Brevet de barbier-chirurgien de la communauté de Laval, 1724

pour André Thoreaux, à Cossé-le-Vivien, fils de chirurgien (Archives Départementales de la Mayenne, série 1J)

Ce billet fait suite au contrat d’apprentissage de chirurgien en 1653 à Angers.

Selon François Lebrun, les Hommes et la mort en Anjou aux 17e et 18e siècles, 1971,

l’édit de novembre 1691, qui séparait la barberie de la chirurgie, n’a pas eu d’effet immédiat, et en province, les chirurgiens sont restés encore longtemps des barbiers, même après la fondation en 1731 de l’Acadamie Royale de Chirurgie. Il faudra attendre la seconde moitié du 18e siècle pour que les deux professions soient totalement séparées dans les villes possédant une communauté de maîtres chirurgiens. Il y avait une telle communauté à Angers, La Flèche, Baugé, Saumur, Château-Gontier pour l’Anjou. Mais, on peut classer les chirurgiens d’alors en 2 catégories : ceux qui exercent dans les villes possédant une communauté, dont ils font partie, et ceux qui exercent dans les petites villes dépourvues de telle communauté.

L’exemple qui suit illustre à la fois le rôle d’une communauté de ville, mais aussi la possibilité donnée à un chirurgien de campagne d’obtenir ce précieux brevet de leur communauté, manifestement réservé aux meilleurs chirurgiens de campagne. Enfin, il illustre aussi la non-séparation des deux métiers de barbier et chirurgien, malgré l’édit de 1691, c’est dire qu’il a fallu beaucoup de temps pour qu’il entre en vigueur partout.

Voici donc un brevet de barbier chirurgien pour Cossé le Vivien, devant la communauté de Laval, pays du Maine, en 1724 :
(attention, nous passons en retranscription d’un texte ancien, donc en orthographe réelle de ce texte) : Nous Jean Couanier lieutenant du premier chirurgien du roy, et Jean Lechauve notre greffier pour la ville, comté, ressort et élection de Laval, à tous ceux que ces présentes lettres voirons (sic, pour verrons), Salut, Scavoir faisons que sur la requeste à nous présentée par André Thoreaux natif de Cossé le Vivien, fils d’André Thoreaux vivant Me chirurgien audit bourg de Cossé et Louise Gendry ses père et mère, disant que depuis plusieurs années il auroit fait son aprantissage de chirurgien en la maison de son père et ensuite exercé l’art de chirurgie dans plusieurs villles du Royaume, comme Rennes, Laval, et autres villes, avec honneur et sans reproche, ainsy qu’il nous aparoist par son brevet d’apprentissage et certifficat de service
aspirant à la Maistrise de chirurgie, pour le bourg de Cossé et autres lieux circonvoisins pour à quoy parvenir il auroit offert subir les examens et faire les chefs d’œuvres à ce requis et nécessaires au pied de laquelle faisant droit nous luy aurions donné jour au vingtième octobre mil sept cent vint quatre, pour donner communiquation de sa requeste aux maistres de la communaulté et subir ses examens, sommmaire, auquel examen, il auroit suffisament satisfait,
c’est pourquoy nous luy aurions donné jour à ce représenter au vingtième novembre suivant en notre Chambre de Juridiction pour y subir son second examen, auquel dit jour il auroit comparu et auroit suby sondit examen, qui estoit des maladies des os, des playes en général, et particulières, auxquels examens et questions à luy faittes il auroit suffisament safistait, c’est pourquoy nous l’aurions admis à ce représenter en notre ditte Chambre le dix huit décembre suivant, pour y faire son chef d’œuvre qui estoit des seignées et des bandages ce qui auroit esté fait en présence de Me François Vincent Doüard, conseiller du Roy, médecin ordinaire de sa Majesté, et de tous les maistres de ladite communauté, auquel chef d’œuvre et interrogations à luy faittes il auroit suffisament satisfait ainsy qu’il aparoit par lesdites actes de chaque jour,
Pour ces causes, avons icelluy Thoreaux en vertu du pouvoir à nous donné par sa Majesté par lois du mois de septembre mil sept cent vingt trois, receu et recevons par ces présentes Maistre barbier, chirurgien pour ledit Cossé et lieux circonvoisins, pour doresnavant, exercer l’art de chirurgie, tenir boutique ouverte, prendre user et jouir des privilèges tout ainsy que les autres maistres de campagne, à la charge par ledit Thoreaux de ne faire aucun raport ny entreprendre aucune grande opération sans appeler l’un des maistres de la ditte ville de Laval, ce qu’il a promis exécuter, et après avoir d’icelluy Thoreaux pris le serment en tel cas requis et accoustumé, nous avons signé ces présentes de notre main et fait aposer le cachet de nos armes et fait contresigner par notre greffier de juridiction, le dix huit décembre 1724. Signé Lechauve, Taulpin.

Selon Lucien Bély, Dictionnaire de l’Ancien Régime, PUF, 1996,

même en 1780, très peu de chirurgiens sont maîtres ès arts, et ils forment un corps très hétérogène. Une petite minorité est installée dans les villes d’importance, possède savoir et culture mais sont fort coûteux. Mais l’immense majorité (ce sont les termes de l’auteur) possède un faible bagage. Il sont moins dispendieux et répandus dans les campagnes. Il va même jusqu’à dire qu’ils sont parfois illettrés, peu considérés, peu rétribués, mais passent pour « les médecins du peuple…. Appelés, y compris dans les cas graves ou même désespérés, dans la mesure où une unique visite constitue un lourd fardeau pour beaucoup de leurs clients, il leur est en principe interdit de pratiquer les grandes opérations que, d’ailleurs, ils n’ont pas appris à exécuter. Et, même s’ils proposaient pour ce faire à leurs clients l’intervention d’un médecin ou d’un chirurgien de la ville, ces mêmes clients seraient dans l’incapacité de leur régler honoraires et déplacements, à supposer qu’ils demandent ou acceptent de les consulter. »

Ce sont sans doute ces dernières lignes qui expliquent tout. Je suis née en 1938, avant la Sécurité Sociale, qui ne vit le jour qu’en 1946. Je ne me souviens donc que du système actuel, et je peine à imaginer le fardeau de nos ancêtres devant la maladie à payer… Je pense pourtant que la clef de notre compréhension de ces chirurgiens de campagne est bien là, et comme j’ai déjà trouvé des frais de chirurgien de campagne, je vais les retrouver pour vous illustrer ce propos en chiffres une prochaine fois, et aussi une épouvantable opération qui me concerne directement le tout première moitié du 18e siècle. A une prochaine fois, si vous le voulez bien…
Demain, je réponds à une question qui vient de m’être posée sur le Petit et le Grand cimetière.

Odile Halbert – Reproduction interdite sur autre endroit d’Internet seule une citation ou un lien sont autorisés.