Le carême de nos ancêtres : autorisation exceptionnelle des oeufs pour cause de famine,

Premier dimanche de Carême. Voici ce que vous auriez entendu autrefois (extrait du Rituel du Diocèse de Nantes, 1776) :

Nous sommes entrés, mes frères, dans le temps de la pénitence. Nous vous avons expliqué dimanche dernier l’étendue de la loi du jeûne et nous nous persuadons que l’église trouvera en vous des enfants dociles à ses commandements ; mais faîtes attention que le jeûne du corps ne suffiroit pas sans celui de l’esprit ; et ce jeûne sprirituel consiste à éviter le péché, à mortifier les passions, et à se priver des plaisirs permis, ou du moins à en user plus sobrement. C’est pourquoi ne le séparez point de l’autre ; et même pratiquez-le avec plus d’exactitude ; puisque le fruit et le mérite du premier en dépend ; et que sans cela Dieu ne le sauroit agréer.
Mercredi, Vendredi et Samedi prochain, sont les Quatre Temps ; le jeûne qu’on y doit observer, et qui concours, avec celui du Carême, a été institué par l’église. Ceux qui ont atteint l’âgé de 21 ans, sont obligés de l’observer, sous peine de péché mortel, à moins qu’ils n’ayent quelque légitime empêchement : les malades, les convalescents, les femmes enceintes, les nourrices, les personnes que l’âge rend faibles et caduques, ou qui sont employées à des ouvrages fort pénibles, et généralement tous ceuq ui ne peuvent faire une longue abstinence sans un péril pour leur santé. Mais, il faut prendre garde de se flatter sois-même, Dieu est le juge des consciences. Ceux qui demandent permission pour manger de la viande sans nécessité, n’en pêchent pas mois, parce qu’ils violent le précepte de l’église. (Rituale nannetense, 1776)

    Voir sur ce site le travail des poissonniers en temps de Carême

Je fais prochainement un article sur les bouchers. Mais je découvre que les oeufs étaient assimilés à la viande, et là, je tombe des nues, car je ne pensais pas qu’ils étaient interdits avec la viande. Voici ce que relate le registre paroissial d’Ingrandes-sur-Loire en 1670 :

« Le froid aiant fait mourir générallement toutes les herbes propres à la noriture des hommes, et aiant empesché le transport du poisson de mer, par mandement exprès de monseigneur l’évesque d’Angers, en date du 27 febvrier au dit an, il fut permis à tous les chrestiens du diocèze de manger des oeufs de poulles et aultres pendant le caresme de la dicte année, jusqu’au jour des Rameaux inclusivement. Le caresme avait commencé dès le 19 du dict mois de Febvrier. La dicte concession avait esté pareillement accordée pour le diocèze de Paris et pour plusieurs aultres du royaulme. » Registres paroissiaux d’Ingrandes-sur-Loire.

    Histoire du jeûne et du carême

Pour ma part, le texte de l’Encyclopédie de Diderot et d’Alembert, me semble plus complet, car il traite des autres religions sur le plan historique :

JEÛNE, s. m. (Littérat.) abstinence religieuse, accompagnée de deuil & de macération.
L’usage du jeûne est de la plus grande antiquité ; quelques théologiens en trouvent l’origine dans le paradis terrestre, où Dieu défendit à Adam de manger du fruit de l’arbre de vie ; mais c’est-là confondre le jeûne avec la privation d’une seule chose. Sans faire remonter si haut l’établissement de cette pratique, & sans parler de sa solemnité parmi les Juifs, dont nous ferons un article à part, nous remarquerons que d’autres peuples, comme les Egyptiens, les Phéniciens, les Assyriens, avoient aussi leurs jeûnes sacrés en Egypte, par exemple, on jeûnoit solemnellement en l’honneur d’Isis, au rapport d’Hérodote.
Les Grecs adopterent les mêmes coûtumes : chez les Athéniens il y avoit plusieurs fêtes, entr’autres celle d’Eleusine, & des Thesmophories, dont l’observation étoit accompagnée de jeûnes, particulierement pour les femmes, qui passoient un jour entier dans un équipage lugubre, sans prendre aucune nourriture. Plutarque appelle cette journée, la plus triste des Thesmophories : ceux qui vouloient se faire initier dans les mysteres de Cybèle, étoient obligés de se disposer à l’initiation par un jeûne de dix jours ; s’il en faut croire Apulée, Jupiter, Cérès, & les autres divinités du paganisme, exigeoient le même devoir des prêtres ou prêtresses, qui rendoient leurs oracles ; comme aussi de ceux qui se présentoient pour les consulter ; & lorsqu’il s’agissoit de se purifier de quelque maniere que ce fût, c’étoit un préliminaire indispensable.
Les Romains, plus superstitieux que les Grecs, pousserent encore plus loin l’usage des jeûnes ; Numa Pompilius lui-même observoit des jeûnes périodiques, avant les sacrifices qu’il offroit chaque année, pour les biens de la terre. Nous lisons dans Tite-Live, que les Décemvirs, ayant consulté par ordre du sénat, les livres de la sybille, à l’occasion de plusieurs prodiges arrivés coup-sur-coup, ils déclarerent que pour en arrêter les suites, il falloit fixer un jeûne public en l’honneur de Cérès, & l’observer de cinq en cinq ans : il paroît aussi qu’il y avoit à Rome des jeûnes réglés en l’honneur de Jupiter.
Si nous passons aux nations asiatiques, nous trouverons dans les Mémoires du P. le Comte, que les Chinois ont de tems immémorial, des jeûnes établis dans leur pays, pour les préserver des années de stérilités, des inondations, des tremblemens de terre, & autres desastres. Tout le monde sait que les Mahométans suivent religieusement le même usage ; qu’ils ont leur ramadan, & des dervis qui poussent au plus haut point d’extravagance leurs jeûnes & leurs mortifications.
Quand on réfléchit sur une pratique si généralement répandue, on vient à comprendre qu’elle s’est établie d’elle-même, & que les peuples s’y sont d’abord abandonné naturellement. Dans les afflictions particulieres, un pere, une mere, un enfant chéri, venant à mourir dans une famille, toute la maison étoit en deuil, tout le monde s’empressoit à lui rendre les derniers devoirs ; on le pleuroit ; on lavoit son corps ; on l’embaumoit ; on lui faisoit des obseques conformes à son rang : dans ces occasions, on ne pensoit guere à manger, on jeûnoit sans s’en appercevoir.
De même dans les desolations publiques, quand un état étoit affligé d’une sécheresse extraordinaire, de plaies excessives, de guerres cruelles, de maladies contagieuses, en un mot de ces fléaux où la force & l’industrie ne peuvent rien ; on s’abandonne aux larmes ; on met les desolations qu’on éprouve sur la colere des dieux qu’on a forgés ; on s’humilie devant eux ; on leur offre les mortifications de l’abstinence ; les malheurs cessent ; ils ne durent pas toûjours ; on se persuade alors qu’il en faut attribuer la cause aux larmes & au jeûne, & on continue d’y recourir dans des conjonctures semblables.
Ainsi les hommes affligés de calamités particulieres ou publiques, se sont livrés à la tristesse, & ont négligé de prendre de la nourriture ; ensuite ils ont envisagé cette abstinence volontaire comme un acte de religion. Ils ont cru qu’en macérant leur corps, quand leur ame étoit désolée, ils pouvoient émouvoir la miséricorde de leurs dieux ou de leurs idoles : cette idée saisissant tous les peuples, leur a inspiré le deuil, les voeux, les prieres, les sacrifices, les mortifications, & l’abstinence. Enfin, Jesus-Christ étant venu sur la terre, a sanctifié le jeûne, & toutes les sectes chrétiennes l’ont adopté ; mais avec un discernement bien différent ; les unes en regardant superstitieusement cette observation comme une oeuvre de salut ; les autres, en ne portant leurs vûes que sur la solide piété, qui se doit toute entiere à de plus grands objets. (D. J.)

Après ma découverte des oeufs, j’ai cherché dans plusieurs sources dignes de foi, et quelle ne fut pas ma surprise de découvrir que les personnes que l’âge rend faibles et caduques, des prédications d’autrefois étaient remplacées par : jeûne obligatoire de 19 à 59 ans !
Ainsi je viens de découvrir que j’étais caduque !
Bigre ! Le terme est saisissant !

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