Séparation de corps entre Sulpice Goussé et Andrée Caillard, Laval, 1671

avec sentence condamnant l’épouse à la maison des Pénitentes à Angers (AD49 série 5E5)

La maison des Pénitentes, située à Angers, était un établissement destiné à recueillir des femmes et filles vivant dans le désordre. Elle fut autorisée par lettres patentes de mars 1642 et par la ville le 3 juillet 1643. Des règlements furent donnés par l’évêque de Rueil, d’abondantes aumônes par Henri Arnauld, qui de plus parvint à installer la communauté, dont la permière supérieure fut Marguerite Deshayes, dans un riche hôtel dépendant de l’abbaye Saint Nicolas. On le voit aujourd’hui par le percement du boulevard Descazeaux. C’est la maison de la Voüte, qui servait de refuge en temps de guerre aux moines de Saint Nicolas. Jean de Charnacé, abbé contesté, s’y retira et y mourut en 1539. Occupée successivement par le duc de Mercoeur, Palamède de la Grandière, Mme de Millepied, le célèbre sculpteur Biardeau, elle se compose de 2 corps de logis distincts, dont un, à droite, du 15e siècle, percé sur sa façade d’une triple baie superposée, formant la porte, la fenêtre, le grenier. (C. Port, Dict. du Maine et Loire)


La maison des Pénitentes (selon Dict. Maine et Loire de Célestin Port)

Retranscription intégrale de l’acte : Le 28 janvier 1671 avant midy, en présence de nous François Crosnier notaire royal à Angers et des tesmoins cy après nommez a comparu Andrée Caillard femme séparée de corps et de biens d’avec Sulpice Goussé demeurant en la ville de Laval paroisse de la Trinité, ladite Caillard assistée de Pierre Caillard son père demeurant audit Laval à ce présent,
laquelle Caillard obéissant à l’arrest de Nos seigneurs de la cour de Parlement de Paris rendu entre ledit Goussé et elle le 24 septembre 1669, et au jugement précédement rendu entre eux au siège ordinaire dudit Laval et en conséquence des sommations respectives d’entre ledit Goussé et elle, particulièrement de celle que iceluy Goussé luy a fait faire par Fouscher sergent royal le 30 octobre dernier de se rendre en cette ville pour estre renfermée en la maison des filles pénitentes dudit lieu size près la rue Lionnoize, et d’autre sommation qu’icelle Caillard a fait faire audit Goussé se trouver aussy dans 3 jours affin de payer sa pension et luy fournir des hardes et linges et autres pour son entretien suivant et au désir desdits jugement et arrest et desdites sommations dont il apert par exploit de Guillet huissier du 24 de ce mois,
s’est adressée d’abondant et ainsy qu’elle et son dit père ont déclaré avoir fait dès lundy et mardy dernier plusieurs fois tant en ladite maison de filles pénitentes de cette ville qu’à noble homme Charles Bazourdy directeur administratif de ladite maison, vers et à la personne dudit sieur Bazourdy, trouvé en sa maison size en la rue de la Croix Blanche paroisse St Pierre,
auquel parlant ladite Caillard luy a déclaré le subject de son transport, représenté l’arrêt l’arrest et jugement dont il a pris lacture et ensuité l’a pryé sommé et requis de se transporter en ladite maison des filles pénitentes de cette ville et la faire entrer en icelle pour y demeurer suivant et au désir dudit arrest et des sommations dudit Goussé, déclarant qu’elle est preste d’y obéir,
lequel sieur Bazourdy a faict responce qu’il a conféré avec la supérieur de ladite maison, laquelle luy a dict n’avoir veu ledit Goussé ny gens de sa part, que particulièrement luy Sr Bazourdy n’a veu aucune personne de la part dudit Goussé, qu’il est préalable qu’iceluy Goussé convienne de ce qu’il doit payer de la pension de ladite Caillard qui est en avance une quarte, et fournissa caution solvable rédidante en cette ville du payement en quartes suivantes, tant et sy longtemps que ladite Caillard pouroit demeurer en ladite maison et fournissa à ladite Caillard des meubles hardes et linges et autres choses nécessaires pour la faire subsister en ladite maison, auparavant de luy donner entrée et la faire demeurer en icelle,
à deffault de quoy et attendu que ladite maison est pauvre et desmunie de biens en sorte qu’elle ne peut faire advance, déclare ledit Sr Bazourdy qu’il ne peut recevoir ny admettre ladite Caillard en ladite maison pour quelque temps ny de quelque manière que ce soit,
veu laquelle responce et reffus ladite Caillard a protesté de se retirer avec sondit père en sa maison et d’estre deschargée de la condamnation contre elle rendue par lesdits jugement et arrest, et demeure désormais libre, dont et du tout icelle Caillard nous a requis le présent acte que luy avons octroyé pour luy servir et à qui il appartiendra ce que de raison,
fait et arresté le présent acte en la maison dudit Sr Bazourdy présent en personne et en présence de Pierre Caillard marchand frère de ladite Caillard demeurant audit Laval paroisse de St Vénérand, Me Gabriel Rogeron et Estienne Lailler praticiens demeurant audit Angers tesmoins à ce requis et appelés, ledit Caillard frère a dit ne scavoir signer. Signé Andrée Caillard, Pierre Caillard, Basourdy

Voici ce que j’ai compris, mais vous comprendrez sans doute mieux que moi :

  • la séparation de corps est rare à l’époque (1671). J’en trouve très rarement dans les actes notariés et la série B est pauvre en Maine et Loire car elle a eu à souffrir
  • non seulement il y a eu un jugement à Laval, mais il y a eu arrêt du Parlement de Paris, ce qui signifie une procédure très lourde et par là coûteuse
  • le couple est d’un milieu bourgeois car l’épouse signe, et fort bien, ce qui est selon moi la marque d’une éducation des filles, rare à l’époque
  • il se trouve que j’ai étudié les Goussé car je descends de ceux de Méral. Vous trouverez Sulpice Goussé en page 28 de mon étude. Il est archer huissier, et vous allez voir qu’il se remarie en 1678 et a des enfants de sa 2e épouse.
  • l’épouse a été condamnée à être enfermée dans la maison des Pénitentes à Angers, ce qui laisse supposer qu’elle aurait été fautive. Sans doute a-t-elle trompé son mari ? Mais je pense qu’il faudra que nous en restions au suppositions
  • quoiqu’il en soit, la peine est lourde car la maison des Pénitentes a été créée quelques décennies seulement auparavant, et ce pour accueilir les prostituées. Partant, cela me fait un drôle d’effet de voir cette épouse, manifestement issue d’un milieu bourgeois, condamnée à cette maison
  • la maison des Pénitentes est située à Angers, or, le couple est de Laval, ce qui signifie que Laval ne possède pas alors de maison comparable, et qu’Angers recueille même les provinces voisines. Ceci n’est pas le premier cas que je rencontre entre Laval et Angers, l’autre étant pour un père qui fait internet son fils ivrogne et brutal dans une maison à Angers : il s’agit du fils de Maxime Anceney l’hôtelier de la Tête Noire rue du Pont de Mayenne à Laval
  • cet acte montre que la maison des Pénitentes n’accueille pas quel des filles publiques mais accueille aussi, le cas échéant, les épouses répudiées contre monnaie trébuchante, et tout cet acte est dressé pour attester que la pension n’étant pas payée par le mari, la maison des Pénitentes refuse d’accueillir son épouse
  • le papa accompagne l’épouse condamnée, et la morale de l’histoire me laisse soulagée, car devant le refus de l’administrateur de la maison des Pénitentes de la recevoir faute d’avoir reçu du mari la pension, l’épouse peut repartir à Laval vivre chez son père. Ouf ! c’est mieux que la maison des Pénitentes !
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