François de Vaux de Foletier, Bulletin de la Société d’étude du XVIIe siècle, 1971
LES TSIGANES EN FRANCE AU XVIIE SIECLE
Le XVIIe siècle paraît avoir été, du moins en France, le siècle d’or des Tsiganes. Jamais, en dépit des édits, des ordonnances, ces errants que l ‘on nommait « Egyptiens » ou « Bohèmes » n’ont circulé aussi librement a travers les provinces françaises. Les mentions de leurs étapes sont particulièrement nombreuses dans les archives au temps de Henri IV et de Louis XIII. et au début du règne de Louis XIV, plus que durant les périodes précédentes et suivantes. Sur la liste chronologique (évidemment incomplète) que j ‘en ai dressée, je note : cinquante-huit mentions de 1551 à 1660, trois cent huit de 1601, à 1650, quatre-vingt quatorze de 1651 à 1700, quatre-vingt deux de 1701 à 1750. Sous la conduite de capitaines empanachés et bottés, leurs compagnies bigarrées, armées d’épées, de dagues, de piques, d’arquebuses à rouet, de pistolets et de mousquets, s’étirent sur les grands chemins avec leurs chevaux, leurs ânes, leurs chiens, leurs charrettes, leur matériel de campement et leurs provisions.
Craints dans les campagnes, souvent expulsés du ressort d’une juridiction, ils poursuivent leur voyage vers des provinces plus hospitalières. Parfois l’un de leurs groupes se heurte aux archers des prévôts des maréchaux, lieutenants criminels et autres magistrats de robe courte. Ils savent se défendre par les armes, mais aussi par la procédure. Pour avoir contrevenu aux édits du Roi et arrêts de parlement, le capitaine Dodo est condamné aux galères par le prévôt des maréchaux de Blois ; il fait appel « comme de juge incompétent » au parlement de Paris et il obtient une réparation éclatante; le prévôt, dont la sentence est « mise à néant » est contraint de rembourser le prix de douze chevaux confisqués et vendus, et de payer des dommages et intérêts, Le même Dodo oblige, quelques années plus tard, le bailli de Melun à lui restituer aussi des chevaux.
Les seigneurs hauts justiciers, au lieu de chasser, comme ils le devraient, les bandes bohémiennes, leur accordent fréquemment leur protection. Quand les Tsiganes font baptiser leurs enfants, ils s’adressent volontiers, pour les parrainages, à des magistrats : par exemple, un substitut du procureur général du roi au parlement de Dauphiné, un conseiller à la Cour des comptes de Provence, un procureur du roi en l’élection de Saumur. Plus souvent encore à des membres de familles seigneuriales.
Ainsi, en Anjou, Antoinette de Bretagne, princesse de Guéméné, Marie-Anne-Ursule de Cossé, marquise de La Porte, Antoine du Bellay, seigneur de Sougé, Louis de La Tour-Landry, marquis de Gillebourg, Charles de Chambes de Maridor, marquis d’Avoir; en Touraine, Balthasar Le Breton, seigneur d’Ussé et la fille du seigneur de Villandry; en Poitou, Jacques de Nuchèze, seigneur de Badevillain; en Ile-de-France, Louis de Saint-Simon, gouverneur et bailli de Senlis (grand-père de l’auteur des Mémoires), en Nivernais, René d’Estutt, sieur de SaintPère, Roger, duc de Bellegarde; en Lorraine, Marie-Elisabeth, comtesse de Morhange, femme du Rhingrave, et Juliana, fille du seigneur de Nunheim. Ces exemples sont pris dans les registres paroissiaux catholiques. Mais on en trouve aussi dans les registres protestants : en 1615 à Bouxviller, en Alsace, le ministre luthérien baptise une petite Tsigane dont le parrain est le comte de Hanau, et dont les marraines sont Agatha Maria, comtesse de Hanau, et Anna Sibylla de Fleckenstein.
Ce n’est pas seulement pour solliciter des parrainages que les Bohémiens se présentent chez les châtelains. Ils font dans ies châteaux ou leurs dépendances de fréquentes visites et même de longs séjours. Surtout dans les provinces de l’Ouest. En Anjou. Charles, marquis du Bellay et prince d’Yvetot, en héberge au Plessis-Macé; de même. à Raguin son cousin Guy du Bellay, maréchal de camp. A Brissac, le fastueux François de Cossé, deuxième duc de Brissac, entretient durant plusieurs années de suite des compagnies entières d’Egyptiens; les chefs de ces bandes sont traités comme gens de distinction; ainsi, en 1629, Charles de La Grave, capitaine de Bohémiens, est inhumé solennellement dans l’église de Brissac; le même honneur est accordé en 1631 à son fils Charles de La Grave, en 1641 à René, fils de Jean Charles, capitaine d’une compagnie d’Egyptiens. De même, à Châlons dans le Maine, le 8 octobre 1626, « Jeremye Robert, conducteur de sa troupe d’Egyptiens, fut inhumé et enterré dans l’église de céans, par le commandement de Monsieur d’Anthenaise, et du consentement des paroissiaux ».
Or ce Jérémie Robert, lors de ses voyages en Haute-Auvergne, avait bénéficié de la protection des seigneurs de Mercœur, de Lignerac et de Cardaillac qui, les armes à la main, s’étaient opposés en 1612 à son expulsion par le vice-bailli. »
Je viens de trouver sur Gallica ce qui précède, qui éclaire mieux le cas de Charles de la Grave, dont il est question dans les commentaires. Vous voyez dans cet article que les troupes de Bohémiens étaient nombreuses dans notre Anjou, et que Charles de La Grave avait un fils aussi prénommé Charles, mais lui aussi inhumé comme son père, 2 ans plus tard en 1631. En conséquence, le baptême en janvier 1644 à Quintin (22) d’Amaury La Gave fils de Charles capitaine de Bohémiens, n’est pas un baptême qui suit la naissance comme dans le rite de l’église catholique d’alors, à savoir le baptême obligatoire dans les 3 jours après la naissance. D’ailleurs dans ces baptêmes il est le plus souvent précisé « né ce jour » ou « né hier » etc… Or, le baptême d’Amaury La Gave ne donne pas cette mention, donc il s’agit du baptême d’une adolescent dont les parents n’avaient pas lors de sa naissance jugé bon le rite catholique.
Égyptien : sorte de vagabonds qu’on appelle aussi Bohémiens (Dictionnaire de l’Académie Française, 4th édition, 1762) Merci Stanislas pour vos lumières sur l’ancienne langue française, car j’avoue qu’hier j’étais tombée dans le piège du terme égyptien.
Le Dictionnaire d’Emile Littré, 1872, ajoute :
Sorte de vagabonds qu’on appelle aussi bohémiens (voy. ce mot), et à qui, entre autres origines, on a attribué l’Égypte.
Et il cite
MOLIÈRES., Scapin, III, 3: La destinée a voulu que je me trouvasse parmi une bande de ces personnes qu’on appelle Égyptiens, et qui, rôdant de province en province, se mêlent de dire la bonne fortune et quelquefois de beaucoup d’autres choses.
Mieux, il me rappelle qu’en anglais bohémien se dit gypsei, modernisé en gipsy avec le sens bohémien, romanichel, gitan, tzigane (Mon dictionnaire anglais moderne). Gypsei et égyptien ont la même étymologie grecque. Ainsi les anglo-saxons ont conservé le sens de gens du voyage.
Je connaissais ces 4 derniers termes, mais je n’avais jamais entendu le terme égyptien pour des gens du voyage. En vérifiant dans mon grand dictionnaire encyclopédique Larousse, le terme n’est plus appliqué aux gens du voyage.
Donc, la petite égyptienne d’hier était un bébé abandonné à Azé par des gens du voyage. Ainsi nos ancêtres pouvaient aussi se faire dire la bonne aventure… Tout un programme que j’avais totalement occulté. Je n’avais jamais songé à la voyance autrefois, et je la découvre maintenant. Il est vrai que la voyance n’est pas ma tasse de thé, alors j’ai dû la négliger.
Voyez aussi mon billet d’hier sur ce sujet.
Concernant les Égyptiens, je remercie vos commentaires respectifs, et j’ai été voir le Dictionnaire de Trévoux et l’Encyclopédie Diderot qui complètent le précédent billet, mais n’expique pas cependant les compagnies d’Égyptiens du maréchal de Gié. Voici ces dictionnaires ci-dessous (attention, c’est très imagé et parlant, et pourtant de très sérieuses sources d’époque) :
EGYPTIENS, ou plûtôt BOHEMIENS, s. m. plur. (Hist. mod.) espece de vagabonds déguisés, qui, quoiqu’ils portent ce nom, ne viennent cependant ni d’Egypte, ni de Boheme ; qui se déguisent sous des habits grossiers, barbouillent leur visage & leur corps, & se font un certain jargon ; qui rodent çà & là, & abusent le peuple sous prétexte de dire la bonne avanture & de guérir les maladies ; font des dupes, volent & pillent dans les campagnes.
L’origine de cette espece de vagabonds, qu’on nomme Egyptiens, mais plus souvent Bohémiens, est un peu obscure, & on n’a rien de bien certain sur l’étymologie de ce nom.
Il est vrai que les anciens Egyptiens passoient pour de grands fourbes, & étoient fameux par la finesse de leurs impostures. Peut-être cette idée a-t-elle consacré ce nom dans d’autres langues pour signifier fourbe, comme il est très-certain que les Grecs & les Latins l’ont employé en ce sens ; les anciens Egyptiens étant très-versés dans l’Astronomie, qu’on ne distinguoit guere alors de l’Astrologie, peut-être encore aura-t-on pû sur ce fondement donner le nom d’Egyptiens à ces diseurs de bonne-avanture.
Quoi qu’il en soit, il est peu de nations en Europe qui n’ayent de ces Egyptiens ; mais ils ne portent cependant pas par-tout le même nom.
Les Latins les appelloient aegyptii, & les Anglois les ont imités, les Italiens les nomment zingari ou zingeri, les Allemans ziengner, les François Bohémiens, d’autres Sarrasins, & d’autres Tartares.
Munster dans sa géographie, liv. III. ch. v. rapporte que ces vagabonds parurent pour la premiere fois en Allemagne en 1417, fort basanés & brûlés du soleil, & dans un équipage pitoyable, à l’exception de leurs chefs qui étoient assez bien vêtus, quoiqu’ils affectassent un air de qualité, traînant avec eux, comme des gens de condition, une meute de chiens de chasse. Il ajoûte qu’ils avoient des passeports du roi Sigismond de Boheme, & d’autres princes. Ils vinrent dix ans après en France, d’où ils passerent en Angleterre. Pasquier dans ses recherches, liv. IV. chap. xjx. rapporte en cette sorte leur origine : » Le 17 Avril 1427, vinrent à Paris douze penanciers, c’est-à-dire pénitens, comme ils disoient, un duc, un comte, & dix hommes à cheval, qui se qualifioient chrétiens de la basse Egypte, chassés par les Sarrasins, qui étant venus vers le pape, confesserent leurs péchés, reçurent pour pénitence d’aller sept ans par le monde sans coucher en lit. Leur suite étoit d’environ 120 personnes, tant hommes que femmes & enfans, restans de douze cent qu’ils étoient à leur départ. On les logea à la Chapelle, où on les alloit voir en foule : ils avoient les oreilles percées, où pendoit une boucle d’argent, leurs cheveux étoient très-noirs & crépés : leurs femmes très-laides, sorcieres, larronnesses, & diseuses de bonne-avanture. L’évêque les obligea à se retirer, & excommunia ceux qui leur avoient montré leur main « .
Par l’ordonnance des états d’Orléans de l’an 1560, il fut enjoint à tous ces imposteurs, sous le nom de Bohémiens ou Egyptiens, de vuider le royaume à peine des galeres. Ils se diviserent alors en plus petites compagnies, & se répandirent dans toute l’Europe. Le premier temps où il en soit fait mention en Angleterre, c’est après ce troisieme réglement, savoir en 1565.
Raphaël de Volterre en fait mention, & dit que cette sorte de gens venoit originairement des Euxiens peuple de Perse. Dictionnaire de Trévoux & Chambers. (Encyclopédie Diderot, article Egyptien)
Je vois que je ne me remue pas assez pour mes billets. Demain, je me remue, nous abordons le cousin remué de germain.
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