La Marionnière, lieu disparu : La Chapelle-sur-Oudon (49)

Depuis un siècle beaucoup de noms de lieux ont disparu, en voici encore un, manifestement trop petit avec ses 11 hectares pour rester une exploitation agricole, car une exploitation doit faire 30 ha, ce lieu a été absorbé par un voisin, mais lequel, car j’ai un oncle, Dominique Guillot, qui y a vécu, mais je ne sais pas le situer, malgré toutes les cartes anciennes qui sont sur Géoportail. Cette petite exploitation était annexée à une maison de maître, comme souvent autrefois, mais je ne pense pas que la maison de maître ait pu garder pour son parc personnel les 11 ha. Dominique Guillot vivant dans la maison de maître, et il a des descendants que je n’ai pas le plaisir de connaître, car les contacts se sont éteints avec ma grand mère maternelle. Dominique Guillot et mon ancêtre Esprit-Victor étaient frères de Jean-Mathurin Guillot, le garde d’honneur dont les lettres bouleversantes sont sur mon blog, ainsi que tous les gards d’honneur de son régiment

Jean GUILLOT °Chazé-sur-Argos 23.12.1768 †Gené 17 juillet 1840 Fils de Mathurin GUILLOT & de Madeleine VERGNAULT. Maire de Gené en 1830 x Chazé-sur-Argos 3 mars 1794 sa cousine Aimée GUILLOT °Lion d’Angers 9.11.1773 †Gené 10.7.1835 fille de Pierre et Marie Rose Faucillon

1-Jean-Mathurin GUILLOT °Lion d’Angers 22 novembre 1794 Garde d’honneur a 18 ans, part à Mayence et est décédé au front disparu après blessure à Reims le 23 mars 1814

2-Aimée GUILLOT °Angers 14 thermidor IV (1796) †Gené 6.7.1879 célibataire,SP

3-Arsène

4-Dominique-Pierre GUILLOT °Gené 29 avril 1806 †La Chapelle-sur-Oudon 27 juillet 1864 x 1832 Perrine-Marie MARION Dont postérité suivra

5-Esprit-Victor GUILLOT °Gené 23 avril 1814 x Noëllet 18 avril 1842 Joséphine-Flavie JALLOT Dont postérité suivra

Cet acte est aux Archives Départementales du Maine-et-Loire, 5E12 – Voici sa retranscription (voir ci-contre propriété intellectuelle) :

Le 30 octobre 1868 devant Me Adam Paul Roussier notaire au Lion d’Angers a comparu madame Perrine Marie Marion propriétaire veuve de M. Dominique Guillot, demeurant à la Marionnière comme de La Chapelle sur Oudon laquelle a par ces présentes donné à ferme pour 9 années entières et consécutives qui commenceront à courir au 1er novembre 1869 et finiront à pareille époque de l’année 1878 au sieur Jacques Fromy laboureur et à Renée Fouillet son épouse demeurant ensemble à Quarqueron commune du Lion d’Angers, preneurs solidaires, à ce présents et acceptants, le domaine de la Marionnière situé commune de La Chapelle sur Oudon composé d’une maison d’habitation pour le fermier, bâtiments d’exploitation, étables à bœufs et à vaches, toits à porcs, grange, aire, issues, cour, jardin, prés et terres labourables, le tout, y compris 3 morceaux de terre nouvellement acqis, d’une contenance totale de 11 hectares 33 ares 30 centiares d’après le cadastre ; ainsi que ce domaine existe, avec ses dépendances, mais sans garantie de la contenance qui vient d’être indiquée, la différence entre cette contenance et la mesure réelle fût-elle de plus d’un vingtième ; … (suivent toutes les clauses habituelles) … Réserves : Madame Guillot se réserve le droit de déposer ses pailles dans l’aire de la ferme et d’y faire mettre sa fosse à chaux, ainsi que le droit au four et au pressoir pour en user quand bon lui semblera ; elle se réserve encore la récolte d’un châtaigner à son choix, dont elle fera abattre les châtaignes à ses frais – Il est aussi convenu que les préneurs n’auront que le droit de passage dans la cour des bâtiments occupés par Madame Guillot pour aller au puits et à la cave, sans pouvoir séjourner dans cette cour ni y rien déposer. Prix de ferme : En outre, ce bail est consenti et accepté moyennant la somme de 1 000 F de fermage annuel … et en sus les preneurs seront tenus de fournir chaque année à madame Guillot en sa demeure à la Marionnière à titre de redevance et en sus du prix de la ferme : 2 oies, 4 poulets et 2 canards, 10 doubles décalitres de pommes que ladite bailleresse prendra à son choix sur les arbres qui lui conviendront, et avant toute récolte des preneurs, et une barrique de bon cidre sans eau que les preneurs fourniront quand il y en aura

Lettres de Jean Guillot, garde d’honneur, à sa grand mère, 17 août 1813 (lettre 4 de 15)

Voir aussi Les Gardes d’Honneur 3ème régiment : table de mes publications



Tours, le 17 août 1813
à Madame Guillot Mère au Pont-Chauveau de Chazé-sur-Argos
à Chazé, Dpt de Maine et Loire, canton de Candé

Ma bonne Maman
Je profite des derniers instants qui me restent pour ne pas perdre la meilleure occasion que je puisse trouver de vous donner encore un petit signe de vie. Je crois que vous m’avez assez honoré de votre estime pour ne pas dédaigner les nouvelles preuves de ma tendresse filiale. Quoique j’ai le malheur, ma bonne Maman, d’être privé de ce qui faisait ma plus grande jouissance, je veux dire, du plaisir d’être auprès de vous ; soyez persuadée que je ne vous ai point entièrement perdue de vue, car malgré qu’il ne me soit plus possible de vous voir des yeux du corps, votre image est tellement gravée dans mon cœur, que ceux de mon esprit vous ont toujours présente devant eux. Et comment pourrait-il en être autrement ? Tout homme ne doit-il pas être sensible aux faveurs ? Or, ce sentiment ne m’est point étranger ; et quand je me rappelle toutes les complaisances que vous avez eues pour moi, je ne puis m’empêcher de déplorer mon sort dans un état qui y met aujourd’hui un si fâcheux obstacle.
Ô si j’avais donc un faible rayon d’espérance de pouvoir bientôt m’en tirer ! Mais non, je suis engagé dans un Labyrinthe dont je ne sortirai peut-être jamais. Cependant j’ai la boule en main, c’est à moi de la rouler. Je connais trop peu les pentes pour les suivre, en conséquence je n’ai rien de mieux à faire que d’aller tout droit le chemin. Les plus intrigants sont eux-mêmes souvent trompés dans leur manœuvre, et comme je ne suis point à portée de mettre en mouvement les ressorts de l’intrigue, ce serait me nuire à moi-même que d’employer ce moyen pour me sauver du mauvais pas. Ce que j’ai donc de mieux à faire, c’est de m’armer de courage autant que possible ; mais j’ai beau chercher en moi, j’ai toute peine à en trouver ; il en faudrait cependant pour arriver au bout de la route que nous allons commencer vendredi, jour où nous partirons je crois pour Mayence. Il faudra donc m’éloigner encore d’avantage de vous, ma Bonne Maman, mais ne craignez point que j‘oublie jamais ce que je vous dois, et veuillez être persuadée, ma bonne Maman, du profond respect et du dévouement sans borne avec lesquels je suis votre très humble petit fils.
J. Guillot.
P.S. Daignez, ma Bonne Maman, offrir mes très humbles respects à mes oncles et tantes Trivelais et Louis, et les embrasser tendrement pour moi ainsi que les enfants, en les priant de vouloir bien ne point m’oublier.
Adieu ma bonne maman, adieu.

Saint-Sébastien-sur-Loire le 22 mai 2021

Mon cher Jean
Quelle heureuse grand-mère que la tienne ! Je ne me souviens pas avoir exprimé de sentiments à mes grands-mères. J’ai été beaucoup moins expressive que toi. J’avoue aussi que ta langue française est très nettement supérieure à la mienne, et que j’ai peu honte d’écrire après toi, dans un français nettement plus ordinaire. Lorsque je te lis, je suis bouleversée par la profondeur des sentiments et ta manière de les exprimer. Je suppose que tous ceux et toutes celles qui te liront éprouveront à leur tour de telles émotions.
Aujourd’hui, nous n’appelons plus nos grands-mères bonne maman. D’accord, elles faisaient souvent de la confiture et une marque de confiture industrielle a pris ce nom qui perdure ainsi de manière détournée. C’est tout ce qui nous reste de ce joli nom que tu donnes à ta grand-mère. Moi je me contentais d’appeler l’une « grand-mère » et l’autre « mamie », parce que je portais la seconde un peu plus dans mon cœur. Et comme je n’ai pas de petits enfants, j’ignore les termes actuels. Tu vois, tout a changé en 2 siècles, même notre vocabulaire.
J’ai souvent aidé à faire les confitures chez l’une de mes grands-mères, en particulier pour serrer le linge qu’on tenait à deux, pour extraire le jus, pour faire les gelées. C’était un moment joyeux, car on chantait des tas de contines qui me trottent encore en tête. « Moi, je préfère un p’tit moulin sur la rivière … » etc…
Je pensais que tu allais souhaiter à ta bonne maman son anniversaire, qui est le 22 août. Puisque tu ne lui souhaites pas et que tu l’aimes tant, c’est que tu ne connais pas sa date de naissance et qu’on ne parle pas encore d’anniversaire en 1813. C’est bien ce que je pensais, je vis une époque qui a oublié que nos pratiques ne ressemblent pas à celles du passé et que l’anniversaire n’était pas fêté autrefois.
Ta bonne maman aura 78 ans le 22 août. Tu as de la chance d’avoir encore une grand-mère, car la majorité d’entre elles était déjà morte avant 50 ans à ton époque. Maintenant nous vivons plus longtemps, presque 90 ans en moyenne, enfin seulement les femmes car les hommes vivent 5 ans de moins, toujours en moyenne.
L’adresse que tu as mise sur ton pli est si précise qu’elle a certainement bien aidé le coursier parti du Lion-d’Angers livrer ta missive, puisque la poste n’existe pas encore à Gené. Tu n’avais pas les noms de rues que nous avons mis partout, et même avec des numéros, mais tu t’en es bien sorti.
Je pense souvent à elle car elle vivait encore dans sa grande maison, à 8 km de toi. Elle avait eu 4 fils, et l’un d’eux vivait encore à Chazé-sur-Argos. Quand on vieillit, c’est difficile, même de nos jours de vivre seule dans une grande maison, donc elle avait surement une « bonne à tout faire », c’est ainsi que l’on nommait quand j’étais enfant celles qui vivaient même sous le même toit et travaillaient 24 h sur 24.
Je viens d’écrire bonne à tout faire et toi bonne maman. Mais le sens si différent, l’une serviable sans limite, l’autre aimée.
Mais au fait tu allais la voir comment à pied ou à cheval. Moi, je t’imagine à travers champs, faisant tôt le matin les 8 km à pieds. J’ai fait moi-même très jeune de longs parcours matinaux, car en tant qu’aînée, j’étais chargée des courses quotidiennes avant le lever des 5 suivants : levée bien avant eux je devais aller chercher chaque matin 5 l de lait et un pain de 4 livres, et pendant les vacances que nous passions toujours à la mer, je faisais quelques kilomètres parfois à travers champs, certes un peu moins que toi, mais tout de même avec mon chargement, et il ne fallait surtout pas renverser une seule goutte de lait !
Vous alliez sans doute souvent déjeuner chez elle le dimanche, en cariole, après la messe à Gené, et tu y rencontrais parfois tes oncles, tantes et cousins.

J’ai été voir autrefois la maison que ta « bonne maman » habitait à Chazé-sur-Argos, digne d’une petite bourgeoise de province, et bien loin de celle de ses grands-parents à Rablay, où ils sont tous tailleurs d’habits et cordonniers.
Ah, au fait, sais-tu son nom de jeune fille, car je viens de mon côté de découvrir que même de nos jours le patronyme de la mère est inconnu des enfants, comme emporté par le patronyme du père. Donc, pardonnes moi de venir te préciser qu’elle était née Vernault.
Son père avait eu la malchance, ou la chance, d’être le n°4 dans la fratrie, et comme tu sais c’est l’aîné qui prend la suite du père, et il n’y pas de place pour les cadets.
J’ignore comment il franchit la Loire pour trouver une épouse au nord du département, mais cela n’était pas rien, car autrefois les Angevins nés au sud de la Loire y contractaient alliance plus que rarement de l’autre côté du fleuve. J’ai une petite idée, dont je compte bien m’entretenir avec toi prochainement.

Tout près de Rablay, à Saint-Lambert-du-Lattay, une autre partie de la famille Vernault taillait aussi les habits. Ils font partie des rares artisans qui savent écrire, ce qui était certainement indispensable pour noter les mesures, car tout est sur mesure, comme le seront les costumes de ton régiment de garde d’honneur. Nous n’avons plus beaucoup de vêtements sur mesure de nos jours et tu serais bien étonné de découvrir qu’on a tout uniformisé par tailles. Je n’ai jamais connu le sur mesure.
Les Vernault et autres tailleurs d’habits qui vivaient encore en 1813 à Rablay ont dû mettre les bouchées doubles pour les marchés des vêtements militaires. Il est vrai qu’avec Napoléon, ces marchés ont fleuri et les tailleurs d’habit ne manquaient pas de travail, d’autant que la mécanisation faisait timidement quelques apparitions, mais le travail manuel était encore la base de la confection.
Napoléon vous avait choisi la veste verte, couleur qu’il réservait auparavant à sa garde proche. Si c’était une faveur c’était probablement pour vous faire oublier que vous alliez être les premiers cavaliers à ne pas avoir de palefreniers, et que vous alliez devoir vous-même soigner quotidiennement votre cheval, comme tu le racontais si bien. Et puis, je dois dire qu’il vous avait prévu un uniforme digne des hussards, avec lesquels je dois dire qu’on peut un peu te confondre tant il y a de ressemblance pour une néophyte comme moi.
Si cette couleur verte était moins fréquente auparavant, je suppose que les stocks de tissu de cette couleur ne devaient pas être très importants, et pourtant il fallait 2 m par veste et vous étiez 10 000, donc il fallait 20 000 m de cette couleur verte, et le métier à tisser de Jacquard n’avait fait son apparition qu’en 1801.
Chaque préfet devait s’occuper de faire exécuter les uniformes, et puisque c’est sur mesure, il a aussi fallu vous mesurer et transmettre les ordres aux tailleurs d’habits. En Maine-et-Loire, vous étiez 89 gardes d’honneur et tes lointains cousins de ateliers de tailleurs d’habits de Rablay ont participé à leur manière à t’habiller. Tu ne te doutais pas que ton uniforme serait fabriqué par des cousins pas si lointains que cela. Vos liens familiaux avec Rablay étaient certainement oubliés comme c’était autrefois le plus souvent le cas lorsque les cadets étaient partis s’installer ailleurs. Ils ne revenaient que pour le notaire lors des actes de succession ou vente.
Je tenais seulement à te rappeler ce clin d’œil de votre histoire familiale dans ton uniforme ! Je trouve cela si touchant !
Ta fidèle arrière-arrière petite nièce
Odile

Lettres à Jean Guillot, garde d’honneur, 12 août 1813 (lettre 3 de 15)

Tours, le 12 août 1813

Mes chers parents
Il me tardait beaucoup de recevoir de vos nouvelles, mais hier enfin mon désir a été accompli en recevant de votre part une lettre que je me suis délecté à lire et relire. Je me suis senti touché du style paternel dont elle est composée, et soyez persuadés que les leçons que j’y ai trouvées ne me sortirons pas de la mémoire. Vous m’exhortez à la sagesse ; d’après les exemples qui sont sous nos yeux, je me garderai bien de m’en écarter. Je serais fâché de fréquenter les billards et les maisons prostituées, dans les uns aussi bien que dans les autres la bourse en souffre et souvent il en résulte les suites les plus fâcheuses. La maison du traiteur est la seule qui me voit, encore tout au plus deux fois par semaine, pour y manger avec quelques amis ; mais j’ai soin de chercher les meilleurs marchés ; car je veux que les 363 livres que me restent dans une ceinture me suffisent d’ici longtemps. D’après le fidèle compte de mes fonds que je viens de vous exposer, il vous est facile de voir ce que j’ai dépensé depuis que j’ai eu le malheur de vous quitter ; sachant d’ailleurs que j’emportais avec moi 13 louis et demie ou quatre cent vingt livres. Selon vous et selon moi, ma dépense se monte à 52 livres. Il faut vous dire, mes chers parents, que nous avons été cinq jours en marche à nos frais, où nous dépensions au moins quatre francs par jour. Nous sommes restés deux jours en ville à nos dépends où nous ne vivions pas à bon marché, puis, ayant été mis dans les compagnies, au moment où l’on a commencé à nous nourrir entièrement aux frais du gouvernement, il nous est rentré 8 livres 16 sous pour remboursement, à partir du mercredi où nos chevaux ont été reçus jusqu’au dimanche où nous avons commencé à manger à la gamelle, excepté 15 sous que j’ai touchés pour mon voyage, voila tout ce que j’ai reçu d’argent. Notre paye est entièrement absorbée pour notre nourriture. Nous devrions cependant recevoir six centimes par jour, malgré ce que l’on nous retient pour le blanchissage. Quand je dis blanchissage, ce n’est pas celui de notre linge, car nous sommes obligés de nous faire blanchir à nos dépends, c’est seulement pour les draps de nos lits. Si vous voyez que ma dépense est un peu considérable, daignez vous rappeler, mes chers parents, que l’on a toujours quelques petites nécessités, que pour donner un peu de diversité à sa nourriture on a quelque fois recours à une revendeuse pour acheter du pain blanc, des fruits, des sardines et que par ce moyen l’argent s’en va toujours. Voila le détail de ma manière de vivre, si vous la trouvez défectueuse à votre avis, je la réformerai, mais rappelez vous que l’on ne nous donne que deux repas par jour.
Mon cher papa je me suis informé du marché de Cormerie, il se tient le jeudi et c’est à six lieues de Tours. Pour le cours des marchandises, je ne saurais rien vous en dire.
Je suis dans la quatrième compagnie 1ère escouade. J’ai grand peur d’être parti lorsque votre réponse pourrait arriver ici. Cependant mes chers papa et maman, je suis avec le plus profond respect votre très obéissant serviteur et fils.
J. Guillot.
Je vous embrasse de tout mon cœur ainsi que Dominique et Aimée à qui j’ai écrit. Adieu.
Ma tante de Loiré a dû recevoir de mes nouvelles et moi j’attends de votre part des informations sur ce qui se passe dans la famille. J’écrirai au premier jour à ma tante Vernault et à bonne maman. Daignez les assurer de mon respect.

Saint-Sébastien-sur-Loire le 15 mai 2021

Mon cher Jean
Tu écris des lettres magnifiques, avec des sentiments profonds, en particulier un tel respect pour ta famille. Je vois que tu écris aussi à tes tantes, et je ne puis te dire ce que sont devenues leurs lettres, mais 15 des lettres écrites à tes parents et à ta grand-mère font désormais partie de la mémoire nationale. Elles ont été lues non seulement par ma famille, mais par des historiens puisque l’un d’eux les a utilisées dans son étude sur la garde d’honneur, c’est Georges Housset. Il commence même par te citer page 277, en reprenant en partie ta dernière lettre pour revivre ta journée à la caserne. Si ce n’est qu’il ajoute que le réveil est au son de la trompette, et que vos lits à la caserne étaient des lits à deux.
Ces 15 lettres sont parvenus à moi car Aimée, ta sœur, a su les transmettre à sa nièce Aimée Guillot, du même nom que sa tante. Cette dernière Aimée Guillot est mon arrière grand-mère maternelle. Une de mes tantes maternelles avait ces lettres, et lors d’une des visites que je lui faisais régulièrement, elle me les tendit en ajoutant que j’étais la seule capable de transmettre. Aujourd’hui je mesure la portée de son geste, avec beaucoup d’admiration pour son jugement, et beaucoup de gratitude. Et comme tu vois, elle ne s’était pas trompée.
Lorsque j’avais reçu tes lettres, j’avais été très émue par la hauteur de tes sentiments respectueux et ta langue française.
Voulant alors retrouver ce que tu étais devenu, je m’étais rendue à Vincennes, car c’est là que sont les archives militaires. C’était  le temps du tout papier, alors qu’aujourd’hui on peut lire le rôle de ton régiment depuis un écran chez soi.
J’avais été très touchée par le nombre élevé de cases blanches dans la colonne de droite, celle où normalement on écrit la fin de service. Cette case de fin de mission était vide te concernant, et je n’avais donc pas eu plus de chance qu’avec l’état civil de Gené, tout à fait muet sur ton sort, pourtant j’avais dépouillé aux Archives Départementales du Maine-et-Loire les fonds des notaires, et je savais donc que tu étais décédé avant la succession de tes parents.

Tu écris à tes parents combien tu respectes leurs conseils, ainsi tu ne fréquentes pas le billard et les prostituées. Tant mieux pour ta bourse, qui est la leur.
Mais tes parents ne te disent pas tout. De toi à moi, c’est parfois le cas des parents qui n’osent pas tout dire pour ne pas inquiéter leurs enfants.
Je sais depuis peu que tu es décédé à Reims le mercredi 6 avril 1814 à 9 h du soir, chez monsieur Thomas Aubriot, 54 rue du K-Rouge. Ainsi, dans ton malheur tu as eu de la chance car je viens de relever les innombrables décès de militaires début 1814 à Reims, et sauf quelques rares cas comme toi, tous sont décédés à l’hospice, tous entassés et nombreux à décéder chaque jour. Tu as pu mourir peut-être mieux entouré de ton logeur, mais c’est aussi la raison pour laquelle ton décès n’a pas été reporté dans la fameuse case vide sur le rôle de ton régiment, car j’observe que ceux que l’hospice allait déclarer décédés à l’état civil étaient aussi reportés dans le rôle.
Peu importe, maintenant je t’ai retrouvé. Mr Aubriot a bien écrit à tes parents respectant tes directives, et sa lettre leur est bien parvenue, seulement elle a mis son temps. A mon époque on va un peu plus vite et je viens même de comprendre qu’il n’y avait pas de poste à Gené puisque la poste partout en France ne date que de 1830. Alors tes lettres n’arrivaient qu’au Lion d’Angers, d’où je suppose qu’un cavalier prenait le relais.
C’est ainsi que le 22 avril tes oncles et tantes, cousins, tous étaient venus de loin à Gené, pour une messe pour toi, et pour soutenir des parents, Aimée ta sœur, et Dominique ton frère. Beaucoup avaient fait 40 km pour venir te pleurer, comme ta tante depuis La Selle-Craonnaise.
Monsieur le curé avait célébré une messe pour ton repos éternel, et toute la paroisse avait tenu à y assister, pour entourer tes parents. Mais, brusquement, au milieu de ces larmes, ta maman fut prise de douleurs… les douleurs de l’enfantement.
Oui, Jean, 9 mois après ton départ, ta mère a mis au monde un garçon, né le jour où tous étaient réunis pour te pleurer.
Bon, tes parents n’avaient pas osé t’annoncer la grossesse en cours, aussi tu es bien surpris. Et c’est de ce frère, que tu n’as pas connu, que je vais t’entretenir, car ce frère est mon arrière arrière grand-père.
Mais, il est né dans de telles circonstances que tu as beaucoup pesé sur son existence, alors lui a-t-on tout cédé ? a-t-on oublié de lui recommander « ne joue pas au billard », c’est ce que je me demande. Car l’histoire qui commence est celle de la descente sociale jusqu’à plus rien du tout en quelques années seulement. Une histoire vertigineuse que je viens te conter, un histoire d’autant plus impressionnante que ta lettre explique bien comment on compte et on économise comme toi, dans toutes les dépenses quotidiennes.
Ta fidèle arrière-arrière petite nièce
Odile

Lettres de Jean Guillot, garde d’honneur, à ses parents, 3 août 1813 (lettre 2 de 15)

Voir aussi Les Gardes d’Honneur 3ème régiment : table de mes publications




Tours, le 3 aout 1813

Mes chers parents

Nous sommes à présent en quelque sorte casernés, c’est pourquoi je m’empresse de vous faire connaître mon adresse pour vous prier de satisfaire au plutôt le désir ardent que j’ai de recevoir de vos nouvelles et de celles de toute ma famille. Je vous dirai que la troisième compagnie des gardes d’honneur devant partir incessamment, nous croyons aussi, nous qui faisons partie de la quatrième, que nous ne ferons pas un long séjour à Tours ; c’est une raison, mes chers parents, pour mettre dans votre réponse toute la promptitude possible.
Je vais vous donner maintenant quelques détails sur nos occupations journalières. Le matin, nous nous levons vers quatre heures et demie ; à cinq heures on fait l’appel : cela fait, chacun prend son étrille, sa brosse, son peigne et son éponge, pour nettoyer son cheval pendant une heure. Il est sept heures environ lorsque les chevaux sont passés à l’eau : ensuite on nous distribue l’avoine pour la faire manger. A sept heures et demie nous sommes libres jusqu’à dix heures où nous allons déjeuner pendant une petite demie heure. Le déjeuner fini, nous sommes encore nos maîtres jusqu’à deux heures où l’on fait l’appel comme le matin, après quoi nous prenons de nouveau nos instruments d’écurie. Il est près de quatre heures quand nos chevaux sont pansés, quand ils ont bu et mangé l’avoine. Vient ensuite le dîner composé de soupe, de bouilli, d’un ragoût ou d’un rôti avec des pois verts ou des haricots. Notre soupe est faite à la miche, mais nous mangeons la viande avec le pain de munition, qui est passable, ou bien, ceux qui veulent, achètent du pain blanc. Lorsque tout le monde est contant, chacun va seller son cheval ; et à cinq heures et demie tout le monde met le pied à l’étrier pour aller à la manœuvre sous les yeux du général et de tous ceux qui nous commandent. Nous rentrons vers huit heures un quart et nous nous couchons entre neuf heures et demie et dix heures, sur des lits, qui comme vous pensez bien, ne sont pas des plus mollets. Mais ce qu’il y a de plus dur et de plus tuant c’est de garder l’écurie : on y entre à onze heures du matin et on n’en sort que le lendemain à la même heure. Il faut toute la nuit veiller à ce que les chevaux ne se battent pas et le jour avoir continuellement la pelle et le balai en main pour nettoyer l’écurie. J’ai déjà éprouvé une fois ce qu’il en est ; et voilà la punition de ceux qui manquent à l’appel ; ou bien c’est la salle de police. J’ai pour agrément un cheval parfaitement commode ; mais malheureusement il trotte dur ; j’ai aussi le plaisir de voir plusieurs Angevins ; entr’autres Monsieur Logerais et Monsieur d’Elbée. En général nous sommes tous bien les uns avec les autres, car rien ne prend mieux ensemble que les malheureux.
Veuillez, mon cher papa et ma chère maman, me rappeler au souvenir de toute ma famille, entr’autres de ma chère tante Vernault, et prier tous mes parents ainsi que monsieur le curé et sa nièce de ne plus m’oublier que je ne les oublie moi même. Je compte écrire demain à la pauvre Aimée. Il faut donc enfin que je finisse mes chers père et mère, mais croyez que c’est avec le plus cuisant regret de ne pouvoir m’entretenir plus longtemps avec vous, et que je vous embrasse, avec toute la tendresse du cœur le plus sensible, vous ainsi que Dominique.
J. Guillot.
Adieu, adieu.

Saint-Sébastien-sur-Loire, le 21 mai 2021

Mon cher Jean

Si je comprends bien tu es en caserne, ce qui n’est pas le cas de tout le régiment, car vous êtes si nombreux qu’il y en a un peu partout dans Tours.
J’ai vu le rôle de ton régiment, qui est conservé aux Archives de l’armée de terre à Vincennes. Ainsi, tu as été enregistré dès ton arrivée. Vous étiez tellement nombreux que tous n’ont pas été enregistrés aussi vite.
Le rôle m’en a appris beaucoup sur ton régiment. Ainsi, lorsque vous vous présentiez, vous pouviez bien dire ce que vous vouliez. Il n’y a pas eu de contrôle d’identité, et manifestement beaucoup n’ont pas beaucoup de papiers sur eux. Toi-même tu n’avais même pas ta date de naissance.
Mais au fait, cela devait être difficile aux jeunes gens de ta génération de connaître sa date de naissance : vous étiez nés sous le calendrier républicain. Certains de tes camarades ne connaissent que ce calendrier pour donner leur date de naissance. Le secrétaire était parfois un peu perdu avec ce calendrier, c’est le moins qu’on puisse dire. Quand il écrit « an 13 » je suis persuadée qu’il a mal entendu ou mal compris. Il était même sans doute un peu dur d’oreille, certainement une personne âgée non appareillée. En fait c’était peut-être « an 3 ».
Même quand tes camarades donnent leur date en calendrier Grégorien, il note souvent les mois de janvier et février, plus que de raison, donc ces dates ne sont certainement pas très fiables. Au fond, bon nombre d’entre vous ne connaissait pas trop sa date de naissance, puisque l’église catholique avait interdit les anniversaires, et seul l’anniversaire du Christ était une fête. Même Louis XIV ne connaissait pas sa date de naissance.
L’état civil était tenu par les prêtres avant la Révolution, et l’âge était toujours indiqué avec la mention « environ » tant on ignorait le plus souvent la date de naissance. Mais toi Jean, tu est né le 1er vendémiaire an II selon ce qui s’appelait alors l’état civil tenu par les mairies. Tu n’a donc pas connu l’ancien état civil tenu par les prêtres.

Tu m’as tout de même bien amusée avec ce blanc dans ta date de naissance. Tu es cultivé, comme le montre ton usage de la langue française, et je suppose que tu as suivi tes études au Lycée de la Rossignolerie, inauguré en 1806 sous le nom de « Lycée Impérial ». Il s’appelle maintenant « David d’Angers, rue Célestin Port, mais on le doit comme tous les lycées à Napoléon.
Ainsi 73 d’entre vous ne connaissaient pas leur date de naissance, soit 73 pour 2 206 gardes d’honneur, donc 3 %. C’est beaucoup pour des jeunes gens cultivés. Alors, je suppose que cet oubli de votre de naissance était volontaire, sans doute aviez vous parmi votre groupe d’arrivée l’un d’entre vous trop jeune pour avouer son âge, et vous avez alors tous décidé de le soutenir en faisant comme si vous ne connaissiez pas votre date de naissance. Vous étiez donc des jeunes gens tout à fait normaux pour votre âge, et prêt à faire quelque petite blague.
Tu sais de nos jours, les jeunes gens ne connaissent plus la guerre depuis 75 ans, et comme ils ont l’envie de se défouler de leur âge, ils n’hésitent pas à sortir, mais des raves interdites, sorte de fête ou la musique moderne avec très hauts parleurs, et la boisson, font se trémousser tout le WE.
Donc tu connaissais ta date de naissance mais avec tes camarades vous aviez décidé de narguer l’autorité et faire semblant de ne pas la connaître, sans doute parce que l’un d’entre vous avait besoin de masquer cet élément de sa personne. En tout cas vous y êtes bien parvenus.

Mais le rôle du troisième régiment m’a révélé que de nos jours on a totalement oublié la variole. Pourtant nous sommes depuis 15 mois en pandémie de Covid-19, un virus qui est venu troubler un peu nos existences paisibles. On a connu plusieurs pandémies depuis toi, mais on a éliminé la variole à grands coups de vaccins obligatoires sur toute la planète. On l’a si bien éliminée qu’on l’a oubliée et même les films historiques des siècles passés ne nous montre que de très beaux visages, tous plus beaux les uns que les autres, et aucun n’a la petite vérole. Donc on nous désinforme comme je l’ai découvert en retranscrivant le rôle de ton régiment, car à chaque page au moins un visage de petite vérole, et vous êtes 6 par page. C’est impressionnant, et je t’avoue que cela m’a un peu bouleversée, surtout parce que je constatais combien nous avons oublié ces marques de la variole, si visibles sur les visages. Et ces marques étaient si usuelles qu’elles n’étaient en aucun cas un obstacle au mariage. Ainsi quelques garçons de ton régiment, plus chanceux que toi, et revenus chez eux, ont trouvé épouse malgré la petite vérole.
Ta fidèle arrière-arrière petite nièce
Odile

Lettres à Jean Guillot, garde d’honneur, 22 juillet 1813 (lettre 1 de 15)

publication, sans commentaires

Tours, le 22 juillet 1813

 
Mes chers parents
 
Si je suis séparé de vous par la distance des lieues, soyez du moins persuadés qu’un souvenir perpétuel vous retrace sans cesse à ma mémoire. Je n’ai pu résister plus longtemps au désir de m’entretenir avec vous, ainsi j’ai pris la plume aussitôt à mon arrivée au dépôt. Ma santé, heureusement, est toujours bonne et le voyage que je viens de faire n’a rien altéré en moi, si ce n’est mes fonds qui se dispersent un peu trop fort ; car la journée passée j’aurai presque dépensé dix écus. Vous me connaissez assez mes chers parents pour penser que s’il tenait à moi seul, tout irait plus modérément. Faisant le moins d’étalage que faire se pourra, croyez que je me prescrirai toujours les plus justes bornes, car je sais que ces dispositions sont analogues à l’état où nous nous trouvons, vous et moi. Je vous jure, mon cher papa et ma chère Maman, de ne jamais oublier vos avis, à ces mots, mon cœur crève, mais je suis dans un état où il faut de vaincre soi-même, et bannir en quelque sorte tous les sentiments de la nature. Il me semble que si j’étais fils de tout autre père et mère, je pourrais être moins sensible, mais non, je suis votre enfant. Permettez-moi de finir, mon cher papa et ma chère Maman, et prenez pour certain que je recommencerai avec une nouvelle satisfaction lorsque j’en saurai plus long sur notre destination. Je vous avertis d’avance que quelques uns croient que nous partirons bientôt pour Mayence. Je n’ai encore vu ni Maunoir, ni Guibourd, il est vrai je ne suis point encore sorti en ville que pour aller au fourrage.
Je m’arrête enfin, et je finis en vous assurant de mon respect, votre très humble fils.

    j. Guillot

Vous voudrez bien offrir mes respects et amitiés à tous mes parents et les prier de vouloir bien ne point m’oublier. Adieu, adieu.

 

Saint-Sébastien-sur-Loire, le 11 mai 2021

 
Mon cher Jean
 
Le tilleul en bas de ma tour dresse ses branches mortes. Le printemps l’a oublié cette année, parce qu’une racine gênait le parking mitoyen.
Mortes et condamnées à disparaître, ses branches dressent encore la silhouette de celui dont elles constituaient la structure. Je ne les quitte pas des yeux. Elles sont à notre image.
Car toi et moi nous lui ressemblons.
Sans fruits, nous avons été rayés par beaucoup de généalogistes, qui ne veulent pas de notre mémoire. Ils font de l’ascendance pas de l’histoire familiale.
Pourtant nous n’avons pas été aussi inutiles qu’ils le pensent à l’histoire familiale. Voici ce que j’avais écrit te concernant et ta sœur Aimée, tous deux effacés par des copieurs de mon travail.
 

Jean GUILLOT °Chazé-sur-Argos 23.12.1768 †Gené 17 juillet 1840 Fils de Mathurin GUILLOT & de Madeleine VERGNAULT. Maire de Gené en 1830 x Chazé-sur-Argos 3 mars 1794 sa cousine Aimée GUILLOT °Lion d’Angers 9.11.1773 †Gené 10.7.1835 fille de Pierre et Marie Rose Faucillon
1-Jean-Mathurin GUILLOT °Lion d’Angers 22 novembre 1794 Garde d’honneur a 18 ans, part à Mayence et est décédé au front disparu après blessure à Reims le 23 mars 1814
2-Aimée GUILLOT °Angers 14 thermidor IV (1796) †Gené 6.7.1879 célibataire,SP

 
J’ai été bouleversé il y a quelques semaines en constatant sur des bases de données qu’un copieur de mon travail t’avait supprimé ainsi qu’Aimée ta sœur qui m’est aussi très chère tant elle a joué un immense rôle dans l’histoire familiale. Alors je viens faire œuvre de mémoire haut et fort à toi et à Aimée, ta sœur.
Il y a bien longtemps j’avais découvert un autre travers de la généalogie sur un mur couverts d’arbres généalogiques qui ne concernaient pas la mère, uniquement le père. Mais bien d’autres travers devaient par la suite se révéler, et pour m’en éloigner j’ai dû éviter toutes les bases de données, et même publier sur mon site ce que je dénomme généofolie,  pour dénoncer ces pratiques qui sévissent beaucoup. Cette quête de l’exactitude des données est-elle due à mon profil de chimiste. Je me suis souvent posée la question. En chimie on ne note que ce que l’on observe.
 
La mémoire familiale est ma passion. Elle vient sans doute de mon histoire personnelle. J’avais ton âge quand je fus privée de père et stoppée net dans mes études, tandis que maman avait beaucoup à faire avec les 5 enfants qui me suivaient.
Tante sans enfants et grand-mère maternelle ne m’ont pas oubliée, et c’est ainsi que je me suis retrouvée 15 jours en vacances à Paris avec ma tante pour garder le chat d’une cousine de son mari, dans un appartement de luxe avenue Foch. Nous avions reçu de grand-mère une mission importante : aller 36 rue des Blancs-Manteaux tenter de trouver la trace d’Alfred.
Alfred était alors pour moi un inconnu, jamais je n’en avais entendu parler par ma grand-mère. C’est ainsi que je découvris, à ton âge, qu’il existait des disparus, et que ma grand-mère avait un frère Alfred disparu : il n’avait plus donné signe de vie depuis quelque temps à cette dernière adresse.
Je nous revois encore questionnant et cherchant sa trace rue des Blancs Manteaux. Nos recherches furent vaines, mais elles m’ont marquée. Depuis, j’éprouve toujours beaucoup d’empathie lorsque les media nous évoquent des cas de disparition.
65 ans plus tard, je t’avoue que je ne suis toujours pas parvenue à retrouver la trace d’Alfred, sans doute échoué sur la rue après avoir laissé filé la fortune que sa mère lui avait laissée.
Pourtant, je devais plus tard découvrir un autre cas de disparition, pesant tellement sur la famille qu’elle était devenue un tabou. C’est ainsi que l’on nomme ces histoires familiales obscures, où le silence est censé régler le problème, alors qu’il n’y a pas une minute de mon existence, sans que je pense à maman, sur laquelle un tabou pesait. De son vivant, j’ai passé mes WE près d’elle qui faisait partie des nombreux retraités qui ne savent pas s’occuper et se lamentent d’ennui. Mais elle m’interdisait les recherches généalogiques, et c’est ainsi que le temps me manquait autrefois entre travail et maman.
Evoquant mon désir de faire des recherches sur la famille, elle disait que j’allais soulever la m… Lorsqu’elle est décédée, j’ai pu enfin entreprendre l’histoire familiale dans toutes les cotes d’archives et lorsque j’ai pu enfin élucider l’histoire vraie de ce tabou, j’ai regretté que ce silence assourdissant ait sévi dans la famille.
Maman aurait été bien plus heureuse de connaître la vérité car elle n’avait rien de terrifiant, tout au plus l’histoire d’un ascenseur social qui descend brutalement et même très bas, le tout sans drame inavouable tel qu’assassinat ou autre.
Tu vois Jean, en 2021 nous vivons nombreux dans des tours, sortes d’habitats regroupés, les uns sur les autres, et pour monter nous avons un appareil automatique : l’ascenseur. Il sait si bien monter facilement que toux ceux qui vivent chichement voire très pauvrement ne rêvent que de monter socialement, car l’ascenseur est devenu une image : l’ascenseur social.
Moi, je sais par mes recherches familiales qu’un ascenseur cela descend facilement et rapidement, et l’ascenseur social n’échappe pas à cette loi de la gravité.
Toi et moi nous sommes concernés par cette longue histoire d’ascenseur social qui chute, et même très bas, jusqu’à SDF, et c’est de cette chute sociale que je viens t’entretenir, toi le garde d’honneur, toi que Napoléon dans son décret du 5 avril 1813 recrutait, au titre de classe sociale aisée susceptible de contribuer aux frais de manière considérable. Bon, d’accord, tous n’étaient pas si aisés comme le démontre l’ouvrage du lieutenant colonel Georges Housset, la Garde d’honneur 1813-1814, et tous n’étaient pas des planqués, la preuve, avec tes 18 ans tu étais l’aîné dans une fratrie qui n’avait donc pas encore connu les levées en masse de conscrits. Tu étais d’une famille de propriétaires terriens à l’abri du besoin.

Le tilleul mort se dresse toujours parmi les arbres qui portent fruits. Il me rappelle que toi et moi nous ne comptons pas dans la mémoire de nombreuses familles, mais moi je viens honorer ta mémoire et celle de cette chute sociale qui me relie à toi.
En mémoire de toi et d’Aimée ta sœur, je viens répondre à tes lettres plus de 2 siècles après, je viens te crier que vous ne serez jamais oubliés, je vais honorer votre mémoire, je vais la publier sur Internet, ce moyen de communication moderne ou toute la terre peut lire.
Ta fidèle arrière-arrière petite nièce
Odile

 

Autrefois on lavait le linge à la rivière, quand on en avait une à proximité : sinon covoiturant en charette à boeufs pour faire plusieurs km

Internet fourmille de sites vous expliquant la lessive autrefois. Tous ont un point commun : la rivière.

Alors, comment faisaient ceux qui n’avaient pas de rivière à proximité ? J’ai un acte des archives en série U qui vous relate comment on faisait et je viens vous le commenter.

Donc, en l’absence de rivière à proximité, on se regroupait pour remplir une charette de linge et les femmes par dessus les piles de linge. On pratiquait donc entre particuliers et/ou voisins ce que nous appelons en 2019 le COVOITURAGE. Mieux, on louait ainsi à plusieurs la charette car toutes les métairies ou closeries de l’épopque ne possédaient pas une charette.

Et encore mieux, comme je vous l’expliquai hier, en Anjou, ce ne sont pas les chevaux qui travaillaient mais les boeufs.

L’acte que je vous mets ci-dessous relate un tragique accident survenu entre Gené, bourg sans rivière, et Le Lion d’Angers, où il y a rivière et lavoirs. Nous sommes en plein hiver le 1er février 1803, à 18 h la charette à boeufs cahote dans les ornières du chemin creux qui rentre du Lion à Gené par la Jaudonnière. Mais une ornière plus profonde qu’une autre fait basculer la charette et 4 des femmes assises tous en haut des piles sont basculées vers l’avant et tombent. La roue de la charette écrase la tête et le bras de l’une d’entre elles, tuée sur le coup.

Parmi les particuliers qui ont envoyé le linge à laver Jean Guillot, marchand fermier, qui possède un cheval, mais ce cheval ne sert qu’aux déplacements personnels, en aucun cas au trait. Et Jean Guillot a envoyé sa servante sur la charette de covoiturage « lessive au Lion d’Angers » depuis Gené.

En résumé :

  • en l’absence de rivière dans le bourg, on doit aller laver le linge parfois à plusieurs km à la rivière la plus proche
  • on se regroupe à plusieurs et on emprunte une charette
  • la charette est tractée par des boeufs
  • Jean Guillot a un cheval pour ses déplacements de marchand fermier mais ne s’en sert pas pour tirer la charette à linge au Lion

Et le covoiturage n’est pas une invention récente, nos ancêtres le pratiquaient même pour la lessive ! Et nul doute que pour aller de la campagne à Angers aux jours fixés par les baux pour apporter chappons, beurre en pot, poulets et fouace, ils pratiquaient aussi le covoiturage et comme nous le voyons dans l’acte que je vous mets ci-dessous, il ne s’agissait pas de charette à cheval mais bien de charette à boeufs.

Gené n’est pas situé sur une rivière. Pour laver le linge il fallait se rendre au Lion sur les bords de l’Oudon, donc à 7 km du bourg. On s’y rendait à plusieurs en charette à boeufs. Le 1er février 1803, Jean Guillot, alors adjoint au maire, envoit sa servante, Marie Rousseau, 22 ans, faire la lessive au Lion d’Angers. Elle rejoint la charette à boeufs de Valennes que Pierre Fessard, sabotier de son métier, a empruntée pour les y conduire. Au retour, il fait déjà nuit  et la charette emprunte le chemin creux qui passe par la Jaudonnière,  lorsqu’une ornière fait basculer vers l’avant la charette, et 4 filles tombent. L’une, la servante de Guillot, est blessée par une roue à la jambe et reste au lit le lendemain, souffrante, et deux autres ont de légères contusions, mais la quatrième, Madeleine Rousseau, est morte, la tête et un bras passés sous la roue. Ses compagnes lui enveloppent la tête dans un tablier, et aidées de Pierre Fessard la remettent sur la charette, pour faire les 6 km qui restent jusqu’à Gené, puis ils la déposent chez Jean Guillot, qui possède la grande maison de la Chouannière au bourg de Gené. C’est là que Louis Vallin, le médecin, vient établir le certificat de décès qu’il remet à Jean Guillot en tant qu’adjoint au maire.

Cet acte est aux Archives Départementales du Maine-et-Loire, 4U17-12 – Voici sa retranscription (voir ci-contre propriété intellectuelle)

 Le 1er brumaire XI (1er février 1803) nous Claude Mathurin Jérôme Faultrier juge de paix et officier de police judiciaire du canton du Lyon d’Angers, assisté de notre greffier, sur l’avis à nous donné par Jean Guillot adjoint du maire de la commune de Gené par sa lettre de ce jour qu’environ 6 h du soir du jour d’hier plusieurs femmes montées sur une charette revenant du Lyon d’Angers laver la lessive, en descendant un chemin près la Jaudonnière dite commune du Lyon, 45 d’entre elles tombèrent par une secousse par le devant de la charette, que la fille Magdeleine Rousseau se trouvant la tête sous une des roues en fut écrasée et resta morte, en conséquance de ce nous sommes transporté audit Gené maison dudit cité Guillot où le cadavre était déposé accompagné de Louis Vallin officier de santé audit Lyon d’Angers, où étant avons trouvé ledit cadavre sur un lit dans une chambre servant de boulangerie audit Guillot, examen fait dudit cadavre par ledit Vallin, il résulte que la cause de la mort a été occasionnée par la fracture du pariétal droit, et d’une partie du coronnal, fait par la pression de la roue de la charette qui comprimant le cerveau a donné le coup de mort, de plus a reconnu ledit Vallin que l’humerusse (sic) droit à sa partie supérieure était fracturé totalement, et qu’il n’a rien reconnu de plus sur les autres parties du corps, et de suite sont comparus sur notre demande les cy après témoins de l’avènement : 1/ Marie Chatelain femme de Sébastien Huau commune de Gené âgée de 43 ans, a déclaré que le jour d’hier environ 6 h du soir, revenant du Lyon laver la lessive de Pierre Fessard, étant sur une charette avec plusieurs autres, dans un chemin creux près la Jaudonnière une secousse fit tomber plusieurs d’entre elles au nombre desquelles était Madeleine Rousseau, qu’elle entendit qu’aussitôt le conducteur fit arrêter les boeufs, qu’elles descendirent toutes pour les secourir, qu’elles en trouvèrent plusieurs avec des meurtrissures, et ladite Rousseau morte ayant au bras fracassé et la tête, et morte, qu’elles lui enveloppèrent la tête avec un tablier et la remirent dans la charette qui la ramena audit Gené… – 2/ Marie Durand femme de Pierre Fessard sabotier audit Gené, âgée de 50 ans, a déclaré que le jour d’hier environ 6 h du soir revenant du Lyon laver la lessive et montée sur une charette avec plusieurs autres une pente occasionna une secousse qui en fit tomber 4 d’entre elles par le devant de la charette, qu’aux cris qu’elles firent le bouvier arrêta ses boeufs et descendirent pour les secourir, que 3 furent meurtries seulement, et ladite Rousseau morte sur la place la roue luy ayant passé sur un bras et sur la tête, qu’on la remit dans la charette qui l’amena à Gené … 3/ Perrine Provost veuve de François Gagneux, âgée de 50 ans, journalière, a déclaré que le jour d’hier environ 6 h du soir revenant de laver la lessive pour Fessard et montée sur une charette avec plusieurs autres, 4 d’entre elles tombèrent pas le devant de la charette dans un chemin creux, qu’elles firent arrêter les boeufs et descendirent pour voir s’il y avait du mal, elle y trouvèrent ladite Rousseau morte ayant un bas et la tête fracturés par l’effet de la roue qui avait passé dessus, qu’elles la relevèrent et la mirent dans la charette qui la ramena à Gené … 4/ Nicolas Rousseau, fils de Pierre Rousseau et Perrine Guillery, serrurier demeurant audit Gené, âgé de 12 ans, a déclaré que le jour d’hier étant allé audit Lyon séparément avec sa soeur Magdeleine, ils montèrent tous les deux sur une charette chargée de lessive qui se rendait à Gené, que sur les 6 heures du soir, un cahot en avait fait tomber plusieurs des femmes qui étaient dessus, que la charette étant arrêtée il est descendu et trouva sadite soeur Magdeleine morte ayant un bras et la tête fracturés par une roue de la charette… /5 Marie Huau fille de Sébastien Huau grêleur audit Gené, et de Marie Chatelain, âgée de 23 ans, a déclaré que le jour d’hier revenant de laver la lessire au Lyon d’Angers et montée sur la charette qui revenait de la lessive avec plusieurs autres, sur les 6 h du soir environ, passant dans un chemin creux un saut en fit tomber 4 d’entre elles, qu’elle en fut meurtrie à la hanche et à un pied, et que Magdeleine Rousseau tombée avec elle la tête dans l’ornière une roue passa dessus et la tua… /6 Marie Rousseau, fille à gage chez ledit Guillot, fille de René Rousseau journalier et Mathurine Thierry, âgée de 22 ans, a déclaré que le jour d’hir revenant de laver du linge audit Guillot et montée avec plusieurs autres sur une charette qui emmenait à Gené la lessive de plusieurs particuliers, elle déclarante étant sur le timon, que sur les 6 h du soir dans un chemin creux près la Jaudonnière un saut en fit tomber 3 de dessus la charettte, que Magdeleine Rousseau la plus proche d’elle l’ayant pris par la main la fit tomber comme les autres, mais qu’elle resta sous la charette ou une pierre et une froisseur ? de la roue lui a occasionné une douleur considérable au côté gauche, qui la retient au lit où l’avons trouvée, et que ladite Magdeleine Rousseau qui l’avoit pris par la main atant tombé la tête la première, la tête roula dans l’ornière où une roue la fracassé ainsi qu’un bras… 7/ Pierre Fessard sabotier audit Gené, âgé de 30 ans, a déclaré que le jour d’hier conduisant le harnois du lieu de Valennes ramenant des lessives à différents particuliers passant sur les 6 h du soir dans un chemin creux près la Jaudonnière, entendant crier vit en se détournant des femmes tombées de la charette, sauta de suite entre ses boeufs pour les arrêter, qu’il ne le put dans l’instant vu que la charette était chargée, mais que sitôt qu’il put le faire fut de suite voir, qu’il y avait 3 relevées et vit ladite Magdeleine Rousseau qu’on venait de relever de l’ornière sans vie, la tête fracassée et un bras cassé, qu’il la prit avec une autre femme et la mirent dans la charette et la ramena à Gené… – De tout quoi nous juge de paix susdit et soussigné avons fait et dressé le présent procès verbal par lequel appert qu’il n’y a eu aucune mauvaise volonté dans cet évenement malheureux »

NON SEULEMENT LE CHEMIN ETAIT CREUX MAIS IL FAISAIT NUIT ET JE ME DEMANDE COMMENT LE BOUVIER POUVAIT CONDUIRE SES BOEUFS DANS LE NOIR car le 1er février le jour ne dure que 9 h 20 et  la nuit est déjà tombée à 18 h