Ouvrage paru en 1990
(C) Editions Odile HALBERT
ISBN 2-9504443-1-8
Chapitre VI
Les noces traditionnelles se sont donc maintenues pendant la guerre civile, mais quand régularisait-on civilement ?
La seule étude connue porte sur Avignon (18). La comparaison entre les dates des 2 formes de mariage, civil et religieux, montre que 15 % des couples régularisent le jour même, et que 62 % ne régularisent qu’après, dans un délai relativement court : la moitié des retardataires en l’espace d’une semaine, le reste en un an.
Avignon est cependant d’une ville dans laquelle les interdits religieux, les temps clos et le vendredi, ont été levés par la hiérarchie catholique. Le prêtre réfractaire bénit 82 % des unions un vendredi, et on ne peut donc comparer Avignon à Saint-Julien-de-Concelles.
L’attachement à la fête du mardi ou du lundi est encore plus marqué lorsque l’on étudie le jour de mariage civil. L’érosion du mardi est très sensible, au profit de tous les jours de la semaine y compris le dimanche. Les couples des lundi et mardi ont pu être ceux, rares, qui expédient le mariage civil le même jour que le religieux.
L’attitude est bien diffèrente à Saint Julien de Concelles comme au Loroux. Rien de comparable avec Avignon. Le mariage civil est n’importe quel jour et il n’y a pas de corrélation avec la date religieuse : avant, même jour, quelques jours après, mais aussi très longtemps après, jusqu’à 30 ans après au Loroux.
Ce retard des couples mariés religieusement clandestinement à « régulariser » civilement n’a jamais été mesuré statistiquement en région de Venée Militaire. Au Loroux, il est si élevé, qu’il était intéressant de mesurer quantitavement cet écart dans la paroisse voisine de St Julien de Concelles, pour mieux ultérieurement évaluer l’attitude lorousaine.
Mais pour évaluer cet écart, les difficultés s’amoncèlent : non seulement il faut chercher jusqu’à 30 ans après, mais encore il faut faire les 2 collections d’archives : les communales et les départementales. Et ce n’est pas tout, car la plupart n’ont pas régularisé dans la même commune : on régularise plutôt dans la commune de l’époux alors que l’inverse est fréquent pour le mariage religieux. Enfin, le Conseil Régional a interdit l’accès aux archives communales et les mairies ferment leur porte. Je remercie donc particulièrement celles qui m’ont ouvert leur porte.
Les collections d’état civil des archives communales de La Chapelle-Heulin, du Loroux-Bottereau, de La Chapelle-Basse-Mer, sont totalement différente des collections départementales. Elles sont beaucoup plus riches que les départementales, et il convient d’analyser ce phénomène. Voici donc à titre d’exemple l’analyse des différences pour les deux collections, départementales et communales, concernant Saint-Julien-de-Concelles.
Les mariages des AD, dépouillés par le CGO, sont au nombre de 123 de 1793-1802, alors qu’ils sont au nombre de 245 dans la collection communale. Bien entendu, les fascicules communaux sont reliés dans le désordre le plus total : non seulement les décès sont mélangés aux mariages, mais les années commencent n’importe quand et se suivent n’importe comment. Mieux, les années dont la copie est aux AD, ne sont pas copiées intégralement et il manque plusieurs mariages à l’intérieur d’une année copiée. Il a fallu exactement 70 heures de relevé communal suivies d’environ 30 heures de coordination informatique pour compléter la table départementale faite par le CGO, et ce pour les seuls mariages. Les décès ne sont pas pris en compte dans ce temps de travail.
L’expérience acquise dans les trois communes citées me permet de préconiser pour l’avenir une méthode d’approche plus rationnelle : dépouillement exhaustif de chacune des deux collections indépendamment, suivi d’une confrontation entre les deux relevés. Pour retrouver ensuit matériellement l’acte lui-même à partir d’une table, il ne suffit pas d’indiquer dans la table « archives communales », et il faudrait une autorisation de numérotation manuelle des pages des registres et faire figurer ce numéro de page après chaque relevé de la table.
Toutes les communes ayant souffert de la guerre civile ont le même problème. A Vern d’Anjou, paroisse d’adoption de la famille Lemesle, il existe encore plus incroyable : l’année 1791, comme toute la période prérévolutionnaire, a brûlé lors du passage des Vendéens, mais en 1803 le maire retrouve une table manuscrite du XVIIIe siècle se terminant en 1791, rassemble les couples de 1791 et réécrit les mariages. Le tout est relié dans la table manuscrite du XVIIIe qui n’est répertoriée nulle part, puisque rares sont les communes qui attachent de l’importance à une table manuscrite du XVIIIe et jugent utile de les signaler aux AD.
L’état civil de la période révolutionnaire souffre donc, en pays de guerre civile, de la plus grande misère : son état est le reflet des difficultés rencontrées par les diverses administrations municipales de l’époque.
Or, depuis deux siècles, les archives souffrent du mode de classement franco-français : « avant » et « après » 1789 ; Avant, les registres de catholicit ; après, l’état civil. Ceci est faux en région de guerre civile, et l’application de cette césure archivistique fran‡aise pose dans notre région un sérieux problème.
Il serait temps, deux siècles après, de se pencher sur l’indispensable complément de l’état civil : le registre de catholicité, source incomparable du patrimoine historique en région de guerre civile.
313 mariages sur 411 clandestins, soit 76,2%, ont pu être retrouvés civilement à Saint-Julien et dans les paroisses voisines : le Loroux, Basse-Goulaine et Saint-Sébastien.
Les mariages pour lesquels les deux dates sont connues concernent dans 75% des cas des Concellois et 25% de non-Concellois.
Ce nombre de mariages civils permet une exploitation statistique du délai d’enregistrement. L’analyse permet de cerner les réticences des couples.
Le nombre de mariages trouvés hors de Saint Julien excède le nombre de mariages de horsains constaté dans le registre clandestin. Mais ce pourcentage élevé de horsains est dû en partie au fait que les mariages de Concellois n’ont pas tous été retrouvés, malgré le dépouillement des 2 collections : départementales et communales.
Le délai d’enregistrement varie selon que l’on considère les Concellois et les horsains. Les Concellois ont eu l’enregistrement facilité par le contexte municipal compréhensif (voir chapitre Pertes de Mémoire). Ils ont donc régularisé massivement 1 à 4 ans après la cérémonie religieuse.
Le délai, exprimé ci-contre en mois s’étire de 3 ans avant à 27 ans après. Les 2 mariages 3 ans avant sont en fait les 2 mariages constitutionnels rebénis par Lemesle. Il est à noter que ces 2 couples ne sont pas repassés ensuite à la mairie. J’ai rencontré 1 couple dans ce cas au Loroux, qui d’ailleurs repasse dans la paroisse de l’épouse puis dans la paroisse de l’époux, soit 4 mariages au total, en comptant le constitutionnel, pour un seul et même couple.
Le délai d’1 mois ne concerne pas la moitié des mariages civils.
Les mariages régularisés 26 et 27 ans après sont plus nombreux pour les borsains, d’ailleurs on observe pour ceux-ci un creux des enregistrements : il n’y a rien entre 1 an et 10 ans. L’histogramme ci-dessus est donc typique de la bonne volonté de la municipalité concelloise. Il y a eu quelques vagues massives mais une régularisation échelonnée sur 27 ans.
Les mariages civils « régularisés » très tard à Saint Sébastien sur Loire sont plus nombreux que les mariages religieux clandestins trouvés à ce jour. D’autres prêtres ont donc unis des mariages clandestins qui nous sont inconnus. En outre, les couples mariés clandestinement par René Lemesle ne viennent plus après leur mariage faire baptiser d’éventuels enfants issus de leur union : ils ont donc trouvé un autre prêtre. En effet, le baptême est considéré par tous les auteurs (17,18) comme le sacrement auquel on ne renonce pas le premier. Un couple ne peut donc avoir été béni dans des conditions difficiles et ne pas faire baptiser ensuite ses enfants. Ainsi, pour Saint Sébastien, les couples de Jean Corgnet et Marie Clestras d’une part et de Pierre Corgnet et Marie Jeanne Choismet d’autre part. Unis le 5.5.1795, ils ne font pas baptiser à Saint Julien de Concelles.
Baptêmes clandestins
Après une période de privation de prêtre, la venue d’un prêtre dans une paroisse, est immédiatement suivie du baptême des enfants n’ayant pas pu le recevoir entre-temps (voir chapŒtre 2).
Le livre de paroisse, commencé en 1829, retrace la période clandestine en ces termes « Monsieur Bascher, ancien curé de Rezé, fût le premier prêtre qui célébra la messe dans la paroisse depuis 1792, et ce le 2 avril 1800. Son successeur fût Monsieur Martin. Enfin le 22.11.1802 J.B. Blanchet est nommé curé de Saint Sébastien (28).
Ce livre de paroisse est malheureusement écrit 30 ans après les évennements et il est basé sur des témoignages qui donnent une verson tronquée des faits, puisque René Lemesle a dit la messe à Saint Sébastien en la chapelle de la Savarière le 26.11.1795 au moins (voir p.46), si clandestinement que les témoins intérrogés ne relatent pas ces faits 30 ans après.
Le registre de catholicité de Saint Sébastien, qui suit la période révolutionnaire, donne des indications qui diffèrent de ces témoignages. Ce registre commence le 19.08.1800 comme suit :
Registre pour inscrire les mariages et baptêmes de la paroisse de Saint Sébastien au diocèse de Nantes depuis le 14 du mois d’Août 1800 et la premier acte est du 19 du dit mois d’août même année, la page où il se trouve doit être regardée comme la première de ce registre qui a été quotté et millésimé par nous prêtre catholique desservant et l’avons signé … J. Martin Rr desservant de Saint Sébastien (registre de catholicité, Saint Sébastien, Archives paroissiales).
M. Martin baptise et marie dès le 19 août 1800, or les enfants qu’il baptise viennent de naître, donc les enfants de Saint Sébastien nés avant cette date avaient déjà été baptisés. Est-ce que Bascher les auraient tous baptisés entre le 2 avril 1800 et le 19 août ? Bascher a-t-il pu tenir un registre, ou bien a-til tenu uniquement des minutes des actes ?
Toujours est-il que l’on ne trouve la trace d’un prêtre avant Martin que par déduction, à partir de l’âge des enfants qu’il baptise. Mais on retrouve par contre une feuille volante dans le registre de Saint Sébastien :
Cet acte écrit en 1799 est signé de façon authentique par le parrain et la marraine. En outre, l’écriture est bien celle de Marchand. Ce prêtre, recteur de la Chapelle Heulin, se déplaca beaucoup pour échapper aux poursuites, et ne réussit à faire que de courtes apparitions à la Chapelle-Heulin. Il aurait donc été présent à Saint Sébastien en 1799. L’acte qu’il signe à Saint Sébastien peut être considéré comme un bel exemple de précision « en la ville de Nantes, au lieu dit Vertais, trêve de Saint Jacques paroisse de Saint Sébastien ». Marchand commence par la géographie communale « ville de Nantes », qu’il n’ignore pas, puis le quartier de Vertais, aujourd’hui absorbé par notre Ile Beaulieu, qui dépendait avant la révolution de la paroisse de Saint Sébastien à travers la trêve de Saint Jacques. Le statut de trêve n’était pas cité fréquemment par les paroissiens de Saint Jacques avant la révolution, on peut donc affirmer que c’est Marchand qui avait appris, sans doute au séminaire, le statut de chaque paroisse du diocèse.
Cette précision, en pleine persécution, montre que ces hommes poursuivis savent garder un savoir-faire exceptionnel de rigueur et de précision. Les actes de baptêmes délivrés par ces hommes ne sont pas des certificats au rabais : tout se passe comme si, faute de moyens, on avait à coeur de noter rigoureusement le plus de détails possible.
Marchand ne fût pas le seul prêtre à passer à Saint sébastien. Le registre de 1800 n’est pas écrit de la seule écriture de Martin. La seconde écriture était soit celle de Jaulin, soit celle de Connard. Ces 2 prêtres signent chacun un acte à Saint Sébastien en 1800. J’ai un programme d’analyses graphologiques en cours pour toutes ces écritures.
René Lemesle a marié des Bas-Goulainais, et il a même marié le 27.1.1795 dans l’église de Basse Goulaine (voir le registre à cette date). Ces Bas-Goulainais ont régularisé civilement plus tard, mais on relève à Basse Goulaine dans l’état civil en 1814 au moins 2 mariages de régularisation qui ne figurent pas dans les registres clandestins connus à ce jour. Il s’agit d’ailleurs de 2 couples qui font enregistrer le jour de leur mariage civil respectivement 7 et 8 enfants vivants, dont plusieurs non déclarés auparavant. Ces mariages laissent supposer un mariage clandestin religieux non connu à ce jour. Il existait donc un prêtre itinérant à Basse Goulaine, qui y fiat des passages pendant la guerre civile. Le registre d’état civil lui-même permet de mettre ainsi en évidence cette existence.
Pour ce qui est du phénomène d’enregistrements d’enfants, et même nombreux enfants, il est fréquent lors de ce type de mariage civil de régularisation. En fait les enfants avaient besoin de papiers pour se marier d’où la nécéssité dans laquelle étaient finalement les parents de se rendre à la mairie. Une grande partie de ces enfants n’avaient jamais été déclarés, toujours 1 sur 4, souvent 2 sur 4. Les registres de naissances de l’état civil sont donc incomplets, si l’on ne tient pas compte de ces déclarations très tardives. Au moment de la déclaration, les enfants, qui sont dans tous les cas des baptisés clandestins, ont plus de 20 ans.
Pour mesurer le taux de baptêmes, la comparaison entre le nombre de naissainces dans l’état civil, et le nombre de baptêmes dans les registres clandestins a déjà été tenté. Patricia Lusson-Houdmon s’est heurtée au surplus de baptêmes comparé aux naissances (29). Ce surplus n’a pas d’autre cause que la sous déclaration des naissances. Malgré les menaces, plusieurs couples par commune ont réussi à ne pas déclarer des enfants avant leur âge adulte.
Les mariages civils ne recoupent pas tous les mariages religieux, et quelques mariages civils n’ont pas d’équivalent dans le registre clandestin.
De là à conclure que les couples mariés uniquement civilement sont détachés de la religion, il faut être prudents. En effet, l’un de ces mariages civils pour lesquels on ne trouve pas d’équivalent religieux est celui du couple de Charles
Marie Goguet de la Salmonière (voir p.42) et d’Emilie Bonchamps, la soeur du général tombé à Saint Florent le Viel le 20.10.1793. Leur mariage civil le 19.07.1800 à Saint Julien est une régularisation de plus, mais n’a pas été pris en compte dans la statistique du délai d’enregistrement du mariage, car cette statistique n’est basée que sur le registre de Renée Lemesle. Le délai est dans le cas de ce couple de 6 ans et 7 mois. Nous ne disposons que du récit de la Marquise de la Rochejaquelein, mais il est crédible.
Les autres couples, uniquement civils apparamment, ne sont pas nombreux, puisque non compris le couple ci-dessus, ils sont au nombre de 12. Il n’est pas à exclure que quelques uns soit républicains.
Certains Concellois ne dédaignent pas les prêtres contitutionnels. Ainsi, le 7 pluviose an IV de la République Française (sic) en l’église de Saint Jacques de Nantes, François Limousin, marinier, 33 ans, né à St Julien de Concelles, et demeurant rue du Port Maillard, épouse religieusement Marguerite Raimbaud de St Fiacre.
Dans ce chapitre, il a été question de « délai d’enregistrement » et non de délai entre le mariage religieux et le civil. C’est que ce dernier était considéré en 1798 à St Julien comme un enregistrement (voir p.).
Ouvrage paru en 1990
(C) Editions Odile HALBERT
ISBN 2-9504443-1-8
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