Ce que j’ai aimé dans mes recherches, c’est comprendre les modes de vie de nos ancêtres à travers les milliers d’actes notariés que j’ai dépouillés qui m’ont permis de reconstituer bien plus que le suivi de leur patrimoine au fil des siècles et des métiers pour beaucoup de branches de mes ancêtres. En effet, dans certains actes, lors du mariage ou de la succession, j’ai observé que beaucoup de mes ascendants allaient au delà de ce que le droit coutumier leur imposait. En particulier dans les contrats de mariage, certains époux faisaient un don à leur épouse bien supérieur. Le droit coutumier était en fait un minimum à respecter mais on pouvait autrefois donner plus.
Nicolas Denais, marchand fermier, a 51 ans, sans enfants, lorsqu’il passe contrat de remariage (cf ci-dessous) en février 1721 avec Renée Blanchet seulement âgée de 20 ans. Il apporte 10 000 livres, elle 3 000 consistant en la closerie de la Guedonnière à Combrée. Il lui fait un don exceptionnel, sous une forme que je n’ai jamais rencontrée : « ensemble la somme de 5 000 livres de laquelle ledit sieur futur espoux fait don à ladite future épouse pour sa jeunesse » Il lui donne donc au total 15 000 livres, ce qui est une somme très importante, bien supérieure à ce que possède la bourgeoisie moyenne en province.
Il meurt 3 ans plus tard laissant sa jeune veuve de 23 ans enceinte d’une seconde fille. Elle ne se remariera pas, et lorsqu’elle marie 20 ans plus tard ses 2 filles elle leur donne chacune 5 000 livres, preuve qu’elle a su garder le patrimoine, et le gérer car on sait aussi qu’elle signe fort bien, ce qui est rare.
D’ailleurs elle signe beaucoup mieux que lui (cf ci-dessous)
Je descends de Nicolas Denais et Renée Blanchet à travers la seconde fille, Marie-Anne, celle qui ne naîtra que 3 mois après le décès de son père. J’ai une immense tendresse toute particulière pour Marie-Anne Denais, car non seulement sa mère fut jeune veuve, mais sa grand mère paternelle aussi et elle-même deviendra jeune veuve, et toutes les trois avec des enfants à élever, sans se remarier, et laissant au mariage de leurs enfants la fortune totalement intacte, et le rang social aussi. C’est une incroyable épopée de femmes veuves… que je vais vous conter car les veuves n’étaient pas toutes pauvres, et les hommes tous des inconscients, laissant leur épouse et leur progéniture sans rien… Le droit coutumier les préservait certes du minimum, mais bien des contrats de mariage montrent un au delà du droit, et beaucoup de conscience des hommes autrefois de leur devoir vis à vis de leur succession.
Cet acte est aux Archives Départementales de la Mayenne AD53-3E62-57 devant René Mahier notaire royal à Château-Gontier – Voici sa retranscription (voir ci-contre propriété intellectuelle) :
http://www.odile-halbert.com/wordpress/vues/Denais-Blanchet-1721d
« Le 16 février 1721[1] furent présents h. h. Nicolas Denais marchand, veuf de Catherine Boullay, demeurant à Gastines paroisse de Chemazé d’une part, demoiselle Renée Blanchet fille, procédant sous l’autorité de discret Me René Blanchet prêtre curé de Bouchamps son curateur à personnes et biens, demeurante en la maison de h. h. Jacques Blanchet marchand son ayeul, et ledit sieur Blanchet prêtre audit nom, demeurant au lieu de Bouchamps, entre lesquels a été fait avant aulcune bénédiction nuptiale le contrat de mariage qui suit, c’est à savoir que ledit sieur Denais et demoiselle Blanchet se sont de l’avis et consentement, scavoir ledit sieur Denais de ses amis cy après nommés, et ladite demoiselle Blanchet dudit sieur Blanchet prêtre curé son curateur, dudit sieur Blanchet, de h. h. Julien Gousdé marchand son oncle, de h. h. Vincent Goudé aussi marchand son cousin germain [fils du précédent, et ils sont tous deux la branche de Grez-Neuville, aisée], et autres parents et amis f°2/ soussignés se sont promis mariage et iceluy solemniser … cy après, et que tout légitime empeschement cesse ; auquel mariage ledit sieur Denais et demoiselle Blanchet entreront avec tous et chacuns leurs droits mobiliers et immobiliers scavoir ceux dudit sieur futur espoux en la valeur de 10 000 livres et ceux de ladite future épouse du lieu et closerie de la Guedonnière paroisse de Combrée, bestial et semances, maison … habits et hardes le tout de valeur de 3 000 livres ainsi que ledit sieur futur époux a reconnu et dont il se contente, et de tous lesquels droits cy dessus il en entrera en la communauté qui s’acquérera entre eux du jour de la bénédiction nuptiale nonobstant la disposition de notre coustume à laquelle ils ont f°3/ dérogé en ce retard, chacun la somme de 300 livres, et le surplus desdits droits bestiaux et semances cy dessus reteront de nature de propre … patrimoine et matrimoine à eux leurs hoirs et estocs et lignées, et à tous effets mesme de don, ensemble ce qui leur pourra cy après échoir soit de succession directe collatérale donation ou autrement ; pourra ladite future espouse ses hoirs et ayant cause … renoncer à ladite communauté quoi faisant ils reprendront franchement et quitement de toutes debtes de communauté tout ce que ladite future épouse aura aporté audit mariage luy sera échu, ensemble la somme de 5 000 livres de laquelle dit sieur futur espoux fait don à ladite future épouse pour sa jeunesse, lequel don ne pourra néanmoins estre exigible qu’après le décès dudit futur époux, déchargé des debtes de la communauté, desquelles audit cas d’aléniation f°4/ ladite future épouse ses hoirs et ayant cause seront déchargés par ledit futur époux sur ses biens quoiqu’obligée ou solidairement conclue avec ledit futur époux ; et en cas d’aliénation desdits propres ils en seront entièrement remplacés sur les effets et acquits de la communauté par préférence, et où ils ne seroient suffisant à leur égard, sur les propres et effets dudit futur époux qui a constitué douaire à ladite future épouse sur tous et chacuns ses biens y sujets, la cas échéant, le tout par hypothèque de ce jour ; ce qui a été ainsi convenu, stipulé et accepté et à ce tenir faire et accomplir par lesdites parties, elles s’obligent elles leurs biens choses … sous la réserve des droits dudit sieur Jacques Blanchet curateur de ladite future épouse dont règlement sera nécessaire avec lesdits futurs mariés f°5/ dont etc fait et passé en la maison de la Pitauderie paroisse de Chemazé demeure dudit sieur Jacques Blanchet oncle de ladite future épouse, en sa présence, de ses dits amis, de la demoiselle son épouse, de demoiselle Anne Goudé fille cousine de ladite demoiselle future épouse, Me Jacques Godelier sieur de la Martinière marchand apothicaire à Grez près Neuville, Me Pierre Mahier et autres parents et amis des futurs mariés, et de Joseph Lepage et Jean Langlois témoins à ce requis »
[1] AD53-3E62-57 devant René Mahier notaire royal à Château-Gontier
L’histoire des femmes, telle que je l’avais autrefois lue, était bien loin de rendre tout ce que j’ai découvert dans tous les notaires de Maine et Loire et Mayenne sur mes ascendants. Mais pour faire des études telles que celles que j’ai faites il faut commencer par faire l’arbre généalogique, et les historiens se considèrent bien supérieurs aux généalogistes et lorsqu’ils tentent d’approcher les notaires, ils le font notaire par notaire, ce qui est absurde, car dans aucune de mes recherches cela ne se passe ainsi, et personne n’était fidèle autrefois à un notaire donc on obtient aucun suivi du patrimoine. Je ne regrettes pas les 20 ans de déplacement hebdomadaire que j’ai fait à Angers ou Laval, c’était certes une méthode qui ressemble à la pêche à la ligne, mais mille fois plus productive avec le temps car j’ai ainsi des suivis extraordinaires du patrimoine de mes ascendants.
J’avais autrefois acheté le livre l’Histoire des femmes en Occident, tome 3 du 16 au 18ème siècles, de Georges Duby et Michelle Perrot. J’ai toujours l’impression quand je regarde cet ouvrage que je n’y retrouve pas mes ancêtres. En janvier 2024, sur Internet, je suis triste quand je lis sur internet l’histoire des femmes selon la BNF (c’est pire sur l’IA de Google) :
Ces lignes sont écrites par Nathalie Grande, professeure des universités, Université de Nantes, département Lettres Modernes, UFR Lettres et Langages. Je suis horrifiée de lire ces lignes, et je suis certaine après avoir passé plusieurs décennies dans les archives notariales et chartriers que Molière n’est pas historien… et ne connaissait que quelques femmes, loin de les connaître toutes…
Comment oublier toutes ces femmes qui furent des collaboratrices, ayant domestique à la cuisine, nourrice pour les enfants, et ayant appris à lire, compter et surtout gérer, car dans le milieu de la bourgeoisie marchande, on éduquait pour savoir manier les affaires, qu’on soit un garçon ou une fille. C’était le cas, en Anjou du moins, de toutes les épouses de marchands, qui assuraient certainement conjointement avec leur époux la comptabilité, car cette fonction de leur métier était extrêmement importante. Certes, les archives n’ont pas conservé de traces de ces comptabilités, quoique quelques traces, mais bien avant Excel et les logiciels de comptabilité, il fallait compter et noter.
Avant de vous prouver ce que je viens de vous écrire, je tiens à rappeler :
- avant la Révolution, l’homme devait nourrir femme et enfants, sinon c’était un péché
- plus de 80 % des Français sont paysans
- même si les femmes risquent le décès en couches, certains hommes meurent aussi jeunes laissant veuve et enfants
- la bourgeoisie de province, dont les marchands, a domestiques, donc les femmes du temps libre et toutes ne s’occupent pas uniquement de broderie
- les bourgeois de province tiennent à leur rang et le transmettre donc prévoient leur décès précoce en impliquant leur épouse dans les affaires, afin que l’affaire leur survive
- certes, le droit laissait à l’homme le droit de gérer officiellement, mais il était responsable des biens de madame