les enfants de moins d’un an avec les grandes personnes et classent, parmi les cas réservés, la suffocation d’enfant arrivée fortuitement dans ces conditions ; le renouvellement d’une telle interdiction aux 17e et 18e siècles prouve que des accidents de ce genre continuent à se produire.» Ainsi, nous seulement on les emmène à l’église le jour de leur naissance, ce qui en élimine déjà quelques uns… mais on continue donc en les étouffant dans le lit collectif.
Vous aussi, vous en avez le souffle coupé ! Alors relisez ce qui précède, car vous avez bien lu, les nouveaux nés étaient mis dans le grand lit collectif. Et je confirme qu’au cours des nombreux inventaires après décès que j’ai dépouillés, je n’ai vu qu’une seule fois une bercouère. Ce qui signifie qu’il n’y en avait pas et qu’on pratiquait pour les nouveaux-nés le lit collectif.
Les autres enfants jusqu’à leur majorité, étaient réunis dans un grand lit, voire 2 grands lits lorsqu’ils sont très nombreux, mais il n’existe pas de lits pour enfants.
La garniture viendra une autre fois, car le coffre va suivre. Au fait, à quoi sert-il le plus souvent ?
Odile Halbert – Reproduction interdite sur autre endroit d’Internet seule une citation ou un lien sont autorisés.