Tissier en toile, filassier , pour le lin et le chanvre – Sarger, sergier, serger pour la laine

Contrats d’apprentissage

C’est fou ce que la lecture (que dis-je la retranscription et frappe, seule méthode que j’utilise, car la lecture pourrait être en diagonale) des contrats d’apprentissage donne d’indications sociales et de détails des modes de vie. Je sais, j’ai la manie de prendre chaque mot pour une merveille, mais si je suis si émerveillée dans les notaires depuis plus de 15 ans, c’est que j’y ai lu beaucoup de petits détails qui nous restituent la vie autrefois, et qui sont à mes yeux de grandes informations.

Nous avions vu le cardeur, artisan travaillant la laine, et capable de faire un matelas, ce que je découvrais moi-même, car j’avais sous-estimé cet artisan auparavant.

Cette fois je vous emmêne au travail du lin et du chanvre, car le Haut-Anjou est pays de culture du lin et du chanvre sous l’Ancien Régime.
Le lin, plus noble donne un fil plus fin que le chanvre. Après la récolte, il y a d’abord le rouissage en rivière, mais il semble que cette phase ne soit pas toujours effectuée : on laissait parfois sur le pré. Une fois les parties dures ramolies, on passe à la braie ou broie.

Puis les filassiers (appelés aussi poupeliers en Anjou) en prépare la filasse mise en poupées, qui sera ensuite filée par toute la population.
Le filassier, aliàs poupelier, travaille à la journée, à l’extérieur, et comme tout journalier, il a des journées sans travail de filassier. C’est ce qui ressort du contrat d’apprentissage.
En fait il se déplace chez ceux à qui appartient la récolte. Or, la récolte appartient pour moitié à l’exploitant pour moitié au propriétaire, et certains propriétaires ont de véritables entrepôts. Le filassier n’est propriétaire d’aucune filasse, seulement un journalier. C’est selon moi, le plus bas échelon du travail du lin et du chanvre.

Selon Jocelyne Dloussky, dans son ouvrage « Vive la toile« , p. 26, le filassier ne lave pas toujours avec la méthode à l’eau et aux cendres, dite lessive, qui blanchit mieux le fil que les stratagèmes tels que le lait, le savon et l’indigo. Attention ce billet n’aborde pas le travail en blanchisserie, qu’on rencontre à Château-Gontier, Laval… qu’on pourra voir plus tard.

Ensuite, tout le monde file, partout, homme comme femme, et je dirais même dans beaucoup de milieux : dans les inventaires après décès, je suis surprise de trouver le rouet et le travaouil un peu chez tout le monde. Il n’y avait pas la télé, Internet et les SMS pour perdre son temps ! Alors il fallait bien s’occuper.
Le fil produit par chaque famille sera ensuite acheté par les marchands de fil, passant chez chacun, qui iront vendre à la foire de Craon, le fil qui partira à Laval ou chez des tissiers plus proches du Haut-Anjou. Je vous ferai ces marchands de fil une autre fois, car les inventaires après décès montrent leur fortune et leur mode de vie : il existe tous les échelons de fortune, et au sommet de cette pyramide, voir l’étude de Jocelyne Dlouskky citée plus haut, de la famille Duchemin, à la fortune considérable. Donc aujourd’hui, j’étais dans le bas de la pyramide sociale.

Le chanvre servira en partie à faire des essuie-mains, draps grossiers etc… partie à faire les cordes, à Angers surtout…

Le contrat d’apprentissage de Jean Dumesnil pour devenir tissier en toile, précise que son maître devra lui fournir « un pourpoint de toile, haut de chausse de meslin, bas de chausse de toile et une paire de choulier ». Le haut de chausse est l’ancêtre de la culotte. Il couvrait les hommes de la taille au genou, mais je ne pense pas que ce soit dans ce cas la culotte bouffante, courte, qui nous est familière avec les images connues d’Henri IV. Je m’imagine plus une sorte de bermuda (excusez la pauvreté de mes images), mais c’est ainsi que j’imagine mon apprenti, en pantacourt.

Le meslin ou meslinge est un produit local, qui est une toile mi-linge, toile intermédiaire entre la toile fine et la grosse toile. Ne m’en demandez pas plus et tant pis pour moi aussi si je ne comprends pas à quoi cela ressemblait.
La paire de choulier, vous avez compris, donc je passe.
Reste le pourpoint, qui est la veste courte, serrée, et arrivant à la taille. Une chose est certaine, il s’agit d’un costume d’été, car les deux éléments (le pourpoint et le haut de chausse) sont en toile. Une chose est certaine cependant, pas de sous-vêtement à cette époque, surtout dans ce milieu. On portait tout à même la peau, et ce qu’on a appelé chemise, lorsqu’elle existait car je la trouve peu dans les inventaires, était souvent en chanvre, et dure à la peau. Ouille ! (désolée mais il n’y a pas d’autre expression à cette idée, qui n’effraie moi-même).

Merci à Françoise pour cet essuie-mains de chanvre, datant de plus de 100 ans et toujours là (qu’en sera-t-il dans 100 ans des fabrications d’aujourd’hui, sans doute rien, même dans les musées). J’ai laissé la photo détaillée afin que vous puissiez voir le grain épais. Je peux aussi vous mettre un drap, qui est dans mon armoire, mais il faudrait un grand écran…

Et le sarger me direz-vous ? J’ai deux contrats d’apprentissage, mais je ne peux les mettre sur la page de la toile, car la serge, qui était le tissu le plus solide qui existe, était fait de laine (enfin, pour d’autres on en a fait de soie, mais je suppose que les sargers du Haut-Anjou, travaillaient la laine). Ce sont des tissiers en serge de laine…

Vous en avez assez de l’apprentissage, vous avez raison, vous saurez que ma page se mettra peu à peu à jour et qu’elle existe, et si vous avez des contrats vous-même, merci de coopérer, je vous citerai. Demain, nous voyons encore des documents rencontrés avant le contrat de mariage. Devinez lesquels ? Pour vous mettre sur la voie, souvenez vous que papa maman n’avaient pas la vie bien longue…

Odile Halbert – Reproduction interdite sur autre endroit d’Internet Merci d’en discuter sur ce blog et non aller en discuter dans mon dos sur un forum ou autre blog.

4 réponses sur “Tissier en toile, filassier , pour le lin et le chanvre – Sarger, sergier, serger pour la laine

  1. Report des commentaires parus sur mon ancien blog :
    Marie-Laure, le 17 février : Absolument passionnant ,d’autant plus que très éclairant sur les professions de certains de mes ancêtres ,grand Merci.
    Ils devaient avoir « la peau dure » dans le passé ,et les chemises de crin des pénitents étaient encore plus rudes, pire que du papier émeri…

    Elisabeth, le 17 février : Le filage était bien souvent, dans le monde rural, un complément de revenu, conséquence presque nécessaire de la pauvreté de la classe rurale. Cela s’entend notamment pour la Bretagne, le Maine et le Perche (cf Sée. H et Musset R)
    Pour information, il y a à Ambrières les Vallées – 53 – (mais ce n’est pas le Haut-Anjou !) un musée des tisserands où l’on présente l’ensemble des activités liées à la culture et la transformation du chanvre.
    La devinette du jour ? Un acte d’éducation, un acte de pention, la nomination d’un curateur ?
    Note d’Odile : Merci pour votre musée. En Anjou nous avons Saint-Laurent-de-la-Plaine avec les Vieux métiers, et surtout Cholet. Ils ont cette toile de chanvre, mais c’était pour la montrer, venant de nos armoises personnelles, et, mon blog est lu à l’étranger, alors je pense à ceux qui sont au loin… comme Marie-Laure. Pour le complément de revenus, Joselyne Dloussky dit la même chose dans Vive la Toile. Personnellement, je ne suis pas si certaine, car les revenus du fil profitaient surtout aux intermédiaires : c’était même une voie d’ascencion sociale. Les inventaires après décès, les généalogies réalisées, et les partages de biens l’attestent… J’en reparlerai un de ces jours. Pour la devinette vous brûler, et même beaucoup. On voit que vous êtes une pro, mon billet est lu par beaucoup de non-pros, ravis de ce qu’ils découvrent.

    Nicole, le 24 février : Merci pour votre travail sur ces métiers que beaucoup de mes ancêtres en Anjou ont exercés, filassier , sarget, tissier ou tailleur d’habits, grâce à votre travail remarquable, sur ce blog ou sur votre site, je les vois revivre avec beaucoup de joie.
    Cordialement

  2. Bonjour ! j’en suis venu a votre article en retraçant la généalogie mon ancêtre, du ROCHER mace, Tissier en toile, marié à Saint Christophe-du-Bois au alentour de 1680 avec Renée DURAND. Saint Christophe-du-Bois étant non loin de Cholet.
    Pour poursuivre ma généalogie, je tente de cerner, comment il vivait de son métier, son statut social, son quotidien, savoir par exemple si pour exercer son métier de Tissier sur toile, il avait besoin d’un acte quelconque, etc., ce qui me permettra peut être de remonter dans le temps plus en avant.
    Merci d’enrichir ma connaissance !

      Réponse d’Odile :

    Après toutes ces nombreuses années passées dans les archives notariales, je pense que ce métier n’avait besoin d’aucun acte pour excercer son métier, si ce n’est un évenetuek contrat d’apprentissage, mais encore faut-il trouver s’il existe encore, et chez quel notaire, si celui-ci a déposé ses archives et si elles existent encore.
    Le contrat d’apprentissage de tissier est rare, car dans la majorité des cas, cela se transmettait en famille, de père en fls.
    Pour les autres actes de ce métier, il n’y avait jamais de contrat, et l’achat de fil et la vente des toiles était de gré à gré sur les marchés locaux ou sur place, avec des marchands intérmédiaires, qui passaient et traitaient directement sans aucune trace écrite.
    Bonne journée à vous
    Odile
    PS : seuls dans le cas de ce métier, une éventuelle succession, ou acquisition immobilière pourrait être trouvée, encore faut-il trouver le notaire.

  3. Un grand merci pour votre réponse qui apporte un éclairage au  »Graal » familial de ma famille DUROCHER. Déjà, en  »dévorant » votre site (digne d’un historien ès-généalogie), je cerne mieux les conditions de vie de Mace Du Rocher, résident dans les années 1630 à Saint Christophe-du-bois.
    En lisant votre commentaire, je me pose une nouvelle question (peut être incongrue) : dois-je poursuivre mes recherches dans les archives de la Rochelle qui était l’ancien diocèse de Saint Christophe-du-Bois ? En fait, ma question est ; connaissez-vous personnellement ses archives de la Rochelle ?
    Une nouvelle fois merci pour votre disponibilité et le travail considérable (et précieux) qui invite au respect.
    Très cordialement, Christian Durocher

  4. Bonjour
    Je suis désolée mais je n’ai aucune compétence aux Archives des La Rochelle.
    Bonne journée, enfin ensoleillée.
    Odile

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