violences conjugales en 1700 à La Coulonche, Orne

   justice | sécurité | autres violences conjugales | mort subite et permis d'inhumer | La Coulonche

assassinat de Jeanne Mesenge | bibliographie | retranscription intégrale

Travaux de Odile Halbert avec la collaboration de Guy Brunet.

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Pour cette affaire judicaire, nous disposons d'un dossier extrêmement complet, ce qui est rare. Il permet de mieux comprendre la machine judicaire en 1700 dans toutes ses phases et intervenants, d'où son immense intérêt historique. Il comporte 97 pages, dont 95 trouvées en série B à Caen et 2 à Alençon dans les archives notariales. On distingue 17 pièces, numérotées chronologiquement dans la bibliographie. Leur retranscription intégrale est jointe au présent résumé. 

l'assassinat de Jeanne Mezenge

Jeanne Mezenge naît à La Coulonche le 13.5.1640 de Baptiste et Martine Guibé. Son père est issu de la lignée des Mezenge « Monderie », du village du même nom. Elle est la seconde de 7 enfants, dont 5 atteindront le mariage et postérité, ce qui est beau, mais fréquent dans cette paroisse, où la mort semble sévir plus tard qu'ailleurs. Hygiène ou climat ? nul ne le sait.
Jeanne n'a que 15 ans, passés de 2 mois, lorsqu'on la marie à Jérôme Bidault, de 15 ans son aîné, sans doute un veuf, en tous cas un arrangement entre parents. Jérôme lui donne Marie et Léonard, âgés de 5 et 2 ans lorsqu'il s'éteint. Les enfants sont mis sous la tutelle de François Bidault et Robert Delosier, oncles paternel et maternel. Jeanne convole 3 ans plus tard avec Martin Laisné, qui disparaît à son tour. C'est un veuf sans enfant, de 15 ans le cadet de Jeanne qui l'épouse en 1679.
Noël Renault, c'est lui, est né à La Coulonche 27.2.1655 de Jacques et Denyse Onfroy. Il est veuf de Françoise Barré, et potier au village du Coudray qui jouxte celui de la Ménardière, sorte de mini bourg, proche la Mondrie, où il y a même un cabaret (ci-contre carte de Cassini, 1815). Le couple possède un jardin à porée pour les poireaux et légumes, un pressoir pour les pommes, mais pas de servante. Jeanne  vaque au ménage et au jardin. Lorsqu'il épouse Jeanne, Noël a 24 ans, elle 39. Les enfants de Jeanne ont 17 et 14 ans. Ce ne sont plus des adolescents : leur mère était déjà mariée à 15 ans !  Ils semblent avoir assez médiocrement apprécié leur beau-père !  
Le couple se querelle sans cesse : elle le soupçonne d'avoir des putains. Il boit et est violent, à tel point qu'elle quitte à plusieurs reprises le domicile conjugal, disant craindre pour sa vie. Mais y revient. Avait-elle vraiment le choix ?
Le 19 juillet 1700, Jeanne, qui a déjà 60 ans, vaque au jardin à ses poireaux. Vers 2 h de l'après midi elle se rend à leur pressoir. Son mari rentre, elle lui fait des reproches, le ton monte. Peu après, Noël Renault est vu au cabaret de la Ménardière, tenu par Georges Laisné. Il est « tout à fait effrayé et troublé ». Son beau-fils Léonard y arrive quelques instants plus tard criant « ma mère est morte, ma mère est morte, elle est toute pleine de sang, retirez vous Renaut, et vous prenez garde »
La nouvelle se répand comme une traînée de poudre. Les badauds accourent. Nicolas Pinson, sergent royal et verdier (officier en charges des gardes de la forêt, ici la forêt d'Andaines), vivant à La Sauvagère, alerté,  arrive sur les lieux vers 16 h. Voyant que Jeanne Mezenge est décoiffée, le nez plein de sang et des marques noires au visage, il adresse au procureur du roi une demande d'information (1).
Monsieur le curé refuse d'inhumer puisque c'est une mort subite, sans sa présence. Noël Renaut doit donc adresser une demande de permis d'inhumer au bailli de Caën via son lieutenant au siège de Falaise, à 40 km de La Coulonche, dont la paroisse dépend juridiquement. Sa demande déclenche immédiatement une ordonnance de visite du corps (2)
Dans la nuit du 23, le sergent royal de la vicomté Falaise et 2 de ses assistants quittent Falaise à 1 h du matin pour le domicile de Noël Regnault au village du Coudray à La Coulonche, distant de 40 km. Ils ont ordre d’arrêter Noël Regnault. Arrivés vers 8 h du matin, ils trouvent beaucoup de monde, mais pas Noël Regnault, qui s’est enfui.
Ils ont le droit de visiter le cadavre en l’absence de chirurgiens ! Curieuse pratique que les PV de visite en l’absence de gens du métier. Il est vrai que les chirurgiens d’alors avaient parfois peu de métier, tout au plus un langage corporel légèrement plus évolué. Mais, ils n’ont pas le droit de visiter le cadavre en l’absence du mari. Ils ne peuvent donc pas procèder à la visite, mais notent que le cadavre montre « une noix de poison vert sortant de la bouche ». Les badauds, questionnés sur la fuite de Noël Renaut, sont très partagés : certains le couvrent manifestment, d’autres l’accusent. Ils repartent. (3)
		Aussitôt après arrivent de Falaise les 2 chirurgiens jurés royaux. Ils constatent une coutusion à la tête, et ouvrent le cadavre, pour le visiter comme on disait alors. Ils concluent que « par le désordre entier de sa ratte, et l’intempérie de son poumon, elle a pu mourir à raison du sang répandu sous le crâne par la violence ou du coup ou de la chute » (4).
Le procureur du roi requiert l'audition des témoins. Nicolas Pinson, sergent à La Sauvagère, se rend chez chacun d'eux le 26.8.1700 pour l'assigner à comparaître lundi prochain à Falaise. L'assignation est orale pour ceux qui ne savent pas lire, et rapportée ainsi « parlant à sa personne » (5).
Le 1.9.1700, 20 personnes, dont 4 femmes, sont auditionnées à Falaise : Jacques Morel, Philippe Langlois, Georges Laisné, Anne Morel, Jean Fauvel, Noël Marie, Françoise Marie, Nicolas Laisné, Jacques Bidault, René Bidaut, André Guibé, Marie Guibé, Thomas Chatelain, Guillaume Chatelain, Richard Coispel, Françoise Morel, Lambert Renaut, Thomas Morel, Baptiste Doisnel, Françoise Louvel. Ce ne sont que des badauds, dont certains sont au fait des disputes conjugales par la rumeur (6).

L'officialité de Domfront, en la personne de Jean Duchesnay, alors official, publie le 15.10.1700 des monitoires, lettres que les curés liront en chaire, pour obliger sous peine d'excommunication, tous ceux qui ont quelque connoissance d'un crime, à venir le révéler.
Marin Barberel, curé de La Sauvagère, atteste le 6.1.1701 qu'il a publié le monitoire par 3 dimanches consécutifs et qu'il a mis entre les mains de Léonard Bidault 29 dépositions (7). Le vicaire de La Coulonche fait traîner les choses. Il juge l'attitude de Léonard Bidault  « bizare ». Le curé a sans doute reçue la confession de Noël Renaut et tenu au secret n'est plus un acteur. (8)

• Un an après le décès de Jeanne Mezenge, Léonard Bidaut, voyant le temps et l'argent nécessaire en justice, qui risqueraient de le ruiner, cède le 8.7.1701 ses droits de poursuite contre son beau-père à Guillaume Lecompte pour 10 L, une pacotille... (9). Ce dernier laissera les choses traîner, soutirant sans doute quelque argent de Noël Renaut. Il a en effet tout intérêt à composer avec lui vue l'incertitude des choses.
•  La machine judiciaire  se coïnce alors, et il faudra attendre le 13.10.1704 pour procéder à l'audition des témoins qui ont répondu à l'appel des monitoires, soit 4 ans après. Nicolas Pinson, toujours sergent à La Sauvagère, se rend donc chez chacun d'eux les assigner à comparaître le lendemain matin, non plus à Falaise, mais plus commodément pour eux, au bourg de Saint Maurice tout proche (10)
• Entre-temps, Noël Renault a convolé en troisièmes noces avec Renée Louvel. Sa réputation d'assassin est nuancée, puisqu'il ne fait pas peur aux femmes !  Le mariage est célébré le 13 novembre 1703 au Ménil de Briouze,  en présence de Gilles Moulin, Michel Foucaudel et Jean Petit. Renée Louvel est fille de Nicolas et de Jeanne Petit et elle est veuve en premières noces de Philippe Moulin +30.1.1685 Ménil de Briouze.
• Le 14.10.1704, au presbytère de Saint Maurice, Alexandre Foüasse écuyer Sr de Noirville Conseiller du roi, lieutenant général civil et criminel de Mr le bailli de Caën pour la vicomté de Falaise, entend 23 témoins, dont 13 femmes : Guillaume Chatelain, Charles Letourneur, Pierre Delozier, François Sebault, Michelle Guibé, Thomas Chatelain, Avoye Halbout, Renée Louvel, Françoise Moullin, Barbe Mezenge, Jacques Morel, Marie Renaut, Jacqueline Penlou, Barbe Morin, Pierre Mezenge, Thomas Morel, Georges Laisné, Catherine Moullin, Françoise Prodhomme, Françoise Marie, Noël Marie, Jeanne Martin, Catherine Barré. Malgré la forte présence de femmes, Noël Renault est peu chargé. Plusieurs précisent que ce sont Léonard et Marie Bidault, fils et fille du 1er lit de Marie Mezenge, qui ont répandu ce bruit. Beaucoup rapportent les disputes du couple, et 4 racontent que Jeanne Mezenge se plaignait qu’il avait voulu la tuer. Peu d’entre eux font allusion à une maîtresse de Noël Renaut, mais plusieurs déclarent que Jeanne Mezenge ne rentrait pas toujours chez elle, et un témoin la décrit même comme querelleuse. La plupart ont vu du sang au nez, peu ont remarqué des marques à la gorge, et la plupart déclarent n’avoir pas prêté attention (11).
• Mr de Noirville conclut que Noël Renaut est chargé, mais curieusment ne délivre une ordonnance d’arrestation que le 15.6.1705, soit 8 mois après la 2ème audition de témoins, et près de 5 ans après la mort de Jeanne Mezenge (12).
• Le 14.7.1705, sur les 2 à 3 h du matin, Jean de St Jean, huissier de Falaise, surprend Noël Renaut au lit, l'habille, le met pieds et poings liés sur un cheval et le conduit aux prisons royales de Falaise (13)
• Interrogé à la conciergerie de la prison le jour même, Noël Renaut nie toute implication, et n'a pas remarqué de marques à la gorge de sa femme le lendemain (14).
• Le 5.10.1705, coup de théatre ! Noël Renault a obtenu du roi des lettres de grâce, dite de rémission. Louis XIV est indulgent face aux violences conjugales, comme face à biens d'autres délits : c'est un moyen de faire rentrer l'argent dans les caisses de l'état.  Le dossier de Noël Renaut a été orchestré par Guillaume Lecompte, qui avait tout intérêt a soutirer de l'argent à Noël Renaut, et a obtenu sa grâce, sous monnaie trébuchante et fausses déclarations. Il n'hésita pas à octroyer à Noël Renaut dans la demande de grâce le mérite d'avoir pris la veuve avec 2 enfants en bas âge. Souvenez-vous, ils avaient 14 et 17 ans !  Le mensonge ne fut jamais vérifié.
• Le procureur doit se plier et clore son dossier, tout en récapitulant minutieusement toutes les pièces (15).

Le 8.10.1705, Noël Renault, fort de ses lettres de grâce, répond à Mr de Noirville, dans un ultime interrogatoire qu'il a poussé sa femme. Il se sait désormais impuni, il avoue ! (16)

• Et Mr de Noirville qui vient d'entendre la vérité, entérine les lettres de grâce le jour même, rendant sa liberté à Noël Renaut (17).
• Noël Renaut ne fit que 86 jours, soit 2 mois et 25 jours, de prison, pour avoir tué sa femme par violence conjugale. Ainsi traitait-on les violences conjugales au temps de Louis XIV sans parler des siècles qui vont suivre...

Bibliographie

à l'exception de la pièce 9 (AD61), ce dossier est aux AD de Caen. en 3B 773 et 3B 865

1. PV de Nicolas Pinson sergent royal à La Sauvagère, le 21.7.1700
2. requête pour le permis d’inhumer et ordonnance de visite du corps, le 22.7.1700
3. PV du sergent de Falaise, le 23.7.1700
4. PV de visite des chirurgiens, le 23.7.1700
5. assignation à comparaître faite par Nicolas Pinson, le 26.8.1700
6. 1ère audition de témoins à Falaise, le 1.9.1700
7. monitoire du 15.10.1700
8. mémoire du vicaire de La Coulonche
9. Léonard Bidaut cèdde ses droits à Guillaume Lecomte, le 8.7.1701
10. 2e assignation des témoins le 13.10.1704
11. 2e audition de témoins le 14.10.1704
12. ordonnance d’arrestation, du 15.6.1705
13. arrestation le 14.7.1705
14. interrogatoire du 14.7.1705
15. le procureur se plie aux lettres de grâce, le 5.10.1705
16. interrogatoire de Noël Renaut le 8.10.1705
17. entérinement des lettres de grâce, le 8.10.1705

retranscription intégrale des pièces justificatives

 la retranscsription intégrale du dossier va vous permettre d'approfondir les méthodes d'enquête de la justice en 1700, ses méthodes positives pour l'appel à témoins assorti de menaces d'excommunication, mais aussi ses lacunes pour l'abscence de vérifications des allégations. Enfin, sa vénalité au profit des caisses du roi.