(baudre, filasse de racines de plantes) et la balle d’avoine, en Anjou. L’Anjou, comme les autres provinces de France, avait souvent un vocabulaire local. En particulier,
la baudre désignait la filasse grossière fournie par la racine des plantes. Je tiens ce terme du Glossaire étymologique et historique des patois et des parlers de l’Anjou, de Verrier et Onillon, 1908, qui a été repris par Lachiver dans son Dictionnaire du monde rural, Fayard, 1997.
Je note au passage qu’on utilisait la racine des plantes pour faire de la filasse, mais j’ignore quelles plantes. Je suis venue à ce terme parce que j’ai aperçu un métier curieux, que j’ai tenté de comprendre. Voici donc d’abord deux actes dans lesquels figure ce métier :
Voici le 1er acte : Le 17 janvier 1628 Dvt Jacques Jucqueau Nre royal de la court de St Laurents des Mortiers (Archives Départementales du Maine et Loire, série 5E) Dt à Miré, François Amiar marchand baudreur de balliene d’une part et Renée Moreau preneure d’autre part demeurant au bourg dudit Miré,
lesquels ont fait ensemble le bail à titre de soubzferme convansions et obligasions qui en suive, savoir est que ledit Amiard a baillé audit tiltre pour le tens de toys ans continuels qui ont commansé au jour et feste de Toussaint dernière et à finir à parrail jour à ladite Moreau prenante et acceptante pour elle scavoir est
ung apentis de maison dans lequel y a cheminée estant adjasent la maison que ledit Amiard tient à tiltre de ferme de Me Jean Davy, lequel apantis en dépans
à la charge de ladite Moreau d’an poyer par chacun an audit Amiard la somme de 30 sols le premier poyement commansant à la Toussaint prochene et à continuer et a donné ledit Amiard à ladite Moreau coure di prandre pandant ledit tans des herbes dans ces jardins pour l’usaige de ladite Moreau seulement, et ou ledit bail seroit rompu ce présent n’aura lieu entres lesdites seules parties sans aulcun dommayges ne interestz. Signé Amiard. ( »Nous avons vu la balline le mois dernier »).
Voici le 2e acte : Le 17 janvier 1628 Dvt Jacques Jucqueau Nre royal de la court de St Laurents des Mortiers (Archives Départementales du Maine et Loire, série 5E) Dt à Miré, Renée Moreau assistée de François Amiar marchand baudereur son procquereur et amy à ce présant demeurant audit Miré, laquelle a recogneu avoir esté logé cy-davant par l’espace de trois ans en la maison des enfans de Jean Titau au bourc dudit miré et qu’elle a esté traitée chauffée logée saine et mallade et assistée par ledit Jean Tiraut lors qu’elle estoit mallade, pour lequel traitement et logement et antretien ladite Moreau a desduit et rabattu audit Jean Tiraut et sesdits enfants la somme de 64 livres qui luy restent à payer sur une obligation en forme de transaction receu devant Me Jean Davy notaire montant 100 livres
François Amiard signe fort bien, et je le mettrai par habitude de ce type de signature au niveau de certains marchands de fil. Le premier acte est très intéressant car il est précisé « baudreur de balliene ». Or, la balline n’est autre que le matelas rempli de balle, enfin, là encore, le terme est purement angevin. Donc manifestement notre marchand est bien dans la filasse et ses produits dérivés, il n’y a aucun doute à avoir. Bien entendu le métier de « baudreur » ne figure nulle part, mais manifestement dans ce petit coin d’Anjou, on a été jusqu’à coller à la baudre son métier. Or, ce coin d’Anjou, c’est à dire l’E.N.E., est celui où j’avais trouvé un brodeur mettant son fils en apprentissage chez un tailleur d’habits. J’ai donc relu ce contrat d’apprentissage, que voici :
et cette fois, je suis prise d’un doute, et j’ai l’impression qu’il pourrait s’agir ici d’une forme orthographique du baudreur ? Ainsi, je m’expliquerai mieux ce père baudreur mettant son fils en apprentissage chez un tailleur d’habits, car un tailleur d’habits rural ne fait rien à la mode. La mode se fait à Paris, puis descend dans les grandes villes de province, et je peux vous affirmer que les dames fortunés susceptibles de s’habiller de robes brodées, visaient très précisément la mode de Paris, au pire d’Angers ou Nantes. D’Anjou elles allaient à Angers passer leur commandes pour s’habiller, pas à la campagne, et même j’ai trouvé un acte par lequel une angevine demandait qu’on lui ramène une robe de Paris. Donc le brodeur de campagne est impossible…
D’ailleurs, il n’y a pas si longtemps que cela la mode était encore Paris, elle arrivait quelques mois plus tard à Nantes, mais dans la campagne ce n’était pas terrible dans les boutiques, et cela a beaucoup évolué depuis peu… Ma génération aura vu cette révolution dans la mode…
Et au passage, le second acte est fort intéressant, car cette femme a été hébergée pour 64 livres pendant un an, mais ne peut sans doute continuer de tels frais, alors elle a trouvé à louer un appentis à François Amyard qui lui coutera moins cher…
Autre remarque, amusante. Si vous tappez « balle d’avoine » en mettant bien ainsi les crochets, dans n’importe quel moteur de recherche sur le Web, vous allez voir apparaître des sites qui préconisent pour la santé le matelas de balle d’avoine. Ils sont surtout Canadiens, preuve qu’eux au moins n’ont pas oublié les bonnes pratiques de nos ancêtres, car il paraît qu’on y dort mieux… Donc me voici rassurée, nos ancêtres ne dormaient pas dans l’inconfort…
Voyez aussi le contrat d’apprentissage d’un fils de baudreur comme tailleur d’habits
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