environnement, pollution, eau potable avant 1789

par Odile Halbert (ex-chimiste)  

eau potable  /  pollueurs / exemple de Nantes 1598-1723 /  en savoir plus

eau potable : terme inconnu, car on ne connait pas encore la bactériologie. D'où les fosses à purain près des puits, les concentrations d'activités polluantes intra-muros dans les bourgs. Ne parlons pas de l'hygiène corporelle ! D'où certains décès en série parfois dans une famille, puisque la famille a mangé ou bu la même chose, et les séries d'accouchées mortes en couches, puisque la sage-femme ou le chirurgien ne se lavent surtout pas les mains.

pollueurs : activités familiales et certains métiers. Les excréments et eaux usées familiales s'en vont sur la ruelle, qui est en forme de canniveau. Le milieu de la ruelle est donc un égoût à ciel ouvert, et les porcs y circulent librement, se régalant des choses, et ce, jusqu'à une époque pas si éloignée de nous ! Pour ne pas marcher dans cet égout on marche en haut de ce canniveau, en longeant les maisons, d'où l'expression « tenir le haut du pavé».

Les métiers qui polluent sont installés en pleine ville : bouchers, tanneurs. Mais aussi chapeliers : le chapeau est très répandu et chaque ville a sa rue des chapeliers comme elle a sa rue de la  poissonnerie. Les teinturiers.

Nantes en 1598 et longtemps après : Ce qui suit est en partie basé sur les délibérations du Corps de Ville de Nantes (AM Nantes, BB22-24 pour 1598). L’eau se trouve en rivière, dans les puits publics ou privés & à quelques fontaines. On jette des détritus dans les puits, y compris des objets. Le bureau de ville s’efforce de les fermer en les ouvrant à heure fixe ou les surveiller, rien n’y fait. Les rues étroites, tortueuses, sont des égouts à ciel ouvert. Par temps de pluie les immondices sont drainés vers les sources d’approvisionnement d’eau.  Le bureau ne cesse de défendre aux habitants de déposer aucun immondice. En 1567 défense de souffrir aux enfants de faire leurs infections par les rues. En 1572 défense aux bouchers et autres tripiers de jeter le sang & les immondicités des animaux qu’ils tuent sur la rue.

Les latrines, ou plutôt l’absence de latrines, est une préoccupation surtout en période d’épidémies. En 1583 le bureau rédige un règlement de police rendant obligatoire des latrines dans chaque maison, l’inspection des anciennes fosses d’aisances, leur vidange la nuit, l’utilisation de l’encens dans les maisons pour neutraliser l’odeur.
Puisque nous parlons des latrines, citons celles de l’hospital où sont logés les pauvres. Ils sont très nombreux & les latrines se remplissent vite, d’où débordement & plaintes du voisinage. Le Corps de Ville, imperturbable, respecte la procédure pour les marchés. Pour entreprendre des travaux, il faut d’abord faire un appel d’offre, par bannies à son de trompe à tous les carrefours, puis les « offres sont faites à éteinte de chandelle à qui pour le moins vouldra ». Si le seuil que le bureau s’est fixé n’est pas atteint on recommence l’appel d’offres & ainsi de suite. C’est ce qui va se produire dans le cas qui nous préoccupe, d’où aggravation du problème, r eplainte du voisinage... En janvier 1599, une forte tempête arrache des toits, y compris au collège. Même procédure, même succès.

Les cimetières entourent les églises quand ils ne sont pas dedans. Or les églises foisonnent. Et les puits ne sont pas loin des églises. En 1595 le bureau fait nettoyer le puits de la place StPierre & ordonne aux habitants des rues qui descendent au Port-Maillard d’avoir des eaux claires & bien nettes au devant de leur porte & d’en jeter de temps en temps quelques seaux sur le pavé afin de faciliter l’écoulement des eaux corrompues & d’en dissimuler la mauvaise odeur. Le nettoyage du puits est fait en une nuit. On a donc enlevé les détritus, sans doute recolmaté un peu, mais surtout pas rendue l’eau potable.
Le nettoyement des rues & pavés de la ville est effectué par des «jocquetiers » sous contrat à durée déterminée. Ils sont payés au quartier, soit 4 fois/l’an.
Le puits de la place StPierre est creusé en 1555. Important, il est équipé de 2 poulies & permet de recevoir jusqu’à 4 seaux. Fermé en 1571, comme celui du Change, tant les souillures y abondent. Le Pilori n’existe plus sur la place de ce nom & le puits du quartier est sur la place du Bouffay.
Les anciens noms de rues parlent : la rue des Fumiers devenue rue Marmontel, le quai des Fumiers devenu le quai Magellan, & même le port aux Fumiers sur la Saulzaie. Au XVe siècle il existe un fumier au chevet de l’église StSaturnin, près SteCroix, où les paroissiens peuvent « y déposer leurs délivres » moyennant une rede-vance fixe.

Il faut attendre 1723 pour que Gérard Mellier créé une décharge publique, mais bien qu’hors des murailles, elle est rue StLéonard. Il ajoute que cet endroit sera plus éloigné que celui où on les a mises longtemps ! Puis il ajoute qu’on pourra ensuite faire enlever le gros monceau de matières qui monte presqu’au niveau de la dite muraille de ville, qui devenant plus solides seront plus aisées à transporter. Mellier déplacera seulement le pro-blème de quelques mêtres, pire, vers l’Erdre qui évacue moins bien les souillures que la Loire. La Loire en période normale a un débit suffisant pour ne pas laisser stagner les souillures, l’Erdre stagne. Dubuisson-Aubenay , voyageur infatiguable, la décrit en 1636 « paresseuse, extrêmement restagnante, limoneuse & époisse, d’un noir verdâtre ou verd noir, pour cela malsaine & très désagréable ».
Les tanneries, après Barbin, outre l’odeur, apportent leur contribution à la pollution de la rivière. Enfin, pour être plus complet, citons le rouissage de lins & chanvres en Loire, qui empeste air & eau pendant la saison de la macération.
En période de crues, l’horreur est totale, tout se promène & il faut une solide constitution pour survivre. En cas de peste on supprime les libertés individuelles en mettant un cadenas mis aux maisons.
Il faudra attendre le XIXe siècle pour que Nantes maîtrise enfin l’eau !

en savoir plus : DUBUISSON AUBENAY, Itinéraires de Bretagne, 1636 / LEBRUN François, Les Hommes et la mort en Anjou au 17e et 18e siècles, Flammarion Paris 1975 /  BENDJEBBAR André, La Vie quotidienne en Anjou au 18e siècle, Hachette Paris 1983  /  RICHOMME Claude, Nantes & sa conquête de l’eau, Siloë Nantes 1997