Jean Jousteau de Sainte Gemmes d'Andigné, par O. Halbert
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Ancêtre des JUTEAU du Canada, Jean Jousteau naît à Sainte Gemmes d'Andigné le 22 juin 1732, de Jacques JOUSSEAU, JOUSTEAU, JOUTEAU, JOUTTEAU, JUSTEAU, JUTEAU (patronyme à orthographe plus que variable), et Renée Foucaudeau. Papa est maréchal en oeuvres blanches au Bois Epron, c'est à dire taillandier ou forgeron.
Jean n'a pas connu son adorable grand mère, Suzanne Bodard, qui avait été choisie dans le testament de sa propre mère pour assumer son jeune frère «faible d'esprit». Ce dernier ne survivra que quelques jours à Suzanne !
Grand père, forgeron, se remarie pour élever ses 3 enfants mineurs, mais afin de préserver leurs droits il doit auparavant faire faire l'inventaire après décès des biens de Suzanne. Il nous a ainsi laissé la trace de sa hallebarde, arme alors passée de mode, et qu'il est d'ailleurs l'un des rares à posséder ! Un ancêtre hallebardier  ou bien une arme faite maison pour le plaisir ?
Jean n'a pas 9 mois que papa meurt déjà, laissant 4 enfants à sa jeune veuve. Le prêtre qui rédige l'acte de décès s'emmêle dans les prénoms (cela arrive plus souvent qu'on ne le croit !) si bien qu'il écrit "le 20.3.1733 j'ai inhumé Charles [erreur de prénom mais le reste de l'acte précise bien son identité exacte, c'est Jacques] Jouteau 36 ans décédé au Bois Epron, mari de Renée Foucaudeau, en présence de Jean Bodard, forgeron, et de Jacques Foucaudeau. Veuve, Renée Foucaudeau réussit à donner une instruction à ses enfants, puisque son dernier signera son mariage à Montréal.
Issu d'une longue lignée de petits marchands et artisans de la région de Segré, Jean  a 2 frères avant lui. Il n'a plus de place et, soumis à la dure loi des cadets (prends ton baluchon et vas-t'en ! ). A cette époque les enfants sont mis au travail dès 11 ans et ce fût certainement son cas, d'autant qu'il a perdu son père à 6 mois. Il est probablement en apprentissage sur une autre paroisse, et on peut même supposer à Angers.
Puis il part militaire à La Réole près Bordeaux. Enfin, il embarque à  Nantes comme « engagé » le 11.6.1755 sur le navire La Loire, 200 tonneaux, commandé par Valtau, vers Le Cap à Saint Domingue, aujourd'hui Cap Haïtien, Haïti, en droiture.

Jean fête 11 jours après ses 23 ans en mer, en compagnie des 2 autres engagés Gilles Detertrux de Boutigny, praticien, et Pierre Martin de Montargis, cordonnier. Jean, probablement robuste, survivra à ses 3 années d'esclavage, là où la majorité des esclaves blancs meurent, le plus souvent victimes du climat et des conditions de vie.
Devenu un homme libre, Jean part tenter sa chance au Québec au climat moins malsain. Il y exerce son métier de cordonnier.


Il épouse à Montréal le 10.11.1760 Marie Josèphe Desève. Voici ma retranscription et mon analyse :

« Le 11 novembre 1760 après la publication des trois bans sans opposition … Jean Joutau âgé de 28 ans, fils de Jacques Jouteau et de Renée Foucodeau ses père et mère de la paroisse de St Jean diocèse d’Angers d’une part, et Marie Joseph Deceve … » :

  • contrairement à ce que certains Canadiens croient lire le nom de la mère est bien écrit FOUCODEAU et non

Jean signe son acte de mariage JOUTEAUS, mais l'accent Québecois aidant, son nom se prononce JUTEAU. Et c'est ainsi que Jean devient l'auteur des nombreux JUTEAU du Canada car entre temps ses descendants ont tenu à peupler ce beau pays.  
 
ENGAGÉ, dit « trente-six mois » : terme donné dans la marine française à ceux qui veulent passer aux îles de l'Amérique pour travailler & n'ayant pas le moyen de payer leur passage, s'engagent avec un capitaine pour 3 années entières. Le capitaine vend l'engagé à un habitant des îles qui l'emploit pendant les 3 ans, après quoi il est libre (selon Encyclopédie Diderot et d'Alembert). Mais le Littré est plus direct « homme qui se vend en Europe, pour servir comme esclave pendant trois ans dans les colonies ».
Aux termes de la réglementation maritime française, le capitaine était tenu à un nombre d'engagés à bord à faute d'amende. Ce nombre était fonction des tonneaux du navire. Un engagé ayant un métier comptait pour deux.
Devant le manque de volontaires, qui s'explique en partie par les conditions climatiques de St Domingue, où les esclaves Blancs résistèrent moins bien que les Noirs, on eut recours à la déportation massive des vagabonds, gens sans aveu, et même, dans certaines familles, les membres indésirables...
Il semble bien que Jean Justeau soit un engagé volontaire et non un engagé forcé.
Ces engagements pour 3 ans sont une partie de l'histoire mal connue, mais un historien a publié des travaux. Lors de ces engagements de blancs pour 3 années de travail forcé à Saint Domingue, on prenait tout ce qui venait, sans vérifier les actes de baptême qui étaient alors l'état civil. Par contre, ils passaient chez le notaire pour une forme de contrat de travail, or, chez le notaire, jamais l'identité n'est vérifiée, et le notaire s'en tient alors à ce que les parties déclarent oralement. Donc, Jean Juteau s'est embarqué sans justificatifs d'état-civil.
DROITURE : terme donné dans la marine française au commerce direct des marchandises avec les Iles, par opposition au commerce triangulaire, qui concerne la traite des esclaves noirs.
 
EN SAVOIR PLUS :     
LORE Françoise et Jean Marie, les Engagements à  Nantes ver les Iles d’Amérique de 1690 à 1734, Saint Herblain-Nantes 1987 (AD44-in 8° 4838)       
FROSTIN Charles, Du peuplement pénal de l’Amérique Française aux 17e et 18e siècle : hésitations et contradictions du pouvoir royal en matière de déportation, Ann. Bret. , 1978, t85, p67-94, avec 113 références bibliographiques