Lettres à Jean Guillot, garde d’honneur, 22 juillet 1813 (lettre 1 de 15)

publication, sans commentaires

Tours, le 22 juillet 1813

 
Mes chers parents
 
Si je suis séparé de vous par la distance des lieues, soyez du moins persuadés qu’un souvenir perpétuel vous retrace sans cesse à ma mémoire. Je n’ai pu résister plus longtemps au désir de m’entretenir avec vous, ainsi j’ai pris la plume aussitôt à mon arrivée au dépôt. Ma santé, heureusement, est toujours bonne et le voyage que je viens de faire n’a rien altéré en moi, si ce n’est mes fonds qui se dispersent un peu trop fort ; car la journée passée j’aurai presque dépensé dix écus. Vous me connaissez assez mes chers parents pour penser que s’il tenait à moi seul, tout irait plus modérément. Faisant le moins d’étalage que faire se pourra, croyez que je me prescrirai toujours les plus justes bornes, car je sais que ces dispositions sont analogues à l’état où nous nous trouvons, vous et moi. Je vous jure, mon cher papa et ma chère Maman, de ne jamais oublier vos avis, à ces mots, mon cœur crève, mais je suis dans un état où il faut de vaincre soi-même, et bannir en quelque sorte tous les sentiments de la nature. Il me semble que si j’étais fils de tout autre père et mère, je pourrais être moins sensible, mais non, je suis votre enfant. Permettez-moi de finir, mon cher papa et ma chère Maman, et prenez pour certain que je recommencerai avec une nouvelle satisfaction lorsque j’en saurai plus long sur notre destination. Je vous avertis d’avance que quelques uns croient que nous partirons bientôt pour Mayence. Je n’ai encore vu ni Maunoir, ni Guibourd, il est vrai je ne suis point encore sorti en ville que pour aller au fourrage.
Je m’arrête enfin, et je finis en vous assurant de mon respect, votre très humble fils.

    j. Guillot

Vous voudrez bien offrir mes respects et amitiés à tous mes parents et les prier de vouloir bien ne point m’oublier. Adieu, adieu.

 

Saint-Sébastien-sur-Loire, le 11 mai 2021

 
Mon cher Jean
 
Le tilleul en bas de ma tour dresse ses branches mortes. Le printemps l’a oublié cette année, parce qu’une racine gênait le parking mitoyen.
Mortes et condamnées à disparaître, ses branches dressent encore la silhouette de celui dont elles constituaient la structure. Je ne les quitte pas des yeux. Elles sont à notre image.
Car toi et moi nous lui ressemblons.
Sans fruits, nous avons été rayés par beaucoup de généalogistes, qui ne veulent pas de notre mémoire. Ils font de l’ascendance pas de l’histoire familiale.
Pourtant nous n’avons pas été aussi inutiles qu’ils le pensent à l’histoire familiale. Voici ce que j’avais écrit te concernant et ta sœur Aimée, tous deux effacés par des copieurs de mon travail.
 

Jean GUILLOT °Chazé-sur-Argos 23.12.1768 †Gené 17 juillet 1840 Fils de Mathurin GUILLOT & de Madeleine VERGNAULT. Maire de Gené en 1830 x Chazé-sur-Argos 3 mars 1794 sa cousine Aimée GUILLOT °Lion d’Angers 9.11.1773 †Gené 10.7.1835 fille de Pierre et Marie Rose Faucillon
1-Jean-Mathurin GUILLOT °Lion d’Angers 22 novembre 1794 Garde d’honneur a 18 ans, part à Mayence et est décédé au front disparu après blessure à Reims le 23 mars 1814
2-Aimée GUILLOT °Angers 14 thermidor IV (1796) †Gené 6.7.1879 célibataire,SP

 
J’ai été bouleversé il y a quelques semaines en constatant sur des bases de données qu’un copieur de mon travail t’avait supprimé ainsi qu’Aimée ta sœur qui m’est aussi très chère tant elle a joué un immense rôle dans l’histoire familiale. Alors je viens faire œuvre de mémoire haut et fort à toi et à Aimée, ta sœur.
Il y a bien longtemps j’avais découvert un autre travers de la généalogie sur un mur couverts d’arbres généalogiques qui ne concernaient pas la mère, uniquement le père. Mais bien d’autres travers devaient par la suite se révéler, et pour m’en éloigner j’ai dû éviter toutes les bases de données, et même publier sur mon site ce que je dénomme généofolie,  pour dénoncer ces pratiques qui sévissent beaucoup. Cette quête de l’exactitude des données est-elle due à mon profil de chimiste. Je me suis souvent posée la question. En chimie on ne note que ce que l’on observe.
 
La mémoire familiale est ma passion. Elle vient sans doute de mon histoire personnelle. J’avais ton âge quand je fus privée de père et stoppée net dans mes études, tandis que maman avait beaucoup à faire avec les 5 enfants qui me suivaient.
Tante sans enfants et grand-mère maternelle ne m’ont pas oubliée, et c’est ainsi que je me suis retrouvée 15 jours en vacances à Paris avec ma tante pour garder le chat d’une cousine de son mari, dans un appartement de luxe avenue Foch. Nous avions reçu de grand-mère une mission importante : aller 36 rue des Blancs-Manteaux tenter de trouver la trace d’Alfred.
Alfred était alors pour moi un inconnu, jamais je n’en avais entendu parler par ma grand-mère. C’est ainsi que je découvris, à ton âge, qu’il existait des disparus, et que ma grand-mère avait un frère Alfred disparu : il n’avait plus donné signe de vie depuis quelque temps à cette dernière adresse.
Je nous revois encore questionnant et cherchant sa trace rue des Blancs Manteaux. Nos recherches furent vaines, mais elles m’ont marquée. Depuis, j’éprouve toujours beaucoup d’empathie lorsque les media nous évoquent des cas de disparition.
65 ans plus tard, je t’avoue que je ne suis toujours pas parvenue à retrouver la trace d’Alfred, sans doute échoué sur la rue après avoir laissé filé la fortune que sa mère lui avait laissée.
Pourtant, je devais plus tard découvrir un autre cas de disparition, pesant tellement sur la famille qu’elle était devenue un tabou. C’est ainsi que l’on nomme ces histoires familiales obscures, où le silence est censé régler le problème, alors qu’il n’y a pas une minute de mon existence, sans que je pense à maman, sur laquelle un tabou pesait. De son vivant, j’ai passé mes WE près d’elle qui faisait partie des nombreux retraités qui ne savent pas s’occuper et se lamentent d’ennui. Mais elle m’interdisait les recherches généalogiques, et c’est ainsi que le temps me manquait autrefois entre travail et maman.
Evoquant mon désir de faire des recherches sur la famille, elle disait que j’allais soulever la m… Lorsqu’elle est décédée, j’ai pu enfin entreprendre l’histoire familiale dans toutes les cotes d’archives et lorsque j’ai pu enfin élucider l’histoire vraie de ce tabou, j’ai regretté que ce silence assourdissant ait sévi dans la famille.
Maman aurait été bien plus heureuse de connaître la vérité car elle n’avait rien de terrifiant, tout au plus l’histoire d’un ascenseur social qui descend brutalement et même très bas, le tout sans drame inavouable tel qu’assassinat ou autre.
Tu vois Jean, en 2021 nous vivons nombreux dans des tours, sortes d’habitats regroupés, les uns sur les autres, et pour monter nous avons un appareil automatique : l’ascenseur. Il sait si bien monter facilement que toux ceux qui vivent chichement voire très pauvrement ne rêvent que de monter socialement, car l’ascenseur est devenu une image : l’ascenseur social.
Moi, je sais par mes recherches familiales qu’un ascenseur cela descend facilement et rapidement, et l’ascenseur social n’échappe pas à cette loi de la gravité.
Toi et moi nous sommes concernés par cette longue histoire d’ascenseur social qui chute, et même très bas, jusqu’à SDF, et c’est de cette chute sociale que je viens t’entretenir, toi le garde d’honneur, toi que Napoléon dans son décret du 5 avril 1813 recrutait, au titre de classe sociale aisée susceptible de contribuer aux frais de manière considérable. Bon, d’accord, tous n’étaient pas si aisés comme le démontre l’ouvrage du lieutenant colonel Georges Housset, la Garde d’honneur 1813-1814, et tous n’étaient pas des planqués, la preuve, avec tes 18 ans tu étais l’aîné dans une fratrie qui n’avait donc pas encore connu les levées en masse de conscrits. Tu étais d’une famille de propriétaires terriens à l’abri du besoin.

Le tilleul mort se dresse toujours parmi les arbres qui portent fruits. Il me rappelle que toi et moi nous ne comptons pas dans la mémoire de nombreuses familles, mais moi je viens honorer ta mémoire et celle de cette chute sociale qui me relie à toi.
En mémoire de toi et d’Aimée ta sœur, je viens répondre à tes lettres plus de 2 siècles après, je viens te crier que vous ne serez jamais oubliés, je vais honorer votre mémoire, je vais la publier sur Internet, ce moyen de communication moderne ou toute la terre peut lire.
Ta fidèle arrière-arrière petite nièce
Odile