Reconstruction du moulin de Saint-Ayoul brûlé pendant les guerres de religion, Provins 1598

Introduction

Provins a tant de patrimoine que le moulin de Saint-Ayoul, moins important, reste peu étudié. Il appartenait au couvent du même nom. L’acte notarié qui suit nous apprend que ce couvent avait droit de quête dans la ville, mais nous apprend aussi que le couvent n’a pas eu les moyens financiers de reconstruire le moulin brûlé pendant les guerres de religion.

Le moulin de Saint-Ayoul brûlé en 1567

Dans ses Mémoires, Claude Haton relate qu’en 1567 « le prince de Condé menace  d’envahir Provins en passant par la rivère Voulzie, le monastère des dames Cordelières et la porte de Culouson. Pour lequel empescher, ledit sieur de la Rivière envoya nombre de harquebusiers, tant de la garnison que des habitans, chargés de deffendre le lieu ; puis, après avoir meurement pensé à son affaire, pour saulver lesdits soldats et habitans, leur commanda d’y mettre le feu, la nuict que ledit prince y devboit aller pour se camper, ce qu’ils firent, comme aussi ès maisons et chapelle de l’Hospitail, et la Folie tout joignant le petit hameau de Fontaine-Riant. Il feit pareillement mettre le feu au moulin de St-Ayoul, tout joygnant les murailles du Pont-qui-Pleut, dedans lequel il avait ordonné une compagnie de harquebusiers. »
Ce prince de Condé est Louis Ier de Bourbon, aussi duc d’Enghien (Vendôme, 7 mai 1530 – Jarnac, 13 mars 1569), principal chef protestant pendant les premières guerres de Religion, assassiné à Jarnac.

La reconstruction du moulin Saint-Ayoul en 1595

Le moulin brûlé en 1567 attendit la fin des troubles et c’est en 1595 que le couvent Saint-Ayoul n’ayant pas les moyens de le reconstruire le baille à cet effet au lieutenant général Valentin Regnard. Le coût de la reconstruction est de 500 écus, et il finance cette somme par des prêts sous forme qu’on appelait alors des constitutions de rente, et on dirait de nos jour obligations. Parmi ces prêts, je trouve un FAUCHON, et c’est la première fois que le nom apparaît dans les archives des notaires après tant de recherches, mais il s’agit ici d’un oncle des miens et de sa seconde femme Nicole Saulsoy.
Mais la reconstruction du moulin par Valentin Regnard ne plaît pas à tout le monde et il s’est fait des ennemis à Provins, et devant les oppositions il demande au couvent de reprendre le moulin. Le couvent n’en a pas les moyens mais doit s’engager à rembourser,  et le but de l’acte qui suit est bien de protéger Valentin Regnard pour les remboursements.

le droit de quête dans la ville

Le couvent avait cédé en 1595 son droit de quête dans la ville. J’apprends ainsi que les religieux avaient droit d’aller à travers les rues quêter, ce que j’ignorais. Mais certains Provinois vont manifestement détester voir ce droit aux mains de Valentin Regnard.
De nos jours, certes la quête n’est pas dans les rues, mais on peut y voir parfois des personnes assises par terrre quémandant l’aumône… pour eux.

Le moulin de Saint-Ayoul retourne au couvent en 1598

La transaction est longue et l’acte fait plusieurs pages donc j’affiche la première et je mets des liens vers les suivantes, si vous avez envie de les télécharger.

vue n°2vue n°3vue n°4

AD77-1057E424 Jacques Delanoe notaire à Provins – 1598.07.20 vue 225 – Me Anthoine Caillot procureur à Provins au nom et comme procureur de Me Leon Moutin prieur du prieuré monsieur sainct Ayoul de Provins sufisamment fondé de lettres de procuration vallant pour l’effet cy après déclaré passées par devant Herbin et Pastet notaires du roy notre sire au chastelet de Paris datées du 16e jour du présent mois et an dont de laquelle coppie sera escripte en fin de ces présentes, et les religieulx dudit prieuré par discrettes personnes frères Jehan Thienot thesorier, Pierre Branchu aulmosnier, Canrens Marchant chantre et Claude Gauffre profes dudit prieuré capitulairement agrégés et assemblés au son de la cloche à la manière accoutumée pour traiter et adviser des affaires dudit prieuré et couvent, disans que par l’acte de fondation dudit prieuré leur appartient ung moulin sis près et hors la muraille de ceste ville de Provins appelé le moulin de St Ayoul, lequel durant les troubles auroit esté ruyné et démoly pour la déffense de ceste dite ville tellement qu’il ne seroit demeuré que la place qu’ils auroient rebaillée pour le profit et utilité dudit prieuré à vies et années avec droict de queste en la ville de Provins par les clercs mariés et non mariés à noble homme Me Valentin Regnard conseiller du roy lieutenant général au baillage et siège présidial de Provins à la charge de rebastir et réédiffier à neuf et le rendre en bon et suffisant estat tournant travaillant et faisant farine et de payer chacun an audit prieuré et couvent 3 muids (f°2) de bled froment et mestail ainsi que apert par ledit bail en date du (blanc) febvrier 1595 suivant lequel bail et fournissant à pareil par ledit Regnard qui auroit réédiffié et rebasty de neuf ledit moulin bien et deument et l’auroit rendu tournant travaillant poursuivant sondit bail, mais seroit advenu qu’il auroit esté tenu en deffense de quester en la ville en vertu de commission obtenue de messieurs du trésor à Paris à la poursuite des fermiers des moulins de ladite ville de Provins tellement qu’il n’auroit peu jouyr dudit droit de queste, ce qu’il auroit dénoncé auxdits religieux prieur et couvent lesquels ne pouvant si tost renoncer à leurs tiltres, présoustenir ledit droit de queste et garantir ledit sieur lieutenant, auroient esté contraints reprendre à eulx ledit moulin et composer avec luy tant pour les bastiments qu’il auroit fait audit moulin que pour les dommages et intérests qu’il eust peu avoir et demander auxdits religieux faulte de garantie dudit droit de queste, et de fait après avoir esté à ce fait condempnez auroient dénommés des gens pour estimer lesdits bastiments francs loyaulx qui en auroient fait prisée et estimation à la somme de 500 escuz sol, pour le payement de laquelle somme et pour le remboursement que demandoit ledit sieur lieutenant des cens rentes 3 escuz ung tiers par luy desboursés tant aux héritiers de feu Anthoine Gaulthier paravant prieur dudit moulin suyvant la transaction faite entre eulx et ledit sieur, que pour les deniers que ledit prieur estoit tenu fournir au roy pour l’aliénation du butin des ecluses que lesdits religieux prieur et couvent se sont trouvés (f°3) redevables de la somme de 633 escuz ung tiers pour laquelle ils se seroient obligés payer en l’acquit dudit sieur Regnard à Me Loys Fauchon et dame Nicole Saulsoy sa femme auparavant veuve de feu Me Jehan Lecourt 16 escuz deux tiers de rente constituée rachaptable de 200 escuz, item 8 escuz ung tiers de rente constituée au proffit de la veuve Jehan Froment moyennant 100 escuz, item 4 escuz 10 sols tz de rente envers la veuve et héritiers feu Me Jehan Truffe icelles rentes rachepter et estaindre pendant 2 ans et luy rendre ou faire rendre les contrats quittances de payement d’icelles rentes et le surplus montant à 283 escuz 20 sols se seront lesdits religieux obligés payer audit sieur Regnard 133 escuz ung tiers au jour de St Martin d’hiver ensuivant ledit contrat et le reste montant à 150 escuz n’ayant moyen de les fournir auroient assis et assigné audit sieur Regnard 12 escuz 12 sols de rente avec promesse de la rachapter pendant ledit temps de 2 ans … auroient accordé audit sieur Regnard que luy feust permis de les contraindre au rachapt desdites rentes ou se remettre en la jouissance dudit moulin ainsi que par contrat de ce fait et passé soubs les sceaulx de la prévosté de Provins le 6 octobre 1595 par devant Jacques Delanoe notaire

 

 

 

Empochée en 1944 à Guérande, j’ai connu le rat

Introduction

Née en 1938 j’ai beaucoup de souvenirs de la guerre. Souvent ce sont des images gravées dans ma mémoire, et je viens vous livrer une image qui me hante toujours quand j’entends les nouvelles, de Gaza et autres lieux de guerre affamante…

rue Saint Michel à Guérande en 1944

Au premier étage de la maison Fagault à l’angle de la Saint-Michel et la rue de la Juiverie, c’était les Allemands, et nous vivions tous au second. Pour mémoire, la poche était une zone où les Allemands s’étaient retirés, et les alliés tentaient de les affamer tandis que les civils Français de cette zone subissaient le manque de nourriture, d’où ensuite l’extraction de civils et les trains de libération dont je vous ai parlé.
La maison Fagault était une épicerie quincaillerie en gros et disposait d’entrepôts derrière la maison, de personnel, environ une vingtaine. Ma maman avait alors 5 enfants dont j’étais l’aînée, et face au manque de nourriture, elle fut généreusement assistée du personnel, trouvant ça et là du lait, des biscuits, et même cette viande dont je viens vous parler…

l’immense boîte de biscuits

Couleur métal brut, sans décors, elle mesurait au moins 30 x 30 cm cubique, et contenait certainement 4 à 5 kg de biscuits. Je viens ce jour de demander à l’IA cette boîte, mais malheureusement l’IA a oublié et ne connaît plus que les petites boîtes métaliques fantaisies joliement décorées qui n’ont strictement rien à voir avec la tine de guerre. Donc, je me souviens avoir mangé des biscuits. C’étaient des biscuits secs sans chocolat ou autre douceur et ma mémoire ne peut dire s’ils étaient LU ou BN. Certes la Biscuiterie Nantaise était autorisée pour livrer en particulier les écoles … , mais il est probable que c’étaient LU, car je me souviens fort bien avoir pris le temps de compter les dents de chaque côté donc c’étaient des Petit Beurre LU. C’était merveilleux de manger ces biscuits ! D’ailleurs les adultes ne manquaient pas de nous signaler que c’était exceptionnel !!! et que nous devions nous réjouir de les manger !

madame de la viande !

J’étais sur le pallier du second quand cela s’est passé, et j’ai bien vu cette femme monter tenant à la main droite une immense queue et au bout un animal pendait.
Arrivée sur le pallier, elle se mit à hurler, sur le mode « cris de joie » :
Madame de la viande !
L’image de ce rat est restée gravée en moi ! C’était aussi gros pour moi qu’un lapin et pas du tout la taille d’une souris ! Bref, un animal impressionnant !
A la mémoire de ce rat de mon enfance, et surtout de ma maman qui fit face cette année là à si peu de nourriture pour élever 5 enfants si petits !

 

 

 

 

23 octobre 1944 : premier train d’évacuation des civils de la poche de Saint-Nazaire.

introduction

J’ai publié sur ce blog ce billet le 23 octobre 2017 mais ces jours-ci nous commémorons le 80ème anniversaire de la libération, donc je le remets de jour cer il est ma mémoire de cet instant que j’ai vécu, de cette libération de ma famille extraite de la poche de Saint-Nazaire.

Nous les empochés de la poche de Saint Nazaire

Nous étions 120 000 civils (130 000 selon les sources) « empochés » dans la poche de Saint-Nazaire !
En septembre 1944, je suis dans le premier train d’évacuation que les Américains ont négocié avec les Allemands.
Je suis partie de Guérande avec plus de 196 autres civils, dont je vous mets la liste, et sans doute y étiez vous aussi ? Votre mémoire sera la bienvenue, vous pouvez mettre un commentaire au dessous de ce billet (cliquez sur le titre pour y avoir éccès)
Je n’ai pas le droit de vous mettre les dates de naissance et j’ai donc seulement le droit de vous communiquer l’âge moyen : 23 ans. Ce qui signifie beaucoup d’enfants, et même de bébés, car parmi les évacués 7 personnes de plus 60 ans.

Contrairement à ce que prétendent certaines sources, ce ne sont pas que des femmes et des enfants, car de Guérande il est parti ce jour-là autant d’hommes que de femmes ! J’en ai la preuve à travers la liste dactylographiée vue aux Archives de la ville de Guérande.

Dans ma mémoire, je ne vois que des bras tendus par les fenêtres, et le film de l’INA qui suit, vous montre ces bras tendus. Il faut préciser qu’à l’époque les fenêtres des trains étaient ouvrables. Mais ce que ne montre pas le film INA ce sont les milliers d’embrassades qui suivirent ces bras tendus. Notre joie n’avait pas de limites ! Tout le monde s’embrassait ! Tel est mon souvenir !

Pour mémoire, voici depuis les bombardements de Nantes mon long parcours :

Nantes sous les bombes alliées – Une histoire oubliée de la France en guerre Et là, sous Youtube, vous avez tous les films sur le sujet proche.

Poche de Saint-Nazaire par Michel Alexandre Gautier

https://fr.wikipedia.org/wiki/Poche_de_Saint-Nazaire Qui prétend par erreur que nous sommes femmes et enfants évacués.

http://www.ina.fr/histoire-et-conflits/seconde-guerre-mondiale/video/AFE86002955/arrivee-du-premier-convoi-d-evacues-francais-de-saint-nazaire.fr.html

Voici la liste des évacués de Guérande le 23 octobre 1944, et mon analyse, car contrairement à ce qu’on raconte, ce ne sont pas que des femmes et des enfants, et il y a autant d’hommes et même un bon nombre en âge de travailler.

Et tous ne sont pas des évacués, car les Allemands ont demandé au maire de faire sortir certains Guérandais de la poche en voici un exemple dont j’ai biffé le nom.

Si vous avez des réponses à mes questions, merci de me faire signe :
Comment avons-nous été conduits de Guérande à la gare du Pouliguen prendre ce train ???
Comment avons-nous été conduits au Lycée Clémenceau, depuis la gare de Chantenay ???

Organisation de la population en cas d’alarme, Provins 1652 Fauchon apothicaire tiendra un commandement

introduction

Mes ascendants FAUCHON étaient apothicaires de 1554 à 1729 dans la maison touchant l’Hôtel-Dieu de Provins. Provins était une ville qui possédait non seulement des remparts, mais aussi une organisation paramilitaire de toute la population en cas de dangers. Mon ancêtre Louis Fauchon, l’époux de Louise Charpentier, apothicaire donc près de l’hôtel-Dieu, avait sa place dans le commandement en cas d’alarme, et voici ci-dessous les consignes qu’il a reçues pour agir en cas d’alarme. Je suppose que les alarmes étaient sonnées aux clochers ce qui était certainement plus rapide pour toute la population.

retranscription

Cet acte est aux Archives Départementales de Seine-et-Marne, AD77-1056E523 de Choisy notaire

Le 12 juin 1652 – Monsieur Faulchon apothicaire à Provins commandera en cas d’alarme les caporaux des quatre unze et douze dixainiers qui sont Charles Hevin, Nicolas François et Charles Lhermitte avec lesquels et toutes les personnes de leur dixainiers capables de porter les armes il se rendra audit cas d’alarme à la porte des Bordes ou y recevoir les ordres qui lui seront par nous ou de nostre part donnez ou envoyez et en son absence le premier desdits caporaux sera la charge et commandera et enjoint à tous les habitans desdits dixainiers de leurs obéir sur peyne de telle amande ou punition qu’au cas appartiendra en tesmoin de quoy nous capitaine au quartier de Sangy soubzsigné avons signé ces présentes de nostre main. Signé Langlois.

 

 

Un marinier issu de Chouzé-sur-Loire (37) installé à Nantes, est enrôlé par Fouquet en 1793 pour les noyades

Introduction

Chouzé-sur-Loire garde le souvenir des mariniers de Loire à travers un musée et une association.

L’un d’eux s’installa avant la Révolution marinier quai du Port Maillard à Nantes sur la Loire. Hélàs, la Révolution allait survenir, et le tristement célèbre Fouquet sévir à Nantes. Il embrigada de force des mariniers pour les noyades et les enterrements. L’un de ces mariniers a témoigné pour l’histoire et donne le nom de quelques compagnons, ainsi, on retrouve René Audineau de Chouzé-sur-Loire. Voici donc la terrible besogne que ce malheureux marinier fut contraint d’exécuter.

enrôlé par Fouquet

« Que pour la quatrième noyade, à laquelle le déclarant a encore participé, il a été sommé par les mêmes que devant, peu de jours après ; qu’ils étaient à peu près huit mariniers, qu’ils reçurent dans un bateau environ trois cents hommes, femmes et enfants venant desdites galiotes ; que cette noyade, commandée par Fouquet et ses satellites, eut lieu au même endroit que les précédentes, qu’à cette fois ils commencèrent par en descendre une trentaine toutes nues, mais que sur les fortes observations des mariniers, on leur donna ensuite des chemises, et que tous leurs autres effets restèrent dans le bâtiment ; que le lendemain les cadavres paraissant, ledit déclarant et autres reçurent ordre de Fouquet d’aller les enterrer, ce qu’ils firent au nombre d’environ trois cents cadavres ; que Fouquet avait promis dix livres par homme, pour chaque expédition, à la quatrième, et que ledit déclarant et autres étant allés chez lui pour recevoir ce qu’il venait de leur promettre, il avait tiré son sabre, couru dessus, et qu’ils s’étaient sauvés. Le déclarant indique pour témoins, René Audineau, François Bruneau, Louis Douffard et Pierre Renaume, ne connaissant pas les autres. » Mémoires et souvenirs sur la Révolution et l’Empire, publiés avec des documents inédits, par G. Lenotre. p.242 numérisé sur Gallica

les Audineau

les Audineau ne sont pas rares en Indre-et-Loire, et les miens en viennent sans doute, à une époque que l’on ne peut remonter.

Il a 70 ans, ma guerre d’Indochine

Oui, j’ai bien écrit « ma » guerre d’Indochine. Certes, je ne l’ai pas vécue en temps et en lieu, mais je viens vous conter comment elle est entrée dans ma vie.
Début des années 60, je commençais à travailler, mais au loin, faute de mieux. A l’époque 48 h/semaine, y compris le samedi matin, et pour revoir ma famille le train jusqu’à Paris, avec le changement de gare entre la gare de Lyon et Montparnasse, avec l’horrible changement de métro au Chatelet, et les interminables couloirs du métro de Montparnasse.
Donc, après la journée de travail et tout ce trajet, c’était une arrivée à Montparnasse vers 21 h pour le train de nuit qui partait vers 22 h et arrivait au Pouliguen à 6 h 30 le lendemain, là où ma famille m’attendait pour fêter les fiançailles d’une de me sœurs.
Le train d’époque, qui n’avait rien d’un TGV, avait des wagons à compartiments à 8 places et je n’avais aucune réservation. Après ma journée de travail, debout et assez prenante, mes nombreux trajets, j’arrive enfin à Montparnasse à 21 h et me précipite dans le train pour m’assoir et prendre enfin du repos. J’ouvre un compartiment et brusquement je suis happée par les épaules et la porte du compartiment se referme sur moi. Un homme jeune me jette face à lui le long de la fenêtre. J’entends « On m’a appris à tuer, je vais te tuer ! » tandis que mes yeux découvrent une sorte de couteau à lame à 3 faces, sur moi.
Et je vais entendre cela toute la nuit. Je ne serai libérée qu’à Saint-Nazaire, à 4 h 30 le lendemain matin. Car, par hasard, cette nuit là, personne n’a ouvert cette porte, pas même un contrôleur.
Arrivée dans ma famille, il n’était question que des fiançailles de ma soeur, et pas question de pigner, donc l’affaire resta inconnue de tous. J’ai cependant durant quelques décennies mis un couteau sur ma table de nuit et il était le garant de mon sommeil, car je n’ai jamais pris de somnifères et j’ai toujours bien dormi, si ce n’est que parfois, ceux qui dormaient dans la chambre voisine entendaient soudain un hurlement et effectivement je me réveillai en hurlant, mais sans aucun souvenir d’un quelconque rêve ou cauchemar, et je n’ai jamais rêvé dans ma vie, ou du moins je ne me souviens d’aucun rêve.
J’ai eu la chance exceptionnelle d’avoir 30 minutes d’entretien avec un autre ex militaire blessé psychiquement. Je travaillais aux Tréfileries du Havre à Montreuil-Belfroy, et un matin mon voisin de chambre, un Allemand qui venait parfois entretenir les machines, me rencontre et échange avec moi sur ses hurlements et les miens la nuit.   Jamais je n’oublierai cet extraordinaire échange avec un homme blessé par ce qu’il avait été contraint d’exécuter pendant la guerre.  Au passage je souligne ici que tous les Allemands n’étaient pas des tueurs volontaires, et ce témoignage que j’ai eu directement en est l’illustration. Je regrette seulement que la France ait tant tardé depuis des décennies à parler des blessures psychiques chez les militaires, tandis que les Américains parlèrent longuement dans les media de ces militaires blessés psychiquement au Vietman et parfois irrécupérables. Certes la France commence doucement à reconnaître l’existence de ces troubles.
Aujourd’hui, après avoir lu beaucoup d’ouvrages et de travaux de chercheurs sur les blessures psychiques, je comprends comment et pourquoi j’ai échappé cette nui là à plus grave.
Donc, à en croire tout ce que j’ai pu apprendre dans ces multiples ouvrages, j’ai eu, sans le savoir, le meilleur des réflexes, et je pense que cela était dû à mon éducation. Maman était restée seule avec ses 6 enfants, pas tous désirés, et elle aussi avait été psychiquement blessée. Je n’avais donc pas le droit de me plaindre. Alors, devant ce couteau et ces hurlements « je vais te tuer », j’ai eu, à ce que disent tous les psy, le meilleur réflexe. Au lieu de lui dire « calmez vous » etc… j’ai doucement offert à ce blessé psychique l’occasion de raconter sa blessure, et toute la nuit, je l’ai donc accompagné inconsciemment de ma part, racontant ce qu’il avait vécu, et je comprenais qu’il s’était engagé militaire et avait appris à tirer, mais qu’il n’avait jamais appris ni pris conscience qu’il vivrait le corps à corps au couteau, les yeux dans les yeux en pleine forêt, seul.
Aujourd’hui, en avril-mai 2024 nos média nous entraînent exceptionnellement dans l’histoire assez méconnue en France de la guerre d’Indochine. J’avoue seulement que je ne peux regarder à la télé ces documents, je ne le supporterai pas. J’ai dans mon coeur une guerre d’Indochine personnelle, à laquelle j’ai survécue, et qui me suffit.
Odile