Aînée de 6 enfants d’une famille de bourgeoisie moyenne équipée de voiture quand tout le quartier sans voiture nous regardait revenir bronzés des plages de la cote… eux qui ne pouvaient bouger ! Lycéenne terminant son bac, adorant les sciences, mes études de pharmacie étaient programmées jusqu’à ce lundi 16 janvier 1956. Rentrant à 17 h 30 je trouve la maison moitié vide, plus de salle à manger, même plus de TSF ni tourne disques etc… Maman me demande de la suivre dans la chambre parentale, referme la porte, et j’entends : « Ton père est parti, je n’aurai pas de quoi te nourrir, je te mets en usine. » Effondrée, je vais voir ma grand-mère maternelle, qui me trouvera et payera 2 années d’études à l’école de chimie d’Angers. Elle me donne 60 F/mois, pour une chambre meublée 30 F sans chauffage, sans eau, sans toilettes… et 1 F le repas au restaurant universitaire. Je suis là-haut sous les ardoises très pentues, toujours tête baissée. Le matin je descends mon seau plein et mon broc vide, et chaque soir en rentrant du restaurant universitaire je monte mon broc plein et mon seau vide. Sous les ardoises pentues j’ai une table de toilette de marbre avec bassine en faîence ! Reste 0 F pour petit-déjeuner, voyages à Nantes (impossibles) etc… et surtout pour vêtements, chaussures etc… mais une de mes tantes me donnera un manteau 3/4. Mais le plus dur, sera la réponse à ma demande de bourse : refusée, vos parents ne sont pas divorcés ! En effet, maman, et je la comprends, avait refusé le divorce, et la procédure durera 6 ans, durant lesquels je n’ai pas eu droit à une bourse !
C’est ainsi que 2 ans plus tard, l’école de chimie, qui connaît mon statut social et a reçu par ailleurs des offres d’emploi, m’envoie directement début juillet au loin… Il ne me reste qu’une valise en carton, sans poignée, et j’en fais une avec de la ficelle, poignée plus qu’utile quand on sait que l’ouest doit faire beaucoup de marche dans les couloirs du métro entre Montparnasse et la gare de Lyon ! Je débarque à Nemours, en Seine-et-Marne, dans une chambre meublée avec chauffage, mais un cabinet de toilette à l’étage au dessous à partager avec d’autres, et sans douche ou baignoire, mais l’eau est chaude. C’est d’ailleurs grâce à cette eau chaude que je vais pouvoir prendre un petit déjeuner… levée avant 6 h car pour se rendre à l’usine à Bagneaux, il y a le train vers 7 h. Je me rends à la gare de Nemours à pied, puis à la gare de Bagneaux on a aussi une bonne marche car le laboratoire est à l’autre bout de la grande usine ! Vous voyez le labo à droite de la photo ci-jointe. J’y arrive donc début juillet, et je découvre le labo, avec beaucoup de pommes de douche au bout de chaque paillasse car l’acide fluorhydrique aime bien faire des moignons en bouffant tout laissant des moignons… donc dès qu’on a le moindre doute on court vite nu/nue sous la douche. On ne porte qu’une blouse épaisse et dessous les mini sous-vêtements… Mais, je n’ai plus aucun sous vêtement faute d’avoir pu les renouveler… et c’est ainsi que j’ai découvert la Seine-et-Marne en commençant par un streep-tease intégral qui n’était surtout pas mon genre et m’a beaucoup coûté, mais je dois dire que les 2 autres filles ont été parfaites… Et, devinez ce que j’ai fait de mon premier salaire… Des chaussures, car je n’en avais qu’une paire ultra usée, à talons qui n’étaient plus que quart de talons devant l’usure… plus de bas et les pieds gelés l’hiver déformés par le martyr que je leur ai imposé… et bien entendu slips et soutien-gorge… Ouf ! A cette époque sans téléphone je n’ai plus aucun échange… Le samedi je me rends au bourg de Nemours laver mon linge en machine, puis faire un peu de courses à l’épicerie (pas encore de grandes surfaces) surtout des chocos BN car je n’ai rien pour faire la cuisine, et je suis au pain et biscuits… mais le dimanche midi, après la messe, je vais au restaurant pour manger de la viande.
3 ans plus tard, je quitte la Seine-et-Marne car j’ai trouvé une usine au nord d’Angers donc plus proche de ma famille.. mais j’emporte avec moi un peu de la Seine-et-Marne, pour toujours, car j’ai à vie un corps étranger dans mon corps, suite à un accident, qui m’avait conduite tout droit à l’hôpital Necker à Paris. Eh oui, j’ai du verre dans la gorge, mais comme l’avait prédit le médecin de l’hôpital Necker, qui ne pouvait l’enlever, il a depuis fait un os autour de lui, que je sens très bien, de la taille d’une pièce de 2 euros. J’ai la Seine-et-Marne en moi… et je viens de la retrouver…
Juillet 2024, je découvre l’ascendance de ma Louise-Catherine Fauchon, mariée à un armurier de Chemillé (49) grâce à son contrat de mariage enfin trouvé à Paris. Elle descend de 5 générations d’apothicaires à Provins de 1540 à 1668 que je découvre au fil de mes recherches, avec bonheur, car j’ai enfin retrouvé la pharmacie… à laquelle j’avais dû renoncer.
Aujourd’hui, dans mon appartement au 7ème étage, il m’arrive parfois dans l’ascenseur de penser à ceux qui réclament haut et fort l’ascenseur social, car je suis bien placée pour savoir qu’un ascenseur descend aussi ! Et dans toutes les actualités, je me sens en empathie à tous les SDF et autres démunis…
Oh, le département de la Seine-et-Marne n’est pas gâté en généalogie. Les Archives Départementales en sont encore au prêt de microfilms, support disparu de la Loire-Atlantique il y a 33 ans devant l’avancée numérique ! Le département n’a pas de métropole comme l’est Nantes en Loire-Atlantique mais seulement une multitude de villes moyennes Meaux 54 991 habitants, Chelles 54 917, Melun 40 032, Montereau-Fault-Yonne 20 206, Coulommiers 14 838, Fontainebleau 14 886, Nemours 13 081, Provins 11 844, La Ferté-sous-Jouarre 9 619, Nangis 8 710. Il s’ensuit que l’évêché est à Meaux comme de tous temps, mais la préfecture à Melun, et surtout chacune de ces villes moyennes à son cercle généalogique, si petit que le tout est loin d’avoir évolué dans les recherches sur les actes notariés. J’été il y a 35 ans une pionnière dans les liasses notariales, et je tombe aujourd’hui totalement des nues devant le retard de la Seine-et-Marne., qui n’a pas compris que l’union fait la force et qu’un seul cercle généalogique regroupant le tout serait fort et compétent…