closerie baillée par Roberde Bonvoisin à François Lepaige (AD49 série 5E7)
J’ai une affection toute particulière pour Méral et Cuillé, que vous verrez souvent dans ce blog. J’y ai en effet des ancêtres au 16e siècle à travers les Maugars, puis le curé de Villiers mon oncle, puis les Marchandye. J’avais fait autrefois des relevés de baptêmes et sépultures. Ce petit coin ultime du Haut-Anjou autrefois, allait souvent à Angers passer ses actes notariés. L’acte qui suit ne me concerne aucunement, mais concerne la puissante famille Lefebvre de Laubrière, sur laquelle vous verrez beaucoup de billets à venir, en grande quantité… Voyons ce que nous apprend cet acte :
la famille Lefebvre de Laubrière gère elle-même ses biens, alors que leurs terres sont distante de 79 km, qui est la distance entre Méral et Angers, en passant par Segré. Or, un cheval fait 40 km par jour, et je vous ai déjà dit que lorsque les biens étaient situés au delà de cette distance, les propriétaires prenaient un gestionnaire de leurs biens sur place qui était leur intermédiaire, et qu’on appellait fermier, ayant pris à prix ferme, la gestion des biens fonciers et immobiliers. Mais il va sans dire que cela rapportait au fermier donc c’était un manque à gagner pour le propriétaire, bien que la seule manière de s’assurer de la bonne marche des exploitations en les visitant.
la famille Lefebvre de Laubrière pratique le bail à ferme individuel, ce qui implique de bons rapports entre exploitants (closiers et métayers) et leur propriétaire, qui leur fait confiance, et ne se rend sur place qu’occasionnellement. Il s’agit pour moi de véritables relations de confiance, car nous avons vu avant hier que les biens pourraient être endommagés par négligence ou malversation. Je pense que cette famille a eu des rapports privilégiés avec ses closiers et métayers. Rappelons que la grande majorité des exploitants en Haut-Anjou, ont un bail dit bail à moitié (moitié des fruits pour l’exploitant, l’autre moitié pour le bailleur
Quelque soit le type de bail, il est toujours signé chez le bailleur. Donc, le preneur doit se déplacer chez son propriétaire, et ici, il a fait 79 km, soit 2 journées de cheval. On va apprendre à la fin de l’acte qu’il n’est pas venu seul, car il y a avec lui au moins un autre exploitant, venu lui aussi pour les mêmes raisons à Angers.
Le preneur, ici François Lepaige, est venu avec 20 livres de beurre, et je suppose que Gendry, son voisin et compagnon de chemin, qui a une terre plus grande apporte plus de 20 livres de beurre, donc ils sont chargés.
Sont-ils venus en voiture à cheval ? On peut supposer que oui, car si le closier, plus modeste que le métayer ne doit pas en posséder, il est probable que le métayer en possède une. Mais, ceci dit, en dessous des 40 km, la grande majorité des closiers faisaient souvent à pied la distance, se levant au besoin à 4 h du matin, heure qui me rappelle aujourd »hui les nombreux voyageurs des TGV de 6 h du mat à Nantes pour Paris, et qui se sont levés de même, etc… donc rien de surprenant sur l’heure de départ tout au moins !
Il est probable qu’ils ont changé de cheval à Segré, mais impensable qu’il soir repartis le soir, car vous avez bien lu, l’acte est signé l’après midi. Manifestement, ils devaient débourser une nuit en auberge pour repartir le lendemain.
Mais ils n’étaient pas les seuls à venir sur Angers avant la Toussaint. Ici, ils sont venus en avance, le 16 septembre, et cela devait s’échelonner sur quelque semaines, mais je ne pense pas que le beurre de Toussaint ait été livré quelques semaines plus tard, car ce serait vraiement hallucinant d’imaginer le bailleur aussi loin, leur faisant faire 2 voyages dans l’année. Pour cette raison, je pense qu’ils ne faisaient qu’un voyage dans l’année du fait de la distance et qu’ils sont venus avec le beurre, livrable à la Toussaint (ou avant).
Cela m’a toujours impressionnée de découvrir combien nos ancêtres se déplaçaient et comment. En tous cas, à chaque terme, les routes devaient être encombrées de beurre (et volailles pour les baux à moitié) venant sur Angers…
Voici la retranscription intégrale de l’acte, et je vous rappelle au passage qu’une retranscription de texte ancien relève de la propriété intellectuelle car elle met en oeuvre des connaissances intellectuelles en paléographie, donc vous êtes tenu de ne pas diffuser mes retranscriptions sur les bases marchandes, et que par ailleurs la diffusion de photo numérique de l’acte est interdite par le règlement des Archives : Le 16 septembre 1587 après midy, Dvt Grudé Nre royal Angers, en la court du roy notre sire à Angers endroit personnellement establiz
honorable dame Roberde Bonvoisin veufve de deffunct noble homme Messire François Lefebvre vivant Sr de Laubrière demeurant en ceste ville d’Angers paroisse de St Maurille d’une part,
et François Lepaige closier demeurant au lieu et closerie de la Petite Aubrière paroisse de Méral d’autre part,
soubzmettant confessent avoir fait et par ces présente font le bail à ferme qui s’ensuit c’est assavoir que ladite Bonvoisin a baillé et par ces présenes baille audit Lepaige qui a prins et accepté audit tiltre et pour et non autrement
pour le temps et espace de cinq années et cinq cuillettes entières et parfaires ensuyvant l’une l’aultre à commancer du jour et feste de Toussaintz prochainement venant et finissant à pareil jour lesdits cinq années finies et révollues ledit lieu et clouserie de la Petite Aubrière avec ses appartenances et dépendances et et ains qu’il se poursuit et comporte et comme ledit Lepaige l’a tenu et tient à ferme de ladite Bonvoisin
pour en jouir par ledit Lepaige durant le temps de ladite ferme comme ung bon père de famille
à la charge de tenir et entretenir les logis granges et estables en bon et suffisante réparation et les y rendre à la fin de ladite ferme
et de payer et acquiter les cens rentes et devoirs deuz pour raison dudit lieu et en acquiter ladite Bonvoisin,
de planter et édifier sur ledit lieu des arbres fructuaux es lieux et endroitz que l’on a accoustumé de planter audit pais,
et pareillement des chesnes es places et endroitz dudit lieu où il en fauldra
et de rendre les terres labourées et ensemancées à la fin de ladite ferme
et faire des fossez et des épis au lieu des terres dudit lieu,
et oultre est faict le présent bail pour en paier et bailler par ledit preneur ses hoirs à ladite bailleresse ses hoirs par chacun an la somme de 13 escuz ung tiers (soit 13 x 3 = 39 livres plus une livre qui est le tiers d’écu, soit au total 40 livres)
et vingt livres de beurre net le tout payable par chacun an en ceste ville d’Angers maison de ladite bailleresse au jour et feste de Toussaint …
fait et passé audit Angers maison de ladite Bonvoisin ès présence de René Gendry aussi clousier demeurant au lieu de la Grande Aubrière dicte paroisse de Méral et Me Jehan Lefebvre Sr de Laigné demeurant audit Angers et nous ont dit lesdits Bonvoisin Lepaige et Gendry ne savoir signer.
Je poursuis la migration sous WordPress de quelques actes restés sous Dotclear en 2008 lors de mon changement de logiciel et je reporte les commentaires de l’époque, que vous pouvez encore commenter.
Commentaires
1. Le dimanche 27 juillet 2008 à 11:58, par Marie-Laure
J’ai aussi une affinité avec ces deux bourgs.Probablement, cela vient de la lecture de leurs registres et de la présence de nombreux Desestre qui sont peut être de ma famille…?
2. Le mardi 29 juillet 2008 à 10:39, par Marie
Comment pouvait on conserver ces 40 livres de beurre pendant ce long périple , pendant deux jours de cheval ? ( il est vrai que nous sommes en Septembre ) il devait mollir et rancir ? Dans les années 1945 ,j’ai vu le beurre fermier livré enveloppé dans des feuilles de choux , joli non ? Certaines fermières plus raffinées ou mieux outillées, pressaient la livre de beurre dans des moules de bois ovale à bords cannelés, à décor vache ou dessins naïfs , fleurs etc. Ce beurre était travaillé dans des « gidelles », grand plat de bois avec large pelle de bois. et elles faisaient leur livraison dans un grand panier plat ovale, tréssé à cet effet.Pour la conservation à la ferme on le descendait dans de petits pots de terre vernissée, au fond du puits (dans la « seille « ) par un système de ficelles passées dans les oreillettes du pot. Même principe pour la boisson fraîche.
Note d’Odile : Merci pour vos souvenirs, je me souviens aussi de ces jolis beures moulés avec des dessins dessus et des cotes sur les côtés, mais les règles d’hygiène industrielle sont passées par là… et tout est désormais aseptisé… Mais pour ce qui est de la conservation, rassurez-vous. Autrefois le beurre était conservé en pots, comme d’ailleurs toutes les matières grasses. J’habite un port, celui de Nantes, et les premieres traces aujourd’hui retrouvées du port, sont sur l’actuelle ville de Rezé, où les Romains apportaient les amphores d’huile d’oliver par la mer. Donc on sait transporter les matières grasses en pot depuis longtemps. Reste votre question concernant le rancissement. Ma réponse s’appuie sur mes souvenirs professionnels, ayant travaillé dans l’industrie de la biscuiterie. Les beurres utilisés par l’industrie de la biscuiterie ont été longtemps (attention, je vais utiliser un terme que je vous prie de lire attentivement car il va vous surprendre mais je vous garantie qu’il est authentique) c’est à dire encore au moins jusqu’à la seconde guerre mondiale, conservés ainsi en pots, et vieillis en cave (vous avez bien lu, ils étaient vieilis en cave). En effet, les consommateurs préféraient la petite note un peu rance, enfin pas trop, mais un peu rance était un plus pour le goût. Donc, il fallait laisser le beurre légèrement rancir avant de l’utiliser. Ceci pour vous expliquer que les goûts d’autrefois n’étaient probablement pas les mêmes que ceux de maintenant, et je suis persuadée ce ce point pour bien des goûts. Ceci dit, de nos jours encore, les stocks de beurre sont conservés, ne serait-ce que parce que les surplus doivent être stockés, et non détruits, et on sait garder le beurre longtemps dans de bonnes conditions. Le goût du beurre varie bien de nos jours d’une région à l’autre, j’en veux pour preuve les régions où le beurre non salé est l’unique beurre vendu, alors que pour nous ici c’est un crime de lèse-cuisine ! Enfin, et je supplis mes amis Anglais de me pardonner, j’ai un souvenir personnel de matière grasse au goût puissant,et c’est un souvenir Londonien. Il y a environ 25 ans, j’avais quelques jours de travail à Londres, et ne trouvant pas le restaurant du soir un moment agréable pour une femme seule, j’avais entrepris d’acheter un cake et des fruits, pour mer reposer tranquillement dans ma chambre d’hôtel. Mal m’en pris. Je me souviens avoir craché aussitôt la première bouchée de cake et malgré mes mains lavées et relavées, j’avais encore longtemps après l’odeur d’un vieux très vieux animal qui devait ressembler à un vieux moutin, et c’était pour moi horrible. Donc, les goûts ont varié, et varient encore… Ceci dit, je vous mettrai d’autres baux, avec la distinction entre beurre en pots et beurre frais, car j’en ai, alors à bientôt…
Odile Halbert – Lorsque vous mettez mes travaux sur un autre site ou base de données, vous enrichissez leurs propriétaires en leur donnant toujours plus de valeur marchande dans mon dos