Je suis Nantaise, et à ce titre j’ai baigné dans l’histoire du sucre liée à celle des ports. Nous avions vu sur mon billet du 21 décembre, la confiserie de Noël en 1633 à Angers, véritable nouveauté, puisque ce n’est qu’en 1632 que le sucre n’est plus le monopole des apothicaires.
Avec ce billet, nous revenons à cette période du début du 17e siècle, mais cette fois, pour suivre le sucre d’un port, en l’occurence Rouen, à l’intérieur des terres, Laval. Je suis personnellement très attachée au contrôle du poids, ayant travaillé dans un service Qualité. A ce titre, j’ai plus qu’un Français moyen, la notion de contrôle du poids, tel que celui qui figure sur tous nos emballages actuels, contôle dont vous ne vous doutez certainement pas, mais qui sont plus que rigoureux et strictement règlementés de nos jours.
L’acte qui suit est extrait des Archives départementales de la Mayenne, série 3E – Voici la retranscription exacte de l’acte, orthographe comprise : Le 7 février 1639 avant midy nous Jean Barais notaire de la cour de Laval et y demeurant sommes en présence et assistance et ce requérant Berthélémy Lehirbec marchant demeurant en cette ville transportez en la maison de François Carré tenant à ferme le grand poids de cette ville sous les grandes halles, pour voir peser certaine basle pleine de marchandises de pains de sucre qui luy ont esté envoyez par Marie de Caulx veuve de Jacques Suny marchand de la ville de Rouen par sa lettre escritte du 29 janvier dernier par l’ordre de François Goutier messager (ce François Carré occupe à Laval un poste important, puisqu’il pèse officiellement les marchandises, qui sont le plus souvent des balles de toile en partance.)
ou estant avons trouvé ledit Goutier lequel nous a présenté une basle pleine desdits pains de sucre pour estre pesée audit poids, lesquelles ont sommé et interpellé ledit Carré de la peser, lequel après l’avoir pesée en présence desdits Lehirebec et Goutier s’est trouvée que toute ladite balle pesoit avec ladite marchandise 81 livres, (il n’y a qu’une balle, et j’ignore si le cheval avait une autre balle de l’autre côté, comme lorsqu’on voit les iconographies de charroi de marchandises)
laquelle basle a esté despliée en notre présence et des tesmoins cy après et se sont trouvés en icelle 20 pains de sucre couvertz de papier bleu lesquelz ont esté trouvez la pluspart en cassonnade et l’autre partie ne pouvoit servir qu’à cassonnade estant tous rompus et desfectueux et ne sont marchands (on voit l’utilité des témoins lors des échanges commerciaux, et du notaire pour dresser le procès verbal officiel de l’état de la marchandise)
lequel Goutier nous a dit lesdits pains de sucre luy avoir esté apportez dans son hostellerye de la Pomme de Pin en la ville de Rouen par ladite de Caulx pour estre apportez en cette ville audit le Hirebec, et estoient enballez lors qu’ilz luy furent apportez et envoyez par ladite de Caulx sans qu’il les ayt veus enballez et a juré et affirmé lesdites marchandises n’avoir souffert aucune incommodité par les chemins son cheval n’estant tombé en façon quelconque ny n’ont esté mouillez par lesdits chemins sy ce n’a esté par cas fortuis de lesgout (égoût) des hayes (les messagers sont souvent liés de famille aux hôteliers, dont le métier est aussi lié aux voyageurs. Ici, on voit que leur responsabilité peut être mise en question si le transport s’est mal passé, or, le sucre craint l’humidité, et nous sommes le 7 février, saison d’hiver. Il y a 240 km de Rouen à Laval, sachant qu’un cheval fait 40 km par jour, la marchandise a voyagé plusieurs jours sur le cheval, environ une semaine. Le messager a donc quitté Rouen au plus tard le 1er février. C’est un transport écologique certes, et à l’abri du prix du pétrole…)
et après lesdits pains de sucre avoir esté ostez de ladite basle icelle auroit esté pesée avec ses cordages et pailles par ledit Carré, lequel auroit trouvé qu’icelle cordaiges est pailles et serpillière pèsent neuf livres, (le poids net du sucre est donc de 81 – 9 = 72 livres)
desquelles dires et de la vacation avons décerné acte auxdites partyes pour leur valloir et servir ce que de raison en présence de Michel Robeveille marchand espicier et Michel Garnier marchand espicier expertz lesquelz pareillement le serment d’eux pris nous ont dict que ledit sucre n’est loyal ny marchand estant nul et en poussière comme cassonnade et ne peut valloir et estre vendu que pour prix de cassonnade et recogneu que ce n’a esté par déni ny manque du voicturier, dont avons aussy décerné acte audit Lehirebec ce requérant, fait et passé audit Laval en présence de François Salmon marchand et honorable Jean Garnier Sr du Pin demeurant en cette ville tesmoings à ce requis et appellés et ont lesdits Goutier Carré et Garnier dict ne signer. (l’épicier est celui qui vient de prendre à l’apothicaire le commerce du sucre, voyez le début de ce billet et le billet de décembre. Les procès verbaux dressés par notaire sont toujours très complets, et font toujours appel à des témoins experts, ce sont des actes très modernes en ce sens)
cassonade. s. f. Sucre qui n’est point encore affiné. Ces confitures ne sont faites qu’avec de la cassonade. (Dictionnaire de L’Académie française, 1st Edition, 1694)
Pain, se dit aussi de certaines choses mises en masse, comme, Pain de sucre. pain de cire. pain de savon. pain de bougie. (même dictionnaire)
Avec ce billet, je viens de créer une nouvelle catégorie ALIMENTATION, et je vais tenter d’y remettre les anciens billet en relevant… Certes, ce billet concerne aussi bien le TRANSPORT, mais comme je pense que comprendre le peu de sucre autrefois sur la table de nos ancêtres, voire l’abscence totale, c’est important…
La famille Le Hirbec, à laquelle appartient Barthélémy, est une ancienne famille lavalloise dont les aînés se qualifièrent de sieurs de la Brosse (Argentré). – Daniel, petit-fils de Barthélémy Le Hirbec, apothicaire, et de Marie Fréard, e fils de Daniel Le H. et de Renée Corneau, serait né en 1621 ; il est connu par ses voyages aux Antilles, dans les Pays-Bas et en Italie, dont il a laissé le récit en deux petits cahiers autographes que possède Mr de la Bauluère à qui je les signalai et qu’a publiés Mr Moreau. Parti de Laval le 3 mars 1642, le voyageur, après diverses péripéties qui n’ont rien de dramatique, arrivait aux Antilles le 3 juin au soir et séjournait à la Martinique jusqu’au 22 août « pour y traicter de marchandises ; » il longea ensuite « la Dominique, » la Guadeloupe, tout l’archipel, se rembarqua le 31 décembre 1642 avec le « fribuste » anglais Denis, qui venait « de couvrir le Pérou » et, en vue de Belle-Isle, continua vers la Hollande qu’il visita, pour rentrer à Laval par Saint-Malo le 31 mai suivant. Deux mois plus tard, le 9 aoput, il repartait pour l’Italie, sans idée mercantile, semble-t-il, en touriste qui possède des connaissances historiques, qui sait voir, qui raconte sobrement, sans admiration outrée. A son retour, Daniel Le Hirbec, sieur de Chambray, se maria avec Françoise Pinart, dont il n’au pas d’enfants, et mourut en 1647. – Barthélémy, frère aîné du précédent, né en 1615, eut de Françoise Chasteigner Daniel Le Hirbec, apothicaire, mari de Françoise Beudin, 1665, qui, veuve avant 1712, mourut le 23 janvier 1742, âgée de 100 ans moins treize jours. – Jean, sieur du Murger, fils du précédent, mari de Françoise Joly, fut élu à Laval. – Daniel-Charles, époux de Marie Heulin, se fixa comme médecin à Evron. (Abbé Angot, Dict. de la Mayenne)
Sur les bords de la Loire (on voit le quai au premier plan) l’une des dernières raffineries de sucre en France, celle de Beghin Say, prise en 1998, à Nantes (photo Grelier). Ce sont bien des nuages (cela arrive à Nantes !) et non de la fumée, qui obscurcissent l’horizon.
Odile Halbert – Reproduction interdite sur autre endroit d’Internet Merci d’en discuter sur ce blog et non aller en discuter dans mon dos sur un forum ou autre blog.
Report des commentaires parus dans mon ancien blog :
galissonnière, le 17 juin : Au sujet du sucre, je viens de voir ce matin dans le journal de la région que « l’avenir de l’usine Beghin Say de Nantes s’écrit en pointillé »
L’usine Beghin Say bien connu des Nantais et reconnaissable de loin sur les bords de la Loire avec ses couleurs bleue et blanche, est une des dernières raffineries de sucre de canne de l’hexagone avec celles de Eirstein en Alsace et Saint Louis à Marseille ( P.O. 17 06 2008)
Marie-Laure, le 17 juin : Déjà à cette époque le sucre était emballé dans du papier bleu.Le sucre en pain devait être cassé avec un petit marteau cela devait être bien laborieux de faire des gateaux!Que le sucre ait été rare sur la table de nos ancêtres était sans doute aussi bien pour l’état de leurs dents : moins de caries, surtout vu les arracheurs de dents du passé!…
De La Baule, le 17 juin : Encore une fois merci ! Quelle richesse et je suis allée me promener sur votre site et j’ai eu le plaisir de retrouver un mariage BOUVET X LEMOINE à Champteussé !
de Odile, le 30 novembre 2008 : depuis la parution de cet article, nous apprenons que l’usine Beghin-Say ferme ses portes, dernière raffinerie nantaise.
Est ce un espoir pour les Nantais !
Sur le journal de ce matin on nous annonce que la maison mère de Behin -Say s’adosse à la coopérative espagnole Acor pour minimiser les investissements et optimiser les coûts de raffinage.