Mémoire d’Avent, l’oeuvre clandestine d’un Angevin à Saint-Julien-de-Concelles 1794-1802 : René Lemesle – chapitre 10 : pertes de mémoire

(C) Editions Odile HALBERT
ISBN 2-9504443-1-8

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Chapitre X

  • PERTES DE MEMOIRE
  • Ma rive est de silence
    mes mains sont de feuillage
    ma mémoire est d’oubli.
    Jean Tardieu

    « J’ai la mémoire qui flanche, je ne me souviens plus très bien… »

    chante notre Barbara nantaise. Ce que Barbara ose avouer, est-ce si rare ? Barbara chante ses amours et ce qu’elle a oublié avec autant de négligence poétique, les jeunes mariés clandestins de la période révolutionnaire ne l’oublaient pas aussi facilement. Ils n’avaient qu’un seul amour, ce qui est plus facile à retenir. Et puis cela avait été une fameuse fête, tout le monde se souvient des noces ! Tout le monde ? Voyons un peu ce qu’il en est.

  • La mémoire des noces
  • Lors de l’enregistrement civil (voir chapitre Mémoire d’Avent), une partie des couples cite la date de mariage religieux. Cette date religieuse se retrouve dans tous le registre de l’An IV, inexistant aux Archives Départementales, commecé par Crouëzaud. La formule utilisée est la suivante :

    … lesquels ont déclaré être mariés ensemble le … et n’avoir pu faire enregistrer leur mariage dans le temps faute de registre civil… (AC de Saint Julien, registre de mariage An IV)

    Admirable formule, car l’acte ne contient aucune formule de mariage, uniquement cette formule d’enregistrement. On n’est donc pas surpris de ne pas trouver aux Archives Départementales de grosse d’un document si peu conforme aux directives officielles : on s’était arrangé pour régulariser les papiers des concitoyens sur place et on avait évité d’acheminer aux greffes la copie. La municipalité complaisante de Saint Julien s’est montré on ne peut plus compréhensive pour cette régularisation. Alors d’où vient que malgré cette compréhension, tous les Concellois n’aient pas été se faire enregistrer ? Ils sont venus nombreux mais pas tous cependant.
    La date de leurs noces religieuses figure dans cet enregistrement et permet de mesurer leur mémoire des dates. Les enregistrements s’effectuent en moyenne 28 mois après la cérémonie religieuse, avec des extrêmes allant de 1 à 4 ans. Ce délai est donc très court, et on peut supposer que les dates citées vont être exactes. Ceci est vrai pour 23 des 52 couples. Les autres ont oublié. A leur décharge cependant, il faut mentionner l’utilisation dans une partie de ce registre du calendrier révolutionnaire. Les dates de leur mariage religieux étaient donc données oralement, puis transcrites en calendrier révolutionnaire par l’agent municipal. On constate alors, comme je l’ai relevé dans les commmunes voisines (16,18), des erreurs spectaculaires, dont la plus fréquente est l’erreur d’année. Donc, pour 4 des couples enregistrés civilement en l’An IV, il y a une erreur d’un an et quelques jours. Mais ou cela se complique singulièrement, c’est que l’agent municipal se trompe 2 fois pour l’année précédente, et 2 fois pour l’année suivante. Il réussissait tout de même à viser quelquefois l’année juste, puisqu’il la donne dans 10 cas. Il n’en reste pas moins qu’il se trompe dans 4 cas ur 14, ce qui est un taux d’erreur relativement élevé. Il n’était pas le seul et ses collèges des communes voisines n’étaient pas plus experts en maniement rétroactif du calendrier révolutionnaire.
    Les autres couples n’avaient aucune excuse pour se tromper, et pourtant ils se trompent de quelques jours à mois près, avant comme après. Les mémoires les plus courtes peuvent être attribuées aux couples déclarant leur mariage religieux 18 mois après avec erreur de 20 jours avant, 14 mois après avec erreur de 9 jours avant, 3 ans et 11 mois après avec erreur de 30 jours après, 3 ans et 4 mois après avec erreur de 22 jours après.
    « la mémoire flanche… » pour les événements heureux, que penser de cette mémoire quand il s’agit de témoigner de dates de décès de proches. Elle n’était pas brillante au Loroux 3 ans après les massacres (16). Oublieuse mémoire !

  • La tradition orale
  • Dès 1797, soit 3 ans après le passage des colonnes infernales, les témoignages recueillis sur place concernant les victimes étaient entachés de « troubles de mémoire » (16,18). La fiabilité des témoignages, y compris des témoignages aussi récents que ceux de 1797, pose un problème difficile à aborder vis à vis des familles de descendants toujours sur place. Depuis 2 siècles, l’état d’esprit des traditions orales familiales et locales est tel que l’a si bien résumé l’abbé Guibert curé du Loroux au début du XXème siècle dans sa chronique manuscrite des méfaits des colonnes infernales au Loroux-Bottereau en 1794 :

    Le sang versé par une famille contresigne l’honneur qu’a eu quelque membre de cette famille de lutter de souffrir ou de mourir pour la religion catholique (44).

    La notion d’honneur a incité certaines familles dépourvues de victimes à transformer des morts naturelles en morts violentes. Ce glissement de la vérité était d’autant plus facile à opérer que des oreilles complaisantes s’y prêtaient. L’honneur n’est pas seul en cause. La mémoire humaine a également ses limites comme le relevé des mariages civils permet de le quantifier (voir ci-dessus).
    Enfin, les familles étaient géographiquement éclatées c’est à dire dispersées au moment des faits. Il est donc fréquent de retrouver des survivants inattendus. On aurait pu s’attendre à voir les familles périr ensemble, mais il n’en est rien.
    Les exemples ci-après illustrent trois types de dérive de la mémoire :

      extension familiale du titre de victime : ici du mari à la femme
      faux-témoignage pour rendre service
      transfert ulitérieur de victime d’une paroisse à l’autre
  • Perrine Giraud veuve de Laurent Dagondeau
  • Laurent Dagondeau, laboureur au Chohuet au Loroux-Bottereau, avait épousé à la Chapelle Heulin le 17.7.1781 Perrine Giraud. Le 8 mars 1794, Laurent alors « agé de 42 ans, barricade sa maison, mais la porte est enfoncée, le malheureux sabré, la maison incendiée et le blessé est rejeté au milieu des flammes » (17). Sa femme est vivante, ainsi que 2 des enfants du couple âgés respectivement de 11 et 6 ans. Le couple, comme la plupart des couples ayant subi les colonnes infernales, est géographiquement dispersé au moment des faits. Laurent a t-il envoyé Perrine se cacher derrière une haye avec les 2 enfants, ou bien les a-t-il envoyé se réfugier sur l’Ile du Recoin avec la majorité des habitants, ou bien dans de la famille à la Chapelle-Heulin ? Laurent aura défendu son maigre bien seul jusqu’à la mort, en ayant eu soin d’éloigner sa famille. Toujours est-il que Perrine n’est pas morte br–lée avec lui comme l’indique une liste privée.

    La veuve a 2 jeunes enfants à élever, qui se marieront respectivement en 1804 à la Chapelle-Heulin et en 1807 au Loroux-Bottereau. Pour les élever, elle se remarie pendant la guerre civile avec René Feillastre, lui-même veuf d’Anne Guillou massacrée le 15.3.1794 avec 2 de ses enfants, et père de 2 autres enfants survivants. Le nouveau couple vit à la Bazillière où René s’était installé vers les années 1781, toujours au Loroux-Bottereau. Ils font baptiser clandestinement au Loroux un fils le 2.11.1799 mais né le 24.9.1799 et déclaré issu de leur
    mariage légitime, selon la formule utilisée lorsqu’il y avait un mariage religieux valide. Or, aucun mariage catholique ne figure dans le registre clandestin du Loroux-Bottereau qui est pourtant très volumineux. Puis le couple fait baptiser en 1801 un second enfant, toujours déclaré issu de leur légitime mariage. Seul le mariage civil figure aux archives communales du Loroux, le 11.11.1798, et il était impensable qu’il n’exista pas un mariage religieux avant
    les baptêmes, mais où ?
    La Bazillière est située à plus de 6 km au sud-est de la ville du Loroux et le Chohuet à 3,3 km à l’est-sud-est. Les liens paternels et beau-paternels de Perrine Giraud étaient essentiellement chapelains. Ceux de René Feillastre résolument lorousains. En l’absence de registre clandestin à la Chapelle-Heulin, on pouvait donc supposer qu’il y avait eu effectivement un mariage religieux clandestin lors des passages occasionnels de Marchand sur cette paroisse et qu’aucune trace écrite ne nous est parvenue. Cette hypothèse de travail est ainsi valable pour bon nombre de familles qui montrent des actes religieux « manquants », c’est à dire dont l’absence dans le registre clandestin de leur paroisse ne peut religieusement s’expliquer.
    Le dépouillement des registres clandestins voisins de la paroisse du Loroux s’avérait donc nécessaire pour reconstituer le « puzzle » incomplet des actes religieux dans certaines familles. Ce travail de fourmies confirme l’hypothèse selon laquelle les actes manquants ont existé. On retrouve dans les registres voisins une partie des actes manquants au Loroux. Ainsi, Perrine Giraud et Renée Feillastre sont religieusement unis le 12.11.1798 par René Lesmele, soit 1 jour après le mariage civil. Les distances et les liens familiaux n’expliquent pas comment ce couple a été uni aussi loin, c’est à dire à 8 km de la Bazillière. Peut-on considérer avec notre mesure pédestre d’aujourd’hui, que la distance de 8 km est grande ? René, né en 1746, donc âgé de 52 ans à son remariage, avait donc eu connaissance de la présence de René Lemesle à travers d’autres liens que familiaux. Liens de galerne ? Toujours est-il que le couple n’avait aucune attache familiale directe à Saint Julien.
    Quant à Perrine, elle est décédée le 7.10.1826, non sans avoir quelques petits enfants auparavant, et elle n’a pas br–lé en 1794. Si le couple avait brulé ensemble, on imagine mal comment les personnes qui ont déclaré la mort de l’époux, Laurent, sans doute parce qu’elles en avaient trouvé le corps calciné dans sa maison, n’auraient pas retrouvé le second corps calciné et n’auraient pas déclaré l’épouse en même temps. C’est donc C. Massonnet, dans le registre clandestin du Loroux-Bottereau, qui a correctement relevé le témoignage du massacre de son époux « massacré et br–lé » le 8 mars. A contrario, le fait que C.
    Massonnet n’a pu noté d’autres actes concernant la famille de Laurent Dagondeau, montre que les témoins de l’époque ne connaissaient pas d’autres violences dans la famille. Ceci ne signifie pas qu’il n’y avait pas d’autres violences, mais qu’aucune autre violence connue avec certitude n’était à leur connaissance à la date de Juillet 1794, date du relevé de Massonnet.
    De ce qui précède découle une seconde hypothèse : le degré d’exhaustivité du relevé de C. Massonnet dépend du degré des connaissances des témoins à la date de Juillet 1794. Les « témoins » devaient avoir vu et identifié leurs morts, ce qui excluait les témoignages des soldats morts sans témoins, et probablement de quelques massacrés non identifiés, encore que mon étude en cours montre que l’identification fût assez complète, même lorsque les victimes étaient tombées sur une paroisse voisine, à plusieurs kilomêtres de leur domicile. Le témoignage occulaire suppose en effet que les corps soient retrouvés et identifiés, mais il faut tempérer la difficulté, par l’extraordinaire connaissance que les gens des villages voisins avaient à l’époque les uns des autres. Ils étaient capables, non seulement d’identifier avec une bonne fiabilité un habitant d’un village voisin, mais aussi de donner oralement sa filiation, et même ses premiers mariages dans le cas ces veuvages multiples, sans introduire beaucoup d’erreurs.
    Malgré l’éclatement familial et géographique des victimes, qui est important, on a pu identifier les 600 victimes relevées par Massonnet éclatées dans un si grand nombre de familles, qu’on peut prendre la mesure du terme « honneur » :
    presque chaque famille a sa victime. La dispersion géographique des membes d’une même famille au moment du passage des colonnes de Cordellier, a permis aux familles de ne pas être totalement massacrées : aucune ne disparaît et il y a toujours au moins un survivant dans une fratrie. Par contre, la plupart des familles ont eu « une victime » au moins, et peu de familles n’ont eu aucune victime.
    L’étude de la vie à travers la population lorousaine, c’est à dire le suivi systématique des vivants à travers toutes les sources disponibles, permet de faire de nombreux recoupements entres les dites sources. C’est ce recoupement qui permet d’infirmer certains témoignages. Il a permit de ramener le chiffre maximum de victimes à un chiffre plus proche de la vérité. Ce chiffre est dès à présent très inférieur à 1000 pour la paroisse du Loroux-Bottereau dans ses frontières de 1789. Il évolue chaque année, en diminuant, au fur et à mesure que je retrouve les traces fiables des vivants.

  • René Hamon
  • René Hamon, né à Oudon en 1759, avait épousé au Loroux-Bottereau le 13.8.1787 Françoise Pallussière, qui lui donne une première fille le 1.5.1789. Le couple fait ensuite baptiser clandestinement en 1796 au Loroux une fille prénomée Renée, puis le 4.11.1798 un fils prénomé René né le 22.1.1798. Ils font enregistrer la naissance de leur fils à l’état-civil en déclarant la même date de naissance, ce qui n’allait pas toujours de soi pour bien des couples, pour lequels la mémoire des dates de naissance est aussi fiable que celle de leur jour de mariage (cf ci
    dessus).
    Le jeune René perd sa mère le 21.9.1800 (EC,AC du Loroux-Bottereau), puis son père le 2.9.1801 (EC, AC du Loroux-Bottereau). Il est orphelin à 3 ans, et élevé probablement par des cousins éloignés vivants à Saint Julien de Concelles, car il n’a pas d’oncles ou de tantes. Devenu adulte, il épouse à Saint Julien de Concelles le 9.8.1822 la concelloise Jeanne Vilaine. Il lui faut des papiers pour se marier, or la plus grande confusion règne dans son entourage : on ne sait plus très bien quand sa mère est décédée et on n’a même pas idée d’aller demander à la mairie du Loroux de regarder en 1800, ou bien on a demandé à Saint Julien de Concelles par erreur, et cette mairie n’avait rien et pour cause. A moins que le désordre règnant dans toutes les communes au niveau de l’état-civil fût tel que la mairie du Loroux n’était plus en mesure de retrouver l’acte. Cette hypothèse, n’est pas à exclure dans un certain nombre de cas, même si elle semble génante.
    Qu’à cela ne tienne, René va faire faire un papier de remplacement, car la mairie lui a indiqué avec complaisance la méthode à suivre pour obtenir un certificat de
    notoriété. Il lui suffit de trouver 2 témoins prêts à jurer la vérité. Or, il y a belle lurette que les « témoins » ne sont plus occulaires et que toute la population jure n’importe quoi allègrement, maire en tête comme à Clisson (18). Belle occasion pour ces « témoins » de rendre service aux proches, mais surtout de dire n’importe quoi à l’administration boudée.
    Et on se moque tellement de jurer n’importe quoi à cette date, que tout le monde en oubli les moindres règles de bon sens : les témoins comme les greffiers qui enregistrent la déclaration, comme les employés de l’état-civil notant le mariage.
    C’est ainsi que personne n’a remarqué qu’un fils né en 1798 avait perdu sa mère « au début de l’année 1791 », et cette année est écrite en lettres, donc n’est pas une erreur de lecture de ma part ou d’écriture à l’époque.

  • Julien Courgeau
  • Julien Courgeau a épousé à Saint Julien de Concelles en 1798 Renée Fleurance, qui lui fait ensuite quelques enfants. Renée Fleurance fait inhumer en 1796 une fille de 3 ans, mais le père n’est pas là, et elle est assistée de ses beaux-frères. Le 28 ventose an V Renée va déclarer à la mairie de Saint Julien de Concelles que son époux a été tué le 15.10.1793 dans les pat–res de cette commune
    près le village des 3 cheminées (EC, AC). Puisque Renée est une pratique de René Lemesle, car elle se manifeste aussi comme marraine chez ses beaux-frères, on remarque que le prêtre n’a pas voulu noter les déclarations a posteriori (cf chapître 6 la mort).
    Mais il reste à Renée un fils né en 1792 qu’elle va élever seule sans se remarier. Devenu adulte, ce fils se marie au Loroux-Bottereau le 19.10.1812 avec la Lorousaine Perrine Clément de 9 ans son aŒnée et s’installe au Loroux. Le jeune couple recueille Renée qui les aide à la Haye Chausse.
    Pierre Clément, la père de la jeune femme qui est devenue la brue de Renée, vit aux Perrines à 3 km du jeune couple, et vient parfois. Ensemble les deux anciens évoquent cette période noire durant laquelle Pierre trouva sa femme massacrée le 17.3.1794 et Renée son époux tué en 1793. Et Renée devenue Lorousaine d’adoption, parlera tant de son époux qu’il époux figurera bientôt dans une liste privée de victimes alors qu’il était Concellois au moment de la
    guerre civile.
    Julien Courgeau illustre les difficultés à établir un martyrologe car la question de savoir qui habitait le territoire concerné au moment des faits est délicate. Il existe une forte probabilité pour qu’il ait été victime, mais sa famille a quitté Saint Julien de Concelles et la tradition orale qu’elle perpétue s’entend au Loroux.
    Pour éliminer de telles sources d’erreurs, le dépouillement exhaustif des registres clandestins est extraordinairement utile. Un registre clandestin est le document le plus fiable de la période révolutionnaire, et il permet de dire qui était présent, c’est à dire bien vivant, à telle date à tel endroit. Grâce au dépouillement exhaustif du registre de René Lemesle, on peut compléter la fiche de Julien Courgeau et constater qu’il n’était jamais présent alors que sa femme l’est à plusieurs reprises, donc qu’il était probablement décédé avant. Le registre clandestin n’infirme pas les déclarations ultérieures.

  • La fiabilité des documents
  • La fiabilité des documents est la clef de toute étude quantitative. Or, la fiabilité des témoignages, sur lesquels les documents a posteriori sont basés, fait défaut la plupart du temps (16,18). Une sous-estimation de son impact a entraîné des erreurs de chiffrage et entretenu depuis 2 siècles dans les 2 camps les débats entre partisans du « toujours plus » et partisans du « toujours moins ».
    Le souvenir de la guerre civile est entretenu de nos jours par plusieurs associations. Elles jouent un rôle déterminant dans l’entretien de la mémoire (22). Les instruments archivistiques utilisés en partie par ces associations pour étayer leurs publications sont des documents écrits de 1797 à 1830, c’est à dire les sources auxquelles la fiabilité fait plus ou moins défaut (16,18). Ces sources se basent sur le recueil de témoignages et attribuent à la notion de témoin une importance qu’elle na pas eu en réalité.
    Il était facile d’être témoin pour rendre service à un voisin : pour toucher une pension, pour avoir une certificat de décès etc… Ces témoignages sont d’autant plus nombreux que la complaisance des personnes les recueillant les favorisait localement.
    Le mouvement du souvenir, s’il est justifié globalement, ne se justifie pas au niveau des individus car les listes nominatives basées sur de tels témoignages comportent de quelques « fausses victimes ». Les témoignages sont d’autant plus erronés que la pression du groupe social environnant est forte. Ils le sont également en fonction des attitudes locales vis à vis de ces témoignages : on observe déjà une différence entre Saint Julien et Le Loroux. Enfin ils sont
    d’autant plus erronés que le temps passe.

    L’étude en cours sur la population lorousaine quantifiera le degré de fiabilité de chaque type de source pour cette paroisse, en donnant nominativement les recoupements impossibles. Les recoupements impossibles sont ceux pour lesquelles la mafestation de la vie, c’est à dire de la « non-mort », est fiable : ainsi, un mariage postérieur, un décès ultérieur ou antérieur, une présence dans un registre clandestin même au titre de parrain ou marraine, etc…, avec filiation donnée par le prêtre.
    Dans le cas des registres clandestins, la vie est présente sous une forme précise et le prêtre n’a pas vu des « fantômes » : on ne lui mentait pas, car cela aurait été mentir à Dieu. On vivait un temps fort, dans lequel la population se serrait et s’entraidait. On n’avait rien à gagner et sans doute tout à perdre et pourtant on déclinait courageusement ses noms et filiations.. On signait même quand on savait.
    La publication des recoupements impossibles, c’est à dire des « non-morts » pose un problème moral qui ne m’échappe pas. Pourquoi venir détruire dans certaines familles ce qui est si bien entretenu depuis 2 siècles. En ai-je même le droit ?
    Je ne m’en sentais pas le droit moral, bien que j’en ai le droit juridiquement parlant. Je ne m’en sentais pas plus le devoir. J’ai bien dit « je ne m’en sentais pas », car depuis j’ai d– changer d’avis. L’un des mouvements du souvenir, par la voie de son président, m’a mise en demeure d’apporter les preuves des résultats
    de mes travaux. Je regrette cette attitude fermée, car j’aurais personnellement souhaitée ne pas faire de nominatif pouvant semer le trouble dans certaines familles toujours en place. J’avais donc na‹vement « suggéré » à cette association de revoir ses chiffres à la baisse dans ses exposés et publications etc… La réponse m’a fait prendre conscience que pour être crue il fallait malheureusement que je donne les éléments nominatifs.
    Quand on songe que 2 siècles après la guerre civile il peut encore exister autant de passions autour des victimes ou non victimes, on peut être attéré à l’idée que prochainement les archives de la seconde guerre mondiale seront communicables. Quelles passions nominatives ne vont-elles pas déchainer ?
    Pour la guerre civile qui nous occupe, un premier cas nominatif a été publié cette année (16). Le présent ouvrage contient quelques cas qui ont ceci de remarquable qu’ils concernent Saint Julien de Concelles autant que le Loroux-Bottereau. Mes travaux ne portent que sur le Loroux, et c’est uniquement pour reconstituer entièrement les familles lorousaines que je suis amenée à survoler les communes voisines comme le présent ouvrage le fait pour Saint Julien. Même sans avoir reconstituées les familles de Saint Julien, on peut trouver des recoupements erronés. Il n’est pas nécessaire de mener un travail extraordinaire pour en trouver. Il suffit d’un peu d’analyse critique et de curiosité.
    Chaque cas de recoupement impossible peut s’expliquer d’une façon différente, encore que certains cas peuvent être regroupés par catégories. Ces erreurs ne sont pas là pour diminuer l’honneur des populations, mais leur rectification permet de quantifier les victimes sur des bases sérieuses. L’étude de démographie historique du Loroux-Bottereau avait, et a toujours, pour objectif de dénombrer les vivants afin de déterminer le nombre maximal de victimes potentielles par différence. Parallèlement, l’étude permet de déterminer un nombre minimal. La zone intermédiaire, dite d’incertitude, est de plus en plus réduite et je suis moi-même surprise de constater que l’on peut mener à bien ce travail en balayant les paroisses voisines et en comptant sur les solidarités généalogiques.
    Les martyrologes sont des documents piégés, mais ils sont aussi les plus crus.
    D’où vient la crédibilité aveugle que manifestent nos contemporains ? Deux siècles après les faits, les familles aiment compter un martyr, ou plusieurs, parmi leurs ancêtres. Sans aller, comme il n’est pas rare encore de nos jours, jusqu’à chercher à tout prix cette victime, quitte à glisser sur certaines incomptabilités ou homonymies, combien de descendants de vendéens aimeraient de nos jours s’entendrent dire que leur prétendue victime n’en est pas une ? Peu, à en juger par les lettres d’insultes qui me parviennent lorsque je rectifie à l’aide de données parfaitement controlables, une tradition orale erronée. Ce n’est pas une raison pour cesser la recontitution des familles lorousaines, puisqu’elle débouche sur quelques rectifications de témoignages visant l’honneur des familles ?
    Je rends ici personnellement hommage à ceux qui ont le courage de reconnaître que leur ancêtre n’est pas la victime figurant dans tel martyrologe, mais qu’il est décédé à telle date ultérieure après avoir vécu des jours paisibles.
    Malheureusement ces personnes éprises de vérité pure sont rares, surtout au prix de perdre un ancêtre victime.
    On tient collectivment ou individuellement à « toujours plus » de victimes. En déposant récemment un relevé informatisé de la période révolutionnaire et en expliquant oralement dans quel contexte j’avais fait ce travail, je m’entendis dire :
    -Alors, il y a eu plus de victimes qu’à … ?
    On attendait de moi un chiffre énorme pour être fier de sa commune. Combien de temps la question se posera-t-elle encore ainsi ? « Toujours plus » appartient à Mr de Closets et sans prétendre à « toujours moins », j’ose croire que la Vendée sortirait grandie de la vérité.
    Car la vérité est terrible, même si le nombre de victimes n’est pas si élevé que le prétende certains, il est suffisamment élevé. Les erreurs relevées dans les témoignages ne concernent qu’une petite partie des listes de victimes. Elles n’en diminuent en aucun cas le nombre, car un phénomène de compensation apparaît avec des vraies victimes non identifiées à ce jour dans les relevés existants. Car Il y a des familles qui ne se sont jamais vantées et qui ont pourtant de vraies victimes non recensées par faute de témoignage ou de déménagement de la paroisse.

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    Odile Halbert – Reproduction interdite sur autre endroit d’Internet Discussion autorisée sur ce blog.

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    1. Bravo pour votre recherche, votre passion pour la généalogie doit dévorer votre temps. Je comprends mieux pourquoi les Dagondeau sont si peu nombreux. Les violences les ont décimées. Enfin, 10 personnes sont quand meme nées depuis 1971 ! Merci

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