Grève des cochers, Nantes 1893

LA GRÈVE DES COCHERS (Le Phare de la Loire, 10 mai 1893)

Il y a une dizaine de jours, les cochers de fiacre étaient convoqués au café Cambronne pour y fonder le syndicat des cochers.
Bien que le nombre des cochers présents ne fût pas important, le syndicat fut fondé. Des adhésions arrivèrent et depuis quelques jours le syndicat fonctionne.
Un des premiers actes du syndicat a été la révision des règlements et tarifs concernant les cochers de remises, car il faut remarquer que les cochers de place sont en dehors du mouvement.
Les maisons de remises ne sont pas nombreuses à Nantes, mais il y en a comme celle de MM. Cobigo et Lumineau et de M. Fortun qui occupent quarante cochers.
Il ne faut pas croire, par suite de cela, que les grévistes sont nombreux. Il y en a une cinquantaine tout au plus, car dans chacune des maisons de remises, il est resté un certain nombre d’ouvriers fidèles qui, pour aujourd’hui, suffisent aux besoins du service.
Les grévistes ont compté, en commençant le chômage aujourd’hui, arriver à une solution rapide, car pour les jours des courses il y a toujours une surcharge de travail. Mais certains patrons nous ont assuré que la grève ne les gênéra pas outre mesure et qu’en prenant leurs mesures ils pourront satisfaire aux exigences de leurs clients.
Quoi qu’il en soit, voici ce que réclament les cochers :

  1. La suppression des amendes et des mises à pied ;
  2. Le port libre de la moustache ;
  3. Un iour de congé par mois, ce jour payé par le patron.
  4. Un roulement de courses établi par l’ordre de l’arrivée du cocher au bureau.
  5. Porter les appointements à 50 francs par mois avec la nourriture ou à 90 francs pour les cochers se nourrissant eux-mêmes.
  6. Pour les déplacements, 2 fr. pour un repas ; 4 fr. pour deux et 5 francs quand ils couchent hors ville.

7* Enfin affichage du tarif municipal dans toutes les voitures.

Il convient de dire que les cochers n’ont actuellement que 30 francs par mois avec la nourriture. Ils disent que cela est insuffisant pour faire vivre leur famille et qu’ils préfèrent, pour ceux mariés, une somme de 90 francs qui serait beaucoup plus profitable avec la vie en famille.
Les cochers ajoutent à leurs revendications qu’il est vrai qu’ils reçoivent des pourboires, mais cela ne saurait entrer en ligne de compte pour les appointements, car ils ne peuvent réclamer à des gens qui ne leur doivent rien.
Nous avons pris l’avis de quelques loueurs de voitures au sujet des réclamations de leurs ouvriers et voici les objections qu’ils font.
Sur le premier point, suppression des amendes et des mises à pied, ils répondent que les cochers n’ont qu’à faire leur devoir et à être à leurs postes, il n’y aura ni amende ni mise à pied. Ils n’emploient ces pénalités que pour ne pas congédier immédiatement un employé fautif.
Sur le deuxième point, port libre des moustaches, les patrons ne maintiennent cette mesure que dans un but de propreté et d’uniformité.
Le troisième point, un jour de congé, est à discuter entre les parties.
Sur le quatrième point, établissement du roulement de course dans l’ordre d’arrivée, les patrons répondent qu’ils sont les serviteurs des clients. A une personne qui demande un coupé, on ne peut donner une calèche ; à une personne qui demande une voiture propre, on ne peut en donner une vieille ; de même pour les voitures basses et élevées. Or, dans l’intérêt de la conservation et de l’entretien du matériel, chaque cocher a sa voiture attitrée et on ne fait de changement que dans des circonstances particulières.
Il y a aussi des clients qui demandent tel ou tel cocher.
En présence de ces considérations, les patrons déclarent ne pouvoir faire droit à cette demande.
Sur le cinquième point, divisé en deux parties, les patrons trouvent la demande exagérée. Pour la seconde partie, concernant les cochers mariés, deux objections sont faites. La première est que, du moment où on fait la cuisine pour vingt-cinq personnes, il ne coûte pas beaucoup plus de la faire pour quarante.
La seconde objection est que si les cochers se nourrissent eux-mêmes, les patrons ne les ont pas sous la main.
Sur le sixième point, le paiement des repas pendant les déplacements, les patrons refusent catégoriquement, car la réclamation est inutile.
En effet, quand les cochers vont à la campagne, ils s’arrêtent soit dans des propriétés où ils sont nourris, et il serait alors injuste de faire payer les repas aux clients, soit dans des hôtels, et dans ce cas les patrons paient les repas sur présentation de la note de l’hôtel. Les clients le savent, puisqu’avant de faire un prix, le loueur demande qui nourrira le cocher, et, si c’est la maison, la note du client est augmentée d’autant.
Si les patrons acceptaient la demande des cochers, ils pensent que les clients en souffriraient, car ils paieraient deux fois les repas.
Enfin, sur le dernier point, les patrons ne font aucune objection.
Nous avons tenu à exposer les demandes des cochers et les réponses des patrons, sans prendre aucun parti dans le débat, car la question pendante est d’administration interne.

 

A Couëron
— Voici le texte de l’affiche que M. le maire de Couëron a fait placarder sur les murs de la ville.
Mes chers concitoyens. — M’inspirant uniquement de vos intérêts, qui me sont chers, je VOUS adjure de reprendre demain votre travail. Cette attitude de votre part faciliterait beaucoup, j’en suis persuadé, l’entente avec la Société des fonderies, et éviterait la fermeture des ateliers, dont vous seriez les premiers à souffrir. Toute ma sollicitude vous est acquise ; mais je vous demande, surtout, dans les résolutions à prendre, de ne vous inspirer que de vous-mêmes, de savoir résister aux théories souvent trompeuses que des étrangers à notre ville pourraient vous donner comme la vérité même. Reprenez donc le travail avec confiance sans vous laisser intimider. La municipalité s’engage à protéger efficacement la liberté du travail. Travailleurs ! je compte sur votre sagesse pour hâter la solution d’une crise préjudiciable à tous.

En mairie, à Couëron, le 7 mai 1893. Le maire de Couëron,

Marcel DE LA PROVOTÉ.

D’autre part, notre correspondant de Couëron nous écrit, lundi, 8 mai :

Nos grévistes ont droit à toutes les félicita¬tions des honnêtes gens pour le calme dont ils n’ont cessé de faire preuve.

Les ouvriers rendent également justice à l’at-titude conciliante du maire et de M. Robert, le sympathique directeur de l’usine.

Ce matin, à 6 heures, une entente étant sur-venue entre le directeur et les grévistes, ceux-ci ont repris le travail. La rentrée dans les ateliers s’est effectuée sans aucun incident.

La grève est donc complètement terminée. — Disons, à ce propos, que, ce matin, est arrivé aux estacades des usines de Couëron, le Jason, steamer anglais, chargé de 800 tonnes de plomb.

Un autre correspondant de Couëron nous donne quelques détails sur les conditions de la rentrée :

Les ouvriers en cuivre, tréfilerie, laminoirs, etc., rentrent aux mêmes conditions. Cependant, ils ont obtenu plusieurs améliorations, telles que la paie régulière tous les quinze jours, qui avait lieu toutes les trois semaines lorsque le 15 ou la fin du mois se trouvait trop près du dimanche.

  1. le directeur leur a promis, en outre, de faire son possible pour obtenir une heure et demie au lieu d’une heure qu’ils ont actuellement pour le repas de onze heures ; diverses améliorations intérieures, etc.

Nous recevons la lettre suivante : Monsieur le Directeur. — J’ai l’honneur de vous informer que l’Association amicale des tapissiers-décorateurs organise une grande kermesse pour le dimanche 11 courant, jour de la Pentecôte, sur le cours de la Republique, avec le concours d’une musique de la ville, d’artistes Nantais et Parisiens. De nombreuses attractions y seront installées, L’Association organise aussi un grand concours de tir à la carabine sous le patronage de la Société de tir de France et d’Algérie, avec des prix très sérieux, lesquels seront exposés, à partir du dimanche 4 courant, chez M. Paul-Renaud, photographe, rue Guépin. Un café-chantant y sera également installé ; les meilleurs amateurs nantais et parisiens s’y feront entendre ; puis, pour clôturer la fête, grande bataille de fleurs.

Veuillez agréer, etc. — Paul PELTIER, président de l’Association.