Sucre de Rouen, arrivé en mauvais état à Laval, 1639, procès verbal de réception

Je suis Nantaise, et à ce titre j’ai baigné dans l’histoire du sucre liée à celle des ports. Nous avions vu sur mon billet du 21 décembre, la confiserie de Noël en 1633 à Angers, véritable nouveauté, puisque ce n’est qu’en 1632 que le sucre n’est plus le monopole des apothicaires.
Avec ce billet, nous revenons à cette période du début du 17e siècle, mais cette fois, pour suivre le sucre d’un port, en l’occurence Rouen, à l’intérieur des terres, Laval. Je suis personnellement très attachée au contrôle du poids, ayant travaillé dans un service Qualité. A ce titre, j’ai plus qu’un Français moyen, la notion de contrôle du poids, tel que celui qui figure sur tous nos emballages actuels, contôle dont vous ne vous doutez certainement pas, mais qui sont plus que rigoureux et strictement règlementés de nos jours.

L’acte qui suit est extrait des Archives départementales de la Mayenne, série 3E – Voici la retranscription exacte de l’acte, orthographe comprise : Le 7 février 1639 avant midy nous Jean Barais notaire de la cour de Laval et y demeurant sommes en présence et assistance et ce requérant Berthélémy Lehirbec marchant demeurant en cette ville transportez en la maison de François Carré tenant à ferme le grand poids de cette ville sous les grandes halles, pour voir peser certaine basle pleine de marchandises de pains de sucre qui luy ont esté envoyez par Marie de Caulx veuve de Jacques Suny marchand de la ville de Rouen par sa lettre escritte du 29 janvier dernier par l’ordre de François Goutier messager (ce François Carré occupe à Laval un poste important, puisqu’il pèse officiellement les marchandises, qui sont le plus souvent des balles de toile en partance.)

ou estant avons trouvé ledit Goutier lequel nous a présenté une basle pleine desdits pains de sucre pour estre pesée audit poids, lesquelles ont sommé et interpellé ledit Carré de la peser, lequel après l’avoir pesée en présence desdits Lehirebec et Goutier s’est trouvée que toute ladite balle pesoit avec ladite marchandise 81 livres, (il n’y a qu’une balle, et j’ignore si le cheval avait une autre balle de l’autre côté, comme lorsqu’on voit les iconographies de charroi de marchandises)

laquelle basle a esté despliée en notre présence et des tesmoins cy après et se sont trouvés en icelle 20 pains de sucre couvertz de papier bleu lesquelz ont esté trouvez la pluspart en cassonnade et l’autre partie ne pouvoit servir qu’à cassonnade estant tous rompus et desfectueux et ne sont marchands (on voit l’utilité des témoins lors des échanges commerciaux, et du notaire pour dresser le procès verbal officiel de l’état de la marchandise)

lequel Goutier nous a dit lesdits pains de sucre luy avoir esté apportez dans son hostellerye de la Pomme de Pin en la ville de Rouen par ladite de Caulx pour estre apportez en cette ville audit le Hirebec, et estoient enballez lors qu’ilz luy furent apportez et envoyez par ladite de Caulx sans qu’il les ayt veus enballez et a juré et affirmé lesdites marchandises n’avoir souffert aucune incommodité par les chemins son cheval n’estant tombé en façon quelconque ny n’ont esté mouillez par lesdits chemins sy ce n’a esté par cas fortuis de lesgout (égoût) des hayes (les messagers sont souvent liés de famille aux hôteliers, dont le métier est aussi lié aux voyageurs. Ici, on voit que leur responsabilité peut être mise en question si le transport s’est mal passé, or, le sucre craint l’humidité, et nous sommes le 7 février, saison d’hiver. Il y a 240 km de Rouen à Laval, sachant qu’un cheval fait 40 km par jour, la marchandise a voyagé plusieurs jours sur le cheval, environ une semaine. Le messager a donc quitté Rouen au plus tard le 1er février. C’est un transport écologique certes, et à l’abri du prix du pétrole…)

et après lesdits pains de sucre avoir esté ostez de ladite basle icelle auroit esté pesée avec ses cordages et pailles par ledit Carré, lequel auroit trouvé qu’icelle cordaiges est pailles et serpillière pèsent neuf livres, (le poids net du sucre est donc de 81 – 9 = 72 livres)

desquelles dires et de la vacation avons décerné acte auxdites partyes pour leur valloir et servir ce que de raison en présence de Michel Robeveille marchand espicier et Michel Garnier marchand espicier expertz lesquelz pareillement le serment d’eux pris nous ont dict que ledit sucre n’est loyal ny marchand estant nul et en poussière comme cassonnade et ne peut valloir et estre vendu que pour prix de cassonnade et recogneu que ce n’a esté par déni ny manque du voicturier, dont avons aussy décerné acte audit Lehirebec ce requérant, fait et passé audit Laval en présence de François Salmon marchand et honorable Jean Garnier Sr du Pin demeurant en cette ville tesmoings à ce requis et appellés et ont lesdits Goutier Carré et Garnier dict ne signer. (l’épicier est celui qui vient de prendre à l’apothicaire le commerce du sucre, voyez le début de ce billet et le billet de décembre. Les procès verbaux dressés par notaire sont toujours très complets, et font toujours appel à des témoins experts, ce sont des actes très modernes en ce sens)

cassonade. s. f. Sucre qui n’est point encore affiné. Ces confitures ne sont faites qu’avec de la cassonade. (Dictionnaire de L’Académie française, 1st Edition, 1694)

Pain, se dit aussi de certaines choses mises en masse, comme, Pain de sucre. pain de cire. pain de savon. pain de bougie. (même dictionnaire)

Avec ce billet, je viens de créer une nouvelle catégorie ALIMENTATION, et je vais tenter d’y remettre les anciens billet en relevant… Certes, ce billet concerne aussi bien le TRANSPORT, mais comme je pense que comprendre le peu de sucre autrefois sur la table de nos ancêtres, voire l’abscence totale, c’est important…

La famille Le Hirbec, à laquelle appartient Barthélémy, est une ancienne famille lavalloise dont les aînés se qualifièrent de sieurs de la Brosse (Argentré). – Daniel, petit-fils de Barthélémy Le Hirbec, apothicaire, et de Marie Fréard, e fils de Daniel Le H. et de Renée Corneau, serait né en 1621 ; il est connu par ses voyages aux Antilles, dans les Pays-Bas et en Italie, dont il a laissé le récit en deux petits cahiers autographes que possède Mr de la Bauluère à qui je les signalai et qu’a publiés Mr Moreau. Parti de Laval le 3 mars 1642, le voyageur, après diverses péripéties qui n’ont rien de dramatique, arrivait aux Antilles le 3 juin au soir et séjournait à la Martinique jusqu’au 22 août « pour y traicter de marchandises ; » il longea ensuite « la Dominique, » la Guadeloupe, tout l’archipel, se rembarqua le 31 décembre 1642 avec le « fribuste » anglais Denis, qui venait « de couvrir le Pérou » et, en vue de Belle-Isle, continua vers la Hollande qu’il visita, pour rentrer à Laval par Saint-Malo le 31 mai suivant. Deux mois plus tard, le 9 aoput, il repartait pour l’Italie, sans idée mercantile, semble-t-il, en touriste qui possède des connaissances historiques, qui sait voir, qui raconte sobrement, sans admiration outrée. A son retour, Daniel Le Hirbec, sieur de Chambray, se maria avec Françoise Pinart, dont il n’au pas d’enfants, et mourut en 1647. – Barthélémy, frère aîné du précédent, né en 1615, eut de Françoise Chasteigner Daniel Le Hirbec, apothicaire, mari de Françoise Beudin, 1665, qui, veuve avant 1712, mourut le 23 janvier 1742, âgée de 100 ans moins treize jours. – Jean, sieur du Murger, fils du précédent, mari de Françoise Joly, fut élu à Laval. – Daniel-Charles, époux de Marie Heulin, se fixa comme médecin à Evron. (Abbé Angot, Dict. de la Mayenne)


Sur les bords de la Loire (on voit le quai au premier plan) l’une des dernières raffineries de sucre en France, celle de Beghin Say, prise en 1998, à Nantes (photo Grelier). Ce sont bien des nuages (cela arrive à Nantes !) et non de la fumée, qui obscurcissent l’horizon.

Odile Halbert – Reproduction interdite sur autre endroit d’Internet Merci d’en discuter sur ce blog et non aller en discuter dans mon dos sur un forum ou autre blog.

Bail à ferme d’une pièce de terre par Pierre Poyet, Segré, 1659

à Courtpivert à Saint-Aubin-du-Pavoil (Archives départementales du Maine-et-Loire, série 5E)

Trouver un acte notarié ne relève d’aucune méthode encore moins de chance, uniquement de longue, très longue patience et persévérance. En effet, nos ancêtres ne fréquentairent pas les notaires selon la même logique que la nôtre actuelle.

Ainsi, un bail est toujours chez un notaire du lieu de résidence du propriétaire. D’ailleurs, le paiement que ce soit en nature ou en argent, est lui aussi toujours au lieu de résidence du propriétaire.

Pierre Poyet est mon ancêtre. Il est arquebusier à Segré, et propriétaire de sa maison, ce que je sais par des successions bien plus tardives, puisque les notaires de Segrés sont tardifs. Ce bail, découvert par hasard à Angers, est un plus pour ses revenus.
Pierre Poyet m’est cher, car c’est l’un de mes premiers travaux de recherches généalogiques autrefois, il y a très longtemps, du temps du papier crayon, du registre original et de la voie postale, bien longtemps avant les microfilms et internet. Or, en ce temps là, un autre généalogiste descendait d’un Pierre Poyet à Segré, et je l’avais contacté par postal. Dans ma lettre j’avais mis tout ce que je savais jusqu’à Pierre Poyet, mais j’avais omis de mettre le métier. Et ce généalogiste m’avait répondu « Madame, sachez que nous ne cousinons certainement pas car moi je descends d’un arquebusier, qui n’est pas n’importe qui ». A cette époque il est vrai, la généalogie était encore quasiement l’exclusivité des familles très en vue, et les autres, moins en vue, en étaient à leurs débuts ! Mais ce jour là, j’ai compris que la loupe mondaine sévissait beaucoup en généalogie.

Voici la retranscription de l’acte : Le 17 février 1659 après midy, par devant nous Françoys Crosnier notaire royal Angers furent présents establiz et duement soubzmis noble homme François Renoul sieur de la Ripvière juge des traites et impositions foraines d’Anjou duché de Beaumont demeurant en cette ville paroisse St Pierre d’une part,
et Pierre Poyet arquebuzier demeurant en la paroisse de la Magdelaine de Segré d’autre part
lesquelz ont fait entreux le bail à ferme qui suit c’est à scavoir que ledit Sr de la Ripvière a baillé et par ces présentes baille audit Poyet ce acceptant audit tiltre pour le temps et espace de 5 années et 5 cueillettes entières et consécutives qui ont commencé dès la Toussaint dernière et finiront à pareil jour scavoir est un morceau de terre appelé le Chastellet vallée de Courpivert, audit Sr de la Ripvière appartenant, sittué en la paroisse St Aubin du Pavoil ainsy qu’il se poursuit et comporte avec ses apartenances et dépendances sans en rien réserver que ledit preneur a dit bien scavoir et cognoistre
à la charge par luy d’en jouir et user durant ledit temps comme un bon père de famille sans y rien malverser, de le tenir en bonne et suffisante réparation de clostures ordinaires, desquelle il est contourné,
ledit bail fait et convenu pour en payer et bailler de ferme par medit preneur audit sieur bailleur en cette ville la somme de 15 livres (cette somme laisse à penser que la pièce de terre est presque l’équivalent d’une moitié de closerie, d’ailleurs ce qui suit et que j’ai graissé confirme cette hypothèse, et cette terre était sans doute en grande partie en châtaigneraie) au terme de Toussaint premier payement commençant à la Toussaint prochaine et à continuer et un bouesseau de chastaignes et deux perdrix aussy par chacun an
ne pourra ledit preneur couper ny esmonder aucun arbre fruitaux marmentaux ne autres par pied branches ne autrement fors les esmondables en temps et saison convenables une fois seulement pendant le présent bail, cédder tout ou portion du présent bail sans le consentement dudit Sr bailleur auquel il fournira a ses frais copie des présentes dans 8 jours prochains …
fait et passé audit Angers en nostre estude présents Me René Moreau et Godier praticiens demeurant audit Angers tesmoings ledit preneur a dit ne scavoir signer

Ce bail est très intéressant, car il illustre le louage (c’est ainsi qu’on appelait le bail à prix ferme) d’une pièce de terre, assez importante surement en superficie, qui n’est pas faite pour être le revenu principal du preneur, seulement un supplément de revenus. Le plus intéressant est qu’il combine le prix ferme (loyer de 15 livres) avec un don en nature (un boisseau de châtaignes et 2 perdrix). Ce qui signifie que Pierre Poyet avait le droit de chasser la perdrix sur cette terre. Certes, fabriquant d’armes, il était bien placé pour en avoir, mais autrefois le droit de chasse était règlementé et réservé au seigneur (j’y reviendra longuement)

Odile Halbert – Reproduction interdite sur autre endroit d’Internet seule une citation ou un lien sont autorisés.

Donation à son domestique, Corzé, 1641 : François de Chérité à Jean Mathieu

Le contrat de travail d’un domestique était verbal, parfois en se serrant la main. Donc, les traces de tels contrats n’existent pas…

Mais, parfois, on trouve quelques traces indirectes, comme ce fut mon cas pour mon ancêtre Faucillon, qui avait été couché sur le testament de sa patronne, pour une somme assez douillette… pour bons et loyaux services. J’ai trouvé à Corzé, cette fois sans trace de testament, une donation du vivant du seigneur, la voici :

Archives Départementales du Maine-et-Loire, série 5E
Voici la retranscription de l’acte : Le 7 novembre 1641, devant Christophe Davy notaire royal résidant à Corzé, furent présents établis et duement soubzmins Messire Françoys de Cherité chevalier seigneur de Chemant en ladite paroisse de Corzé, demeurant à Angers paroisse de Saint Denis,
lequel pour la bonne amitié qu’il porte à Jehan Mathieu son serviteur domestique et en recognoissance des bons et agréables services qu’il lui a rendus et de ceulx qu’il luy rendra à l’advenir, lui donne par ces présentes sa vie durant seulement, toutes et chacunes les rentes tant foncières que féodales et autres debvoirs qu’il lui doit à cause de sa seigneurie de Chemant pour raison des choses héritaux par ledit Mathieu cy-devant acquises de André Badin et Catherine Davy sa femme par contrat passé par Berruyer notaire royal Angers le 26 mars dernier, sans que néanmoins le décès dudit Mathieu ses hoirs et ayant cause se puissent référer du présent acte, et ils seront tenus payer les rentes de Chemant …

Je vous avais posé une question restée sans réponse, car elle ne vous avait pas parue importante, sur le meilleur moyen qu’avait un closier pour sortir de son sort. Domestique chez un seigneur était un moyen. Certes, il y restait souvent 15, 20 ou 25 ans, mais pouvait au final, se retrouver avec un petit pécule, puisqu’il ne dépensait rien du temps de son service, par contre, il apprenait les bonnes manières, et parfois même, comme c’est le cas de mon Faucillon, il était appelé à des fonctions plus nobles. Mon Faucillon gérait manifestement la maison seigneuriale lorsque le maître était en mer, ce qui était fréquent… Il avait appris à écrire et compter, sans doute en se distinguant des autres… en gagnant la confiance… enfin, c’est ce que je suppose… et cette famille Faucillon est l’une des rares familles à avoir alors franchi la barrière sociale. Il se marie ensuite, certes moins jeune, mais fonde une famille socialement plus élevée que les précédentes… et ses descendants deviennent tous des marchands fermiers, c’est à dire des gestionnaires de biens, faisant des affaires…

Odile Halbert – Reproduction interdite sur autre endroit d’Internet seule une citation ou un lien sont autorisés.

Le lit à travers les classes sociales

Toujours collectif, il est estimé garni, et coûte de 200 à 10 L en 1700, de la classe aisée au domestique ou paysan peu aisé, mais c’est le meuble indispensable et la pièce maîtresse du mobilier.

Dans cette catégorie NIVEAU de VIE, vous allez découvrir, au fil de ces billets, les éléments du coût de la vie, et de véritables indicateurs économiques. Nous avons vu que le logement était considérablement moins onéreux que de nos jours (sans eau, électricité, gaz, chauffage central), qu’il avait cheminée pour faire cuire les aliments et accessoirment se chauffer, mais pas de vitres au fenêtres de la grande majorité des Français.
Je vous invite à découvrir quelques meubles et je commence par le lit. Sa principale caractérisque est d’être collectif, et surtout pas individuel : même à l’hostellerie, on y dort à plusieurs.
J’ai dépouillé beaucoup d’inventaires, et les lits ci-dessous sont uniquement pour vous habituer à différencier les classes sociales. D’ailleurs, dans les 3 premiers cas, le lit est dans la chambre haute, ce qui signifie un minimum d’intimité, laquelle n’existe pas à partir du métayer, René Bouvet qui suit.
Les lits sont décrits garnis, et les éléments qui composent la garniture sont amplement énumérés dans mon LEXIQUE DES INVENTAIRES, mais je vous en ferai un billet spécial si les couvertures et rideaux vous branchent… Mais au fait, les rideaux sont là pour clore le lit et être à l’abri des courants d’air puisque les volets de bois n’assurent pas l’isolation. D’ailleurs on porte même un bonnet de nuit aussi…

Voici quelques exemples, de la classe très aisée, à la plus pauvre, le lit principal (il y en a toujours tout plein d’autres) :

  • Jacquette Lefebvre, décédée en 1575, femme de Jacques Ernault Sr de la Daumerye, conseiller et juge magistrat au siège présidial d’Angers, et fille de François Lefebvre de Laubrière et Roberde Bonvoisin, Angers, 1575 : un grand charlit (celui-ci est dans la chambre haute, mais il y en a un assez indentique dans la salle basse, et pour les amateurs de petite histoire, Mr le conseiller Ernault possède une hallebarde, mais elle est près du lit de la chambre haute. Aurait-il à craindre des malfrats ?) de bois de noyer (bois noble) fait à grosses quenouilles tournées et cannelées et les costés et pieds à voyses et godronnées (Voyez ci-dessous les commentaires qui expliquent les godrons) enrichy et garny d’une corniche par le hault aussi enrichye de toile et garni de sa carrye et à corde sur lequel charlit y a une couette de grand lict garnye de son traverlit et vestue de chacun une souille de lin le tout garny de bonne plume avecque deux mantes l’une blanche et l’autre verte (la couleur verte est souvent présente lorqu’il y couleur dans le lit, je ferai un billet sur les couleurs) presque neuve avecque 4 pantes de ciel d’estame verd garny de sa frange et frangette de lin vert ensemble 3 grands rideaux et ung petit de serge verte le tout presque neuf 88 L (attention, ceci est en 1575, et compte tenu de la déflation sur un siècle suivant, vous pouvez multiplier par deux pour comparer les prix ci-dessous)
  • René Richard, ancien conseiller du roi au grenier à sel de Pouancé, décédé en 1730 veuf d’Elisabeth Hiret, décédée en 1725 à 76 ans : charlit de bois de noyer (c’est le bois noble) garni de son fond foncaille paillase et vergettes, une couette de plume d’oye ensouillée de coutty, un travers-lit et oreiller pareil, un matelas fourré de laine et crin, une mante de catalogne blanche, une courtepointe de toile peinte picquée, un tour de lit de serge couleur brune bordé d’un ruban couleur aurore 100 L
  • Antoine Pillegault Sr de l’Ouvrinière, Dt à Angers possède aussi une maison de campagne à la Maboullière au Bourg-d’Iré, 1704 : 1 bois de lit ancien et ses vergettes, garni d’une paillase, couette, traverses de lit, le tout ensouillé de toile, matelas (rare, et pourtant il ne s’agit que de sa résidence secondaire), courtepointe d’Indienne picquée, rideaux et pants d’étamine rouge rayée de noir (tout le mobilier d’Antoine Pillegault est raffiné et suit les nouveautés, ici on remarque l’Indienne et les rayures rouge et noire, et le tout était surement du plus bel effet) 78 L
  • René Bouvet métayer à la Gerbaudière paroisse de Montreuil sur Maine, 1690 : un charlit de chêne (c’est le bois solide, qui fait plusieurs générations) à quenouille carrée (écrit « quarée », et cela n’est rien à côté de tout ce qu’il m’a fallu déchiffrer dans tous les inventaires qui sont en ligne.), une couette (écroit coitte) de plume ensouillée de coutil (écrit coittis), 2 traverslits aussi en plume ensouillés de toile, 2 draps de toile de réparon mesurés de 6 aulnes le couple, une mante de beslinge gris presque neufve, un demi tour de toile de brin plus que mi usé avec son chef de fil, un vieil linceul servant de font 30 L, mais il y a 3 autres lits dont 2 de cormier et poirier, et un de chêne, soit 4 lits dans la chambre (il faut vous y faire, c’est le terme pour ce que nous appelons « pièce »), et pour un total de 106 L.
  • Maurice Debediers, métayer Saint-Julien-de-Vouvantes, 1766 : Un lit à 4 quenouilles garni d’une couette, 1 traversier, 2 draps, 1 vieille couverture de beslinge, avec des rideaux de toile teinte (écrit tainte) 27 L (Le métayer est la classe paysanne aisée, passons à un paysan moins aisé.).
  • François Gohier laboureur à la Maisonneuve à Pouancé 1737 : Un bois de lit de bois de cerisier garni de 2 couettes, 3 traverslits, 1 oreiller ensouillé de toille, 1 lodier gani de filasses , 1 mauvaise couverture de meslinge avec ses rideaux de serge de Can ( pour Caen) verte 15 L (La Maisonneuve est une maison manable, à deux chambres hautes à cheminée renaissance chacune, construite vers 1575 par la famille Hiret que j’ai tant étudiée, et peu après baillée à ferme à moitié à un closier qui vit en bas, et a transformé durant des siècles les 2 chambres hautes en grenier à récolte.)

  • Fenêtres des chambres hautes de la Maisonneuve, en 1997 : à gauche dimensions conservées, avec sa grille, et à droite, la seconde fenêtre, qui avait été transformée en porte d’accès extérieur aux chambres devenues grenier à récolte.

  • Et les domestiques ? ?
  • Les domestiques ont bien entendu une catégorie en dessous, donc mettez 10 L pour leur lit. Et, lorsqu’il s’agit d’une maison manable, c’est à dire dans laquelle les maîtres dorment en haut dans la chambre haute, la ou les domestique(s) dorment dans la salle basse, et si celle-ci est divisée en salle basse et cuisine, ils dorment dans la cuisine. Les vagabonds, et autres routiers dorment sur la paille de la grange.

  • Et les enfants ?.
  • Attention, vous allez revecoir un choc.
    Moi-même, après le choc que j’avais reçu (je n’étais pas la seule) lors de la visite de la Bintinaye (pourtant l’odeur en moins, et il faudrait leur suggérer de l’ajouter), qui donne une idée impressionnante de la salle collective d’alors, j’ai eu un second choc lorsque j’ai lu l’ouvrage de François Lebrun Les hommes et la mort en Anjou aux 17e et 18e siècles, Flammarion, 1675.
    François Lebrun y traite de la fréquence des décès d’enfants en ces termes :

    « Comment voir disparaître autant d’enfants au berceau – un sur quatre en moyenne avant l’âge d’un an – sans considérer le fait non comme un scandale, mais comme un événement aussi inéluctable que le retour des saisons ? Cela est si vrai que l’on n’essaie même pas de prendre pour les nouveau-nés ce minimum de précautions qui aurait évité peut-être certaines morts prématurées. Les statuts synodaux du diocèse doivent interdire de faire coucher les enfants de moins d’un an avec les grandes personnes et classent, parmi les cas réservés, la suffocation d’enfant arrivée fortuitement dans ces conditions ; le renouvellement d’une telle interdiction aux 17e et 18e siècles prouve que des accidents de ce genre continuent à se produire.» Ainsi, nous seulement on les emmène à l’église le jour de leur naissance, ce qui en élimine déjà quelques uns… mais on continue donc en les étouffant dans le lit collectif.

    Vous aussi, vous en avez le souffle coupé ! Alors relisez ce qui précède, car vous avez bien lu, les nouveaux nés étaient mis dans le grand lit collectif. Et je confirme qu’au cours des nombreux inventaires après décès que j’ai dépouillés, je n’ai vu qu’une seule fois une bercouère. Ce qui signifie qu’il n’y en avait pas et qu’on pratiquait pour les nouveaux-nés le lit collectif.
    Les autres enfants jusqu’à leur majorité, étaient réunis dans un grand lit, voire 2 grands lits lorsqu’ils sont très nombreux, mais il n’existe pas de lits pour enfants.

    La garniture viendra une autre fois, car le coffre va suivre. Au fait, à quoi sert-il le plus souvent ?

    Odile Halbert – Reproduction interdite sur autre endroit d’Internet seule une citation ou un lien sont autorisés.

    Achat d’un alambic de vinaigrier, en 1662

    Cet article a une suite les 14 et 15 mars, ces 3 jours traitant tous du vinaigre et du vinaigrier.

    Vous êtes hyperdoués (ées), car j’avais préparé ce billet et vous connaissez ces usages avant de l’avoir lu. Bravo à vous !
    Demain, je vous offre l’inventaire après décès d’un vinaigrier. Or, en tappant cet inventaire, quelle ne fut pas ma surprise de trouver un alambic de cuivre, et beaucoup de barriques d’eau-de-vie.
    Renseignements pris à Orléans, près de l’ex-vinaigrerie du quartier St Marceau, il y a bien un alambic dans une vinaigrerie.
    Avant de voir pourquoi cet alambic, voici d’abord son achat, pour la somme relativement importante de 150 livres, qui fait de cet alambic un investissement important de la vinaigrerie.

    L’acte qui suit est extrait des Archives Départementales du Maine-et-Loire, 5E90. Voici la retranscription de l’acte : Le jeudi 5 janvier 1662 avant midy, devant nous André Choisnet notaire royal à Angers, résidant aux Ponts-de-Cé, furent présents en personnes establys et duement soumis
    Estienne Gigault marchand tonnelier demeurant en ce lieu paroisse de Saint Maurille d’une part,
    et Jean Boutton sieur de la Roche aussi marchand (souvenez-vous, c’est notre marchand tonnelier vinaigrier, qui prenait hier un apprenti) demeurant en cedit lieu dite paroisse d’autre part, lesquels ont fait et font entre eux le marché et convention qui suit,
    qui est que ledit Gigault a vendu quitté et transporté et par ces présentes vend, quitte et transporte et promet garantir audit Boutton ce acceptant que luy a acheté et achère pour luy ses hoirs etc une chaudière de francq cuivre tenant à l’estimation d’une busse ou environ à faire eau de vie avecq son alembic et chapeau de la qualité bonté et livraison de laquelle chaudière alembic et chapeau ledit Boutton se contente et en acquitte et quitte ledit Gigault :
    ce marché et transport fait pour et moyennant le prix et somme de 150 livres tournois laquelle susdite somme ledit Bouton a payée et baillée comptant audit Gigault, qui l’a prise et reçue en bonne monnaie ayant cours suivant l’édit, dont il s’en contente et l’en quitte, ce qui a été ainsi voulu stipullé consenty et accepté par lesdites parties …
    fait et passé auxdits Ponts de Cé à nostre tabler présents Mathurin Commin et Allain Dupuy praticiens tesmoings. Signé : Boutton, Gigault, Choisnet

    L’alambic contient une busse, soit, en Anjou, un tonneau de 287,8 litres, encore appelé barrique. Il y a 2 busses dans une pippe de vin.

    Mais à quoi sert donc cet alambic dans une vinaigrerie ?
    Les vinaigriers sont organisés en corporations et ont des statuts, dont l’un cité par l’Encyclopédie de Diderot m’intrigue. Il est en effet précisé qu’ils doivent apprendre 4 ans, or, nous avons vu hier un apprentissage de 2 ans. La question de l’apprentissage reste ouverte, revenons à l’alambic.

    Un autre de leurs statuts fait d’eux des distillateurs d’eau-de-vie : Les ouvrages & marchandises que les maîtres vinaigriers peuvent faire & vendre, exclusivement à tous les maîtres des autres communautés, sont les vinaigres de toutes sortes, le verjus, la moutarde & les lies seches & liquides. A l’égard des eaux-de-vie & esprit-de-vin qu’il leur est permis de distiller, elles leur sont communes avec les distillateurs, limonadiers & autres. (Encyclopédie de Diderot et d’Alembert)
    Outre la production d’eau-de-vie, le vinaigrier améliorait la conservation du vinaigre en le distillant : le residu d’un bon vinaigre distillé par l’ébullition, demeure longtemps sans se corrompre (Diderot). Si on veut du vinaigre qui ne se corrompt point, c’est par exemple, parce qu’il est embarqué à bord des bateaux comme agent de lavage désinfectant des ponts, etc… et pour la haute mer, on a intérêt à ce qu’il tienne plusieurs mois.

    Et Diderot poursuit :

    VINAIGRERIE, s. f. (Art distillerie) petit bâtiment faisant partie des établissemens où l’on fabrique le sucre ; c’est proprement un laboratoire servant au travail & à la distillation de l’eau-de-vie tirée des debris du sucre que l’on a mis en fermentation. Voy. TAFFIA.

    Effectivement, on peut faire du vinaigre, ou de l’eau de vie, avec tout ce qui fermente…

    Quant à ses usages médicamenteux, toujours selon la même source (extraits, car c’est fort copieux !) :

    Bons effets du vinaigre contre les maladies pestilentielles et plus loin un grand remede dans les fievres aiguës, ardentes, malignes, dans la peste, la petite vérole, la lepre, & autres maladies semblables … Le vinaigre appliqué extérieurement est atténuant, discussif, répercussif, antiphlogistique, & bon dans les inflammations, les érésypeles

    Je vous épargne le flot de littérature à son sujet médicamenteux, mais je garde une tendresse particulière pour la préparation qui suit, car elle porte un joli nom :
    VINAIGRE des quatre voleurs, c’est ainsi qu’il est décrit dans la pharmacopée de Paris. Prenez sommités récentes de grande absynthe, de petite absynthe, de romarin, de sauge, de rue, de chacun une once & demie ; fleurs de lavande seche, deux onces ; ail, deux onces ; acorus vrai, canelle, gérofle, noix muscade, deux gros ; bon vinaigre, huit livres ; macerez à la chaleur du soleil, ou au feu de sable, dans un matras bien bouché, pendant deux jours, exprimez fortement & filtrez, & alors ajoutez camphre dissous dans l’esprit de vin, demi-once. Le nom de cette composition lui vient de ce qu’on prétend que quatre voleurs se préserverent de la contagion pendant la derniere peste de Marseille, quoiqu’ils s’exposassent sans ménagement, en usant de ce vinaigre tant intérieurement qu’extérieurement ; & beaucoup de gens croient encore que c’est une bonne ressource contre l’influence de l’air infecté des hôpitaux, &c. que de tenir assidument sous le nez un flacon de ce vinaigre. (Diderot)

    Avouez que 4 voleurs et pas 40, cela ne s’oublie pas !

    Merci à tous vos commentaires et souvenirs de vinaigre. Je me souviens seulement pour ma part des cheveux, et de l’aide à la lessive.
    Demain nous voyons les achats pour sa fabrication autrefois. Nous serons en 1710.

    Odile Halbert – Reproduction interdite sur autre endroit d’Internet seule une citation ou un lien sont autorisés.

    Contrat d’apprentissage de maréchal en 1692 à Soulaines (49)

    pour Pierre Provost chez Pierre Fleuriau (Archives Départementales du Maine et Loire, serie 5E)

    Bonjour à tous.
    Nous poursuivons ensemble l’étude de l’apprentissage, afin d’avoir une idée plus précise de ce mode de formation, autrefois. Aujourd’hui, c’est encore un garçon qui n’a plus son père, et l’apprentissage aurait été l’alternative à la formation, en l’absence de père autrefois.
    Même si ces actes ne vous concernent pas directement, ils illustrent les modes de vie d’antan, et dîtes vous bien que vos ancêtres sont passés pas les mêmes étapes.
    En particulier, ce blog, ouvert il y a 3 mois, ne me concerne pas directement. Ces actes que je tente de vous illustrer n’ont rien à voir avec mes ascendants, si ce n’est que lorsque je vous ai mis le rôle de l’ustencile de Montreuil sur Maine, j’avais des ascendants dans la liste des imposés. C’était le seul acte me concernant. En effet, il est vain de vouloir faire revivre ses ascendants, en cherchant leurs actes personnels. Même avec beaucoup de chances, cette quête n’aide pas suffisamment pour comprendre la vie autrefois, et il suffit d’emprunter aux autres actes la trame pour comprendre comment ils fonctionnaient tous.
    C’est le but de ce blog, et non un but personnel, vain.
    Voici un apprenti maréchal :

    L’acte qui suit est extrait des Archives Départementales du Maine-et-Loire, série 5E. Voici la retranscription de l’acte : Le 26 décembre 1692 par devant nous Pierre Vallée notaire royal Angers résidant à Saint Melayne ont esté présents en leurs personnes establis et duement soumis chacuns de Pierre Fleuriau maréchal demeurant au village du Plessis paroisse de Soulayne d’une part
    et Pierre Provost demeurant en la maison de madame de la Plante à la Coutentinière dite paroisse de Soulaines comme serviteur domestique procédant sous l’autoristé d’honneste homme François Vallée marchand son curateur à ce présent d’autre part
    entre lesquels a esté fait le marché d’apprentissage et convention qui ensuit
    scavoir que ledit Fleuriau promet et s’oblige de montrer et enseigner à sa possibilité audit Provost le métier de mareschal pendant le temps d’ung an six moys à commencer de ce jour et pendant lequel temps ledit Provost se tiendra assidu à la forte dudit Fleuriau pour y travailler avec luy et apprendre ledit mestier et aussy ledit Fleuriau le nourrira, couchera et reblanchiera selon sa condition et comme un apprenti doit estre prendant aussy ledit temps d’ung an six moix,
    et ce fait ledit présent marché pour et moyennant la somme de quarante cinq livres à quoy ils ont composé et accordé entre eux pour ledit temps d’apprentissage cy-dessus, de laquelle ledit Provost promet et s’oblige en payer audit Feuriau dans le jour et feste de Nostre Dame chandeleur prochaine 22 livres 10 sols qui est la moitié et l’autre moitié qui est paraille somme dans d’huy en ung an aussi prochain venant le tout cy-dessus à peine etc ces présentes néanmoings etc et auquel Fleuriau ledit Provost promet luy fournir à ses frais copie des présentes dans huit jours prochains aussy à peine etc car les parties ont ainsy le tout voulu consenti, stipulé et accepté par entreux en sont demeurés d’accord auquel marché convention obligation et ce que dit est cy-dessus tenir etc dommage etc obligent lesdites parties respectivement eux et par défaut leurs biens à prendre vendre renonçant etc dont advertues de scellé suivant l’édit.
    Fait et passé au bourg dudit Soulaines demeure de François Vallée en présence de François Provost, François Jouaisneau, Jean Peluet l’aîné, oncle dudit Provost et Michel Boucler vigneron demeurant à Soulaines tesmoings, ledit Provos a dit ne savoir signer. Signé Vallée, F. Jouanneau, J. Peluet

    Demain, nous partons pour quelques jours dans le vinaigre…

    Odile Halbert – Reproduction interdite sur autre endroit d’Internet seule une citation ou un lien sont autorisés.