Le lit à travers les classes sociales

Toujours collectif, il est estimé garni, et coûte de 200 à 10 L en 1700, de la classe aisée au domestique ou paysan peu aisé, mais c’est le meuble indispensable et la pièce maîtresse du mobilier.

Dans cette catégorie NIVEAU de VIE, vous allez découvrir, au fil de ces billets, les éléments du coût de la vie, et de véritables indicateurs économiques. Nous avons vu que le logement était considérablement moins onéreux que de nos jours (sans eau, électricité, gaz, chauffage central), qu’il avait cheminée pour faire cuire les aliments et accessoirment se chauffer, mais pas de vitres au fenêtres de la grande majorité des Français.
Je vous invite à découvrir quelques meubles et je commence par le lit. Sa principale caractérisque est d’être collectif, et surtout pas individuel : même à l’hostellerie, on y dort à plusieurs.
J’ai dépouillé beaucoup d’inventaires, et les lits ci-dessous sont uniquement pour vous habituer à différencier les classes sociales. D’ailleurs, dans les 3 premiers cas, le lit est dans la chambre haute, ce qui signifie un minimum d’intimité, laquelle n’existe pas à partir du métayer, René Bouvet qui suit.
Les lits sont décrits garnis, et les éléments qui composent la garniture sont amplement énumérés dans mon LEXIQUE DES INVENTAIRES, mais je vous en ferai un billet spécial si les couvertures et rideaux vous branchent… Mais au fait, les rideaux sont là pour clore le lit et être à l’abri des courants d’air puisque les volets de bois n’assurent pas l’isolation. D’ailleurs on porte même un bonnet de nuit aussi…

Voici quelques exemples, de la classe très aisée, à la plus pauvre, le lit principal (il y en a toujours tout plein d’autres) :

  • Jacquette Lefebvre, décédée en 1575, femme de Jacques Ernault Sr de la Daumerye, conseiller et juge magistrat au siège présidial d’Angers, et fille de François Lefebvre de Laubrière et Roberde Bonvoisin, Angers, 1575 : un grand charlit (celui-ci est dans la chambre haute, mais il y en a un assez indentique dans la salle basse, et pour les amateurs de petite histoire, Mr le conseiller Ernault possède une hallebarde, mais elle est près du lit de la chambre haute. Aurait-il à craindre des malfrats ?) de bois de noyer (bois noble) fait à grosses quenouilles tournées et cannelées et les costés et pieds à voyses et godronnées (Voyez ci-dessous les commentaires qui expliquent les godrons) enrichy et garny d’une corniche par le hault aussi enrichye de toile et garni de sa carrye et à corde sur lequel charlit y a une couette de grand lict garnye de son traverlit et vestue de chacun une souille de lin le tout garny de bonne plume avecque deux mantes l’une blanche et l’autre verte (la couleur verte est souvent présente lorqu’il y couleur dans le lit, je ferai un billet sur les couleurs) presque neuve avecque 4 pantes de ciel d’estame verd garny de sa frange et frangette de lin vert ensemble 3 grands rideaux et ung petit de serge verte le tout presque neuf 88 L (attention, ceci est en 1575, et compte tenu de la déflation sur un siècle suivant, vous pouvez multiplier par deux pour comparer les prix ci-dessous)
  • René Richard, ancien conseiller du roi au grenier à sel de Pouancé, décédé en 1730 veuf d’Elisabeth Hiret, décédée en 1725 à 76 ans : charlit de bois de noyer (c’est le bois noble) garni de son fond foncaille paillase et vergettes, une couette de plume d’oye ensouillée de coutty, un travers-lit et oreiller pareil, un matelas fourré de laine et crin, une mante de catalogne blanche, une courtepointe de toile peinte picquée, un tour de lit de serge couleur brune bordé d’un ruban couleur aurore 100 L
  • Antoine Pillegault Sr de l’Ouvrinière, Dt à Angers possède aussi une maison de campagne à la Maboullière au Bourg-d’Iré, 1704 : 1 bois de lit ancien et ses vergettes, garni d’une paillase, couette, traverses de lit, le tout ensouillé de toile, matelas (rare, et pourtant il ne s’agit que de sa résidence secondaire), courtepointe d’Indienne picquée, rideaux et pants d’étamine rouge rayée de noir (tout le mobilier d’Antoine Pillegault est raffiné et suit les nouveautés, ici on remarque l’Indienne et les rayures rouge et noire, et le tout était surement du plus bel effet) 78 L
  • René Bouvet métayer à la Gerbaudière paroisse de Montreuil sur Maine, 1690 : un charlit de chêne (c’est le bois solide, qui fait plusieurs générations) à quenouille carrée (écrit « quarée », et cela n’est rien à côté de tout ce qu’il m’a fallu déchiffrer dans tous les inventaires qui sont en ligne.), une couette (écroit coitte) de plume ensouillée de coutil (écrit coittis), 2 traverslits aussi en plume ensouillés de toile, 2 draps de toile de réparon mesurés de 6 aulnes le couple, une mante de beslinge gris presque neufve, un demi tour de toile de brin plus que mi usé avec son chef de fil, un vieil linceul servant de font 30 L, mais il y a 3 autres lits dont 2 de cormier et poirier, et un de chêne, soit 4 lits dans la chambre (il faut vous y faire, c’est le terme pour ce que nous appelons « pièce »), et pour un total de 106 L.
  • Maurice Debediers, métayer Saint-Julien-de-Vouvantes, 1766 : Un lit à 4 quenouilles garni d’une couette, 1 traversier, 2 draps, 1 vieille couverture de beslinge, avec des rideaux de toile teinte (écrit tainte) 27 L (Le métayer est la classe paysanne aisée, passons à un paysan moins aisé.).
  • François Gohier laboureur à la Maisonneuve à Pouancé 1737 : Un bois de lit de bois de cerisier garni de 2 couettes, 3 traverslits, 1 oreiller ensouillé de toille, 1 lodier gani de filasses , 1 mauvaise couverture de meslinge avec ses rideaux de serge de Can ( pour Caen) verte 15 L (La Maisonneuve est une maison manable, à deux chambres hautes à cheminée renaissance chacune, construite vers 1575 par la famille Hiret que j’ai tant étudiée, et peu après baillée à ferme à moitié à un closier qui vit en bas, et a transformé durant des siècles les 2 chambres hautes en grenier à récolte.)

  • Fenêtres des chambres hautes de la Maisonneuve, en 1997 : à gauche dimensions conservées, avec sa grille, et à droite, la seconde fenêtre, qui avait été transformée en porte d’accès extérieur aux chambres devenues grenier à récolte.

  • Et les domestiques ? ?
  • Les domestiques ont bien entendu une catégorie en dessous, donc mettez 10 L pour leur lit. Et, lorsqu’il s’agit d’une maison manable, c’est à dire dans laquelle les maîtres dorment en haut dans la chambre haute, la ou les domestique(s) dorment dans la salle basse, et si celle-ci est divisée en salle basse et cuisine, ils dorment dans la cuisine. Les vagabonds, et autres routiers dorment sur la paille de la grange.

  • Et les enfants ?.
  • Attention, vous allez revecoir un choc.
    Moi-même, après le choc que j’avais reçu (je n’étais pas la seule) lors de la visite de la Bintinaye (pourtant l’odeur en moins, et il faudrait leur suggérer de l’ajouter), qui donne une idée impressionnante de la salle collective d’alors, j’ai eu un second choc lorsque j’ai lu l’ouvrage de François Lebrun Les hommes et la mort en Anjou aux 17e et 18e siècles, Flammarion, 1675.
    François Lebrun y traite de la fréquence des décès d’enfants en ces termes :

    « Comment voir disparaître autant d’enfants au berceau – un sur quatre en moyenne avant l’âge d’un an – sans considérer le fait non comme un scandale, mais comme un événement aussi inéluctable que le retour des saisons ? Cela est si vrai que l’on n’essaie même pas de prendre pour les nouveau-nés ce minimum de précautions qui aurait évité peut-être certaines morts prématurées. Les statuts synodaux du diocèse doivent interdire de faire coucher les enfants de moins d’un an avec les grandes personnes et classent, parmi les cas réservés, la suffocation d’enfant arrivée fortuitement dans ces conditions ; le renouvellement d’une telle interdiction aux 17e et 18e siècles prouve que des accidents de ce genre continuent à se produire.» Ainsi, nous seulement on les emmène à l’église le jour de leur naissance, ce qui en élimine déjà quelques uns… mais on continue donc en les étouffant dans le lit collectif.

    Vous aussi, vous en avez le souffle coupé ! Alors relisez ce qui précède, car vous avez bien lu, les nouveaux nés étaient mis dans le grand lit collectif. Et je confirme qu’au cours des nombreux inventaires après décès que j’ai dépouillés, je n’ai vu qu’une seule fois une bercouère. Ce qui signifie qu’il n’y en avait pas et qu’on pratiquait pour les nouveaux-nés le lit collectif.
    Les autres enfants jusqu’à leur majorité, étaient réunis dans un grand lit, voire 2 grands lits lorsqu’ils sont très nombreux, mais il n’existe pas de lits pour enfants.

    La garniture viendra une autre fois, car le coffre va suivre. Au fait, à quoi sert-il le plus souvent ?

    Odile Halbert – Reproduction interdite sur autre endroit d’Internet seule une citation ou un lien sont autorisés.

    Journal d’Etienne Toysonnier, Angers 1683-1714

    1689 : Janvier, février, mars, avril, mai, juin

    Journal de Maître Estienne TOYSONNIER, Angers, 1683-1714
    Numérisation par frappe du manuscrit : Odile Halbert, mars 2008. Reproduction interdite.
    Légende : en gras les remarques, en italique les compléments – Avec les notes de Marc Saché, Trente années de vie provinciale d’après le Journal de Toisonnier, Angers : Ed. de L’Ouest, 1930

  • Le 15 janvier (1689) mourut monsieur du Roncerai Bernard président en l’élection et grenier à sel de cette ville. Il était fort honnête homme, aimé et regretté de tout le monde. Il avait épousé en premières noces défunte Melle de la Pinardière Bouteiller, duquel mariage il n’y a qu’un garçon, et en secondes noces mademoisellle Lebouvier auparavant veuve de défunt Mr ….
  • Le 20 (janvier 1689) mourut le Sr Faucheux beaupère du Sr Yvard notaire royal en cette ville.
  • Le 22 (janvier 1689) mourut la femme du Sr Carré cy-devant praticien au palais et à présent greffier en chef à la prévôté ; elle a laissé cinq petits enfants ; elle était sœur du Sr Balain confiseur.
  • Le 26 (janvier 1689) monsieur Deniau assesseur au siège de la prévôté de cette ville épousa la fille du Sr Curieux greffier à Beaufort.
  • Le 29 (janvier 1689) monsieur de l’Esperonnière, de la Roche Bardou, gentilhomme, fils de défunt monsieur de la Roche Bardou, lieutenant de la Vennerie et de la dame de Brie, épousa mademoiselle Constantin, fille de défunt monsieur Constantin grand prévôt d’Anjou et de la dame Peltier.
  • Le 2 février (1689) mourut monsieur Syette bourgeois de cette ville. Il avait épousé la fille de monsieur de la Jouannière Hardy avocat à Château-Gontier. Il a laissé 4 enfants.
  • Le 8 (février 1689) mourut monsieur Barbotin. Il avait été icy longtemps intéressé dans les Aydes. Il a depuis couru les commissions dans plusieurs provinces.
  • Le 9 (février 1689) mourut monsieur Camus chanoine en l’église d’Angers. Monsieur Ripoche doyen du chapitre St Julien a sa chanoinie.
  • Le 14 (février 1689) monsieur Dupont épousa la fille de monsieur Trochon de Richebourg et de la dame Coutard.
  • Le 15 (février 1689) monsieur Gilles Goüin fils de défunts Mr Gouin avocat au siège présidial et de la demoiselle Chevalier épousa la fille de défunts Poulain Me Vinaigrier et Peigné sa mère. Elle est fille unique et a, dit-on, 12 000 livres de bien. (Patience aux non initiés aux chiffres, les indicateurs arrivent sur ce blog, au fil des billets, demain le lit, en attendant vous avez là la fortune d’un avocat, et j’ose ajouter que la fille unique est fort intéressante, d’ailleurs elle l’est toujours, et cela n’a pas changé)
  • Le 17 (février 1689) mourut Mr Poisson marchand droguiste en cette ville.Il avait épousé en premières noces une des filles de feu Mr Dupont notaire et de la dame Camus dont il n’y a point d’enfant, et en secondes noces, il avait épousé la dame Esnault.
  • Le 18 (février 1689) mourut Mr Caternault notaire, garçon, âgé de 35 ans, fils de défunts Mr Caternault aussi notaire et de la dame Perrouin.
    Le même jour (février 1689) mourut monsieur Binet marchand cirier en cette ville.
  • Le 20 (février 1689) le fils de feus Mr Herbereau des Cheminaux et de la Delle Augeard épousa Delle Cantin.
  • Le même jour (février 1689) le sieur Goyer marchand épousa la fille du Sr Jory Me pâtissier.
  • Le même jour, le Sr Tellier épousa la fille du défunt Sr la Roche.
  • Le 2 mars (1689) Jacques Stuart, second du nom, roy d’Angleterre, arriva en cette ville sur les six heures du soir, avec très peu de suite. On lui présenta le dais et les clefs de la ville à la porte St Aubin, qu’il refusa. Les habitants étaient sous les armes ; toutes les compagnies le complimentèrent. Il soupa à l’hôtel de ville ; il en sortit sur les onze heures du soir. Il se mit sur l’eau pour se rendre à Nantes et de là à Brest. (Je découvre à travers ce journal que la Loire, que j’aime, et que je vois de mes fenêtres du haut de ma tour de béton, a vu passer tant de rois… Je savais quel trafic incroyable y régnait, mais jamais je n’avais oser imaginer que le port de Nantes avait vu tant de grand voyageurs étrangers pour Paris)
  • Le 8 (mars 1689) mourut la femme de monsieur de Chastelaye Pasquier conseiller au siège présidial de cette ville. Elle s’appelait Testard ; elle n’a point laissé d’enfant.
  • Le 12 (mars 1689) monsieur Le Tourneux, fils de monsieur Le Tourneux, médecin en l’université de cette ville, et de Melle Jarry, se fit installer dans la charge de président en l’élection cy-devant possédée par feu Mr du Roncerai Bernard.
  • Le 20 (mars 1689) monsieur de Chauvon Louet, fils de feu monsieur de Chauvon Louet et de la dame Grimaudet épousa la fille de monsieur Dupont Gourreau et de la feue mlle Bault.
  • Le 28 (mars 1689) monsieur de la Richelière Toublanc se fit installer dans la charge de conseiller au siège de la prévôté de cette ville cy-devant possédée par feu Mr Galard de Mongazon.
  • Le 30 (mars 1689) mourut mademoiselle Guilbault femme de monsieur Claude Guilbault avocat. Elle s’appelait Jeanne Tonnellier.
  • Monsieur l’Evêque d’Angers a permis de manger des œufs pendant ce carême jusques au dimanche des Rameaux, à cause de la rareté du poisson et des légumes.
  • Le 11 avril (1689) monsieur de Boizourdy, second avocat du Roy au siège présidial de cette ville, fils de monsieur Boizourdy et de la Delle … épousa la fille de feu monsieur de la Sablonnière Chotard et de la Delle …
  • Dans ce temps mourut monsieur de Girard Sr de Gastines. Il avait épousé en premières noces Melle … et en secondes noces une batarde de feu Mr l’abbé de Bégare.
  • Le 1er jour de may (1689) on élut pour maire de cette ville monsieur Grandet conseiller au présidial et un des acamédiciens. (François Grandet, sieur de la Plesse et de Mons, était frère du curé de Sainte-Croix, Joseph Grandet. Conseiller au Présidial, échevin perpétuel en 1689, il fut maire pendant 4 ans d e1689 à 1692. Il fit élever au bout de la rue de l’Hôpital la Porte Neuve ou Grandet, réparer les ponts, établir 2 nouvelles foires (Voir plus bas à l’an 1692) et installer une école d’équitation, toutes initiatives rappelées au revers de son jeton par la légende Porta. Collegio. Pontibus. Hippodromo. Nundinis. Il fut inhumé au cimetière de Faye, le 7 novembre 1730 (Voir C. Port, Dict. p. 290 ; Lehoreau, Cérémonial, vol. III, p. 73 ; Planchenault, Les Jetons angevins, pp. 287, 288, Gazette des Beaux-Arts, 1901) Note de Marc Saché.)
  • Le même jour (1er mai 1689) on élut pour échevins messieurs de la Varanne Tremblier conseiller et du Motay Davy bourgeois.
  • Le même jour (1er mai 1689) mourut monsieur Verdier conseiller honoraire au siège présidial, capitaine de ville, échevin perpétuel de ladite ville, docteur régent du droit français et un des Académiciens. C’était un des grands hommes de cette ville, très éclairé dans sa profession et que tout le monde de la Province consultait dans les grandes questions ; son mérité était honoré d’un chacun. (Jean Verdier, né à Angers en 1610 environ, était fils de Jean Verdier, lieutenant général au Présidial. Lui-même nommé conseiller en devint le doyen. Il se vit confier, lors de la création des chaires de droit français, en 1679, celle de la Faculté d’Angers. Autant que son Commentaire sur la Coutume d’Anjou, resté inédit, sa fidélité au parti de la cour pendant la première période de la France angevine lui avait valu cette faveur. Il fut un des premiers membres de l’Académie en 1685. L’acte de son inhumation, le 2 mai 1689, dans l’enfeu de la chapelle de Boistravers, fondée en l’église Sainte-Croix, s’accompagne de cette mention du curé Grandet : Il mourut, âgé de 74 ans, en cinq heures d’une apoplexie, le dernier jour d’avril, regretté de tous pour sa grande piété et science particulière. (Voir Etat-civil – Poquet de Livonnière, les Illustes, man. 1300-anc.1068 ; De Lens, l’Université d’Angers, Faculté des Droits, 1880, pp. 234, 236 ; Registre du Présidial, p.152 ; Debidour, la Fronde angevine, 1877, p. 97 et suivantes. – Note de Marc Saché.)
  • Le même jour (1er mai 1689) mourut monsieur Hunault docteur régent en médecine. Il était très habile dans sa profession et consulté de tout le monde ; Il était aussi un des Académiciens.
  • Le 6 (mai 1689) mourut madame de la Perrière Foussier, veuve de défunt monsieur de la Perrière Foussier conseiller au siège présidial de cette ville. Elle s’appelait Gardeau, fille de monsieur Gardeau mort prêtre et auparavant marchand et de défunte madame Guillot. J’avais l’honneur d’être son parent assez proche du côté de feu mon père. Elle fut enterrée le lendemain dans l’église de St Maurille.
  • Le 7 (mai 1689) monsieur Garsenlan, fils de Mr Garsenlan et de la dame Belote, se fit installer en la charge de conseiller au siège présidial de cette ville, possédée par monsieur Duplessis Moreau.
  • Le 10 (mai 1689) mourut la femme de défunt Mr Aubin de Cheveigné ; elle s’appelait Pasqueraye ; son fils est maître des eaux et forêts d’Anjou.
  • Le 21 (mai 1689) mourut Melle Guyonneau de la Frenaye femme de Mr Guyonneau de la Frenaye bourgeois de cette fille ; elle a laissé trois petites filles ; elle s’appelait Julienne Angouland, fille de défunts Mr Angouland vivant droguiste en cette ville et de la dame Guitton, mes oncle et tante. Elle était âgée de 48 ans.
  • Le 25 (mai 1689) mourut Delle Cormier femme de feu Mr Grandet, lieutenant de prévôt de cette ville. Elle a laissé plusieurs enfants ; le 1er est prêtre curé de Ste Croix de cette ville ; le 2e est lieutenant criminel à Château-Gontier, marié avec la fille de Mr de la Jouannière Hardy avocat audit Château-Gontier, le 3e est conseiller au siège présidial de cette ville et à présent Maire de ladite ville, marié avec la fille de Mr Jousselin, docteur en médecine ; une fille mariée avec Mr le marquis de Sasilly et une autre mariée avec Mr de la Blanchardière Gourreau conseiller au siège.
  • Le 28 (mai 1689) quarante gentilshommes du ressort et de la juridiction d’Angers, convoqués pour l’arrière ban, partirent pour se rendre à Monfaucon jusques à nouvel ordre, commandés par monsieur de Servien marquis de Sablé, grand sénéchal d’Anjou.
  • Le 31 (mai 1689) monsieur Garsenlan conseiller au siège présidial de cette ville, fils de Mr Garsenlan cy-devant marchand et de la dame Belote, épousa la fille de Mr Duplanti Frein, cy-devant assesseur en l’élection de cette ville et de la Delle Boisard.
  • Le 6 juin (1689) mourut monsieur Pinard greffier en chef en la maréchaussée de cette ville, âgé de 97 ans ; sa femme s’appelle Doostel, fille de défunt Mr Doostel greffier en chef de ladite maréchaussée et de Delle Louise Guitton, sœur de défunte Catherine Guitton ma mère. Le Sr Pinard a laissé deux filles, l’aînée mariée à monsieur de Montiron Hernault conseiller au siège présidial de cette ville, et l’autre morte depuis quelques années mariée avec Mr de la Chaize Herbereau cy-devant présidient au grenier à sel de cette ville, duquel mariage il y a une fille ; il est remarié avec Melle Sicault fille du feu monsieur Sicault lieutenant de la prévôté de cette ville.
  • Le 13 (juin 1689) monsieur René Brillet, fils de feus Mr Brillet et de la Delle Richard, épousa la fille de défunts Mr Gilles Gouin avocat au siège présidial et de la Delle Chevalier. (C’est la demoiselle aux 12 000 livres, la fille unique citér plus haut. Il fait une affaire, ce qui est d’ailleurs démontré par la suite de l’histoire de cette famille.)
  • Le 20 (juin 1689) messieur Martineau et Boulay plaidèrent leur première cause.
  • Le 22 (juin 1689) mourut la mère de la femme de Mr Du Bouchet, âgée de 99 ans ; elle s’appelait …
  • Le 26 (juin 1689) monsieur de Chatelaye Pasquier conseiller au siège présidial de cette ville, veuf de la dame Testard, duquel mariage il n’y a point d’enfant épousa mademoiselle de Cierzé.
  • Le même jour (26 juin 1689) mourut la femme de Mr Carré notaire ; elle s’appelait Anne Pelletier, veuve du Sr Mingon, âgée de 43 ans ; elle n’a jamais eu d’enfants ; elle avait été de la religion prétendue réformée ; elle est morte dans des sentiments fort chrétiens. Ledit Sr Carré est mon cousin germain.
  • Dans ce même temps (26 juin 1689) mourut la femme de monsieur des Rousses Herbereau, conseiller au siège de la prévôté de cette ville ; elle a laissé quatre enfants ; elle s’appelait Esther Davy.
  • Le 30 (juin 1689) mourut le sieur Coignard marchand de bled, fils du Sr Coignard cy-devant hôte de la maison du Gryphon (voir le commentaire ci-dessous) ; il avait épousé la fille de la veuve Menagé, dont il a laissé deux enfants ; il était âgé de 29 ans.
  • Journal de Maître Estienne TOYSONNIER, Angers, 1683-1714
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    Contrat d’apprentissage de serrurier à Candé(49), 1690

    pour Ambrois Desbois, chez François Guilbaud, pendant 4 ans pour 50 livres

    Nous poursuivons l’étude des contrats d’apprentissage. Cette fois, le père est présent au contrat, ce qui signifie soit qu’il a plusieurs fils, et celui-ci serait un cadet, soit qu’il souhaite que son fils apprenne un métier supérieur au sien. Si vous connaissez cette famille merci de compléter ces éléments, qui seraient intéressants à connaître.

    L’acte qui qui suit est extrait des Archives Départementales du Maine-et-Loire, serie 5E, voici la retranscription de l’acte : Le 28 octobre 1690 avant midy, par devant nous François Guilbaud notaire de la baronnie de Candé furent présents en leurs personnes establis et duement soumis sous ladite cour chacun d’honnestes personnes Charles Delabarre Me serrrurier demeurant aux faubourgs Rida paroisse de Saint Aubin d’une part,
    et Ambrois Desbois fils encore mineur d’h. personne Pierre Desbois et Marie Gaigneur à ce présent stipullant et acceptant

    entre lesquels a été ce jourd’huy fait le marché d’apprentissage qui ensuit pour durer le temps et espace de quatre ans qui commenceront à la Toussaint prochaine et finiront à pareil jour par lequel ledit Delabarre a promis et s’est obligé de montrer et enseigner à sa possibilité son métier de serrurier audit Desbois, sans lui receler ains lui montrer fidèlement et à sa conscience pendant ledit temps de 4 ans et le nourrir à sa table, le coucher, laver et reblanchir,

    et aussi audit Desbois de servir continuellement ledit Delabarre audit métier de serrurier et autres exercives honnestes qu’il pourra l’employer, à quoi faire ledit Ambrois Desbois demeure tenu et obligé,

    au surplus est fait le présent marché pour et moyennant la somme de 50 livres tournois payables savoir la moitié, qui est 25 livres, dans Noël prochain et l’autre moitié de Noël prochain en 2 ans, ce qui a été ainsi voulu consenti stipulé et accepté par les parties et à ce tenir et garantir obligent les biens desdits Desnois à prendre vendre, renonçant etc dont etc

    fait et passé audit Candé à notre tablier en présence de Me Antoine Jouin praticien et Gilles Beaumont de présent demeurant à Candé, tesmoins etc, lesquels Ambrois Desbois et ladite Gangeur ont dit ne savoir signer. Signé : Delabarre, Jouin, Desbois, Beaumont, Guilbaud

    Mais au fait, savez vous où on mettait des serrures autrefois ?

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    NANTES LA BRUME, Ludovic GARNICA DE LA CRUZ, Paris, 1905 CHAPITRE Xl. LE CUL-DE-SAC.

  • NANTES LA BRUME, Ludovic Garnica de la Cruz, 1905
  • chapitre 1 : le brouillard 2 : la ville 3 : la batonnier et l’armateur 4 : le peintre 5 : le clan des maîtres 6 : rue Prémion 7 : labyrinthe urbainchapitre 7, suite8 : les écailles 9 : emprises mesquines 10 : carnaval

    Ludovic Garnica de la Cruz. Nantes la brume. 1905. Numérisation Odile Halbert, 2008 – Reproduction interdite.

    A l’Elysée-Graslin, alias au beuglant. Les vitres qui séparaient la grande salle de l’entrée demi-cour garnie d’arbustes étaient fourrées de buées grises. L’éclairage réfléchi par le poli des tables de marbre sur les murailles peintes faisait saillir les dessins ineptes et crus. Et les chaises noires, et les canapés de cuir d’alentour étaient occupés par de nombreux curieux : jeunes gens à tournure d’étudiants, tapant du poing, hurlant à pleins poumons près de galants minois artificiels, potaches imberbes, insérés entre deux vieilles apprentisseuses, barbes vénérables, sirotant leur absinthe en s’égayant le tympan de luxures inabordables, sous-officiers tapageurs, belliqueux du mérite d’avoir un sabre et d’être un militaire pour ces dames. Oh ! les dames, un ramassis de tous les bouquets fanés, usés. Des cheveux rouges étincelants au bord de maquillages savants. Des yeux sillonnés de noir, des pattes d’oie mal déguisées, des rires menteurs qui se paient comptant. Leur pénible travail commence sous l’oeil paternel du bon agent de planton près de la caisse du patron de céans. La force publique veillant sur les préparatifs des heures de basse orgie au nom de la morale.
    Un chut prolongé coupa les conversations. Une femme corpulente, décolletée jusqu’au ventre et de rouge court-vêtue, nasillait une romance de Botrel. On entendait à peine le filet de voix de ce gros corps faisant des grâces :

      Et lon lon laine
      Et, lon lon la

    Puis elle disparut. Une gringalette prit sa place. Quel diable mouvementé ! Elle gesticulait des pieds, des mains, du croupion, de la gorge, piaillait à cris perçants, montrait son pantalon de dentelle rose. Elle regardait surtout les vieux d’un air narquois,. en reprenant le refrain :

      C’est un objet qui s’allonge
      Et se tire, tire…

    Et d’autres suivirent à tour de rôle. Des grandes, des moyennes, des vertes, des jaunes. Chacune y alla de sa petite ordure et s’éclipsa dans une tempête de trépignements. Une brune jura, insulta les assistants. Des duettistes chantaient faux, en camarades avec le piano ; plus osés se tâtaient partout devant le public s’excitant. 0n riait ; ils eurent du succès. Enfin le principal comique fit son entrée sur la scène, en même temps qu’un petit crevé, les épaules rondes, face comique et réjouie, coiffé d’un tube mat enveloppé d’une fourrure, faisait la sienne dans la salle.

  • Tiens, hurla le nouvel arrivant, c’est encore ce vieux cochon de cochon de soulaud qui va nous em… de ses saletés. Fous-le-camp, gros ventru, ou je te colle un verre dans la gueule.
  • Un murmure accueillit cette réflexion. Tranquillement l’autre enleva sa peau et commanda un bock.

  • Allons, vas-y tout de même, vieille canaille, qu’on entende ta voix !
  • Le garçon le prévint qu’on le flanquerait dehors S’il ne se modérait pas. Habitué à ces sortes d’avertissements, le type dégradé de la vadrouille infinissable, de la noce à toutes les vilenies, alluma sa pipe et répondit :

  • Jules, amène-moi une femme, n’importe laquelle, je paie un louis.
  • Pendant ce temps-là, le comique avait entamé ses chansonnettes émaillées de gros sel, d’égrillardes plaisanteries. Quand il vit la salle trépigner de bonne humeur, il reprit l’idiote rosserie, l’idéal de ce genre de foule avachie ? la fille du Remouleur. Les choeurs reprenaient le refrain d’un commun accord :

      Ah !qu’elle est gentille
      Ma fille…

    Une voix complaisante lançait les mots sous-entendus, les mots. ignobles que la rime appelait.

    Au fond, Charles et René humaient délicatement leurs chartreuses. Tandis que le peintre semblait se distraire, René restait triste et pensif.

  • Qu’as-tu donc, René, ça ne t’amuse pas d’entendre ces soi-disants hommes étaler, leur vaine matérialité ?
  • Charles, je m’ennuie. II me faut une femme.
  • Choisis, mon cher. Tiens, les deux en noir qui sont seules près le pilier de gauche.
  • Pas mal, en effet. Garçon ! Dites à ces dames de venir.
  • Sans se faire prier, elles s’attablèrent avec les jeunes gens. Ils causèrent. Banalités des conversations, de cette façon, salade de grossièretés assaisonnée de disances et de calomnies sur les camarades.
    Vers mihuit, ils sortirent ensemble. Dans l’étroite rue Corneille, à la lueur du gros oeil électrique du café ? ils se consultèrent.

  • Vous venez chez nous ? demandèrent les femme.
  • Ils acceptèrent. Chacun partit de son côté.

  • Où demeurez-vous ? demanda René à celle qui lui était échue.
  • Rue Lekain, à deux pas.
  • René la suivit en silence. C’était une chambre assez grande. Un lit de milieu garni de rideaux bleus, une armoire à glace, un large canapé. Elle alluma une haute lampe à pied, retira son manteau et se campa devant le jeune homme impassible. Elle dit :

  • Donne-moi des sous ?
  • René eut dégoût de cette demande, il répondit:

  • Combien veux-tu ?
  • Ce que tu voudras !
  • Dix francs.
  • Donne-moi un louis, je t’amuserai de jolis secrets que tu ne connais pas ?
  • Il lui donna les vingt francs. Elle sourit et les serra dans un noeud de son mouchoir où se cachaient déjà quelques autres.

  • Si j’étais riche, je ne te demanderai rien ! Tu es trop gentil.
  • Ils se couchèrent. René se regardait comme étonné d’être là, dans cette chambre froide sillonnée fantastiquement des lueurs, des pénombres et des ombres de la lampe à abat-jour rose grimpée sur la table de nuit. Il pensait à Lolette, à son petit intérieur à présent triste, ce qui lui donnait une grise mine d’amoureux.

  • A quoi penses-tu ? reprit la femme.
  • Pas à toi, bien sûr, répliqua René.
  • Dans le silence, il murmura : « J’ai honte ».

  • Hein, quoi ? Est-ce que tu es venu pour m’insulter ?
  • Ne te fâche pas, reprit René, en s’étalant sur le dos. J’ai grand besoin de ton talent promis pour m’échauffer.
  • La femme boudait. Il se rapprocha d’elle et la prit ses bras.

  • Tu as de jolis yeux ; on dirait deux agathes foncées.
  • René, avec sa douceur de tempérament, se faisait tendre, caressant. Il l’accabla de menues gentillesses comme à une amie que l’on revoie. Et l’autre se laissait câliner. Une joie franche l’enveloppait. A son tour elle frôla le jeune homme de ses doigts habiles. René donna son corps au plaisir, son corps car l’âme était loin, bien loin de cette bouche empuantant des relans d’alcool qui l’écoeurait. Ils s’aimèrent, selon l’expression imbécile qui désigne les accouplements matériels. Ils se trémoussèrent des positions grotesques malmenant leurs corps pour les faire vibrer de plaisir, comme un violoneux grinçant des airs sur un instrument monocorde.

    Non ! René n’était pas content de sa vie actuelle ! Il maudissait son oncle et ses opinions draconiennes. Son âme saignait des plaisirs qu’il cherchait. Il était devenu incapable de lire en paix un poème préféré. Son esprit en quête d’images luxurieuses le troublait aux dépens de sa santé. Il devenait méchant, solitaire, acariâtre. A la nuit, il se rendait invariablement à la Cigale. Au fond du café, il trouvait des grues patientes attendant sur les cuirs rouges les michets fortunés, parées comme les mariées d’un bal fantaisiste, d’un sabbat dont elles mèneraient la danse maudite. Il puisait dans le tas. Elles y passaient les unes après les antres, Se joignant à certains groupes, il courait de brasseries en brasseries, pataugeant dans l’immondice charnel de fossé en fossé.
    Comme il évitait de s’enivrer avec ces femmes, il se regardait crouler, la honte au coeur, dans un engrenage graisseux de stupre immonde. Il ne se sentait pas la force de fuir, et parfois il pleurait. Il apprenait une histoire secondaire de la ville, une histoire cachée, remplie de misères, de maladies, de souillures, de crimes, d’éclaboussures de morts, et le mensonge des jours étalant son infecte vérité en la nuit muette et complice.
    Un soir, il entraîna Charles. Le peintre s’efforçait, doucement de distraire son ami, de l’écarter du chemin antiesthéthique qu’il suivait.

  • René, tu railles les bourgeois, tu es plus coupable qu’eux en les imitant.
  • Mon oncle sera content. Je lui ai écrit ma vie, vie de crétin inepte.
  • Et Charles l’accompagnait pour lui plaire, un peu aussi pour veiller sur lui, pont le défendre même, René dans sa haine contre les grues, les insultait publiquement avec rage. Des disputes eurent lieu entre leurs défenseurs et le poète. Un soir, à la brasserie Moderne, il y eut bataille ; René esquinta de sa cravache son adversaire. Ce fut une grosse affaire. L’autre porta plainte. Mr de Lorcin fut obligé d’intervenir pour arrêter les poursuites. Un autre soir, il s’oublia au point de frapper en pleine rue, une rouleuse ivre qui le narguait, On l’emmena au poste. Il fut violent. Il passa la nuit sur la planche.
    Il entraîna donc le peintre vers une maison bariolée de vert. La patronne du lieu les fit, entrer dans petit salon entouré de banquettes capitonitées où des femmes en chemisettes transparentes étaient assises, exhibant leurs croupes pollutionnelles. Ils les prirent sur leurs genoux: Ils tâtaient comme bons fermiers en foire la bête la plus solide et la mieux faite. Quand ils eurent fini leur choix, il s’attabIèrent à quelque coutumière orgie.
    Par la porte entr’ouverte, ils entendirent des rires, des chansons, des voix d’hommes mêlées à celles de femmes ! René grommela.

  • Ils sont bien gais, ceux-là !
  • Allons, reprit Charles, qu’est-ce que cela peut te faire ?
  • Je connais ces voix Je veux voir.
  • René, je t’en prie, tu vas t’attirer des ennuis.
  • Têtu, René s’en alla frapper deux coups de poing à la porte voisine. Le silence se fit dans l’autre salon.

  • Ouvrez-donc ! vous n’êtes pas morts de peur, que diable ! On ne vous mangera pas
  • Une voix de femme demanda :

  • Qui est là ?
  • Le voisin parbleu qui vient faire votre connaissance. Ouvrez ou j’enfonce la porte.
  • Charles arriva juste au moment où la porte s’ouvrait. Il entra derrière son ami. Celui-ci se confondait en saluts.

  • Bonsoir M. Seniland, bonsoir M. Béthenie. Vous croyiez peut-être que vos dames venaient vous chercher ? Une belle affaire d’adultère, n’est-ce pas M.le Juge ?
  • Les deux interpellés restaient penauds, ayant une petite femme sur chaque genou, celles-ci riaient de leurs têtes.

  • Mazette, reprit René, vous n’y allez pas de main morte. Cinq pour deux. Nous sommes des dégénérés, nous, n’est-ce pas Charles ? Nous n’avons plus de moëlle. Voilà une petite aventure que vous ne raconterez pas à ce cher M. de Lorcin, mon vénérable oncle !
  • Remis de leur surprise, ils se levèrent furieux.

  • Monsieur, ces manières sont…
  • Ne nous fâchons pas, chers amis, continuons la fête ensemble.
  • Ils grondèrent des sons inarticulés et partirent fort ennuyés sous les regards moqueurs des filles. René offrit du champagne.

  • Et ce sont ces gens les plus rigides cerbères la vertu, ces gens à qui l’on confie le juste et l’injuste, en qui l’on met son entière confiance, nos pires ennemis à nous tous.
  • Une femme conclut.

  • Ce sont des habitués.
  • Le col relevé par dessus les oreilles, les mains dans le linceul des poches, René descendait la rue Crébillon. Un froid venteux battait la nuit silencieuse. Il ne songeait qu’à regagner son gîte, s’y terrer frileusement. Quelques rares voyous tremblotaient en guenilles sur les trottoirs. Une petite fillette de huit à neuf ans collée aux vitres du Terminus mendiait les passants.
    Le long de la Société Générale une femme l’accosta.

  • Monsieur, venez chez moi.
  • Non. Non.
  • Monsieur, j’ai été à Paris.
  • René trouva la phrase bizarre.

  • Que faire à Paris ?
  • Apprendre à travailler !
  • Ah !
  • Il la regarda. Ni belle, ni vilaine, ni bien, ni mal vêtue, bref, une raccrocheuse quelconque. Alors il se mit à rire.

  • A Paris on travaille donc mieux qu’ailleurs ?
  • Acceptez. ! Vous ne vous en repentirez pas.
  • Soit. Je vous suis.
  • La femme, heureuse de l’aubaine, pressa le pas. Son logis pauvre et nu manquait de propreté. Bas, savates éculées, morceaux de bois etc… traînaient par la place. L’air était glacial.

  • Fais du feu, dit René.
  • Il jeta un louis sur la table.
    Assis auprès de la cheminée, le jeune homme appuyait son front sur le plâtre. La chaleur l’engourdissait. La flamme sautillante cuisait, ses yeux. Son cerveau se pelotonnait chattement indifférent.
    La femme jeta de nouveau du bois dans l’âtre et resta accroupie sans rien dire. Elle avait revêtu un long peignoir blanc. Elle agitait ses mains maigres dans les lueurs fauves.
    L’engourdissement du froid passé, René s’étira, faisant craquer ses jointures. Et brutalement, nerveux, il prit la femme sous les aisselles l’attira entre ses genoux. Il sentit la chair chaude à travers le peignoir. Cette nudité le grisa. Il passa ses mains sur les seins tombants, arracha le peignoir

  • Fais-moi voir ce que tu as appris à Paris, lui souflla-t-il à l’oreille.
  • Docile, elle se mit à l’oeuvre.
    L’oeuvre, René ne croyait pas que l’on connût mieux les moyens de salir le vice à Paris qu’à Nantes. Cette femme n’avait probablement jamais quitté les rives de la Loire. Elle usait d’un stratagème à succès parmi les provinciaux admirateurs de toutes les saletés portant le cachet de la capitale. Mais il fut épouvanté de l’ignoble dégradation lubrique de cette goule. Il éprouva un tel dégoût de son contact qu’à une minute plus abjecte il la repoussa violemment, et lui cracha au visage. Elle tomba sur le sol avec un juron terrible.

    Ne voyant plus son ami. Charles se rendit chez lui. René atteint d’une mélancolie névrosée ne bougeait plus de son fauteuil. Des journées entières, il rêvait ou sommeillait, mangeant à peine ce que lui préparait Mine Demeux. La bonne femme cherchait en vain à le distraire de ses racontars faits-divers.

  • Je m’ennuie, lui disait René, je m’ennuie terriblement.
  • A Charles, il tint le même langage.

  • Je m’ennuie, répétait-il, d’une voix désespérée.
  • Travaille.
  • Je n’en ai pas la force. Ce sont maintenant pour moi de maudites souffrances. Des souffrances qui font le vide. Pas de chagrin véritable, pas de regrets. Je souffre de me sembler un exilé dans le néant. J’ai honte de me regarder nu dans ma glace. Je ne suis pourtant pas fou, j’ai honte de ma chair, de chacun de mes membres que ces femmes veni¬meuses ont touchés. Je crois sentir mon âme ombrer la glace d’une tristesse mortelle. Aimer, me soulagerait ! Qu’ai-je à offrir à une amante adorée ? Un coeur fané dans une loque souillée… Leur emprise à ces femmes s’étend sur mes pensers. Si je me clos entre mes murs, c’est pour ne pas les revoir, retourner à l’appel mielleux de leurs lèvres peintes. Oh ! finir cette vie fausse de lubricités imbéciles et de flasques plaisirs !
  • René eut une forte fièvre. Il garda le lit plusieurs jours. Charles fut le médecin expérimenté de sa guérison, de sa convalescence. De douces journées passées ensemble, de franches causeries d’art, les visites amicales des membres de leur cénacle artistique lui retracèrent la voie de la santé. Mussaud, toujours fougueux, voyait le triomphe définitif de l’amplitude de la chair saine et vigoureuse. Sa « Femme d’amour » était presque terminée. Dans une quinzaine de jours l’exposition aurait lieu rue Prémion. Ils en parlaient tous avec orgueil. Ils étaient prêts. Un dernier coup de main et l’on commencerait les préparatifs à l’atelier.
    Avec des ruses d’apaches sur le sentier de la guerre, ils cherchaient à savoir quel serait le tableau de Delange. Mais celui-ci souriait.

  • Attendez, attendez. Vous verrez.
  • René lui-même l’ignorait. Le tableau était renfermé sous clef dans la chambre du peintre et la clef ne quittait jamais la poche de son veston.
    C’étaient des jeunes, des très jeunes, pleins d’audace, de verve et d’aptitude sérieuse au talent. Par aux-mêmes ils voulaient arriver à percer la foule ambiante des médiocrités. A coup d’épaule se frayer à peu un chemin dans le hallier de l’envie. De Remirmont préparait un éclatant manifeste dont Charmel et Ormanne seraient les décorateurs.
    La vie d’antan avait repris sa place au foyer de l’existence où se réchauffait leur camaraderie. René écrivait ses poèmes avec enthousiasme et chantait ses ballades sur le vieux piano du café de Nantes.

  • Le joli minois, murmura-t-il.
  • Machinalement il le suivit. Elle avait un déhanchement particulier des reins, accentué par le poids d’un paquet noir au bras gauche. Sa croupe se balançait délicieuse au trottinement de ses bottines minces.
    René la détaillait des yeux. Un manteau court, foncé, empêchait de distinguer sa taille, mais ses cheveux blonds en nattes énormes dépassaient le collier de fourrures où ses oreilles se baignaient frileusement et retombaient sur ses épaules étroites. Un chapeau breton garni d’un ruban blanc terminait le charme qu’elle dégageait.
    Il la suivait tranquillement sans trop savoir pour¬quoi. Et le vent qui soufflait fort amena la neige dans ses dents. Les pilules blanches s’entrechoquaient par brassées, s’avalanchaient si brusques, si épaisses qu’en un instant les pavés et le trottoir se couvrirent d’un suaire Même. Des parapluies rares s’étirèrent. Les gens surpris fuyaient.
    René presssa le pas. Comme il marchait plus vite que le joli minois, il se rencontra bientôt à coté de lui. Elle le regarda un peu étonnée. Il eut alors une résolution subite.

  • Mademoiselle; voulez-vous accepter l’abri de mon bras ?
  • Un appui plutôt qu’un abri, souria-t elle.
  • Les deux… si vous voulez.
  • Une rafale violente de neige les aveugla branlant les portes et les devantures. Ils se rapprochèrent. Elle se cramponna à son pardessus. Quand l’accalmie revint, il se trouva qu’elle se serrait contre lui et qu’ils marchaient côte-à côte.

  • Vous rentrez chez vous, mademoiselle ?
  • Non, monsieur, je suis en course.
  • Vous avez aussi oublié de vous précautionner contre la neige … Blottissez-vous le long de ma peau de chèvre, les poils vous garantiront à moitié.
  • La neige était certes glacée. Sur le visage elle glissait des filets d’eau trop fraîche. Ni l’un, ni l’autre n’avait cependant froid. La grosse main de René couverte de gants épais entourait la taille de la fille qui disparaissait presque sous son aisselle dans la forêt des poils bruns. Ils bavardaient pour dire quelques paroles. En un clin d’œil une paire d’amis s’entendant comme une paire de gants. Si bien qu’au moment précis du « où allez-vous » question et du « chez moi » réponse, il compléta laccord parfait « ensemble au restaurant ».
    Il dînèrent joyeusement dans un petit salon moelleusement chauffé. Et ce fut tout naturel qu’étant deux gentils mariés du hasard, ils allassent fêter leur nuit de noces dans un grand lit roux de hasard.
    Parmi les caresses de la petite, René recueillait les bribes d’amour qu’il avait perdues avec le départ de Lolette. La tendresse de son coeur aimant maltraité par les marchandes de voluptés lui monta en bouffées aux lèvres. Il aima de toute son âme, follement, franchement, comme elle se donna à lui follement et franchement. A ce corps exquis et frais, il goûta un raffinement de jouissances supérieures telles qu’il n’en avait connues depuis longtemps. Et ce fut une paix qui le berça dans ses heureux délires.
    Il baisa ses lèvres roses et ses yeux doux ; il croqua doucement la pointe de ses seins durs ; il frôla curieux la croupe ferme qui se balançait si délicieu¬sement dans la rue ; il voulut même voir le duvet mystérieux qu’il frisottait de ses doigts malins. Elle rougit et refusa, tenant sa main crispée sur sa chemise qu’elle maintint raide entre ses jambes. Alors il n’insista plus devant cette naïve pudeur. Au contraire, il aima davantage cette chair veloutée qu’il savoura les yeux fermés.
    Fatiguée, la mignonne s’endormit sur l’oreiller touffu de ses cheveux. René, devenu seul, songea malgré lui à celles qu’il avait fréquentées auparavant. Sans scrupules, sans hontes, elles exhibaient à tout venant leur nudité, excitant à l’appat la brute humaine. Il les compara à l’autre qui dormait près de lui. Ses caresses d’amour avaient conservé de candides naïvetés. Charmeuse créature, encore vierge d’âme — sinon de corps – faite pour le plaisir délicat, pour la chanson des sens. Je suis la chair qui aime.
    Au matin, elle disparut après une dernière caresse, chère inconnue qui n’avait laissé d’elle qu’un parfum de passion dans l’air attiédi. Partie sans laisser son nom, sans détourner la tête, vers d’autres coeurs à contenter, d’autres chairs à satisfaire. Toujours avec la même bonne humeur, la même joie, toujours l’ange qui va — où le vent le pousse — aux foyers froids que ses lèvres vont réchauffer. Grands enfants, voici la consolante volupté ! Accueillez-la respectueusement comme un hôte céleste. Elle est la distributrice des bonheurs humains, des heures d’oubli de peines, des réconforts de la défaite et des déceptions ! Paralytiques qui souffrez, approchez vous de cette piscine guérissante. Elle passe rapide comme la lueur phare tournant. Elle passe sur la vie, insconsciente peut-être de son rôle bienfaisant. Le jour, elle est courbée sur quelque ingrat travail qui la fait vivre le soir, elle donne au pauvre qui l’implore le sourire clair de ses yeux, le pollen rouge de ses lèvres, le manteau blond de ses caresses. Le brutal collectif ne comprendra rien à sa mission, il la salira de ses bavures, il la souffletera de ses mépris de maître à tournure de valet. Elle rougira parfois sous l’outrage, et des pleurs humideront ses cils délicats, attendant qu’un jour, elle aille mourir à l’hôpital d’une maladie terrible communiquée par un infâme scélérat, en récompense de ses baisers confiants et désintéressés.

  • Demandez l’Ouest-Artiste, programme de la soirée avec son supplément illustré, dix centimes – Nantes-Mondain, programme de la soirée, dix centimes – Demandez la Silhouette – Prôgramme – Prôôgramme …!
  • Le long des, marches du théâtre Graslin les camelots s’égosillaient. Ils couraient jusqu’au milieu la rue Crébillon. Ils harcelaient les promeneursde leur insupportable charivari. Entre les larges colonnes du péristyle, des hommes, des femmes, des enfants, vêtus de couleurs différentes s’engouffraient par les portes basses à tambour, ainsi que des abeilles rentrant se perdre sous le dôme de la ruche, Au reflet des lampes électriques rougeoyait l’affiche du spectacle : Louise, douzième représentation.
    En face, la place Graslin, ceinturée de cafés fulgurants s’agitait dans des moissons de clartés blêmes dont le respir éclaircissait la craie noire de la nuit. Sur le trottoir du café de la Cigale des grues à ramages froufoutaient, pavanaient des devantures excentriques, attrayantes de leurs yeux prometteurs à la foule presque uniquement composée d’hommes. D’aucunes se plongeaient, dans les rangs des promeneurs. Hardies commerçantes, elles en sortaient bientôt avec un mâle — ô combien ! — assailli et vaincu.
    René flegmatique, regardait le manège curieux de ces femmes, la foule bariolée de leurs chapeaux chamarrés de clinquants. Le cide se faisait au pied du théatre. Quelques sires infects discutaient alentours un braser ensanglantant de lumière leurs pantalons en loques. Parfois, silencieux, ils admiraient l’audace des cocottes, « leurs chouettes soeurs ».
    Un froid cinglait. Les pieds gelés, René se dirigea vers le cours de la République, frôlant les cafés remplis de joueurs de cartes, – les coeurs saignaient, les piques samblaient ricaner d’infinissables railleries. Devant le cabaret des arts, René songea à cette ridicule pléïade de province intitulant ainsi ses vagues auberges, pour s’y croire l’hôte vaniteux des arts, parce qu’elle désaltère Cabots, Silènes et Spartacus. Il bifurqua vers la rue de l’Héronnière. Brusquement le silence ; éclariage peu ou nil. Personne. Il tourne à droite. Le quartier du vice. Rue d’Ancin, étroite, formée d’escaliers. Les lanternes des maisons peinturlurées de jaune, de brun, de vert, l’habillaient comme une mariée. Une file d’enseignes : Au moulin rouge – un vieux moulin dressant lamentablement ses ailes ; le corps teinté de route, semblait un quartier de boeuf sanguinolent ; – à l’Ancre d’or, à la Patte de Chat, au Vert galant. Aux portes, aux fenêtres, les femmes larges, débraillées, fardées, les lèvres trop rouges, l’appelèrent.

  • Viens, mon chéri, viens donc nous voir.
  • Elles l’entouraient, le touchaient, lui prenaient le bras, le tiraient par son manteau. La plupart, des paquets de chairs gonflées, débordantes, d’autres maigres, phtisiques, les dents jaunes ; des vois brûlées d’alcool, sentant mauvais. Il se débattit, les repoussa. Elles n’insistèrent plus, jurèrent, l’insultèrent de canailleries obscènes. Une seule le poursuivit jusqu’au quai de la Fosse.

  • Je suis jeune, regarde, j’ai des voluptés fraîches, mon beau monsieur.
  • Il la fixa le front dur. Elle était joliette : ses yeux bleus avaient une sorte de mélancolie malheureuse si douce qu’il eut pitié. La curiosité le prit de causer avec elle. Il revint. Les autres s’étaient mises à leurs portes, ricanaient. Alors la victorieuse les traita de nms ignobles, d’un vocabulaire ordurier. Et René eut une nausée de se trouver parmi cette turpitude. Il s’enfuit à toutes jambes sans détourner la tête.
    Sur la Fosse, il respira plus à l’aise. Puis il se mit à rire de sa peur. Les buvettes étaient bruyantes ; les chansons giclaient dans la boue éternelle de la chaussée. Des ivrognes titubaient et s’affalaient le long des trottoirs. Il marcha devant lui. Les becs de gaz toussotaient des hoquets safrans. AU fond d’une rue, de grosses lanternes éclairaient les titres : Maison Girondine, A l’Espérance. Les portes étaient closes. Des ombres frappaient, sournoisement la porte s’entr’ouvrait et se refermait sur eux. René continua. Rue des Marins. A un coude de grosses lettres se détachaient : A la Tête noire. Un gigantesque tableau accroché au dessus de l’entrée servait d’enseigne parlante. C’était une négresse nue jusqu’à mi-corps, pendant des tétons énormes. René grimpa les marches de la rue. Une bande de matelots hurlants le dépassa. Ils cognèrent, puis s’enfournèrent dans la maison. L’aspect était lugubre. Une odeur de vice et de mort prenait à la gorge comme du soufre. Ce lui fut aussi la sensation d’âtre entre ces murs rapprochés, dans quelque cachot affreux, quelque effroyable coupe-gorge. Des mines patibulaires le couvaient de regards hostiles.
    Les femmes chuchotaient avec eux. René eut une frayeur atroce. Des frissons lui moitèrent la peau. Ses jambes tremblèrent. Il lui sembla que le ruisseau coulait des pourritures et du sang caillé. Il s’appuya au mur. Un homme vint vers lui. Une nouvelle bande de soldats fit irruption dans la ruelle. Ivres, ils insultèrent l’homme. Il y eut bataille, coups. René profita de la bagarre pour monter la rue, tremblant sous les appels des hôtes de A mon désir, Au grand I...! croyant sentir le froid d’un couteau entre les épaules. Il quitta ce quartier maudit de stupre abominablement autorisé.
    Les exploiteurs de la débauche ont planté leurs tentes au même endroit. L’air y est lourd des puanteurs de syphilis, de maladies exotiques apportées par les marins privés de femmes pendans les longues traversées et venant apaiser leur fringale dans d’immondes naufrages en ces puits de tares morales et physiques, de dégénérescence contagieuse.
    Ludovic Garnica de la Cruz. Nantes la brume. 1905. Numérisation Odile Halbert, 2008 – Reproduction interdite.

    Odile Halbert – Reproduction interdite sur autre endroit d’Internet seule une citation ou un lien sont autorisés.

    Enlèvement de la fille Saulnier, Avrillé (49), 1758

    Les dispenses contiennent parfois de curieux documents. L’enlèvement ici relaté fleure bon le roman, bien que je ne sois pas parvenue à comprendre qui enlève qui et pourquoi. Vous y parviendrez sans doute mieux que moi. Notez que je l’ai mis dans la catégorie MARIAGE faute de mieux :

    Ce acte est extrait des Archives Départementales du Maine-et-Loire, série G – Voici la retranscription de l’acte : Information et audition de témoins faite à Angers par nous Pierre Ayrault chevalier seigneur de Sainthenis conseiller du roy lieutenant général criminel en la sénéchaussée et siège présidial d’Angers à la requête de Jacquine Lepage veuve de Jean Saulnier demanderesse et accusatrice contre les auteurs du rapt et enlèvement de sa fille et ses séducteurs, à laquelle information avons vaqué ayant avec nous François Gigault praticien que nous avons commis pour l’indisposition de notre greffier ordinaire de lui serment pris comme s’ensuit

    Du 13 avril 1758 François Gombault employé dans les fermes du roy demeurant à la porte Lionnaise de cette ville paroisse de la Trinité appelé à la requête de ladite veuve Saulnier … âgé de 61 ans, ni parent, ni allié ni serviteur ni domestique, déclare qu’il n’a aucune connaissance des faits de ladite plainte fors que hier environ une heure et demie du matin étant à son poste à ladite porte Lionnaise il vit un homme qui tenait une femme ou fille qui paraissait jeune, sous le bras, suivi à la distance de 5 ou 6 pas un ecclésiastique à lui inconnu, se firent ouvrir tous les 3 ladite porte de ville et y entrèrent … qu’environ 2 ou 3 heures après une femme qui se fit connaître à lui pour être la veuve Saulnier ayant ses sabots en ses mains, sa coeffe sous le bras, et sans tablier, vint à ladite porte et paraissant toute épleurée lui demanda s’il n’avait point vu passer sa fille, à quoi ayant répondu qu’il avait vu passer un homme qui tenait sous le bras une femme ou fille qui suivant un ecclésiastique, ladite veuve Saulnier lui dit que c’était sans doute sa fille qu’on enlevait et lui fit ouvrir la porte de ville, que le même jour la portière de la porte Lionnaise lui demanda s’il reconnaîtrait bien l’ecclésiastique qui avait passé le matin dudit jour avec un homme et une femme ou fille environ 1 h 30 à quoi il répondit qu’il le reconnaîtrait bien s’il le voyait, que ladite portière lui ayant montré un ecclésiastique qui passait avec le nommé Rontard cabaretier à Avrillé, il reconnut ledit ecclésiastique comme étant le même que le matin avec ledit homme, et que ladite portière lui dit être le vicaire d’Avrillé,

    Marie Lemaistre veuve Jacques Bourdais filassier demeurant à la porte Lionnaise …. dépose qu’hier environ une heure et demie du matin ayant entendu qu’on frappait à ladite porte Lionnaise, dont elle est portière, se leva et ouvrit la porte par laquelle entrèrent un jeune garçon de la paroisse d’Avrillé, dont elle ne sait pas le nom, le nommé Rontard cabaretier audit Avrillé, le sieur Gaudon vicaire de ladite paroisse d’Avrillé et la fille de ladite veuve Saulnier qui avait une cape sur elle, que ce fut ledit Rotard qui lui paya 5 à 6 sols pour sa peine de leur avoir ouvert la porte, que sur les 3 h ou environ du matin dudit jour, ladite veuve Saulnier vint à ladite porte, qui lui fut ouverte, elle était nues jambes, tenant ses bas et sabots entre ses mains, sa coiffe sous le bras, sans tablier et toute épleurée lui demanda si elle n’avait point vu passer sa fille qu’on avait enlevée, à quoi elle répondit qu’il n’y avait pas longtemps qu’elle était passée par ladite porte accompagnée du sieur Gaudon, dudit Rontard et d’un jeune garçon d’Avrillé, que sur les 3 h après midi dudit jour voyant passer par ladite porte lesdits Gaudon et Rontard, elle demanda au nommé Gombault, employé, s’il les reconnaissait bien, qui répondit qu’il reconnaissait bien ledit sieur Gaudon pour être le même ecclésiastique qu’il avait vu à ladite porte avec une femme ou fille à une heure et demie du matin du même jour, et dit aussi qu’il croyait bien reconnaître ledit Rontard …

    Michel Bellouin marchand demeurant au bourg d’Avrillé … dépose que mardi dernier au soir sa sœur lui dit que la fille de la veuve Saulnier devait sortir de la maison de sa mère dans la nuit suivante, même qu’elle avait dit le dimanche précédent en sa présence à la nommée Geoffroy sa parente demeurante faubourg St Jacques qu’elle la verrait chez elle dans le mercredi suivant, que ledit jour de mercredi sur les 2 ou 3 h du matin ladite veuve Saulnier vint à sa porte et lui demanda si sa fille était chez lui, qu’il répondit qu’elle n’y était pas et que ladite veuve Saulnier étant revenue une seconde fois chez lui disant en pleurant et criant qu’elle était bien en peine de ce qu’était devenue sa fille, il lui dit qu’elle était à la cure ou en cette ville …

    François Busson laboureur et sacristain demeurant au bourg d’Avrillé… dépose qu’il est proche voisin de la veuve Saulnier, et qu’il va souvent chez elle, que dimanche dernier étant chez ladite veuve, sa fille lui dit au matin qu’elle sortirait de chez sa mère le mercredi matin, qu’elle ne savait si elle devait obéir aux prêtres d’Avrillé ou à sa mère et lesquels croire, que cela la mettait beaucoup en peine, qu’on voulait la mettre dans un couvent, et l’engager de l’accompagner lorsqu’on l’emmenerait à cet effet, que mardi dernier sur les 7 h et demie du soir, le sieur Gaudon vicaire d’Avrillé lui a dit qu’il eut à éveiller la fille de ladite veuve Saulnier le plus matin qu’il pourrait et l’emmener à la cure, dont il laisserait la barrière ouverte afin d’entrer sans faire de bruit, afin d’emmener ladite fille en cette ville, qu’environ minuit il frappa à la fenêtre de la maison de la veuve Saulnier proche de laquelle est le lit de sa fille, laquelle dit qu’elle allait se lever, qu’en effet lorsqu’elle fut habillée, elle sortit et il la conduisit à la cure où étant ils firent lever le sieur Gaudon vicaire qui l’engagea à aller éveiller le nommé Rontard cabaretier qui avait été prévenu le soir précédent et engagé par ledit sieur vicaire pour l’accompagner pour ammener ladite fille Saulnier en cette ville, qu’en effet ledit Rontard et lui témoin s’étant rendus à la cure ils y trouvèrent ledit sieur Gaudon, ladite fille Saulnier avec lesquels ils partirent et vinrent en cette ville où ils arrivèrent à une heure et demie du matin et entrèrent par la porte Lionnaise, que ladite fille était vêtue d’une cape sans savoir qui lui avait donnée, et où elle l’avait prise, qu’ils entrèrent dans le cabaret du nommé Pehu où pend pour enseigne l’image de Sainte Suzanne, qu’ils y burent tous 3 bouteilles de vin en attendant le jour, qu’ils en sortirent environ 4 h du matin, et lui témoin s’en retourna à Avrillé et que lesdits sieur Gaudon, Rontard et ladite fille Saulnier prirent ensemble le chemin de la Trinité, que la fille de ladite veuve Saulnier lui a dit que sa mère voulait la marier avec le nommé Allard maréchal taillandier demeurant au faubourg St Jacques, mais que le parti que sa mère lui proposait n’était pas de son goût…
    Nous restons sur notre faim… aussi, si vous savez ce qu’elle est devenue, merci de faire signe, utilisez les commentaires ci-dessous à cet effet…
    Odile Halbert – Reproduction interdite sur autre endroit d’Internet Merci d’en discuter sur ce blog et non aller en discuter dans mon dos sur un forum ou autre blog.

    Sergent royal à Denazé : saisie de vaches à Bouillé-Ménard, 1601

    Officier de justice dont la fonction est de donner des exploits, des assignations, de faire des exécutions, des contraintes, des saisies, d’arrêter ceux contre lesquels il y a contrainte par corps.

    Ce billet répond à Elisabeth, qui s’étonne d’avoir un ancêtre aubergiste et sergent. Après avoir vu la semaine dernière l’aubergiste, voici le sergent, et si j’ai bien saisie la question, vous l’assimilez à un gendarme. Le Dictionnaire de l’Ancien Régime, de Lucien Bély, PUF, 1996, traite le sergent à la rubrique HUISSIERS, SERGENTS, à la lettre H. Puis, traite ailleurs le sergent dangereux, le sergent d’armes, le sergent-major, les sergents à la douzaine, le sergent de bataille, le sergent des bois du Roi. C’est dire que le terme sergent est utilisé dans un très grand nombre de métiers, que vous pouvez voir dans l’Encyclopédie Diderot.
    Pour ma part, bien que cela existe théoriquement, je n’ai rencontré qu’une fois, au 16e siècle, sous le nom de verdier, un sergent de seigneurie. Seul le sergent royal est généralement rencontré sous l’ancien régime, pour signifier les exploits etc… En effet, pour se payer des officiers seigneuriaux, qui n’ont le droit d’officier que sur le territoire de la seigneurie, il faut avoir une bien grande seigneurie, et les moyens… Je ne suis pas certaine que même la puissante baronnie de Châteaubriant en ait possédé un. Pour couvrir le territoire, le sergent royal fut donc le seul à avoir acheté l’office du roi, et pouvoir exercer sur un territoire plus vaste : la France.
    Rejoignant le dictionnaire de Lucien Bély (cité ci-dessus), Diderot précise :

    Présentement presque tous les sergens se sont attribué le titre d’huissier-sergent ou d’huissier simplement quoique le titre d’huissier ne convienne véritablement qu’à ceux d’entre les sergens qui sont préposés à la garde de l’huis ou porte de l’auditoire.(Encyclopédie Diderot)
    Le terme d’huissier ne convient que partiellement pour désigner le sergent royal, qui tient à la fois (pour ceux qui veulent absoluement comparer à nos métiers actuels) de l’huissier et du gendarme.

    Le procès-verbal qui suit illustre les deux fonctions. Il est un document exceptionnel, car les PV des sergents royaux sont rarement conservés et celui-ci est une archive privée, que la famille détentrice m’autorise à vous faire lire. Il s’agit d’un impayé, et autrefois rappelons qu’un impayé passait TOUJOURS pas la case PRISON. Donc, pour un impayé on passe par le sergent (fonction huissier) qui saisit ici des vaches pour les vendre et récupérer l’argent dû, mais aussi arrête les débiteurs et les met en prison (fonction gendarme). Le tout sur un territoire relativement étendu : il demeure à Denazé, traite à Bouillé-Ménard (22 km) et vend à Craon la saisie (15 km). Admirez au passage le sergent qui a fait 15 km avec les bêtes, sans camion…

    Procès-verbal fait par Guillaume Gyuon sergent royal à Denazé (53), le samedi 2 juin 1601 suite à un commandement à payer sur Revers et Bouvet à Bouillé (Bouillé-Ménard, 49), avec saisie de bestiaux et prise de corps de Bouvet, mis en prison à Craon à la garde de Julien Mellier geolier (Archives privées) retranscription O. Halbert et Pierre Grelier, décembre 2007

    Raporté par moy Guillaume Guyon sergent royal et général résidant à Denazé
    que ce sabmedy deuxiesme jour du mois de juin l’an mil
    six cent ung, à la requeste de Michel Cochery demeurant
    en la ville de Craon et en vertu de l’ordonnance
    de monsieur des Matiaz lieutenant assesseur de
    monsieur le sénéchal d’Anjou Angers estant au pied de
    sa requête à luy présentée en datte du vingt cinquiesme
    du mois de mai dernier signée Bautru, j’ay ladite
    requête et ordonnance à laquelle cet exploict est
    ataché signifié notifié et faict entendre
    à Me Pierre Revers prêtre et à Pierre
    Bouvet y desnomméz et d’icelle baillé copie avec
    aultant de cet exploict audit Revers tant
    pour lui que ledit Bouvet et en sa présence qu’il
    receu et ay faict commandement par
    le roy notre sire auxdits Revers et Bouvet tant
    en vertu de ladite ordonnance que de l’obligation
    dudit Cochery (deneu) en forme passée soubz
    la cour de Craon par Cheruau notaire de payer
    présentement audit requérant ou a moy pour luy
    la somme de quinze escuz sol mentionnée
    en ladite obligation et pour les causes y contenues
    la response desquelle j’ay prise par
    refus au moyen de quoi j’ay reellement
    et de fait pris en la possession dudit Revers
    en la paroisse de Bouillé trois mères vaches

    f°2
    dont y a deulx rouges et une noire avecques deulx
    petites génisses lesquelz bestiaulx ayant voulu
    exposer et mettre en vente publique au
    plus ofrant
    et dernier enchérisseur et de fait
    les ayant mises et exposées estre à vendre avec
    huitaine de recousse, lesdits Revers et Bouvet et
    voir faire inthiméz estant sur l’heure de sept à
    huit heures de la matinée de ce jour et estant
    lesdits bestiaulx au hault des halles dudit bourg de
    Bouillé le marché ordinaire dudit lieu y tenant personne
    ne les à enchériz ny mis à prix que ung homme
    estant audit marché à moy incongneu qui a
    le total desdits bestiaulx mis à prix à la
    somme de deulx escuz ung tiers quoy voyant
    que ladite offre estre impertinente j’ay audit Revers
    déclaré que je vays présentement transportés lesdits
    bestiaulx dudit bourg de Bouillé à Craon pour estre
    lundy procédé à la vente avec huictaine de recousse
    au hault des halles de Craon et marché ordinaire
    dudit lieu y tenir comme estant le proche marché
    de cette exécution après celuy de Bouillé pour
    voir procéder à la vente desquelz ay lesdits
    Revers et Bouvet inthimez à comparoir
    audit jour et lieu sur les sept à huit heures
    du matin pour des deniers qui en
    proviendront estre convertiz au payement de ladite
    sentence tant qu’ilz y pouront sufire et
    d’aultant que lesdits bestiaux ne seront suffisants
    pour le payement de ladite somme j’ay auxdits Revers et

    f°3
    Bouvet déclaré qu’il sensuit et le reste mettre en
    mains du roy notre sire et de justice tous et
    chacuns leurs biens immeubles et fruictz d’iceux en
    quelques lieulx qu’ilz soient et qu’il y sera étably
    commissaires affin qu’ilz n’en ignore et outre
    jusqu’à l’entier payement de ladite somme j’ay pris
    et apréhendé au corps ledit Bouvet et iceluy
    mené et constitué prisonnier es prisons ordinaires de
    Craon et baillé de faire en garde
    Me Jullien Mellier geolier et garde desdites prisons

    aulx charges de l’ordonnance lesquels bestiaux
    j’ay aussi transporté audit Craon et baillé de fait
    en garde à Gilles Hersant à la charge de me
    les représenter lundy prochain sur les
    sept à huit heures du matin et qu’il m’a promis
    faire dont il s’est chargé et faute de ce faire
    s’en est rendu et constitué de cour de justice
    aux charges de l’ordonance royale et déclaré
    ne savoir signer. Fait le présent exploit
    audit bourg de Bouillé par moy sergent royal
    susdit soussigné présent Me Thugal Gauvin
    Jean Cheruau et autres. Signé Cheruau, Gauvin, Guyon

    Alors notre aubergiste et sergent dans tout cela ? Effectivement, on peut s’étonner du cumul de ces 2 emplois, car Lucien Bély (cité ci-dessus) précise qu’ils ne pouvaient être ni geôliers, cabaretiers ou agents d’affaires, et comme le dit Elisabeth, ils auraient pu entendre leurs clients discuter de problèmes par exemple concernant les droits seigneuriaux etc… et donc perdre tout crédit. Entendre les clients discuter à l’auberge est en partie vrai, mais pas en ce qui concerne les droits seigneuriaux, dans lesquels le sergent n’avait aucun pouvoir de remonter un litige, et ces différends étaient directement traités au Présidial à Angers (ou autre Présidial comme Château-Gontier). Le seigneur était bien assez grand pour aller traiter directement à ce niveau lorsque ses sujets ne voulaient rien entendre… En matière criminelle, peu de seigneuries avaient en Haut-Anjou ce droit, et j’ignore si à Bouvron (44, dont parle Elisabeth) le seigneur possédait ce droit, et je suggère à Elisabeth de vérifier ce niveau des droits seigneuriaux locaux, afin de préciser si son sergent aurait pu se trouver face au problème.
    Il faut croire qu’au fil du temps, faute de volontaires pour exercer un métier potentiellement dangereux, pour arrêter, faire les saisies, les procès-verbaux de perquisition, et faute aussi de personnes sachant écrire (c’est utile pour rédiger les PV), on avait fini par se contenter des volontaires et fermer les yeux sur le cumul en question. Longtemps, dans les petites paroisses, seuls le curé et parfois un notaire, étaient capables de rédiger un acte, et vous avez vu le PV ci-dessus, il est fort bien rédigé et précis.
    Une chose reste sure, votre ancêtre vivait plus dangereusement que d’autres, car les rixes étaient souvent à l’auberge (le vin aidant, sans doute…), et le sergent était aussi un métier potentiellement dangereux. Donc, il avait de la trempe…
    De nos jours encore, dans les petites communes, voyez une secrétaire de mairie (entr’autres), qui doit savoir tout faire… et tout connaître, et c’est vaste juridiquement. Cela me laisse toujours admirative… Sans doute que dans les campagnes, il a toujours fallu savoir tout faire… et les métiers hyper-spécialisés sont le propre des grandes villes.

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