Arguments d’opposition de Soucelles à une demande de retrait lignager : non daté

Pour comprendre le retrait lignager voyez l’article LIGNAGES page 742 de l’ouvrage de Lucien Bély « Dictionnaire de l’ancien régime », et si vous n’avez pas encore cet ouvrage, je vous le conseille vivement si vous souhaitez comprendre les us et coutumes de cette époque.
Car ce qui suit est un cas particulièrement compliqué car l’héritier noble n’entend pas laissier un autre héritier opérer le retrait lignager, et cherche tous les arguments pour s’opposer. Or, dans les retraits que j’avais déjà rencontré, il n’y avait jamais eu une telle opposition, et n’importe que héritier pouvait ainsi racheter le bien aliéné.

Le texte qui suit est non daté, et par ailleurs, comme tout ce qui concerne les discussions de droit, parsemé de latin. J’ai compris qu’un gendre de Soucelles a demandé la retrait de la Saulaye, vendue par son beau-père, lequel avait eu 8 enfants, dont 2 filles de son mariage avec feu Madeleine de Baif, et 6 enfants, garçons et filles d’un autre lit. La succession était noble et donc un fils a droit aux 2/3 et les 7 autres enfants se partagent le 1/3 qui reste, soit 1/21ème chacun.
Lors de son mariage, Madeleine de Baif aurait apporté une dot en liquide, et il aurait été prévu qu’elle fit option d’avoir en contre-partie la Saulaie, mais curieusement, cette longue énumération ne fait mention d’aucune date et nom de notaire. On peut faire la même remarque sur l’origine du bien de la Saulaie, et même sur le contrat d’aliénation. Cette absence de précisions est pour le moins curieuse, et je dirais que cet acte est une aimable écriture de l’un des avocats étudiant ses arguments et non un acte authentique de jugement ou un acte authentique de notaire..
D’ailleurs, en ce sens, on constate aucune fin à cet acte, à savoir aucun jugement définitif.

Acte aux Archives Départementales du Maine-et-Loire, série 65J146 – Voici sa retranscription (voir ci-contre propriété intellectuelle) :

AD49-65J146 – Advoue, premier pour la partie dudit de Chivré en la qualité qu’il procède demandeur en demande de retrait lignaiger à l’encontre dudit de la Grandière deffendeur
Et premier pour ce que ledit deffendeur par ses escriptures par plusieurs articles … restraindre les faveurs des retraits lignaigers par certains faits et raisons, dict et respond ledit demandeur que les retraits lignaigers sont favorables pour ceulx qui sont du lignaige des vendeurs lesquels retraits ont esté introduits de droit divin et habetur … en latin … et ad ce est conforme la coustume du pays où il est escript en plusieurs articles que les retraits sont favorables en faveur des lignaigers
Item ad ce que ledit deffendeur dict présupetue vementes post aucun non possunt deteahere ad ce respond ledit demandeur que par la loy municipalle qui est la coustume du pays le lignaiger est receu à demander et avoir par retrait les choses vendues par son lignaige dedans l’an et le jour de la pocession et investiture realle de la chose vendue sans avoir esgard au dabte du contrat et ainsi a esté décidé par arrest suscript enquest de ce par arresta parlamenti et par … latin
Item et est receu le mineur aussi bien que le majeur à demander et avoir par retrait les choses aliénées par son lignaiger soit fils de famille ou autrement et ainsi est usé communément
Item a ce que le deffendeur dit que sa femme est fille aisnée dudit Anceau de Soucelles vendeur et par ce veult inférer qu’il est aussi proche que lesdits myeurs et fondée audit retrait, ad ce respond ledit demandeur que ledit de Soucelles est personnenoble vivant noblement et sa succession noble
Item que par la coustume du pays d’Anjou ou les parties sont demeurantes et les choses dont est question sont situées et assises le fil noble puisné qu’il soit plus tenu que les filles succéder et luy compecte et appartient les deux parts de la succession noble avecques le préciput et avantaige de tous les puisnez tant fils que filles succèdent seulement en ung tiers
Item et par autre coustume du pays les retraits vont comme les successions et pour telles parts et portions ceux qui demandent à avoir aucune chose par retrait sont fondés à succéder en la chose qu’ils auroient desdites choses par retrait
Item ce dit ledit demandeur que ledit Anceau de Soucelles à plusieurs enfants tant fils que filles et entre autres Anceau de Soucelles son fils aisné et principal héritier présomptif
Item lequel Anceau de Soucelles est fondé par ce que dessus à demander et avoir par retrait les deux parts dudit lieu de la Saullaye vendu et aliéné par ledit Anceau de Soucelles son père
Item et quant aux autres enfants ensemblement ils sont fondés seulement n’en avoir ung tiers des choses en retrait desquelles est question et par ce ledit deffendeur à cause de sadite femme seroit fondé seulement à avoir ung septiesme en ung tiers par retrait desdites choses demandées par retrait ce que a offert ledit demandeur et encores offre ou cas que ledit demandeur en vouldroit avoir et retenir aultres raisons de ce en quoy il seroit fondé
Item et n’est pas vray partant et … que tous les enfants dudit de Soucelles soient fondés d’avoir autant l’un que l’autre dudit retrait ains sont fondés seulement d’en avoir pour telles parts et portions qu’ils sont fondés de succéder sans préciput par ladite coustume du pays article CCCLXIX
Item pour respondre à plusieurs articles faisant mention que ledit Anceau de Soucelles bailla et transporta à feu Magdelaine de Baif ledit lieu de la Saullaye pour la somme de 3 500 livres tournois et que ladite de Baif seroit décédée delaissant ladite Marie de Soucelles femme dudit deffendeur sa fille aisnée et principale héritière et damoiselle Lucresse de Soucelles sa fille puisne et que après le décès de ladite de Baif ledit Anceau de Soucelles auroit possédé ledit lieu de la Saullaye comme bail et garde desdites Marie et Lucresse voulant par ce inférer que la jouissance dudit de Soucelles après la mort de ladite de Baif vauldroit pour pocession et que par ce moyen ledit demandeur ne seroit à présent recepvable à demander ledit retrait

    ici, on apprend que le bien qui fait l’objet de la demande de retrait lignager est la Saulaie et serait un bien de Madeleine de Baif, première ou seconde épouse d’Anceau de Soucelles, dont elle a eu 2 filles seulement, alors que plus haut on sait qu’Anceau de Soucelles a 8 enfants hériters de Soucelles, dont des garçons qui ne sont pas de Madeleine de Baif. Normalement n’importe quel héritier de Baif, y compris une fille, peut prétendre au retrait lignager, et non tous comme il est prétendu plus haut, et en aucun cas un autre des enfants de Soucelles qui n’ont strictement rien à voir avec le bien. Le fait qu’Anceau de Soucelles ait joui de la Saulaie ultérieurement semblerait montrer que Madeleine de Baif était une première épouse et non une seconde. Et s’il en a joui c’est en tant que tuteur des deux filles qu’il a eu de Madeleine de Baif. Par contre, à la fin de ce long acte, on apprend autrement, que Madeleine de Baif aurait eu une dot en liquide.

Item pour respondre à tout ce que dessus dit ledit demandeur audit nom que nonobstant chose dicte alléguée par ledit deffendeur n’est bien recepvable à demander et avoir lesdites choses par retrait dont est question par et selon droit et les coustumes du pays
Item pour ce que les parties conviennent que ledit Anceau de Soucelles leur père a vendu et aliéné ledit lieu de la Saullaye par contrat subject à retrait

    Et j’ajouterais même qu’il n’avait pas le droit d’aliéner les biens de Baif sans récompense, car ce ne sont pas ses propres

Item et ex illo capite (latin ?) s’ensuit que ledit Anceau de Soucelles soit fils aisné et principal héritier présomptif est fondé d’avoir les deux parts desdites choses dont est question par retrait et tous les autres enfants le tiers sans precipu
Item et ne peult dire ledit demandeur avoir eu pocession dudit lieu de la Saullaye pluribz medys (latin ?)
Item pour ce que à la vérité ledit deffendeur ne sadite femme n’ont point jouy ne possédé ledit lieu de la Saullaye et se ne peuvent dire en avoir eu pocession

    ce type d’argument relève du jeu de POKER MENTEUR, ou presque

Item secundo (voici du latin !) pour monstrer que n’aians eue pocession il tient ledit de Soucelles en procès par davant vous et qu’il luy condempne ad ce qu’il luy bailla la pocession vacue des deux parties dont les troys font le tout dudit lieu de la Saullaye et en quoy faisant il monstre … ledit de Soucelles pocesseur dudit lieu comme à la vérité il est et a toujours esté
Item ne peult servir audit deffendeur de vouloir dire que après le décès de ladite de Baif ledit de Soucelles ait possédé comme curateur des myneures car la présomption de droit est qu’il a toujours possédé au nom et en la qualité qu’il avoit accoustumé posséder nec mutant (plusieurs lignes de latin)
Item ou ledit de Soucelles estoit sieur dudit lieu de la Saullaye à tiltre successif de ses prédecesseurs auquel titre il en a toujours jouy et par ce ne peult ledit deffendeur dire qu’il ait possédé alir titulo
Item pour le montrer si ledit de Soucelles eust possédé ou entendu posséder nommé de ses endants après qu’ils sont venus à leur âge ils eussent possédé ce qu’ils n’ont fait, ains en a jouy ledit de Soucelles encores fait paisiblement au veu et seu dudit deffendeur et de tous autres
Item et prent ledit demandeur à son avantaige ce que ledit deffendeur a fait escripre par ses escripts que par le contrat de mariaige desdits de Soucelles et de Baif, il estoit en l’option de ladite de Baif de prendre ledit lieu de la Saulaye pour ses deniers dotaulx ou des acquests que feroit ledit de Soucelles et que ladite de Baif n’a encores opté ne esleu lequel elle vouloit prendre ou ledit lieu de la Saullaye ou les acquests
Item car jusques ad ce que elle ou ledit deffendeur ait eu opté res resmonst in suspens ad ce que l’on ne pouvoit dire ledit lieu de la Saullaye avoir esté vendu ne qu’il eust esté sujet à rente jusques après l’option et n’apert point qu’il y ait eu option jusques ad ce que depuys ung enca ledit deffendeur a mys en procès par davant vous ledit de Soucelles et que luy conclud ad ce qu’il luy baillast la pocession vacque des deux tiers parties dudit lieu de la Saullaye
Item au moyen de quoy ledit demandeur adverty par ce moyen de ladite vendition et option faite par ledit deffendeur l’auroit fait adjourner en ladite demande de retrait
Item et pour plus amplement monstrer que ledit deffendeur n’auroit jamais jusques à présent entendu opter ledit lieu de la Saulaye le mariage faisant d’entre luy et ladite Marie de Soucelles sa femme il auroit déclaré et avoit esté convenu que ledit de Soucelles demeureroit pour pocesseur dudit lieu de la Saulaye, et de fait en a toujours jouy en prins les fruits sans ce que ledit deffendeur ne autre en ait jouy ne prins aucuns fruits, lesquels il demande et poursuit par acte à l’encontre dudit de Soucelles
Item et pour satisffaire par employement à la pocession prétandue par ledit deffendeur disant que ledit de Soucelles après le décès de ladite de Baif nommé tutrice vel curatorio (latin ?) auroit possédé ledit lieu de la Saullaye tels prétendue possession ne luy peult aine ne empescher ledit retrait par la coustume du pays d’Anjou article CCCCXXIX où il est escript que celuy qui a vendu ou aliéné demeure fermier ou detempteur des choses après qu’il a aliéné jaçoit qu’il ce soit ou nom de l’acquereur toutefois telle pocession ne seroit suffisante pour porter préjudice à autres tierces personnes et à semblable est garder es matières de retrait quant aultre pocession d’an et de jour

je vous mets ici l’article en question, tel que POCQUET DE LIVONNIERE l’a écrit et publié :

Item ou a ledit de Soucelles tousjours tenu et possédé ledit lieu de la Saullaye prins et perceu les fruits s’en est dit et porté dit et seigneur et pocesseur et pour tel tenu censé et réputé notoyrement et publicquement sans ce qu’il y ait eu mutation de pocesseur par quoy plusieurs par ladite coustume et loy municipalle du pays que telle prétendue ficte pocession ne peult servir audit deffendeur laquelle coustume est conforme au droict (plusieurs lignes en latin jusqu’à « non videtur »)
Item à ce que ledit deffendeur dit que lesdits myneurs au nom desquels ledit demandeur demande ledit retrait n’estoient nez (suivent 7 mots en latin) et suffist qu’ils aient esté nez lors et au temps que droit de retrait leur a esté acquis voire jusques au dedans l’an que ledit de Soucelles dellesseroit à posséder
Item aussi ne millite ce que ledit deffendeur a fait escripre qu’ils ne sont recepvables par ce qu’il dit que le contrat d’alliénation est passé auparavant trante ans par ce que telle prétendue prescription a lieu (latin) car droit de retrait a esté acquis aux lignagers sinon depuys ung an ença que ledit deffendeur a opté ledit lieu de la Saullaye et auroit tousjours esté en son option de prendre ledit lieu ou les acquests faits durant et constant le mariage d’entre ledit de Soucelles et ladite feue de Baif et se n’auroit couru le temps qu’à non (beaucoup de latin encore)
Item secundo n’a couru aucun temps contre lesdits myneurs et que ledit de Soucelles leur père puissoit et a tousjours jouy et encores fait, qui faisoit qu’il en présume qu’il en estoit tousjours seigneur laquelle pocession a tousjours conservé lesdits myneurs sy tant … que s’il eust possédé par … aurois dedans l’an et le jour qu’il en auroit perdu la pocession ils seroient receuz à avoir ledit droit par retrait selon droit et la coustume du pays dessus alléguée
Item et par ce s’ensuit que ledit demandeur audit nom est bien fondé à demandet et auroit par retrait lesdites choses selon sa conclusion par luy prinse par ses escriptures principalles
Item et pour plus amples addicions employs ledit demandeur ce qu’il a escript par ses escriptures principalles joint ce que la noble discretion de … supployer et adjouster.

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