Avaleur de vin, début 17e siècle, Angers St Pierre

qui décharge le vin (ou le cidre) des bâteaux et le livre dans les caves des acheteurs

Je suis née avant guerre, ainsi parlait-on jusqu’aux années 60 des personnnes qui avaient connu la guerre.
Or donc, j’ai vécu les descentes précipitées à la cave. Mes parents avaient une maison du 19e siècle, époque où l’on construisait encore les maisons de ville sur cave en sous-sol, juste un soupirail y accédant de l’extérieur, destiné à livrer le charbon, alors répandu. Nous pouvions donc nous mettre à l’abri tandis que les Américains déversaient 3 tonnes de bombes sur Nantes…
Si j’ose parler de cet abri souterrain, c’est que la cave souterraine est en voie de disparition, et il est probable que beaucoup de petits Français d’aujourdh’ui assimilent le terme cave avec ces horribles caveaux, peu souterrains pour la majorité, qui sont sous les appartements des immeubles… Rassurez-vous, je connais, c’est ainsi que je vis depuis des années, dans une tour pur béton.

Aujourd’hui nous partons dans les caves de la ville d’Angers, dans lesquelles chacun conserve son vin en busse :

Angers St Pierre : le dimanche deuxième jour de juillet 1606 décéda Nicolas Rommy vivant avaleur de vins. (Il demeure donc au port de réception des boissons pour la ville d’Angers)

La meilleure définition est dans le Dictionnaire du monde rural de Marchel Lachiver, Fayard, 1997 : ouvrier qui descend du vin dans la cave. Et voici le verbe avaler : 1. Faire descendre, faire tomber – 2. Descendre rapidement, dévaler. – 3. Faire descendre dans le gosier (Larousse, Dictionnaire de l’ancien français – Moyen Âge, 1994) – Le même dictionnaire, mais de l’époque suivante, c’est à dire du Moyen Français, la Renaissance, donne toujours : 1. Descendre, tirer vers le bas. – 2. Faire descendre, conduire ou envoyer vers le bas. – 3. Faire tomber… abaisser, etc…

Reste à savoir si c’est le vin qu’on descendait ou le vin et son contenant, qui était alors la busse. Avant de comprendre, mettons les choses au point :

la vin (ou le cidre) est vendu dans une unité de mesure du commerce, appelée la pipe. La pipe angevine mesure 446, 4 litres, et tous les actes notariés portant vente de ces boissons sont effectués sur la base de cette unité commerciale.
ces transactions commerciales, tout comme les droits issus des baux à moitié, etc… s’entendent net, ce qui signifie qu’on y traite commercialement que du liquide (le contenu des fûts) et jamais du contenant (le fût)
le vin (ou le cidre) est transporté et stocké en fûts de bois, dont le plus utilisé est la busse. La busse mesure une demi-pipe, soit 223,2 litres.
le tonneau existe bien, mais ne circule pas. Il est une autre unité de mesure, correspondant à 2 pipes, soit 892,8 litres
pour compliquer la chose, les transactions plus importantes (celle des marchands de vin) sont exprimées en fourniture. La fourniture est donc elle aussi une unité de compte, et vaut 21 pipes, soit 9 374,4 litres.
l’Anjou exporte du vin, et le vin circule par bateaux. Outre Nantes, on livre aussi Château-Gontier, d’où, chargés sur des charrettes, ils sont acheminés vers Laval et Craon (Michel Le Mené, les Campagnes angevines à la fin du Moyen âge, 1982)
grâce à la traite (impôt sur le vin) et les péages (par exemple celui de Champtoceaux), on a des chiffres du trafic. La Loire voit chaque année quelques dizaines de milliers de pipes de vin vers Nantes.
Après avoir vu les bases du commerce du vin, revenons à la cave de notre acheteur et au livreur à domicile :

tous les inventaires après décès estiment scrupuleusement les fûts, un par un, vide ou plein.
les fûts vides ne quittent pas la cave et appartiennent en propre à l’acheteur. Ils ont une valeur variable selon leur état, mais assez élevée (je vous ferai prochainement un billet sur le prix du fût vide). Nous avons vu ci-dessus que ces fûts sont généralement des busses. Bien sur, le fût dure des années.
or, le vin est réceptionné chaque année
Le vin (ou le cidre) ne peut donc être déchargé des bateaux vers chaque cave qu’en vrac, et transporté liquide jusqu’au fût de l’acheteur. Les bâteaux repartent ensuite à fût vide, faire un nouveau chargement. D’ailleurs, de nos jours, tous les camions citernes qui circulent sur nos autoroutes (et Dieu sait s’il en circule) fonctionnenent de même, pour ne pas souiller au retour la citerne par un autre produit. C’est important pour l’essence mais encore plus pour les produits alimentaires… On fonctionne donc toujours de même 4 siècles plus tard…

Sur Internet (une fois n’est pas coutume, car on trouve n’importe quoi le plus souvent, donc il faut surtout ne rien y regarder ! Dans le cas présent je pense qu’on peut avalider connaissant le sérieux de Mr de Tarade qui dirige le grand armorial) les avaleurs de vin et les jaugeurs de foin de la ville de Béthune (Picardie) blasonnent d’or à un chevron de gueules chargé de deux billettes d’argent
Ceci est extrêmement intéressant, car ces avaleurs de vin y sont alliés aux jaugeurs de foin. Ce qui laisse à penser qu’ils jaugent tous. Donc, on peut en conclure qu’outre le transport en seau, notre avaleur de vin avait pour mission de mesurer (contrôler) la transaction commerciale, et ses seaux devaient être jaugés. Les réceptacles jaugés étaient alors rares, les jaugeurs aussi, donc l’avaleur de vin possédait en propre des seaux jaugés.

J’ai essayé de comprendre comment certains en étaient venus à penser que les fûts pleins descendaient chaque année les étroits escaliers des caves… (rappelez vous un busse contient 223,2 litres, sans compter son poids propre). J’ai alors trouvé dans l’Encyclopédie de Diderot : AVALAGE, s. m. terme de Tonnelier ; c’est l’action par laquelle les maîtres Tonneliers descendent les vins dans les caves des particuliers. – POULAIN, instrument dont les Tonneliers se servent pour descendre les pieces de vin dans les caves, ou pour les en retirer. Il y en a de deux sortes, savoir le grand & le petit poulain.
Je pense qu’il faut comprendre l’Encyclopédie en fût vide, livré par le tonnelier. Sinon, aucune transaction commerciale, aucun inventaire après décès ne tient debout, sans parler de la difficulté d’un telle descende de 300 kg par un escalier étroit, même avec les poulains.

Je suis tellement troublée par la méthode de commercialisation, livraison, et réception des boissons, que je vous promets de mettre bientôt sur ce blog des exemples d’achat, de voiturage, et aussi l’estimation du prix des fûts vides… A bientôt.

Commentaires

1. Le lundi 23 juin 2008 à 15:59, par sarah

dans le Larousse: « Poulain (manut.) assemblage de deux madriers ou de deux profilés réunis par des entretoises et dont on se sert soit pour la manutention des tonneaux soit pour celle des pièces lourdes:(machines-outils, blocs de pierre etc… Poulain mécanique (manut.) poulain comportant un berceau sur lequel on place la charge, qui se déplace le long du poulain, à l’aide d’un système mécanique actionné à la main ou par un moteur » Ce système qui devait être à poulies, je suppose, devait permettre de descendre les tonneaux pleins dans les caves…

Note d’Odile : c’était dans mon billet, extrait de l’encyclopédie Diderot. Mais ces poulains ne servaient pas à descendre les busses dans les caves puisque le vin n’est pas vendu en busse mais en unité commerciale la pipe, et sans aucun contenant. Or, je vous ai expliqué que le contenant qui est un fût de busse et non pas un tonneau, vaut cher, et qu’on le garde de très longues années… Par ailleurs, le terme tonneau est inexact, car en Anjou il mesure 892 litres et ne sort donc pas des chaix. Sarah, merci d’oublier le présent, et de comprendre qu’autrefois le cidre et le vin ne se conservaient pas, devaient être consommés dans l’année, et qu’on renouvelait chaque année le remplissage des fûts dans la cave… surtout pas en descendant chaque année un fût plein puiqu’il est bien plus facile de le vider au bateau, puis de transporter le vin dans le fût de la cave. Seuls les fûts partant en haute mer, dans un port maritime comme Nantes, ma ville, pour des mois, pouvaient être considérés comme des contenants perdus… pas ceux des particuliers…