Contrat de travail pour fabriquer des souliers, Angers, 1596

J’ai pris cet acte à l’intention d’André, qui se reconnaîtra. Le patronyme le passionne… et ici il est inattendu.
Outre le magnifique contrat de travail, cet acte nous réserve une énorme surprise à la fin, tellement énorme que j’en suis encore toute retournée ! Mais je vous laisse découvrir par vous même cette étonnante surprise !

L’acte qui suit est extrait des Archives Départementales du Maine-et-Loire, série 5E70 – Voici la retranscription de l’acte, avec mes commentaires habituels : Le 30 juin 1596 après midy en la court du roy nostre sire à Angers endroit par davant nous (Jean Chuppé) personnellement establiz Jehan Blanchet compaignon careleur demeurent en ceste ville d’Angers paroisse de sainct Maurille

    le carreleur est le fabriquant de souliers, comme vous allez vous en apercevoir si vous ne le saviez déjà !

d’une part et Pierre Pelault Me careleur demeurant en ceste dicte ville dicte paroisse d’autre part
• soubzmettant lesdites parties respectivement etc confessent avoir faict et font l’accomodation qui s’ensuit

    j’aime bien le terme ACCOMODATION car il s’agit en fait d’un marché

• c’est à scavoir que ledit Blanchet a promins (promis) est et demeure tenu faire à ses despens le nombre de 200 paires de soulliers de la grand taille et comme il a acoustumé de faire en la maison dudit Pelault

    autrement dit, il y a les grands souliers, sans doute les moyens, et les petits, et les souliers vendus chez Pelault ne sont donc pas sur mesure. Ceci dit d’autres travaillaient surement sur mesure, comme cela existe encore de nos jours. Mais ici on découvre une pré forme d’usine de fabrication de souliers, avec quelques tailles seulement…

• fournissant par ledit Pelault de cuir et estoffe pour faire lesdits soulliers et ne pourra ledit Blanchet pendant ladite besoinne (besoigne) aller travailler ailleurs

    je suppose que l’étofffe est à l’intérieur !

• et est ce faict pour en poyer (payer) et bailler par ledit Pelault audit Blanchet la somme de 10 escuz sol qui est à raison de 3 soulz la paire
• et en travaillant poyant et fin de besoinne fin de poyement

    j’ignore combien de chaussures on pouvait fabriquer par jour, mais en tout cas, la main-d’oeuvre à 3 sous la paire est peu élevée pour une paire de souliers ! Il ne s’agissait sans doute pas de souliers haut de gamme, car je suis persuadée qu’il a existé à cette époque des chaussures pour petites gens et d’autres pour gens aisés, comme de nos jours d’ailleurs…

• et demeurent les partyes respectivement quites des touttes choses qu’ilz ont eu jamais eu afaire
• ensemble ledit Pelault pendant ladite besoigne de fournir de lict audit Blanchet pour se coucher pendant ladite besoigne

    je suis désolée, tout antant que vous, mais contrairement à ce que précise un contrat d’apprentissage, qui précise aussi laver (ou blanchi), nourri, ici il n’y a que le lit, ce qui signifie que Blanchet n’a pas de toît propre, et j’ignore où il va manger

• auquel marché et tout ce que dessus est dict tenir obligent lesdites parties respectivement mesmes ledit Pelault au poyement de ladite somme et ledit Blanchet à faire ladite besougne renonczant etc foy jugement condemnation etc
• fait et passé audit Angers en notre tabler etc en présence de Ysac Jacob et Thomas Camus praticiens audit Angers tesmoins.
• Ledit Pelault a dict ne scavoir signer

    ceci n’est pas surprenant, s’agissant d’un artisan


Cette vue est la propriété des Archives Départementales du Maine-et-Loire. Cliquez pour agrandir

    Si toutefois vous n’avez pas fait d’infarctus en voyant cela, tant mieux, car j’aurai eu cela sur la conscience. Avouez que c’est bluffant ! Si on m’avait montré cette signature isolée, j’aurai dit sans hésiter que c’était celle du officier de justice (sergent, notaire, avocat, greffier etc….). Comme quoi il ne faut pas se fier aux apparences….

Odile Halbert – Reproduction interdite sur autre endroit d’Internet Merci d’en discuter sur ce blog et non aller en discuter dans mon dos sur un forum ou autre blog. Tout commentaire ou copie partielle de cet article sur autre blog ou forum ou site va à l’encontre du projet européen /em Odile Halbert –

Jacques Briant engage Pierre Coiscault, Soudan, 1603

Comment un Breton de Bretagne, puisque Soudan est en 1603 en pays de Bretagne, vient-il engager à Angers un assistant pour traiter ses affaires dans différents procès ?
Je suis surprise, car on aurait pu penser que Nantes était le lieu de prédilection !

Nous avons un véritable contrat de travail, avec un salaire, et des clauses de frais de voyages : cheval, bottes et éprons fournis.
Mais, le plus surprenant est bien que ce Jacques Briant est un grand procédurier, et pas n’importe lequel, puisqu’un peu plus tard, il va même aller jusqu’à l’assassinat de Philippe du Hirel, dont nous avons vu ici la veuve, Henriette de Portebize, faisant face à des frais de procédures délirants, une vraie fortune. Voir Henriette de Portebize face à 3 000 livres de frais de procédure pour l’assassinat de son époux Philippe du Hirel par Jacques Briant.

Jacques Briant m’est apparu, petit à petit au fil de mes recherches, sur de très longues années. Je me souviens du premier acte concernant la succession sans hoirs de Philippe du Hirel, dans laquelle, une petite phrase, loin dans les longues pages, laissait échappé qu’il était mort assassiné (d’où l’intérêt qu’il y a toujours à d’abord tout retranscrire, ligne par ligne, un acte). Puis au fil d’autres découvertes d’actes, j’ai pu apprendre que l’assassin se nommait Jacques Briant, puis je trouvais Jacques Briant dit Chopinière, puis Jacques Briant sieur de Vaudurant.
Donc, dans l’acte qui suit, même s’il est antérieur de 25 ans, je suis sur la même famille père ou fils, car ici j’ai bien Jacques Briant seigneur de Vaudurant demeurant au lieu seigneurial de la Chopinière à Soudan.. Du même coup, je découvre que la Chopinière est à Soudan, or, Charles Hirel possédait la Verrerie à Soudan et demeurant à la Hée à Villepôt. Comme quoi, on ne s’entend pas toujours entre voisins !

Vaudurant est un lieu disparu, mais je trouve dans l’Armorial de Bretagne, de Potier de Courcy, article Gouyon, que cette famille posséda, entre autres, Vaudurant en Rougé. Cette terre était située autrefois sur Rougé, et j’ignore comment Jacques Briant en est seigneur. J’ignore encore plus à quel endroit de Rougé, car j’ai regardé en vain le cadastre napoléonien en ligne.

Avec ce Jacques Briant, j’ai le sentiment de comprendre enfin Les Plaideurs, qui m’étaient passés par dessus la tête en mon jeune temps, faute de comprendre tout ce fatras de procès. Et par ailleurs, je le trouve résoluement moderne, puisque de nos jours il existe des juristes d’entreprise.

L’acte qui suit est extrait des Archives Départementales du Maine-et-Loire, série 5E36 – Voici la retranscription de l’acte : Le 5 décembre 1603 après midy, devant nous François Prevost notaire de la cour royal d’Angers ont esté présents et personnellement establiz Jacques Briant écuyer sieur de Vaudurant demeurant au lieu seigneurial de la Chopinière paroisse de Soudan pays de Bretagne d’une part
et Me Pierre Coiscault Sr de la Carte, praticien demeurant en la cité de ceste ville d’autre part

lesquels soubmis respectivement etc au pouvoir etc confessent avoir fait entre la convention qui ensuit c’est à scavoir que ledit Coiscault a promis promet et demeure tenu aller au premier jour de janvier prochain demeurer avec ledit sieur de Baudurant et dudit jour jusqu’à 3 mois qui éscheront au premier jour de juillet prochain, vacquer et soliciter diligemment et fidèlement aux affaires et procès qu’il a ou aura et ou il le vouldra employer pendant ledit temps soit en ceste ville, à Rennes, à Paris, ou en autres lieux, et y faire telle fidèle poursuite et diligence que ledit sieur de Vaudurant le chargera et qui y seront requises, l’advertir de tout ce qui se passera esdits procès en des expéditions et procédures et en tenir et bailler requérir garder ledit sieur de Vandurant de toutes surprises

pour le sallayre (salaire) et vacations duquel Coiscault ledit sieur de Vaudurant a promis promet et demeure tenu en payer et bailler d’huy en 3 mois prochain et à la fin desdits 6 mois la somme de 80 livres tz et quand ledit sieur de Vandurant envoyera ledit Coiscault hors de sa maison soliciter et vacquer à sesdites affaires et procès il luy fournira d’un cheval bottes et espron, argent tant pour sa despense que frais et procédures dont ledit Coiscault en tiendra loyal estat et coust,
et a ceste convention accord respectivement entretenir faire payer oblige respectivement lesdites parties
fait à notre tablier en présence de Me Jacques Blais? et Rolland Gault

Curieusement, je vois double : 2 signatures Coiscault, très ressemblantes. Aurait-il signé 2 fois, c’est pourtant improbable ! Ou alors, il était vraiement fou de joie de signer ce curieux contrat !

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Contrat de travail de compagnon tissier en toile, Laval, 1655

Pour Pierre Bonhommet d’Avénières, payement à la tache et non au forfait comme le contrat d’allouement

Voici un contrat de travail, mais il est rémunéré à la tache à la différence du contrat d’allouement du verbe allouer : traiter à forfait, connu à Laval.
Ce contrat, payé à la tache, concerne la plus célèbre des toiles, la toile de Laval, que vous pouvez approfondir dans l’ouvrage de Jocelyne Dloussky, Vive la Toile, Mayenne, 1990.

Contrairement au contrat d’apprentissage, c’est le maître qui rénumère le compagnon, ayant déjà appris à travailler, donc terminé son apprentissage, et débutant dans le métier réellement.
Madame Dloussky observait un paiement à l’année, avec un rendement minimal d’une aune et demi à 2 aunes tous les jours. Le paiement au forfait à l’année est le contrat d’allouement, qui subit quelques variations, en particulier la rémunération semble varier selon l’âge (selon Madame Dloussky, un compagnon âgé gagne un peu plus).

Le contrat qui suit est basé sur le paiement à la pièce sans notion de rendement (voir son ouvrage, cité ci-dessus). Il est vrai que le contrat ci-dessous est passé 56 ans avant ceux dont parle Mme Dloussky. J’ignore si le paiement à la pièce fut utilisé simultanément avec le contrat au forfait annuel dit d’allouement, ou bien si l’un a précédé l’autre, et aurait eu ses limites qui auraient entraîné l’autre ?
Il concerne un marchand tissier d’Avenières, nommé Pierre Bonhommet, qui ne sait signer, et est probablement un proche parent, voire même frère ou père, de mon Jean Bonhommet qui épouse à Avennières en 1664 Marie Lebeau. (Je suis en panne sur mes Bonhommet, et pourtant j’en ai remué beaucoup. Si vous avez plus que moi, merci de me faire signe)

L’acte qui suit est extrait des Archives Départementales de la Mayenne, série 3E, voici la retranscription de l’acte : Le 21 avril 1655 après midy, par devant nous Pierre Gaultier Nre et tabellion royal établi et résidant à Laval, furent présents en leurs personnes et deument établis, Pierre Bonhommet marchand tissier en toille d’une part, et René Faulteard compaignon dudit métier tous demeurants en la paroisse d’Avenières d’autre part, lesquels parties après submission pertinente ont fait ce qui ensuit,
c’est à scavoir que ledit Faulteard a promis et s’est obligé mesmes par corps travailler de son métier de tissier en sa maison et ouvrouer pour ledit Bonhommet pendant le temps d’un an qui commencera le 1er jour de juin prochain et finira à pareil jour et fera des toilles bonnes et vallables, au moyen de ce que ledit Bonhommet lui baillera les toilles ourdies et du fil prêt à employer loyal et marchand (c’est un contrat de travail à domicile à la pièce. Certes, on pourrait aussi le considérer comme un contrat d’achat exclusif, mais vu les fournitures, on peut le considérer comme un ancêre des contrats de travail. Et, on n’a pas inventé le travail à domicile !)
et luy paiera de la façon de l’aulne de toille scavoir 6 sols de celle qui sera en 58 portées, et 5 sols de l’aulne qui sera du compte de 57 portées, duquel compte de 57 portées ledit Faulteard fera seulement 2 pièces de toilles pendant ladite année, (une aune de Laval vaut 1,43 m, mais j’ignore combien vaut la portée, manifestement une mesure ?)
à la charge en oultre par ledit Bonhommet de fournir pendant ledit temps d’un an ledit Faulteard de besogne sans le laisser au chommaige, et luy advancera les façons en prenant les toilles,
et oultre luy baillera la somme de 10 livres dans le 15 août prochain, sans diminution desdites façons, laquelle somme de 10 livres ledit Faulteard promet et s’oblige comme dessus luy rendre 6 mois après ledit prêt, (l’ancienne salariée que je suis comprends cela comme une avance sur salaire, mais vous précise qu’autrefois les salaires étaient payés annuellement, souvent en retard, donc l’avance spécifiée dans ce contrat se justifie pleinement)

et a l’exécution de la présente convention ledit Bonhommet s’oblige aussy par corps, (vous avez bien compris n’est-ce-pas, c’est comme au jeu de l’oie Allez à la case prison. Non mais ! On ne rigole pas avec un contrat de travail !)

dont les avons jugez à leur requête et de leur consentement, fait et passé en nostre tabler audit Laval ès présence de Me Jean Chasligné et Jean Landelle clercs praticiens demeurant audit Laval, tesmoings qui ont signé,
et quant aux parties ils ont déclaré ne scavoir signer. (c’est merveilleux, il n’y a pas besoin de savoir signer pour employer les autres ! Alors, prenez-en de la graine, ce n’est pas parce que votre ancêtre ne sait pas signer qu’il ne sait pas faire des affaires…, en effet le notaire est bon à faire des tas de contrats qui suppléent aux lacunes épistolaires de l’employeur. Ainsi le contrat de travail, désormais obligatoire chez tout employeur même pour une journée de travail, était autrefois écrit par notaire et plutôt annuel, voire pluri-annuel)
Inversement, nous verrons bientôt que ce n’est pas parce qu’il sait signer qu’il fait des affaires…

Calcul du salaire réel par an pour 5 jours par semaine
On sait par les travaux de Mme Dloussky que le rendement est d’1,5 à 2 aulnes par jour. Si on prend 1,5 aulne par jour, le salaire quotidien est dont de 9 sols; soit 117 livres par an sur la base de 5 jours par semaine, soit environ 10 livres par mois.

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