1914-1918 au 84e R.I.T. carnet de guerre d’Edouard Guillouard, photos Leglaive

Mon grand père maternel, au front du début à la fin, avait 3 enfants en 1914 ! Ce billet est écrit à la mémoire de tous ces enfants… car cela m’a beaucoup frappée…

J’ai mis il y a quelques années sur mon site le carnet de guerre 1914-1918 au 84e R.I.T. d’Edouard Guillouard, photos Leglaive. D’une rigueur et précision toute militaire, il m’avait fallu 2 mois pour le tapper et le mettre en pages, d’autant que je n’avais pas de légendes au photos (en vrac dans une enveloppe) et que beaucoup sont encore non identifiées.
J’avais alors découvert cette guerre comme on ne nous la décrit pas souvent :
Ils étaient parti pour quelques jours, alors la France n’a pas mis en route la fabrication massive de bottes, capes huilées, casques, etc… et c’est tardivement après des mois dans la boue, la pluie et le froid que ces équipements indispensables leur parviendront…
Mon grand père circule souvent à cheval, mais prend le train pour les rares permissions, puis apprend la lutte anti-aérienne car l’avion a fait son apparition.
Un nombre incalculable de nouveautés techniques voient le jour au fil du temps…

  • J 256 (8 mois 12 jours) arrivée des périscopes pour voir de la tranchée, sans être vu et surtout sans s’exposer
  • J 414 (1 an 1 mois 28 jours) : arrivée des casques
  • J 595 (1 an 7 mois 16 jours) : distribution de montres et de pipes
  • J 818 (2 ans 2 mois 26 jours) : arrivée des capes huilées
  • J 1002 (soit 2 ans 8 mois 28 jours) arrivée des masques à gaz
  • J 1126 : Edouard n’a encore jamais parlé de peur, malgré tout ce qui tombe autour de lui, mais manifeste soudain une « grande appréhension ». Il est envoyé suivre les cours de commandant, se doute bien qu’il aura du mal à suivre, faute d’études suffisantes, et craint de décevoir les supérieurs, qui l’ont nommé. Belle grandeur d’âme de ces hommes, que la peur de ne pas être à la hauteur de la mission qui leur est confiée ! Il apprend même la lutte anti-aérienne.
  • J 1378 (3 ans 9 mois 8 jours) : distribution de cigares

  • Voici le cheval, car ce fut sans doute, du moins en Europe, la dernière fois qu’il combattait lui aussi.
    Outre le carnet de guerre, j’ai le cahier d »Aimée Guillot, sa belle-mère, édifiant : Il commence ainsi :
    à la grâce de Dieu ! que nos chers disparus nous obtiennent force et résignation à accepter vaillamment ce qui arrive !

    Suivent un nombre considérable de prières, messes, lessive, jardin, raccomodage, visites aux tombes, etc… ponctuées de mauvaises nouvelles….

    Mais, ce qui m’a le plus frappée lorsque j’ai fait ces pages, c’est qu’Edouard Guillouard avait 3 enfants en partant en 1914.

    En réalité, en partant au août 1914, mon grand père laissait 2 enfants et une épouse enceinte de plus de 5 mois. C’est ma maman qui est née à l’automne 1914, alors que son papa était au front. Elle disait souvent qu’elle ne l’avait connu qu’à 4 ans, et elle avait auparavant un vague souvenir d’une apparition d’un militaire qui lui avait fait peur car elle ne réalisait pas que c’était un papa. Sans doute ce jour de la photo…
    Alors aujourd’hui, je pense à tous ces enfants, privés de papa pendant 4 ans, et encore plus à ceux qui ne l’ont pas vu revenir… car mon grand père eut la chance d’en revenir.
    Mais lorqu’il revint, sa boutique n’était pas en forme : c’est sans doute une chose dont on parle peu, quand on évoque les 4 années 14-48. Il avait un boutique de gros, livrant de Nantes à travers la Bretagne, de la quincaillerie. Les clients, eux aussi au front ou disparus, ne payaient pas ou mal, et les affaires avaient périclité, menées tant bien que mal par son père, alors très âgé. Ainsi, ceux qui étaient partis et en sont revenus, n’avaient pas fait fortune, c’est le moins qu’on puisse dire… et cela aussi il faut le souligner.

    Odile Halbert – Reproduction interdite sur autre endroit d’Internet seule une citation ou un lien sont autorisés.

    NANTES LA BRUME, Ludovic GARNICA DE LA CRUZ, Paris, 1905 CHAPITRE V. LE CLAN DES MAÎTRES

    Ludovic Garnica de la Cruz. Nantes la brume. 1905. Numérisation Odile Halbert, 2008 – Reproduction interdite.

    Les invités offrirent le bras aux dames pour passer. Les épaules nues coulaient des rivières incarnats entre les velours et les satins des robes. Les groupes se formaient. Le feu brillait dans la cheminée son souffle fauve.
    L’avoué Dosmun, trente-cinq ans, chuchotait une courbette à l’ombre de la jolie Mme Ernaud. Le mari calme, ventre en pointe, cheveux gris, gesticulait devant Varlette, l’architecte.

  • Il ne se doutera jamais qu’il est cocu ! disait un avocat imberbe, gazette de potins à son noble ami le vicomte de la Revrollière.
  • A gauche de la cheminée l’abbé Doreux, coquet, migon, galantait avec les dames.

  • Le rôle de la femme est à son extrême limite d’importance. Une femme écrasa jadis la tête du serpent, elles en ont toutes le devoir aujourd’hui. Qui ne céderait devant la force et le charme du geste féminin ?
  • Monsieur l’abbé, quand on aime son mari et que… — le reste se rougit derrière un écran opportun.
  • Se sacrifier, madame, pour la bonne cause
  • Peut-on hésiter, grogna une de la Ligue Patriotique des Françaises. Si mon mari n’obéissait pas ?…
  • René entendit. Il sourit devant la moiteur épicée de la vaillante « vertu de Lysistrata. »
    Le beau Gachard, raie cirée, bagues aux doigts, sentant l’ambrosa, — parfum nantais à la mode — aggrippa le bras de René

  • M. de Lorcin… une occasion unique… un chien magnifique… à céder pour presque rien… race…
  • Je ne chasse pas.. merci ?
  • L’autre le laissa désappointé.
    Au fumoir il salua M. Delange — bonne figure sympathique — en pleine manille avec le baron des Valormets et deux conseillers municipaux. Des Valormets, vieux garçon poivre et sel. A quoi pense-t-il sous ses sourcils épais ? Mystère ! Abonné de l’Autorité, ambitieux, désirerait être conseiller général.

  • M. Delange, j’ai passé la journée avec votre fils.
  • Il a dû vous en conter de drôles. Ce pauvre Charles déraisonne. Il installe un atelier rue Prémion, m’a-t-il-dit ?
  • Ah ! C’est lui qui encombrait cette semaine les escaliers de ses meubles. J’allais porter des bons du bureau de Bienfaisance à une misérable famille, il m’a été impossible de monter. De plus un perroquet a failli m’arracher les yeux. Votre fils pour excuses m’a prié violemment de ne pas insulter son perroquet afin de ne pas lui apprendre un langage bourgeois. Savez-vous ce qu’il chante, M. Delange, le perroquet de votre fils ? Des cantiques ! C’est un peu raide
  • Je ne laisserai jamais mon fils se moquer impunément des choses saintes, observa d’un ton rogue un des conseillers municipaux, moustaches noires très longues, crâne en pain de sucre.
  • Bah ! répliqua le banquier en riant, c’est son affaire. Qu’il fasse comme il voudra. D’ailleurs je perdrais mon temps et ma tranquillité à le sermonner. Il veut ce qu’il veut.
  • Mon fils a vingt-cinq ans, claironna le second conseiller municipal, un gros joufflu, cela ne l’empêche pas d’être d’une soumission exemplaire.
  • M. de Lorcin appelait René.

  • Colonel Hamond, je vous présente mon neveu
  • Jeune homme, répondit du ton dédaigneux qu’a le militaire pour le civil, j’ai connu votre père. Une âme loyale et honnête. C’est rare à notre époque. Il respectait l’armée, votre père, c’était un homme d’une vaillante estime. M. Béthenie vous en dira autant que moi. Tenez, le petit chauve qui joue au besigue.
  • Il désignait du doigt un homme maigre, la barbe en côtelettes, fort occupé à tricher son adversaire le notaire Séniland, rouge comme une écrevisse, les lèvres lippues et sensuelles, le crâne simili-dos de casserole fraîchement étamée.

  • Vous faites du droit ? Suivez les traces de mon ami votre oncle. Vous serez plus indépendant que nous. Sale gouvernement ! On nous met des colliers de garde-chiourmes. Chasser les moines et les bonnes soeurs. Infamie !
  • Révoltez-vous, refusez d’obéir. D’un bout-à l’autre de la France on applaudira vote courage. De l’extérieur, moins de lâcheté, s’emportait M. de Lorcin, la discipline après la croyance !
  • Des officiers obéiront toujours avec plaisir. La nouvelle épidémie des francs-maçons s’est abattue sur les casernes. D’autres pleureront, mais n’oseront sacrifier leur avenir.
  • Voilà le mal…on n’ose pas
  • Un journaliste grêle, figure de fouine, se joignit au groupe. Habitude de se glisser par les fentes les plus étroites.

  • On a peur…peur…à quoi bon les écrits, si les actes n’arrivent jamais ?… Est-ce que la canaille a peur ? Les socialistes se remuent. Si nous les laissons faire ils mettront le grappin sur la ville aux prochaines élections.
  • Vous êtes pessimiste, Maurville, n’avons-nous pas l’argent, les conférences, les fêtes ? Les commerçants suivront notre égide préconiseuse de paix et de tranquillité. Le trouble les épouvante.
  • Pas trop d’assurance. Les socialistes se sentent des bases solides. M. Réchamps prépare un vaste meeting au lancement de son navire l’Hercule. Ses chantiers sont prospères tandis que les autres subissent une crise lamentable. A quoi cela tient-il ? … Peut-être, les fonds secrets ?…
  • Pardon, interrompit sèchement René, M. Réchamps ne doit son succès qu’à son travail et son dévouement effectif pour ses ouvriers. Il les traite avec bonté ; il les connaît tous et tous le connaissent. Il ne s’agit plus d’une société anonyme où leur d’une action s’enrichit de la sueur d’un troupeau d’hommes qu’il ignore.
  • René, dit M. de Lorcin, je te prie de ne pas t’exprimer ainsi devant moi.
  • Excusez-moi, mon oncle, mais je ne permettrai par qu’on essaie de jeter le discrédit sur ma famille par des insinuations perfides et ridicules.
  • Un silence. Le journaliste pinçait les lèvres dépit. Le colonel frisait sa moustache. Le bâtonnier semblait mécontent.

  • Vous trichez, monsieur le juge, vous trichez, hurla soudain le notaire, ce roi a déjà marqué son point.
  • Pardon, pardon, soyez poli, monsieur, cria le juge, vous ne voyez pas clair.
  • Une dispute violente s’éleva. Le ton aigre devint, acide, pimenté. L’un argua de son titre de membre du tribunal, l’autre de sa situation à l’abri de tout soupçon. Le colonel voulut trancher la question. Il reçut comme un obus le légendaire : Cedant arma toquaoe. Grand émoi !… Une heure après les deux compères réconciliés se gorgaient de petits fours qu’ils trempaient dans du thé. Ces gens-là, mêmes races, se disputent, se battent pour la frime. Une vieille complicité née dans les grimoires, alimentée du suc des malheureux qu’ils rançonnent à travers le maquis des codes et des formules.
    Des éclats de rires. Un novice brun débitait un monologue drôlatique. Très fier de son succès, les demoiselles le prisaient fort, et puis, une aventure qui peut se raconter entre jeunes filles l’avait — par ses soins — rendu intéressant. Il aurait aimé, ou plutôt, une actrice ravissante l’aurait aimé ; ils se serait égaré une ou deux fois sur une place publique, et de méchantes langues – il y en a partout – l’auraient trahi. Son père serait arrivé par l’express, aurait surpris des lettres enflammées qu’il aurait à son tour enflammées, mis en branle les fermoirs ordinaires de ces genres d’histoires. « Mon seul péché de jeunesse, disait-il en riant. N’est-il pas facile de m’en excuser ? » Çà faisait songer ces demoiselles à de roses polissonneries autorisées. Le vicomte de la Revrollière gâtait tout de son cynisme.

  • Croyez-vous ? Marans !. . Ne le perdra jamais.
  • Une dame accompagna son mari : le grand air de Faust. Une autre offrit un poème de sa composition. Sans se lever, fixant les yeux sur le néant.

      Poème d’hiver !
      O les mignons oiseaux gelés dans les venelles !
      Pourquoi ne plus chanter ? tendez pour moi vos ailes !
      ………………

    On s’exclama ! Oh ! Quel talent ! ma chère, j’en pleurais ! Madame, mille compliments ! Délicieux ! Exquis ! Quelle mélodie !…
    M. de Lorcin vaniteux :

  • Madame, nous avons un autre poète parmi nous. Mon neveu voudra bien nous faire part d’une de ses oeuvres.
  • Oh ! Oui, Monsieur René, déclama en un précieux délire la dame aux oiseaux gelés dans les venelles, dites-nous quelque chose de vous ; c’est sublime, j’en suis sûr… Oh ! la poésie…le charme… le rythme qui nous berce… nous transporte… Ah ! c’est divin… Il faut avoir l’âme sensitive pour comprendre. Comment peut-on être indifférent… Dites, Monsieur René, pour l’art ?
  • René n’avait pu s’empêcher de sourire discrètement pendant le Poème d’hiver. Il refusa. Nul ne saisirait son originalité poétique ; ses auditeurs bourgeois auraient des nausées de stupéfactions. Il ne prostituerait pas ses efforts. On insistait ; on se récriait. D’aucuns semblaient le narguer. Marans paonnait, blaguant la frousse, l’insuffisance. Lassé. René céda avec un mauvais rire. Imitant le geste de Baudelaire, il s’appuya le bras à la cheminée, et de la même voix du poète des Fleurs du Mal à crier La Charogne, il laissa tomber sec : Le Chemineau. L’effet fut le même. Les bourgeois sont toujours identiques à travers le temps et les espaces, des bornes kilométriques.
    René récitait âprement la violente satyre du misérable sans gîte, ni caresse, pouilleux, chassieux, dont

      Le vent, salait les croûtes de poussières

    et sur qui

      L’ombre des feuillages pleuvaient des sueurs de soleil.

    Un silence profond, indécis ; les visages grimaçaient. Quelque chose d’inattendu qui leur secouait la peau.

    « Juif-errant du mépris le chemineau allait d’un bout du monde à l’autre. L’eau claire des fontaines

      En sa main courbée devenait, pourriture
      Et délayait le pus de ses gerçures. »

    Les auditeurs broyaient leur souffle ; un malaise gênait leur respiration. René satisfait de l’impression d’ébahir ces imbéciles qui quêtaient des vers comme on quête des gros sous, termina de plus en plus ironique.

      « Un passant cassa la jambe la moins torse du pauvre chemineau. ll se traîna sur un monceau de fu¬mier souffrir en paix. La nuit venue un chien l’attaquait. La lutte fut terrible dans le silence des campagnes. Le chien déchiqueta ses maigres chairs ; les os broyés se mêlèrent à la paille et le sang s’anhila dans le purin. Mais le chien creva empoisonné avec un long râle d’agonie et ce fut l’oraison funèbre du chemineau.
      Son glas : des vomissements laborieux,
      Vidant son âme à la porte des cieux. »

    Le salon claqua des mains par politesse ; il semblait fauché d’un froid cyclone. Les uns pensèrent : un fous, les autres : un original, d’autres : un dangereux. La dame aux oiseaux gelés se crut dans l’obligation de quelques félicitations embarrassées.
    Mme de Lorcin navrée s’écria :

  • Où vas-tu chercher de pareilles horreurs ?
  • Vous êtes anarchiste, monsieur, trancha le baron des Valormets.
  • Pourquoi avez-vous insisté ? répliqua René. Je ne fabrique pas les vers à la mesure des auditeurs.
  • Ne vous fâchez pas, Monsieur René, dit une une dame en bleu pâle, étincelante sous le casque blond de sa chevelure fleurie de chrysanthèmes. Je veux défendre votre « chemineau » contre ses détracteurs, votre talent contre les railleurs.
  • Madame, s’inclina René, vous être trop indulgente.
  • Allons donc, j’aime votre franchise. Ce qu’on pense, il faut le dire… Je vous inviterai à mon prochain five o’clock, nous causerons ensemble de poésie et de musique, pendant que le sexe faible bavardera chiffons et le sexe fort politique.
  • Oh ! sursauta le beau Gachard inquiet, et, avec toupet, se penchant à l’oreille de la belle veuve :
  • Serait-ce un rival ?
  • Peut-être, répondit-elle à voix basse.
  • Prends garde.
  • Elle laissa tomber son mouchoir.

  • Ramassez.
  • Puis plus haut :

  • Monsieur René, voulez-vous m’offrir votre bras et me conduire au piano. Vous tournerez les pages.
  • Avec plaisir, madame.
  • Gachard rageait. Si cette folle l’abandonnait pour ce René, qui paierait ses dettes ?
    Mme Verdian préluda d’un doigté léger et sûr. Son brillant morceau dissipa les troubles des esprits. René ne se sentit plus seul dans le vaste salon où les notes rossignolaient.
    La soirée continua de plus en plus animée. Les plateaux chargés de friandises circulèrent. Les flirts discrets se savouraient derrière les éventails et les écrans. L’avoué Dosmun caressa les épaules de Mme Ernaud. Marans tira de son sac des aventures imaginaires.
    L’avocat imberbe, gazette des potins, apprit en secret que Bambert le bijoutier en pinçait pour la jeune femme du juge Béthenie. Mme Verdian accaparait René de ses sourires et de ses regards caressants. Vexé, Gachard les regardait du coin de l’œil. L’abbé Doreux allongeait ses pieds au ras du feu riant et blaguant avec le cercle de ses admiratrices.
    Naturellement on jasa du Pont-Transbordeur. Les premiers pylônes étaient très avancés, là-bas, sur la Fosse. Tout Nantes le regardait grandir peu à peu, pousser son squelette troué vers le ciel. Les journaux en chronique locale avaient sur lui une tartine quotidienne. Aux devantures des libraires et des buralistes, on ne voyait presque plus que son portrait. Les éditeurs se disputaient la nouveauté des premiers pas. Et l’on parlait des cartes postales. C’était la mode. Une fureur insensée pour ces bouts de papier, ces brins d’images.
    Au fumoir les groupes discutaient sur la conduite à tenir pour les prochaines élections législatives.

  • Prenons la corde, prenons-la bien, ne la lâchons pas. Défendons nos droits jusqu’au bout. Le préfet est à la solde de Combes. Résistons. La ville le sait ; nous sommes les protecteurs du commerce.
  • Les condamneriez-vous les pauvres moines, M. Béthenie ?
  • Non ! Non ! Je suis des vôtres, vous le savez bien !
  • M. Varlette, soupira une dame qui venait chercher son mari pour partir, une pierre est tombée à deux mètres devant moi sur les marches Saint-Pierre. Il y aura des tués avant peu.
  • Nous y songeons, chère dame, nous y songeons, vous serez protégée.
  • Minuit sonnait à la pendule. Déjà.! La brouhaha du départ s’accélérait de-ci, de-là.

  • Maman, mon chapeau !
  • Charles, mon éventail !
  • Tu me dépeignes ; fais donc attention !
  • Comment trouvez-vous ce manteau ?
  • Merveilleux ; vous êtes exquise !
  • Au revoir, ma Loulou.
  • Au revoir, Clémence.
  • M. de Lorcin arrêta son neveu au passage.

  • René, un mot. J’ai des reproches à te faire. Tu as manqué d’amabilité ce soir. Ta conduite a pu froisser bien des personnes.Tu sais le rôle important que joue la plupart de mes invités dans la vie des affaires nantaises, que nous sommes tous des militants de la bonne cause réunis chez moi en sécurité. Tes paroles pourraient me nuire à leurs yeux. Tu t’écartes des principes que nous t’avons donnés. Prends garde de faire fausse route et de ne pas regretter plus tard le chemin parcouru alors peut-être qu’il ne sera plus temps.
  • Mme Verdian ôta la réponse aux lèvres de René.

  • M. de Lorcin, j’abuse de votre neveu. ll vous fait honneur par sa galanterie. Je vais le prier de m’apporter ma fourrure.
  • René aida la jolie veuve à s’enfouir dans les poils duvetés. Sa main frôla la gorge chaude. Elle lui sourit de ses dents claires. Bientôt elle fut pelotonnée dans sa voiture. René lui baisa la main.

  • Vous viendrez me voir… votre parole !
  • Gaschard s’avança furieux.

  • Puis-je vous accompagner jusque chez vous ?
  • Ses yeux flambaient dune colère mal contenue.

  • Merci, Monsieur, railla-t-elle, le soleil éclipse les étoiles.
  • René comprit. Et, tandis que la voiture fuyait sous les arbres du boulevard, il lui confia légèrement moqueur.

  • Je vole pas les situations… spéciales.
  • L’autre blémit, leva la main. Mais René lui tourna le dos et s’en alla dans le rire flottant de la lune, cire coulée parmi la nappe nocturne.

    Ludovic Garnica de la Cruz. Nantes la brume. 1905. Numérisation Odile Halbert, 2008 – Reproduction interdite.

    Odile Halbert – Reproduction interdite sur autre endroit d’Internet seule une citation ou un lien sont autorisés.

    Inventaire après décès d’un marchand vinaigrier à Laval, 1710, suite et fin

    Cet article est la suite des jours précédents.

    En 1958, alors étudiante en chimie, j’ai eu le privilège de visiter l’usine Cointreau, pur moment de régal du nez et des yeux, en particulier la salle des alambics de cuivre, impressionnante par ces faïences bleutées au mur et au sol, qui tranchaient sur le cuivre brillant, la dimension même de tous ces alambics, et enfin l’odeur … qu’on ne peut oublier tant c’est merveilleux.
    Avec ce billet, qui fait suite aux 3 précédents nous terminons l’étude d’une vinaigrerie commencée il y a 3 jours avec le contrat d’apprentissage, l’achat d’un alambic, et l’inventaire des marchandises. Aujourd’hui, nous analysons les dettes actives (ce qui leur est dû) et passives (ce qu’ils doivent). Ces dettes reflètent toujours les mouvements de marchandises, donc l’activité de l’artisan ou du boutiquier :

    Archives Départementales de la Mayenne 3E30-44
    Debtes actives : Premier ont déclaré lesdits Lebreton et Corvaisier qu’il est debu à ladite communauté les sommes cy après savoir :

  • Par le Sr Leroyer de Suron 1 L 15 s
  • Par le Sr Ricoul marchand au bourg de Sacé, reste à payer sur une barrique d’eau de vie 70 L (nul doute que ce Ricoul est hôte et vend au détail, et au passage, on peut constater qu’une hôtellerie débite aussi l’eau de vie, à l’époque réceptionnée en barriques, puisque la bouteille de verre viendra plus tard)
  • Par la dame Huet de la Bazouge des Alleuz 4 L 4 s
  • Par le Sr Bourgonnière Gougeon 4 L 10 s
  • Par le Sr Maignen d’Argentré 1 L 7 s 6 d
  • Par le Sr Levesque de St Jean sur Maine 3 L 12 s
  • Par les pères Capucins de Laval 7 L 14 s
  • Par la nommée Cribier de St Pierre 16 s
  • Par le Sr Landais 9 L 19 s
  • Par le Sr Mézière de Suron 2 L 2 s

  • Touttes les susdites sommes deües pour eaües de vies vendües et livrées aux desusdits.

      Eh oui ! Même les pères Capucins achetaient de l’eau de vie ! et en fait de vinaigrerie, les clients doivent de l’eau de vie non encore payée… Notre vinaigrier avec droit de distiller, est donc manifestement plus distillateur que vinaigrier. Et vous avez bien vue que sont des eaues de vies, et non des eaux de vie, qui est écrit. Il est vrai qu’en buvant beaucoup de ce breuvage, on a surement plusieurs vies, à moins que ce ne soit un pluriel intempestif de mot composé, toujours délicat dans la langue française !.


    La rue du Pont de Mayenne (ci-dessous en 1905) devait sentir bon autrefois, parfumée de la distillation du cidre !

    Dettes passives : lesdits Lebreton et Corvaisier ont déclaré qu’il est deub par ladite communaulté

  • une demye année escheüe le premier jour du mois de may dernier de la ferme de la maison où ils sont demeurants 36 L
  • la deffunte veuve Lemercier qui demeuroit au bourg de Connerré auroit donné en garde ou depost audit deffunt Lablée la somme de 100 L dont il luy auroit donné son billet et que ladite somme est encore deüe à ses enfants et héritiers 100 L
  • au sieur Anceney de la Teste Noire pour une pippe de vinaigre 30 L (Maxime Anceney est hôte de la Tête Noire, et cette fourniture de vinaigre par l’hôte au vinaigrier est tout à fait surprenante. Maxime aurait-il fait lui même le vinaigre dans sa cave ? Il avait une grosse hôtellerie et un très fort débit de boissons, sur lequel nous reviendrons.)
  • au sieur Pinard marchand de vin pour une busse de vin 30 L (le vin et le cidre sont des productions locales, tout au plus venant du Haut-Anjou ou d’Angers – autrefois la vigne remontait très haut en France, même si le vin n’y était pas fameux – et comme le vin et le cidre étaient conservés en barriques, ils vieillissaient mal, et le vinaigrier se fournissait donc localement des ces produits abîmés)
  • au Sr Rozière marchand pour reste de vin et cildre 22 L
  • au Sr de la Grenotière aussi marchand pour vin qu’il leur a vendu 35 L
  • au Sr Gougeon de Bazougers pour marchandise de cildre 390 L
  • aux collecteurs de ladite paroisse St Vénérand de la présente année, deub de reste sur la taille 2 L 10 s (cela n’a pas changé depuis, lors d’une succession, on a toujours les impôts en cours à régler)
  • les taxes de la capitation et ustancilles de ladite présente année sont encore deües mais ne savoir à quoy elles se montent, les roolles n’estant pas encore faits ny arrester
  • est deub au Sr receveur du grenier à sel de ceste ville pour un quart de minot de sel levé audit grenier 13 L 18 s
  • à Jean Lafontaine pour étoffes de sa boutique 30 L (dépenses pour le ménage et non la boutique)
  • à Renault Ravary leur garçon pour métives 6 L (dur dur à l’époque pour les domestiques comme ce Renault, qui n’étaient pas payés au mois, et on voit qu’il n’a toujours pas touché ses gages)
  • au Sr Ouvrard Boisardière pour 2 pippes de cildre 37 L
  • au bureau des Aydes de ceste ville pour droicts d’Aydes et autres à cause de leur débit d’eau de vie 24 L (impôt sur lequel nous reviendrons)
  • au sieur Leseyeux pour le restant du prix de 3 barriques d’eau de vie qu’il a vendues et livrées à ladite Corvaisier depuis la mort de son défunt mary et desquelles il y en a encore une cy-devant inventoriée 390 L (la veuve, vite remariée comme c’était souvent le cas à l’époque, a dû faire tourner la boutique, et manifestement s’est approvisionnée chez un confrère qui l’a dépannée. Ce qui signifie aussi que les barriques d’eau de vie ne faisaient pas de vieux os en magasin, et que la vente tournait bien, signe d’une certaine consommation)
  • et encore pour une voiture de vinaigre qu’il a payée pour elle 6 L
  • ont déclaré que des vins et cidres achettez des sieurs Hebert, Anceney (hôte de la Tête Noire toute proche), Pinart, Greotière et Gougeon sont proveneuz les vinaigres eaux de vie et cildre cy-devant inventoriées soubs le titre de marchandises à la réserve de la barique vendue par ledit Sr Leseyeux. (Il serait intéressant de savoir si ces acheteurs sont tous des hôtes, comme Maxime Anceney, qui détenait alors la célèbre Tête Noire. Merci de faire signe ci-dessous, dans les commentaires, si vous avez des éléments, c’est important pour l’histoire.)

    Et, calcul faict du présent inventaire des meubles meublants et marchandises et debtes actives le tout s’est trouvé monter et rendue à la somme de 2 368 L 14 s 6 d
    et les dettes passives à celle de 1 085 L 3 s
    Partant ne revient de bon que 1 283 L 11 s 6 d
    laquelle divisée en deux fait pour chaque moitié 641 L 15 s 9 d

    Le fonds de roulement est important, et situe bien le vinaigrier aliàs distillateur d’eau de vie, dans la petite bourgeoisie, ce que confirme l’inventaire de ses vêtements et de son intérieur.
    Manifestement, son activité eau-de-vie est plus importante que son activité vinaigre.
    Vin et cidre, abîmés, utilisés pour ces 2 activités, ne viennent pas de loin car la vigne remonte encore très haut en 1710. Enfin le cidre tient une place importante, et ici c’est parfaitement illustré.

    Odile Halbert – Reproduction interdite sur autre endroit d’Internet seule une citation ou un lien sont autorisés.

    Inventaire après décès d’un marchand vinaigrier à Laval, 1710

    Nous poursuivons l’approche du métier de vinaigrier par les actes notariés, par ce 3e billet (voir hier et avant-hier) et demain il y aura un 4e billet, car c’est copieux.

    Un inventaire n’est pas toujours dressé devant notaire après un décès. Il existe des départements où ils étaient le plus souvent réalisés sous seing privé et ce type d’actes n’existent donc pas souvent dans leurs archives notariales.
    Lorsqu’on trouve un inventaire après décès, c’est assez fréquemment parce que l’un des conjoints, veuf (veuve), se remarie, et ayant des enfants mineurs doit préserver leurs droits sur les biens du défunt. Cet aspect des choses, fort juste autrefois, a sans doute disparu de nos jours. Il paraît donc utile de le souligner.
    Par ailleurs, je sais que ces actes ne vous concernent pas nominativement, moi non plus d’ailleurs : ceux qui cherchent juste leurs actes persos sont dans l’errance, car n’importe quel acte similaire leur permet tout aussi bien de visionner le mode de vie, à métier et période équivalents. C’est ainsi que j’entends l’histoire des modes vie, la vraie vie quotidienne de nos ancêtres, et tout acte peut l’illustrer qu’il vous concerne nomitavement ou non.

    Le vinaigrier qui suit, décédé à Laval, était fils et neveu de vinaigriers d’Angers. C’est donc un métier de famille, comme on pouvait s’en douter : une grande partie des métiers sont ainsi, avec des liens de famille. Le grand père des mineurs (donc demeurant à Angers) ne peut se déplacer et donne d’abord procuration à son frère, l’oncle vinaigrier à Angers, pour se rendre à Laval et faire dresser un inventaire. Voici cette procuration qui permet d’exposer les circonstances :

    L’acte qui suit est extrait des Archives Départementales de la Mayenne 3E30-44. Voici la retranscription de l’acte : Le 12 juin 1710 avant midy, par devant les notaires royaux à Angers soussignés fut présent le sieur Jean Lablée marchand maître vinaigrier en cette ville, y demeurant paroisse de Saint Pierre, lequel sur ce qu’il a appris que Jeanne Courvaizier veuve de Estienne Lablée son filz demeurant en la ville de Laval veut convoler en secondes noces avec le sieur Ambrois Lebreton sans avoir fait d’inventaire de la communauté d’entre elle et ledit défunt Lablée son premier mari, desquels sont issus 4 enfants mineurs pour la conservation des intérêts desquels il est à propos de faire faire inventaire de ladite communauté, et que ne pouvant se transporter sur les lieux à cause de son indisposition, il a par ces présentes fait nommé et constitué pour son procureur général et spécial le sieur Ollivier Lablée marchand maître vinaigrier en cette ville son frère, oncle paternel desdits mineurs, demeurant audit Angers paroisse de la Trinité, à ce présent, acceptant un pouvoir qu’il lui donne en qualité de curateur des mineurs, pour la confection duquel inventaire des meubles, titres, effets et marchandises dépendant de la communauté qui était entre ledit feu sieur Estienne Lablée et ladite Courvaizier sa veuve, et ce par devant notaire ou tesmoings, en la forme et manière ordinaire et au surplus faire par ledit procureur tout ce qui serait nécessaire pour le bien et avantage desdits mineurs …
    fait en présence du sieur Jacques Maillet et d’Ambroise Lablée oncle et tante desdits mineurs … Signé Olivier Lablée, Jacques Maillet, Ambroise Lablée, Charlet, Garnier notaire.

      Au passage, on note que les vinaigriers sont installés en pleine ville, ce qui est toujours le cas actuellement à Orléans pour une célèbre maisonn car ils ne sont pas polluant. Autrefois, même les activités polluantes (teinturiers, tanneurs, etc.) étaient en pleine ville. Nous y reviendrons, je suis chimiste et passionnée de ces activités…

    Le 16 juin 1710, inventaire des biens meubles marchandises et effets dépendants de la communauté de défunt Estienne Lablée vivant marchand vinaigrier en cette ville de Laval et de Jeanne Le Corvaisier sa femme…
    Ce qui suit est un extrait de l’inventaire, illustrant la vinaigrerie et son fonctionnement. La totalité de l’inventaire est sur une page HTML sur mon site. Voici donc les marchandises et le matériel de la vinaigrerie : (en italique mes commentaires, et L est la livre tournois, monnaie d’alors)

  • vinaigre (2 pipes et busses de vinaigre) à 60 L la pippe : 330 L (soit 5,5 pipes, et la pipe en Anjou fait 475,6 litres soit 2 busses : donc on a 2 615,8 litres – Si on prend la pipe Angevine à 446,4 litres comme le fait Michel Leméné dans Les Campagnes Angevines à la fin du Moyen-âge, on a 2 455 litres)
  • eau de vie (une barrique contenant 30 velte) 200 L (soit 30 x 7,5 litres qui est la valeur moyenne d’une velte en France, donc on a 225 litres)
  • eau de vie de vin (80 pots à 28 s le pot) 112 L (si on prend le pot à 1,86 litres, on a 148,8 litres)
  • eau de vie commune (40 pots à 18 s le pot) 36 L (soit 74,4 litres – ce qui fait un total de 448,2 litres d’eau de vie, répartie en 3 classes, la première citée étant sans doute l’eau de vie de cidre, puis l’eau de vie de vin, et la dernière manifestement commune et moins chère, sans doute moins goûtée)
  • cidre (4 pipes à 20 francs la pipe) 80 L (donc on a 1 902 litres)
  • tonneaux vides (50 à 20 s pièce) 50 L
  • outils (tous les outils dudit défunt à tonnelerie) 4 L (pour réparer lui-même ses tonneaux, cela paraît normal vue la quantité dont il dispose pour travailler)
  • barils (28) vides de 5 pots jusques à 30, à 10 s pièce 14 L
  • barils (50) vides 23 L
  • chaudière (une) avec son chapeau et alambic à l’eau de vie 70 L
  • chaudières d’airain (2) 100 L
  • chantepleure et entonnoir (ce qu’il y a de vieilles) de fer blanc 3 L 10 s
  • marmite (une) de cuivre rouge 5 L
  • réchaud (2 vieux) 1 L 5 s
  • Je dois remettre à demain la suite et fin de cette vie de vinaigrier, avec l’analyse des dettes actives et passives de cet inventaire. En effet, un inventaire, surtout dans une activité commerciale ou artisanale, dresse après les meubles meublants, la liste de ce qui est dû au défunt, et la liste de qu’il devait. Or, dans le cas d’une telle actitivé (commerciale ou artisanale) ces deux listes sont parlantes : elles disent ou va la marchandise et d’où venaient les matières premières.

    Alors, à votre avis, d’où venaient les matières premières (vin, cidre…), car ici nous ne sommes pas à Orléans, ville célèbre pour avoir de longtemps utilisé les vins descendant la Loire, et déjà abimés au passage d’Orléans (autrefois le vin voyageait en tonneaux de bois uniquement, pas de bouteilles de verre par millions (ou milliards) pour sa conservation optimale.
    Je suis certaine que vous avez deviné, car vous êtes calés (ées)…

    Et puis, vous pouvez vérifier mes calculs… car j’ai pu me tromper. Pour les mesures, on peut dire tout et son contraire, la preuve en est que Diderot lui-même avait rénoncé à en parler tant c’était inextriquable. Ce qui importe ici c’est seulement l’ordre de grandeur pour mieux visualiser, d’autant que je suis lue au loin (très loin partout sur la planète) et que l’Anjou et le Maine y pourraient sembler de tous petits coins…

    Odile Halbert – Reproduction interdite sur autre endroit d’Internet seule une citation ou un lien sont autorisés.

    Achat d’un alambic de vinaigrier, en 1662

    Cet article a une suite les 14 et 15 mars, ces 3 jours traitant tous du vinaigre et du vinaigrier.

    Vous êtes hyperdoués (ées), car j’avais préparé ce billet et vous connaissez ces usages avant de l’avoir lu. Bravo à vous !
    Demain, je vous offre l’inventaire après décès d’un vinaigrier. Or, en tappant cet inventaire, quelle ne fut pas ma surprise de trouver un alambic de cuivre, et beaucoup de barriques d’eau-de-vie.
    Renseignements pris à Orléans, près de l’ex-vinaigrerie du quartier St Marceau, il y a bien un alambic dans une vinaigrerie.
    Avant de voir pourquoi cet alambic, voici d’abord son achat, pour la somme relativement importante de 150 livres, qui fait de cet alambic un investissement important de la vinaigrerie.

    L’acte qui suit est extrait des Archives Départementales du Maine-et-Loire, 5E90. Voici la retranscription de l’acte : Le jeudi 5 janvier 1662 avant midy, devant nous André Choisnet notaire royal à Angers, résidant aux Ponts-de-Cé, furent présents en personnes establys et duement soumis
    Estienne Gigault marchand tonnelier demeurant en ce lieu paroisse de Saint Maurille d’une part,
    et Jean Boutton sieur de la Roche aussi marchand (souvenez-vous, c’est notre marchand tonnelier vinaigrier, qui prenait hier un apprenti) demeurant en cedit lieu dite paroisse d’autre part, lesquels ont fait et font entre eux le marché et convention qui suit,
    qui est que ledit Gigault a vendu quitté et transporté et par ces présentes vend, quitte et transporte et promet garantir audit Boutton ce acceptant que luy a acheté et achère pour luy ses hoirs etc une chaudière de francq cuivre tenant à l’estimation d’une busse ou environ à faire eau de vie avecq son alembic et chapeau de la qualité bonté et livraison de laquelle chaudière alembic et chapeau ledit Boutton se contente et en acquitte et quitte ledit Gigault :
    ce marché et transport fait pour et moyennant le prix et somme de 150 livres tournois laquelle susdite somme ledit Bouton a payée et baillée comptant audit Gigault, qui l’a prise et reçue en bonne monnaie ayant cours suivant l’édit, dont il s’en contente et l’en quitte, ce qui a été ainsi voulu stipullé consenty et accepté par lesdites parties …
    fait et passé auxdits Ponts de Cé à nostre tabler présents Mathurin Commin et Allain Dupuy praticiens tesmoings. Signé : Boutton, Gigault, Choisnet

    L’alambic contient une busse, soit, en Anjou, un tonneau de 287,8 litres, encore appelé barrique. Il y a 2 busses dans une pippe de vin.

    Mais à quoi sert donc cet alambic dans une vinaigrerie ?
    Les vinaigriers sont organisés en corporations et ont des statuts, dont l’un cité par l’Encyclopédie de Diderot m’intrigue. Il est en effet précisé qu’ils doivent apprendre 4 ans, or, nous avons vu hier un apprentissage de 2 ans. La question de l’apprentissage reste ouverte, revenons à l’alambic.

    Un autre de leurs statuts fait d’eux des distillateurs d’eau-de-vie : Les ouvrages & marchandises que les maîtres vinaigriers peuvent faire & vendre, exclusivement à tous les maîtres des autres communautés, sont les vinaigres de toutes sortes, le verjus, la moutarde & les lies seches & liquides. A l’égard des eaux-de-vie & esprit-de-vin qu’il leur est permis de distiller, elles leur sont communes avec les distillateurs, limonadiers & autres. (Encyclopédie de Diderot et d’Alembert)
    Outre la production d’eau-de-vie, le vinaigrier améliorait la conservation du vinaigre en le distillant : le residu d’un bon vinaigre distillé par l’ébullition, demeure longtemps sans se corrompre (Diderot). Si on veut du vinaigre qui ne se corrompt point, c’est par exemple, parce qu’il est embarqué à bord des bateaux comme agent de lavage désinfectant des ponts, etc… et pour la haute mer, on a intérêt à ce qu’il tienne plusieurs mois.

    Et Diderot poursuit :

    VINAIGRERIE, s. f. (Art distillerie) petit bâtiment faisant partie des établissemens où l’on fabrique le sucre ; c’est proprement un laboratoire servant au travail & à la distillation de l’eau-de-vie tirée des debris du sucre que l’on a mis en fermentation. Voy. TAFFIA.

    Effectivement, on peut faire du vinaigre, ou de l’eau de vie, avec tout ce qui fermente…

    Quant à ses usages médicamenteux, toujours selon la même source (extraits, car c’est fort copieux !) :

    Bons effets du vinaigre contre les maladies pestilentielles et plus loin un grand remede dans les fievres aiguës, ardentes, malignes, dans la peste, la petite vérole, la lepre, & autres maladies semblables … Le vinaigre appliqué extérieurement est atténuant, discussif, répercussif, antiphlogistique, & bon dans les inflammations, les érésypeles

    Je vous épargne le flot de littérature à son sujet médicamenteux, mais je garde une tendresse particulière pour la préparation qui suit, car elle porte un joli nom :
    VINAIGRE des quatre voleurs, c’est ainsi qu’il est décrit dans la pharmacopée de Paris. Prenez sommités récentes de grande absynthe, de petite absynthe, de romarin, de sauge, de rue, de chacun une once & demie ; fleurs de lavande seche, deux onces ; ail, deux onces ; acorus vrai, canelle, gérofle, noix muscade, deux gros ; bon vinaigre, huit livres ; macerez à la chaleur du soleil, ou au feu de sable, dans un matras bien bouché, pendant deux jours, exprimez fortement & filtrez, & alors ajoutez camphre dissous dans l’esprit de vin, demi-once. Le nom de cette composition lui vient de ce qu’on prétend que quatre voleurs se préserverent de la contagion pendant la derniere peste de Marseille, quoiqu’ils s’exposassent sans ménagement, en usant de ce vinaigre tant intérieurement qu’extérieurement ; & beaucoup de gens croient encore que c’est une bonne ressource contre l’influence de l’air infecté des hôpitaux, &c. que de tenir assidument sous le nez un flacon de ce vinaigre. (Diderot)

    Avouez que 4 voleurs et pas 40, cela ne s’oublie pas !

    Merci à tous vos commentaires et souvenirs de vinaigre. Je me souviens seulement pour ma part des cheveux, et de l’aide à la lessive.
    Demain nous voyons les achats pour sa fabrication autrefois. Nous serons en 1710.

    Odile Halbert – Reproduction interdite sur autre endroit d’Internet seule une citation ou un lien sont autorisés.

    Contrat d’apprentissage de tonnelier vinaigrier à Soulaines (49), 1662

    pour Jean Talluau chez Jean Boutton. Archives Départementales du Maine et Loire, serie 5E

    Nous partons dans le vinaigre pour plusieurs jours, tant il était important autrefois : antiseptique, médicament, etc…
    Le contrat d’apprentissage qui suit est assez original, en ce sens que l’apprenti est adulte, désirant sans doute s’offrir une autre situation et investissant dans une formation à un métier plus valorisant. Nous verrons le niveau de vie du vinaigrier dans les jours qui suivent.
    L’acte qui suit atteste qu’un vinaigrier est un métier charnière dans la filière du vin, et qu’on peut être à la fois vinaigrier et autre chose dans la filière. Ici tonnelier vinaigrier :

    Voici la retranscription de l’acte : Le sabmedy 20 janvier 1662 après midy, devant nous André Choisnet notaire royal à Angers résidant aux Ponts de Cé, furent présents en personne establis et duement soubmis honorable homme Jean Boutton sieur de la Roche marchand tonnelier et vinaigrier demeurant en ce lieu paroisse de saint Maurille des Ponts-de-Cé d’une part,
    et Jean Talluau natif de la paroisse du Touré (sans doute le Toureil, canton de Gennes, arrondissement de Saumur), de présent en ce lieu d’autre part,
    lesquels ont fait et font entre eux le marché d’apprentissage qui ensuit, qui est que ledit Talluau s’est mis avec et en la maison dudit sieur Boutton pour le temps et espace de deux années entières et parfaites et consécutives qui commencent ce jourd’huy et finiront à pareil jour pour par ledit Boutton luy montrer et enseigner ledit mestier de tonnelier et vinaigrier à sa possibilité sans rien luy en celler et par ledit Talluau servir et obéir audit sieur Boutton audit mestier de tonnelier et vinaigrier en toutes choses licites et honnestes qui luy seront par luy commandées, son bien procurer, …, à sa possibilité, et par le sieur Boutton le nourrir, coucher, laver et reblanchir pendant iceluy temps sans que ledit Talluau puisse s’absenter de la maison dudit sieur Boutton sans son express congé et consentement ;
    ce marché fait pour et moyennant le prix et somme de 140 L tournois sur laquelle susdite somme ledit sieur Talluau en a présentement payé et baillé contant audit sieur Boutton la somme de 77 L en louis d’argent ayant cours suivant l’édit, ton et de laquelle susdite somme de 77 L ledit Boutton s’en contente et en a quitté et quitté ledit Talluau, et le surplus montant la somme de 63 L ledit Talluau pour ce duement estably et soumis par devant nous comme dit est promet et s’oblige icelle payer et bailler dans d’huy en un an prochain venant à peine etc ce qui ainsy voulu stipullé consenty et accepté par lesdites parties, auquel marché d’apprentissage quittance obligation et à tout ce que dit est tenir etc dommage etc obligent lesdites parties respectivement etc et à défaut etc biens et choses à prendre vendre et même le corps dudit Talluau à tenir prison comme pour deniers royaux s’absentant de la maison dudit sieur Boutton sans son exprès congé et consentement renonçant etc,
    fait et passé aux Ponts de Cé maison dudit sieur Boutton, présent Pierre Garnier marchand ciergier demeurant en ce lieu, et Nicolas Leduc compaignon vinaigrier, demeurant à Angers paroisse de la Trinité. Signé : J. Talluau, J. Boutton, P. Garnier, N. Leduc, Choisnet

    A demain, toujours sur le vinaigre. Les vinaigriers étaient une corporation règlementée, et ce contrat m’interpelle car la durée de l’apprentissage est fixée à 2 ans, et je vous expliquerai demain des durées plus longues et pourquoi.
    La somme de 140 L est par contre coquette, assez pour que je conclue à un métier socialement valorisant. En effet, lorsque la somme est élevée, il faut soupçonner un métier qui va rapporter… cela paraît logique… Donc, ce Talluau est en train de tenter une ascencion sociale, à moins qu’il n’ait tenté d’épouser la fille du maître, car cela arrivait aussi souvent que le maître n’ait pas de fils et que la place fut libre après lui…. mais comme ces actes ne sont pas miens, vous êtes seuls à pouvoir poursuivre cette histoire… auquel cas, merci de faire signe sur ce billet dans les commentaires, ce serait bougrement intéressant.
    Autrefois les dettes n’étaient pas prises à la légère, et je constate au fil de ces contrats d’apprentissage que la clause de saisie de corps en prison est souvent incluse dans le contrat. Si on veut bien s’imaginer l’état des prisons d’antan, plus mortelles qu’autre chose, on comprend vite l’efficacité dissuasive de la clause.
    Voir la page HTML qui dresse un tableau des contrats d’apprentissage qui sont sur ce site, vous pouvez aussi utiliser la fenêtre de recherche de ce blog.

    Mais au fait, vous souvenez vous de deux, ou au moins une, des utilisations antiseptiques les plus importantes du vinaigre ? Cogitez bien, avant de trouver ici la réponse.

    Odile Halbert – Reproduction interdite sur autre endroit d’Internet seule une citation ou un lien sont autorisés.