Ouvrage paru en 1990
(C) Editions Odile HALBERT
ISBN 2-9504443-1-8
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Chapître III
Pour évaluer l’oeuvre religieuse des prêtres clandestins, nous ne disposons que de baptêmes et de mariages, qui sont des sacrements, et de sépultures plus ou moins exhaustives. Les messes, bénédictions, confessions, communions… ne laissent pas plus de trace écrite que l’extrême-onction.
La tâche accomplie par René Lemesle peut être évaluée comparativement aux données chiffrées disponibles à ce jour. Les études relatives aux registres clandestins sont rares. Patricia Lusson-Houdemon donne un relevé fragmentaire pour 3 départements (18) repris ci-dessous :
Le pourcentage de baptêmes, par rapport à la somme des baptêmes et mariages, est toujours supérieur à 70 dans l’Ouest. Les études de registres clandestins de catholicité déjà publiées, s’accordent à reconnaître l’importance relative du baptême. C’est le sacrement auquel les populations sont le plus attachées. Pour Bernard Cousin, il représente seulement 62 % des actes du registre d’Avignon (19). Le pays lorousain, qui figure dans la seconde partie du tableau ci-dessus, totalise 1 528 mariages, dont 26,9 % bénis par René Lemesle. Ces nombreux mariages infirment la phrase de M.úRobin selon laquelle il n’y avait pas de prêtre de Liré à Nantes.
Le registre de Saint-Julien est numériquement le plus important. Celui de Vallet est inconnu des Valletais, car généralement attribué au Loroux et inconnu du R.P. Laure (20) dans son ouvrage.
L’activité de René Lemesle est donc comparable à celle de son célèbre voisin de La Chapelle-Basse-Mer. Tout comme M. Robin, il n’a pas limité son ministère clandestin aux frontières paroissiales. Il n’y aurait pas autant d’actes si les Concellois avaient seuls profité de son secours pastoral.
Alors pourquoi l’un est-il si connu, l’autre non ? L’un a le sens de la publicité, est l’enfant du pays et soutenu par sa famille. L’autre n’est pas né en Loire-Inférieure, et protège de son mieux sa famille restée à Vern la républicaine, en s’en détachant. Enfin, il n’a pas oublié qu’il a commis une erreur de jeunesse, qu’il rachète sans ostentation.
L’un abonde en détails hauts en couleur : « … qui ont été transférés au cimetière par les catholiques après la retraite des anthropophages (sic) qui faisaient partie d’une armée révolutionnaire qui déshonorat à jamais le nom français… » (Robin, registre clandestin du 25.05.1794). L’autre a un style sobre et voici son unique détail, extrait des mariages dans la chapelle de la Gagnerie en 1799 : « pour échapper aux ennemis de la religion qui nous entourent.. »
Ils ont beaucoup marié et respecté la tradition. La saisonnalité des mariages, étudiée ci-contre en nombre moyen de mariages par mois, est de type prérévolutionnaire.
R. Lemesle et M. Robin observent les temps clos du Carême et de l’Avent, qui sont des interdits religieux.
La période des travaux agraires, se situe pour M. Robin en septembre et octobre, comme avant la Révolution. Cette baisse correspond au travail du chanvre et de la vigne. La courbe diffère chez M. Lemesle, alors que la culture est de type comparable (voir chapître « la Fête »).
Avant la Révolution à Saint-Julien, la moyenne annuelle des naissances de 1780 à 1789 est de 119 avec un écart-type de 10,6, celle des sépultures, y compris les enfants en nourrice, de 121,6 avec un écart-type de 21,5, et celle des mariages de 31,1 avec un écart-type de 4,8.
Les courbes ci-contre donnent la saisonnalité des naissances et des sépultures avant la Révolution à Saint-Julien. La chute des naissances en juin correspond, neuf mois avant, au travail du chanvre, fort pénible, durant lequel on concevait moins.
Les naissances des mois suivants ne sont pas nombreuses : la conception était généralement moins facile l’hiver du fait de la promiscuité.
La comparaison qui suit n’est pas une étude de démographie ; c’est une estimation rapide de la fréquentation du prêtre clandestin.
En période clandestine, on aurait pu s’attendre à une chute du nombre de baptêmes et des mariages pour plusieurs raisons : difficultés à trouver un prêtre, nombre des victimes de la période révolutionnaire ayant entraîné une diminution des vivants, baisse probable de la pratique religieuse.
Or, on constate l’inverse. René Lemesle a baptisé et marié chaque année en moyenne plus qu’en temps de paix prérévolutionnaire. Seul le nombre des sépultures montre une chute assez brutale.
Les sépultures sont donc sous-déclarées, tandis que le nombre relativement élevé de sacrements de baptêmes et mariages, témoigne de la vitalité en cette période troublée.
Il y a plus de mariages qu’avant la Révolution alors que trois prêtres y exercaient alors.
Ce surcroît d’actes effectués par René Lemesle, est liée à la présence de nombreux non-Concellois (voir chapitres suivants).
En période prérévolutionnaire les sépultures à Saint-Julien-de-Concelles sont surévaluées du fait de décès d’enfants nantais en nourrice. Ces mises en nourrice
se ralentissent pendant la guerre civile, mais reprennent dès le moindre signe de paix ; les conditions de vie sont plus mauvaises à Nantes qu’à la campagne. La ville, qui a toujours eu un déficit démographique au XVIIIème siècle, offre une promiscuité favorable à l’élévation du taux de mortalité. Il semble que les enfants de réfugiés aient une mortalité supérieure à celle des enfants restés au pays ; il n’existe aucune étude sur ce sujet et cette constatation découle seulement d’observations personnelles.
Le nombre considérable d’actes contenus dans le registre de René Lemesle nous surprend puisque la population concelloise a eu des victimes pendant la guerre civile ; selon l’abbé Pétard, la moitié de la population aurait disparu (11). On observe le même phénomène sur le registre clandestin du Loroux-Bottereau pour la population lorousaine.
Cette activité prouve que les survivants sont assez nombreux et ont maintenu une certaine pratique religieuse, et que les non-résidents viennent parfois de loin chercher un sacrement.
Au XVIIIème siècle, les prêtres mentionnent très souvent les liens de parenté de tous les témoins ; René Lemesle aussi, et cela représente une foule de personnes car à chaque baptême, il faut, au minimum, le père accompagné d’un parrain et d’une marraine, et a chaque mariage, 7 à 10 personnes. Lorsque l’un des époux est mineur et orphelin de mère, à défaut de pouvoir se faire décréter de justice, comme avant la Révolution, on remet en vigueur l’ancienne coutume de Bretagne et on fait témoigner 6 à 10 parents supplémentaires. La majorité n’est qu’à 25 ans et les mineurs sont nombreux. Tous les prêtres du pays lorousain ont remis cette coutume en vigueur, car ils possédaient des éléments de Droit Coutumier.
René Lemesle a baptisé 1 095 enfants, béni 411 couples, soit 822 époux, et enterré 412 morts. Certaines personnes ont participé à plusieurs cérémonies et quelques couples font baptiser jusqu’à quatre enfants.
René Lemesle cite rarement le même jour des parrains et marraines communs à plusieurs enfants. Lorsqu’il a affaire à des non-Concellois, c’est-à-dire à des familles qui ont plus de difficultés que les autres à se déplacer en groupe, il se contente parfois de prendre le père de l’enfant précédent comme parrain du suivant. Les familles venues de loin se sont souvent déplacées ensemble et s’utilisent mutuellement comme parrains et marraines.
Pour estimer combien de personnes ont rencontré René Lemesle, on élimine les recoupements et on atteint environ 3 300 personnes en l’espace de huit ans.
Aucun n’hésite à décliner son identité. Pourtant, chacun sait que le prêtre note les liens de parenté et que les papiers peuvent être saisis avec lui par les républicains. Cette saisie du registre pourrait les faire condamner à mort par le tribunal révolutionnaire.
En 1984, Rome a béatifié 50 personnes fusillées à Avrillé près d’Angers. Elles n’avaient commis d’autre crime que celui d’assister à une messe clandestine. Les Concellois risquaient eux aussi le martyre pour la foi. Ainsi, au delà d’une simple mesure de la pratique religieuse, les registres clandestins témoignent des risques pris par les populations pour rester fidèles à leur foi.
Parmi les milliers d’actes dépouillés à ce jour, il n’existe qu’un cas d’absence d’identité. Ceci se passe au Loroux-Bottereau où des non-Lorousains sont venus faire baptiser leur enfant. Pressés de repartir chez eux, ceux-ci n’ont pas le temps de décliner leur identité, si bien que le prêtre n’a pas assez de temps pour noter et enregistre le 17.10.1794 :
…Jean Visonneau fils de Georges et Anne Pineau, né à Haute-Goulaine le 17.10.1794, le parrain et la marraine n’ont pas décliné leur identité avant de s’en aller. (Registre clandestin du Loroux-Bottereau)
L’importance de documents comme les registres de catholocité clandestins est inestimable. Ainsi, René Lemesle donne avec la même exactitude qu’avant la Révolution, c’est-à-dire avec une probabilité très élevée de précision, les filiations et les liens familiaux des personnes présentes. On peut reporter ces détails filiatifs sur les fiches de familles et les reconstituer. Ces fiches de familles complétées, permettent de pister la vie et de la situer dans le temps.
En comptabilisant ainsi les vivants, on peut, a contrario, estimer les décès, car il y a deux façons de mesurer un verre à moitié plein : on peut mesurer la partie vide, mais aussi la partie pleine. Au lieu de tenter l’impossible martyrologe, on peut faire la démographie des survivants.
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« Toute science humaine, sans une puissante base démographique, n’est qu’un fragile château de cartes, toute l’histoire qui ne recourt pas à la démographie, se prive du meilleur instrument d’analyse. »
Pierre Chaunu (21)
Ouvrage paru en 1990
(C) Editions Odile HALBERT
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