En tant que Française, je n’avais jamais entendu parler de paternoster dans ma jeunesse. Comme tous ceux qui sont nés avant guerre, et même peu après, je n’ai connu ni télé, ni web, et si peu la TSF. Bref, ce qui se passait ailleurs était « terra incognita ».
J’étais déjà avancée en âge lorsque j’ai eu mon premier poste de TSF.
Mais au fait, les jeunes Français d’aujourd’hui savent-ils ce qu’est un paternoster ? Sans doute sont-ils aussi peu informés que je l’étais, le jour où, jeune fille, je débarquais à Cologne bien décidée à y travailler.
Alors fort peu entraînée aux méthodes de recherche d’emploi, j’en trouvais pourtant en 48 h chrono. Certes, c’était une époque moins semée de chômage, mais tout de même, il fallait chercher. Et pour mes autres postes j’ai souvent cherché longtemps, mais là, j’avais tout simplement suivi les conseils d’amis me suggérant de me rendre sans plus de formalités, directement, au service du personnel de Bayer à Leverkusen.
L’usine était alors une ville, avec ses rues, ses buildings spécialisés, ses 40 000 salariés. L’un des buildings était le service du personnel. C’est là que je vins me pointer sans crier gare au début des années 60. J’y fus aimablement priée de me diriger vers le 3ème étage.
Me retournant dans ce hall immense, mes yeux tentèrent d’apercevoir alors un escalier ou un ascenceur. C’est ainsi qu’on pouvait monter en France !
Point de tout cela !
Par contre, sur tout un mur du hall, je voyais bien des cages qui montaient et d’autres qui descendaient, vides.
Enfin, l’une ne tarda pas à exhiber un passager, puis une autre 2 passagers, enfin j’en vis entrer dans ces cages en marche.
Mon cerveau, devenu soudain assez lent, mit ce qu’il convient de dire ici « un certain temps », que je veux bien avouer « quelques minutes » avant de comprendre que la voie pour le 3ème étage passait par ces cages.
Tant de décennies plus tard, je souris au souvenir de ma tête ahurie ce jour-là ! Mais l’envie de travailler était là, et fit le reste.
Restait à s’exécuter.
Mon premier essai ne fut pas glorieux, je crois même avoir retirer aussîtôt mon pied. D’ailleurs, ma vue ne favorisant pas le spectacle du sol et de mes pieds, je leur ai toujours porté une très grande méfiance, et je mets encore de nos jours un certain temps à poser le pied sur une marche d’escalier roulant, mécanisme voisin du paternoster à mes yeux.
Bref, ce jour-là, j’avais découvert le paternoster, système continu de cabines ouvertes sur un côté, reliées entre elles par des chaînes comme les grains d’un chapelet, d’où son nom. Ce système permet le transport vertical de personnes, de dossiers, ou de marchandises.
La page de WIkipédia vous donnera un bon résumé de la technique, et les liens utiles si vous ne connaissiez pas.
En tous cas, leur dessin ci-dessus est très clair.
Et ce jour-là j’avais emporté la quasi certitude d’un emploi, dont on m’annonçait le postal, qui me parvint effectivement dans les 48 h. Et le lundi suivant je commençais à Leverkusen, au dosage du phosphore par combustion et pesée.
Au bout de 3 mois de journées passées à faire la même et unique analyse, j’éprouvais le besoin de nouveaux horizons, d’autant que dans le laboratoire on fêta le « jubileum » d’un collègue.
Décidément, le latin était omniprésent ! et j’appris vite, terrifiée, que « jubileum » signifiait 50 ans de travail dans la même entreprise ! Terrifiant n’est-ce pas que passer sa vie à doser du phosphore !!! Je pris mon envol pour un travail moins répétitif.
Et, sans le savoir, vers un autre paternoster, si différent du premier qu’il est impossible de l’oublier.
Donc, fuyant l’analyse répétitive du phosphore à vie, j’arrivai dans un moulin, mais pas l’un de ces moulins que ce blog, habitué des temps passés, qu’on a coutume de vous faire découvrir, non, un grand moulin moderne, sur 11 étages, dont le dernier était le laboratoire où je devais occuper l’un des 4 postes tournants toutes les 4 semaines.
Génial, ainsi toutes les 4 on occupait successivement les 4 postes des diverses mesures effectuées quotidiennement, et dans l’urgence, sur le blé, qui arrivait en bas, sur le Rhin, dans l’une de ses énormes péniches rhénanes.
Dès l’arrivée de la péniche, des prélèvements statistiquement représentatifs sont effectués, et nous mesurions toute la qualité du blé réceptionné. De nos verdicts dépendait non seulement l’envoi vers tel sylo, pour prévoir tel mélange, car la qualité des blés varie et il faut bien fabriquer une farine standard. Enfin dépendait aussi de nous le prix payé au fournisseur.
Le blé subit 14 opérations pour obtenir la farine boulangère, et chaque étage du moulin était spécialisé, avec ses machines, assez bruyantes, comme le sont les plansichters.
Le laboratoire travaillait en étroite collaboration avec l’usine et ses contremaîtres. Et, au début des années 60, point d’ordinateur, de téléphone portable, etc… mais nos jambes à notre cou, et le téléphone fixe. Nous étions donc très souvent amenées à parcourir les étages ou à téléponer nos résultats.
On me mit dans le bain dès le premier jour, et sitôt mes résultats, je les ai transmis par téléphone au contremaître. Mais j’ai aussi été aux prélèvements etc… et pour se déplacer sur les 11 niveaux, le plus extraordinaire des moyens !
Au beau milieu de chaque étage, un trou ovale dans le sol, et là, passait une chaîne montant des plateaux en demi lune, d’un côté, et descendant les mêmes de l’autre.
Aucune paroi à gauche ou à droite, aucune forme de cabine, seulement une petite plate forme de la taille d’une personne.
Lorsque cette demi-lune passait on se mettait dessus ! C’était le plus simple des paternoster, totalement inconnus de moi.
Pour s’informer sur le numéro de l’étage, point de panneau, seul le type des machines indiquait l’étage, et même si la première fois, une aimable collègue me servit de guide, je pris vite l’habitude de compter les étages pour savoir où j’en étais.
Par contre, suspendue ainsi dans le vide, une sensation de traverser les airs innoubliable !
Quelque temps après nous arriva un stagiaire, enchanté de cette vie de labo. Si enchanté, qu’un jour on entendit se déclencher une sonnette d’alarme ! Il avait oublié de descendre au 13ème niveau, et rassurez-vous, immédiatement la sécurité avait stopé le système, et il ne lui est rien arrivé. Il en était quitte pour quelques émotions.
Jamais je n’ai oublié cet extraordinaire paternoster, sans aucune autre paroi que ce qui constituait sa chaîne. Comment oublier cette petite plate-forme en demi-lune, sur laquelle on s’élançait pour traverser ainsi surpendue en l’air, les étages !
Pratiquement, on se sentait assez proche d’une marchandise dans sa chaîne à godets, comme les celles des dragueuses de sable que l’on voit en Loire.
Mais le moulin m’apporta bien plus. Nous commençions avant le lever du soleil et dominions la ville de Cologne et le Rhin, si belle avec le lever du soleil. Je vous mets les photos du moulin, du labo dont les vitres s’ouvrent sur Cologne, et enfin la vue de Cologne.
PS : Des décennies plus tard, en vous écrivant ces lignes, j’ai fait des recherches sur le web, et constaté à ma grande stupéfaction, que bon nombre des méthodes que j’avais alors connues, existent encore, et la plus typique, celle de la mesure de la force boulangère est même sur le web avec photos, telle que je l’ai pratiquée autrefois.
Et parce que j’en suis aux mesures, apprenez que les plus simples, mais les plus indispensables, étaient l’humidité et les corps étrangers (cailloux, mauvaises herbes, grains brisés, etc…). Et oui, le blé peut être plus ou moins humide, et plus ou moins sale.
Pour ma part, j’en ai emprunté un dans la boîte de mon époux à Paris et j’y ai éprouvé une grande peur me demandant si j’allais être capable d’en sortir …. Par contre, j’ignorais totalement que cela s’appelait Paternoster !