Inventaire après décès d’un marchand vinaigrier à Laval, 1710, suite et fin

Cet article est la suite des jours précédents.

En 1958, alors étudiante en chimie, j’ai eu le privilège de visiter l’usine Cointreau, pur moment de régal du nez et des yeux, en particulier la salle des alambics de cuivre, impressionnante par ces faïences bleutées au mur et au sol, qui tranchaient sur le cuivre brillant, la dimension même de tous ces alambics, et enfin l’odeur … qu’on ne peut oublier tant c’est merveilleux.
Avec ce billet, qui fait suite aux 3 précédents nous terminons l’étude d’une vinaigrerie commencée il y a 3 jours avec le contrat d’apprentissage, l’achat d’un alambic, et l’inventaire des marchandises. Aujourd’hui, nous analysons les dettes actives (ce qui leur est dû) et passives (ce qu’ils doivent). Ces dettes reflètent toujours les mouvements de marchandises, donc l’activité de l’artisan ou du boutiquier :

Archives Départementales de la Mayenne 3E30-44
Debtes actives : Premier ont déclaré lesdits Lebreton et Corvaisier qu’il est debu à ladite communauté les sommes cy après savoir :

  • Par le Sr Leroyer de Suron 1 L 15 s
  • Par le Sr Ricoul marchand au bourg de Sacé, reste à payer sur une barrique d’eau de vie 70 L (nul doute que ce Ricoul est hôte et vend au détail, et au passage, on peut constater qu’une hôtellerie débite aussi l’eau de vie, à l’époque réceptionnée en barriques, puisque la bouteille de verre viendra plus tard)
  • Par la dame Huet de la Bazouge des Alleuz 4 L 4 s
  • Par le Sr Bourgonnière Gougeon 4 L 10 s
  • Par le Sr Maignen d’Argentré 1 L 7 s 6 d
  • Par le Sr Levesque de St Jean sur Maine 3 L 12 s
  • Par les pères Capucins de Laval 7 L 14 s
  • Par la nommée Cribier de St Pierre 16 s
  • Par le Sr Landais 9 L 19 s
  • Par le Sr Mézière de Suron 2 L 2 s

  • Touttes les susdites sommes deües pour eaües de vies vendües et livrées aux desusdits.

      Eh oui ! Même les pères Capucins achetaient de l’eau de vie ! et en fait de vinaigrerie, les clients doivent de l’eau de vie non encore payée… Notre vinaigrier avec droit de distiller, est donc manifestement plus distillateur que vinaigrier. Et vous avez bien vue que sont des eaues de vies, et non des eaux de vie, qui est écrit. Il est vrai qu’en buvant beaucoup de ce breuvage, on a surement plusieurs vies, à moins que ce ne soit un pluriel intempestif de mot composé, toujours délicat dans la langue française !.


    La rue du Pont de Mayenne (ci-dessous en 1905) devait sentir bon autrefois, parfumée de la distillation du cidre !

    Dettes passives : lesdits Lebreton et Corvaisier ont déclaré qu’il est deub par ladite communaulté

  • une demye année escheüe le premier jour du mois de may dernier de la ferme de la maison où ils sont demeurants 36 L
  • la deffunte veuve Lemercier qui demeuroit au bourg de Connerré auroit donné en garde ou depost audit deffunt Lablée la somme de 100 L dont il luy auroit donné son billet et que ladite somme est encore deüe à ses enfants et héritiers 100 L
  • au sieur Anceney de la Teste Noire pour une pippe de vinaigre 30 L (Maxime Anceney est hôte de la Tête Noire, et cette fourniture de vinaigre par l’hôte au vinaigrier est tout à fait surprenante. Maxime aurait-il fait lui même le vinaigre dans sa cave ? Il avait une grosse hôtellerie et un très fort débit de boissons, sur lequel nous reviendrons.)
  • au sieur Pinard marchand de vin pour une busse de vin 30 L (le vin et le cidre sont des productions locales, tout au plus venant du Haut-Anjou ou d’Angers – autrefois la vigne remontait très haut en France, même si le vin n’y était pas fameux – et comme le vin et le cidre étaient conservés en barriques, ils vieillissaient mal, et le vinaigrier se fournissait donc localement des ces produits abîmés)
  • au Sr Rozière marchand pour reste de vin et cildre 22 L
  • au Sr de la Grenotière aussi marchand pour vin qu’il leur a vendu 35 L
  • au Sr Gougeon de Bazougers pour marchandise de cildre 390 L
  • aux collecteurs de ladite paroisse St Vénérand de la présente année, deub de reste sur la taille 2 L 10 s (cela n’a pas changé depuis, lors d’une succession, on a toujours les impôts en cours à régler)
  • les taxes de la capitation et ustancilles de ladite présente année sont encore deües mais ne savoir à quoy elles se montent, les roolles n’estant pas encore faits ny arrester
  • est deub au Sr receveur du grenier à sel de ceste ville pour un quart de minot de sel levé audit grenier 13 L 18 s
  • à Jean Lafontaine pour étoffes de sa boutique 30 L (dépenses pour le ménage et non la boutique)
  • à Renault Ravary leur garçon pour métives 6 L (dur dur à l’époque pour les domestiques comme ce Renault, qui n’étaient pas payés au mois, et on voit qu’il n’a toujours pas touché ses gages)
  • au Sr Ouvrard Boisardière pour 2 pippes de cildre 37 L
  • au bureau des Aydes de ceste ville pour droicts d’Aydes et autres à cause de leur débit d’eau de vie 24 L (impôt sur lequel nous reviendrons)
  • au sieur Leseyeux pour le restant du prix de 3 barriques d’eau de vie qu’il a vendues et livrées à ladite Corvaisier depuis la mort de son défunt mary et desquelles il y en a encore une cy-devant inventoriée 390 L (la veuve, vite remariée comme c’était souvent le cas à l’époque, a dû faire tourner la boutique, et manifestement s’est approvisionnée chez un confrère qui l’a dépannée. Ce qui signifie aussi que les barriques d’eau de vie ne faisaient pas de vieux os en magasin, et que la vente tournait bien, signe d’une certaine consommation)
  • et encore pour une voiture de vinaigre qu’il a payée pour elle 6 L
  • ont déclaré que des vins et cidres achettez des sieurs Hebert, Anceney (hôte de la Tête Noire toute proche), Pinart, Greotière et Gougeon sont proveneuz les vinaigres eaux de vie et cildre cy-devant inventoriées soubs le titre de marchandises à la réserve de la barique vendue par ledit Sr Leseyeux. (Il serait intéressant de savoir si ces acheteurs sont tous des hôtes, comme Maxime Anceney, qui détenait alors la célèbre Tête Noire. Merci de faire signe ci-dessous, dans les commentaires, si vous avez des éléments, c’est important pour l’histoire.)

    Et, calcul faict du présent inventaire des meubles meublants et marchandises et debtes actives le tout s’est trouvé monter et rendue à la somme de 2 368 L 14 s 6 d
    et les dettes passives à celle de 1 085 L 3 s
    Partant ne revient de bon que 1 283 L 11 s 6 d
    laquelle divisée en deux fait pour chaque moitié 641 L 15 s 9 d

    Le fonds de roulement est important, et situe bien le vinaigrier aliàs distillateur d’eau de vie, dans la petite bourgeoisie, ce que confirme l’inventaire de ses vêtements et de son intérieur.
    Manifestement, son activité eau-de-vie est plus importante que son activité vinaigre.
    Vin et cidre, abîmés, utilisés pour ces 2 activités, ne viennent pas de loin car la vigne remonte encore très haut en 1710. Enfin le cidre tient une place importante, et ici c’est parfaitement illustré.

    Odile Halbert – Reproduction interdite sur autre endroit d’Internet seule une citation ou un lien sont autorisés.

    Inventaire après décès d’un marchand vinaigrier à Laval, 1710

    Nous poursuivons l’approche du métier de vinaigrier par les actes notariés, par ce 3e billet (voir hier et avant-hier) et demain il y aura un 4e billet, car c’est copieux.

    Un inventaire n’est pas toujours dressé devant notaire après un décès. Il existe des départements où ils étaient le plus souvent réalisés sous seing privé et ce type d’actes n’existent donc pas souvent dans leurs archives notariales.
    Lorsqu’on trouve un inventaire après décès, c’est assez fréquemment parce que l’un des conjoints, veuf (veuve), se remarie, et ayant des enfants mineurs doit préserver leurs droits sur les biens du défunt. Cet aspect des choses, fort juste autrefois, a sans doute disparu de nos jours. Il paraît donc utile de le souligner.
    Par ailleurs, je sais que ces actes ne vous concernent pas nominativement, moi non plus d’ailleurs : ceux qui cherchent juste leurs actes persos sont dans l’errance, car n’importe quel acte similaire leur permet tout aussi bien de visionner le mode de vie, à métier et période équivalents. C’est ainsi que j’entends l’histoire des modes vie, la vraie vie quotidienne de nos ancêtres, et tout acte peut l’illustrer qu’il vous concerne nomitavement ou non.

    Le vinaigrier qui suit, décédé à Laval, était fils et neveu de vinaigriers d’Angers. C’est donc un métier de famille, comme on pouvait s’en douter : une grande partie des métiers sont ainsi, avec des liens de famille. Le grand père des mineurs (donc demeurant à Angers) ne peut se déplacer et donne d’abord procuration à son frère, l’oncle vinaigrier à Angers, pour se rendre à Laval et faire dresser un inventaire. Voici cette procuration qui permet d’exposer les circonstances :

    L’acte qui suit est extrait des Archives Départementales de la Mayenne 3E30-44. Voici la retranscription de l’acte : Le 12 juin 1710 avant midy, par devant les notaires royaux à Angers soussignés fut présent le sieur Jean Lablée marchand maître vinaigrier en cette ville, y demeurant paroisse de Saint Pierre, lequel sur ce qu’il a appris que Jeanne Courvaizier veuve de Estienne Lablée son filz demeurant en la ville de Laval veut convoler en secondes noces avec le sieur Ambrois Lebreton sans avoir fait d’inventaire de la communauté d’entre elle et ledit défunt Lablée son premier mari, desquels sont issus 4 enfants mineurs pour la conservation des intérêts desquels il est à propos de faire faire inventaire de ladite communauté, et que ne pouvant se transporter sur les lieux à cause de son indisposition, il a par ces présentes fait nommé et constitué pour son procureur général et spécial le sieur Ollivier Lablée marchand maître vinaigrier en cette ville son frère, oncle paternel desdits mineurs, demeurant audit Angers paroisse de la Trinité, à ce présent, acceptant un pouvoir qu’il lui donne en qualité de curateur des mineurs, pour la confection duquel inventaire des meubles, titres, effets et marchandises dépendant de la communauté qui était entre ledit feu sieur Estienne Lablée et ladite Courvaizier sa veuve, et ce par devant notaire ou tesmoings, en la forme et manière ordinaire et au surplus faire par ledit procureur tout ce qui serait nécessaire pour le bien et avantage desdits mineurs …
    fait en présence du sieur Jacques Maillet et d’Ambroise Lablée oncle et tante desdits mineurs … Signé Olivier Lablée, Jacques Maillet, Ambroise Lablée, Charlet, Garnier notaire.

      Au passage, on note que les vinaigriers sont installés en pleine ville, ce qui est toujours le cas actuellement à Orléans pour une célèbre maisonn car ils ne sont pas polluant. Autrefois, même les activités polluantes (teinturiers, tanneurs, etc.) étaient en pleine ville. Nous y reviendrons, je suis chimiste et passionnée de ces activités…

    Le 16 juin 1710, inventaire des biens meubles marchandises et effets dépendants de la communauté de défunt Estienne Lablée vivant marchand vinaigrier en cette ville de Laval et de Jeanne Le Corvaisier sa femme…
    Ce qui suit est un extrait de l’inventaire, illustrant la vinaigrerie et son fonctionnement. La totalité de l’inventaire est sur une page HTML sur mon site. Voici donc les marchandises et le matériel de la vinaigrerie : (en italique mes commentaires, et L est la livre tournois, monnaie d’alors)

  • vinaigre (2 pipes et busses de vinaigre) à 60 L la pippe : 330 L (soit 5,5 pipes, et la pipe en Anjou fait 475,6 litres soit 2 busses : donc on a 2 615,8 litres – Si on prend la pipe Angevine à 446,4 litres comme le fait Michel Leméné dans Les Campagnes Angevines à la fin du Moyen-âge, on a 2 455 litres)
  • eau de vie (une barrique contenant 30 velte) 200 L (soit 30 x 7,5 litres qui est la valeur moyenne d’une velte en France, donc on a 225 litres)
  • eau de vie de vin (80 pots à 28 s le pot) 112 L (si on prend le pot à 1,86 litres, on a 148,8 litres)
  • eau de vie commune (40 pots à 18 s le pot) 36 L (soit 74,4 litres – ce qui fait un total de 448,2 litres d’eau de vie, répartie en 3 classes, la première citée étant sans doute l’eau de vie de cidre, puis l’eau de vie de vin, et la dernière manifestement commune et moins chère, sans doute moins goûtée)
  • cidre (4 pipes à 20 francs la pipe) 80 L (donc on a 1 902 litres)
  • tonneaux vides (50 à 20 s pièce) 50 L
  • outils (tous les outils dudit défunt à tonnelerie) 4 L (pour réparer lui-même ses tonneaux, cela paraît normal vue la quantité dont il dispose pour travailler)
  • barils (28) vides de 5 pots jusques à 30, à 10 s pièce 14 L
  • barils (50) vides 23 L
  • chaudière (une) avec son chapeau et alambic à l’eau de vie 70 L
  • chaudières d’airain (2) 100 L
  • chantepleure et entonnoir (ce qu’il y a de vieilles) de fer blanc 3 L 10 s
  • marmite (une) de cuivre rouge 5 L
  • réchaud (2 vieux) 1 L 5 s
  • Je dois remettre à demain la suite et fin de cette vie de vinaigrier, avec l’analyse des dettes actives et passives de cet inventaire. En effet, un inventaire, surtout dans une activité commerciale ou artisanale, dresse après les meubles meublants, la liste de ce qui est dû au défunt, et la liste de qu’il devait. Or, dans le cas d’une telle actitivé (commerciale ou artisanale) ces deux listes sont parlantes : elles disent ou va la marchandise et d’où venaient les matières premières.

    Alors, à votre avis, d’où venaient les matières premières (vin, cidre…), car ici nous ne sommes pas à Orléans, ville célèbre pour avoir de longtemps utilisé les vins descendant la Loire, et déjà abimés au passage d’Orléans (autrefois le vin voyageait en tonneaux de bois uniquement, pas de bouteilles de verre par millions (ou milliards) pour sa conservation optimale.
    Je suis certaine que vous avez deviné, car vous êtes calés (ées)…

    Et puis, vous pouvez vérifier mes calculs… car j’ai pu me tromper. Pour les mesures, on peut dire tout et son contraire, la preuve en est que Diderot lui-même avait rénoncé à en parler tant c’était inextriquable. Ce qui importe ici c’est seulement l’ordre de grandeur pour mieux visualiser, d’autant que je suis lue au loin (très loin partout sur la planète) et que l’Anjou et le Maine y pourraient sembler de tous petits coins…

    Odile Halbert – Reproduction interdite sur autre endroit d’Internet seule une citation ou un lien sont autorisés.

    Achat d’un alambic de vinaigrier, en 1662

    Cet article a une suite les 14 et 15 mars, ces 3 jours traitant tous du vinaigre et du vinaigrier.

    Vous êtes hyperdoués (ées), car j’avais préparé ce billet et vous connaissez ces usages avant de l’avoir lu. Bravo à vous !
    Demain, je vous offre l’inventaire après décès d’un vinaigrier. Or, en tappant cet inventaire, quelle ne fut pas ma surprise de trouver un alambic de cuivre, et beaucoup de barriques d’eau-de-vie.
    Renseignements pris à Orléans, près de l’ex-vinaigrerie du quartier St Marceau, il y a bien un alambic dans une vinaigrerie.
    Avant de voir pourquoi cet alambic, voici d’abord son achat, pour la somme relativement importante de 150 livres, qui fait de cet alambic un investissement important de la vinaigrerie.

    L’acte qui suit est extrait des Archives Départementales du Maine-et-Loire, 5E90. Voici la retranscription de l’acte : Le jeudi 5 janvier 1662 avant midy, devant nous André Choisnet notaire royal à Angers, résidant aux Ponts-de-Cé, furent présents en personnes establys et duement soumis
    Estienne Gigault marchand tonnelier demeurant en ce lieu paroisse de Saint Maurille d’une part,
    et Jean Boutton sieur de la Roche aussi marchand (souvenez-vous, c’est notre marchand tonnelier vinaigrier, qui prenait hier un apprenti) demeurant en cedit lieu dite paroisse d’autre part, lesquels ont fait et font entre eux le marché et convention qui suit,
    qui est que ledit Gigault a vendu quitté et transporté et par ces présentes vend, quitte et transporte et promet garantir audit Boutton ce acceptant que luy a acheté et achère pour luy ses hoirs etc une chaudière de francq cuivre tenant à l’estimation d’une busse ou environ à faire eau de vie avecq son alembic et chapeau de la qualité bonté et livraison de laquelle chaudière alembic et chapeau ledit Boutton se contente et en acquitte et quitte ledit Gigault :
    ce marché et transport fait pour et moyennant le prix et somme de 150 livres tournois laquelle susdite somme ledit Bouton a payée et baillée comptant audit Gigault, qui l’a prise et reçue en bonne monnaie ayant cours suivant l’édit, dont il s’en contente et l’en quitte, ce qui a été ainsi voulu stipullé consenty et accepté par lesdites parties …
    fait et passé auxdits Ponts de Cé à nostre tabler présents Mathurin Commin et Allain Dupuy praticiens tesmoings. Signé : Boutton, Gigault, Choisnet

    L’alambic contient une busse, soit, en Anjou, un tonneau de 287,8 litres, encore appelé barrique. Il y a 2 busses dans une pippe de vin.

    Mais à quoi sert donc cet alambic dans une vinaigrerie ?
    Les vinaigriers sont organisés en corporations et ont des statuts, dont l’un cité par l’Encyclopédie de Diderot m’intrigue. Il est en effet précisé qu’ils doivent apprendre 4 ans, or, nous avons vu hier un apprentissage de 2 ans. La question de l’apprentissage reste ouverte, revenons à l’alambic.

    Un autre de leurs statuts fait d’eux des distillateurs d’eau-de-vie : Les ouvrages & marchandises que les maîtres vinaigriers peuvent faire & vendre, exclusivement à tous les maîtres des autres communautés, sont les vinaigres de toutes sortes, le verjus, la moutarde & les lies seches & liquides. A l’égard des eaux-de-vie & esprit-de-vin qu’il leur est permis de distiller, elles leur sont communes avec les distillateurs, limonadiers & autres. (Encyclopédie de Diderot et d’Alembert)
    Outre la production d’eau-de-vie, le vinaigrier améliorait la conservation du vinaigre en le distillant : le residu d’un bon vinaigre distillé par l’ébullition, demeure longtemps sans se corrompre (Diderot). Si on veut du vinaigre qui ne se corrompt point, c’est par exemple, parce qu’il est embarqué à bord des bateaux comme agent de lavage désinfectant des ponts, etc… et pour la haute mer, on a intérêt à ce qu’il tienne plusieurs mois.

    Et Diderot poursuit :

    VINAIGRERIE, s. f. (Art distillerie) petit bâtiment faisant partie des établissemens où l’on fabrique le sucre ; c’est proprement un laboratoire servant au travail & à la distillation de l’eau-de-vie tirée des debris du sucre que l’on a mis en fermentation. Voy. TAFFIA.

    Effectivement, on peut faire du vinaigre, ou de l’eau de vie, avec tout ce qui fermente…

    Quant à ses usages médicamenteux, toujours selon la même source (extraits, car c’est fort copieux !) :

    Bons effets du vinaigre contre les maladies pestilentielles et plus loin un grand remede dans les fievres aiguës, ardentes, malignes, dans la peste, la petite vérole, la lepre, & autres maladies semblables … Le vinaigre appliqué extérieurement est atténuant, discussif, répercussif, antiphlogistique, & bon dans les inflammations, les érésypeles

    Je vous épargne le flot de littérature à son sujet médicamenteux, mais je garde une tendresse particulière pour la préparation qui suit, car elle porte un joli nom :
    VINAIGRE des quatre voleurs, c’est ainsi qu’il est décrit dans la pharmacopée de Paris. Prenez sommités récentes de grande absynthe, de petite absynthe, de romarin, de sauge, de rue, de chacun une once & demie ; fleurs de lavande seche, deux onces ; ail, deux onces ; acorus vrai, canelle, gérofle, noix muscade, deux gros ; bon vinaigre, huit livres ; macerez à la chaleur du soleil, ou au feu de sable, dans un matras bien bouché, pendant deux jours, exprimez fortement & filtrez, & alors ajoutez camphre dissous dans l’esprit de vin, demi-once. Le nom de cette composition lui vient de ce qu’on prétend que quatre voleurs se préserverent de la contagion pendant la derniere peste de Marseille, quoiqu’ils s’exposassent sans ménagement, en usant de ce vinaigre tant intérieurement qu’extérieurement ; & beaucoup de gens croient encore que c’est une bonne ressource contre l’influence de l’air infecté des hôpitaux, &c. que de tenir assidument sous le nez un flacon de ce vinaigre. (Diderot)

    Avouez que 4 voleurs et pas 40, cela ne s’oublie pas !

    Merci à tous vos commentaires et souvenirs de vinaigre. Je me souviens seulement pour ma part des cheveux, et de l’aide à la lessive.
    Demain nous voyons les achats pour sa fabrication autrefois. Nous serons en 1710.

    Odile Halbert – Reproduction interdite sur autre endroit d’Internet seule une citation ou un lien sont autorisés.

    Contrat d’apprentissage de tonnelier vinaigrier à Soulaines (49), 1662

    pour Jean Talluau chez Jean Boutton. Archives Départementales du Maine et Loire, serie 5E

    Nous partons dans le vinaigre pour plusieurs jours, tant il était important autrefois : antiseptique, médicament, etc…
    Le contrat d’apprentissage qui suit est assez original, en ce sens que l’apprenti est adulte, désirant sans doute s’offrir une autre situation et investissant dans une formation à un métier plus valorisant. Nous verrons le niveau de vie du vinaigrier dans les jours qui suivent.
    L’acte qui suit atteste qu’un vinaigrier est un métier charnière dans la filière du vin, et qu’on peut être à la fois vinaigrier et autre chose dans la filière. Ici tonnelier vinaigrier :

    Voici la retranscription de l’acte : Le sabmedy 20 janvier 1662 après midy, devant nous André Choisnet notaire royal à Angers résidant aux Ponts de Cé, furent présents en personne establis et duement soubmis honorable homme Jean Boutton sieur de la Roche marchand tonnelier et vinaigrier demeurant en ce lieu paroisse de saint Maurille des Ponts-de-Cé d’une part,
    et Jean Talluau natif de la paroisse du Touré (sans doute le Toureil, canton de Gennes, arrondissement de Saumur), de présent en ce lieu d’autre part,
    lesquels ont fait et font entre eux le marché d’apprentissage qui ensuit, qui est que ledit Talluau s’est mis avec et en la maison dudit sieur Boutton pour le temps et espace de deux années entières et parfaites et consécutives qui commencent ce jourd’huy et finiront à pareil jour pour par ledit Boutton luy montrer et enseigner ledit mestier de tonnelier et vinaigrier à sa possibilité sans rien luy en celler et par ledit Talluau servir et obéir audit sieur Boutton audit mestier de tonnelier et vinaigrier en toutes choses licites et honnestes qui luy seront par luy commandées, son bien procurer, …, à sa possibilité, et par le sieur Boutton le nourrir, coucher, laver et reblanchir pendant iceluy temps sans que ledit Talluau puisse s’absenter de la maison dudit sieur Boutton sans son express congé et consentement ;
    ce marché fait pour et moyennant le prix et somme de 140 L tournois sur laquelle susdite somme ledit sieur Talluau en a présentement payé et baillé contant audit sieur Boutton la somme de 77 L en louis d’argent ayant cours suivant l’édit, ton et de laquelle susdite somme de 77 L ledit Boutton s’en contente et en a quitté et quitté ledit Talluau, et le surplus montant la somme de 63 L ledit Talluau pour ce duement estably et soumis par devant nous comme dit est promet et s’oblige icelle payer et bailler dans d’huy en un an prochain venant à peine etc ce qui ainsy voulu stipullé consenty et accepté par lesdites parties, auquel marché d’apprentissage quittance obligation et à tout ce que dit est tenir etc dommage etc obligent lesdites parties respectivement etc et à défaut etc biens et choses à prendre vendre et même le corps dudit Talluau à tenir prison comme pour deniers royaux s’absentant de la maison dudit sieur Boutton sans son exprès congé et consentement renonçant etc,
    fait et passé aux Ponts de Cé maison dudit sieur Boutton, présent Pierre Garnier marchand ciergier demeurant en ce lieu, et Nicolas Leduc compaignon vinaigrier, demeurant à Angers paroisse de la Trinité. Signé : J. Talluau, J. Boutton, P. Garnier, N. Leduc, Choisnet

    A demain, toujours sur le vinaigre. Les vinaigriers étaient une corporation règlementée, et ce contrat m’interpelle car la durée de l’apprentissage est fixée à 2 ans, et je vous expliquerai demain des durées plus longues et pourquoi.
    La somme de 140 L est par contre coquette, assez pour que je conclue à un métier socialement valorisant. En effet, lorsque la somme est élevée, il faut soupçonner un métier qui va rapporter… cela paraît logique… Donc, ce Talluau est en train de tenter une ascencion sociale, à moins qu’il n’ait tenté d’épouser la fille du maître, car cela arrivait aussi souvent que le maître n’ait pas de fils et que la place fut libre après lui…. mais comme ces actes ne sont pas miens, vous êtes seuls à pouvoir poursuivre cette histoire… auquel cas, merci de faire signe sur ce billet dans les commentaires, ce serait bougrement intéressant.
    Autrefois les dettes n’étaient pas prises à la légère, et je constate au fil de ces contrats d’apprentissage que la clause de saisie de corps en prison est souvent incluse dans le contrat. Si on veut bien s’imaginer l’état des prisons d’antan, plus mortelles qu’autre chose, on comprend vite l’efficacité dissuasive de la clause.
    Voir la page HTML qui dresse un tableau des contrats d’apprentissage qui sont sur ce site, vous pouvez aussi utiliser la fenêtre de recherche de ce blog.

    Mais au fait, vous souvenez vous de deux, ou au moins une, des utilisations antiseptiques les plus importantes du vinaigre ? Cogitez bien, avant de trouver ici la réponse.

    Odile Halbert – Reproduction interdite sur autre endroit d’Internet seule une citation ou un lien sont autorisés.

    Contrat d’apprentissage de maréchal en 1692 à Soulaines (49)

    pour Pierre Provost chez Pierre Fleuriau (Archives Départementales du Maine et Loire, serie 5E)

    Bonjour à tous.
    Nous poursuivons ensemble l’étude de l’apprentissage, afin d’avoir une idée plus précise de ce mode de formation, autrefois. Aujourd’hui, c’est encore un garçon qui n’a plus son père, et l’apprentissage aurait été l’alternative à la formation, en l’absence de père autrefois.
    Même si ces actes ne vous concernent pas directement, ils illustrent les modes de vie d’antan, et dîtes vous bien que vos ancêtres sont passés pas les mêmes étapes.
    En particulier, ce blog, ouvert il y a 3 mois, ne me concerne pas directement. Ces actes que je tente de vous illustrer n’ont rien à voir avec mes ascendants, si ce n’est que lorsque je vous ai mis le rôle de l’ustencile de Montreuil sur Maine, j’avais des ascendants dans la liste des imposés. C’était le seul acte me concernant. En effet, il est vain de vouloir faire revivre ses ascendants, en cherchant leurs actes personnels. Même avec beaucoup de chances, cette quête n’aide pas suffisamment pour comprendre la vie autrefois, et il suffit d’emprunter aux autres actes la trame pour comprendre comment ils fonctionnaient tous.
    C’est le but de ce blog, et non un but personnel, vain.
    Voici un apprenti maréchal :

    L’acte qui suit est extrait des Archives Départementales du Maine-et-Loire, série 5E. Voici la retranscription de l’acte : Le 26 décembre 1692 par devant nous Pierre Vallée notaire royal Angers résidant à Saint Melayne ont esté présents en leurs personnes establis et duement soumis chacuns de Pierre Fleuriau maréchal demeurant au village du Plessis paroisse de Soulayne d’une part
    et Pierre Provost demeurant en la maison de madame de la Plante à la Coutentinière dite paroisse de Soulaines comme serviteur domestique procédant sous l’autoristé d’honneste homme François Vallée marchand son curateur à ce présent d’autre part
    entre lesquels a esté fait le marché d’apprentissage et convention qui ensuit
    scavoir que ledit Fleuriau promet et s’oblige de montrer et enseigner à sa possibilité audit Provost le métier de mareschal pendant le temps d’ung an six moys à commencer de ce jour et pendant lequel temps ledit Provost se tiendra assidu à la forte dudit Fleuriau pour y travailler avec luy et apprendre ledit mestier et aussy ledit Fleuriau le nourrira, couchera et reblanchiera selon sa condition et comme un apprenti doit estre prendant aussy ledit temps d’ung an six moix,
    et ce fait ledit présent marché pour et moyennant la somme de quarante cinq livres à quoy ils ont composé et accordé entre eux pour ledit temps d’apprentissage cy-dessus, de laquelle ledit Provost promet et s’oblige en payer audit Feuriau dans le jour et feste de Nostre Dame chandeleur prochaine 22 livres 10 sols qui est la moitié et l’autre moitié qui est paraille somme dans d’huy en ung an aussi prochain venant le tout cy-dessus à peine etc ces présentes néanmoings etc et auquel Fleuriau ledit Provost promet luy fournir à ses frais copie des présentes dans huit jours prochains aussy à peine etc car les parties ont ainsy le tout voulu consenti, stipulé et accepté par entreux en sont demeurés d’accord auquel marché convention obligation et ce que dit est cy-dessus tenir etc dommage etc obligent lesdites parties respectivement eux et par défaut leurs biens à prendre vendre renonçant etc dont advertues de scellé suivant l’édit.
    Fait et passé au bourg dudit Soulaines demeure de François Vallée en présence de François Provost, François Jouaisneau, Jean Peluet l’aîné, oncle dudit Provost et Michel Boucler vigneron demeurant à Soulaines tesmoings, ledit Provos a dit ne savoir signer. Signé Vallée, F. Jouanneau, J. Peluet

    Demain, nous partons pour quelques jours dans le vinaigre…

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    Suisse d’église, ou bedeau

    Le billet du 26 février Prison pour femmes, mettait un bedeau en scène.

    Le bedeau réapparaîtra demain dans un chapitre de Nantes la Brume, sous le vocable de Suisse :

    Le Suisse, bariolé d’or et de rouge comme un polichinelle du jour de l’an, précédait de sa pertuisane les choristes et les prêtres chamarrés de chasubles éclatantes.

    Voici la pertuisane, selon le Littré, Dict. de la langue française, (1877)

    La pertuisane est une ancienne arme d’hast, dont le fer présente une pointe à la partie supérieure, et, sur les côtés, des pointes, des crocs, des croissants. Avant l’ordonnance de 1670, qui ordonna l’usage de la pique, chaque compagnie d’infanterie avait quelques soldats armés de pertuisanes, pour arrêter les efforts de la cavalerie. La pertuisane diffère de la hallebarde, en ce que le fer de la pertuisane est long de dix-huit à dix-neuf pouces, tandis que celui de la hallebarde a neuf à dix pouces, Ordonn. de 1689 (sur la marine), XVII, titre 3.

    Ces armes sont étudiées en détails et vues sur ce site. Vous y verrez aussi l’esperon, petit cousin de la pertuisane, et les deux illustrations sont avec un gland de passementerie qui illustrerait bien le Suisse.

    Suisse : Nom donné au domestique à qui est confiée la garde de la porte d’une maison, parce qu’autrefois ce domestique était pris ordinairement parmi les Suisses. Il m’avait fait venir d’Amiens pour être Suisse (Racine). — On dit maintenant, portier ou concierge. – Nom donné aux soldats de la nation suisse qui servaient en corps dans les armées étrangères.


    (Dic. Enc. Larousse, 1933)

    Suisse d’une église : celui qui, vêtu d’un uniforme spécial, coiffé d’un bicorne, armé de la hallebarde et de l’épée, est chargé de la garde d’une église et qui précède le clergé dans les processions, etc.


    A gauche, tel que le voyait l’Encyclopédie Quillet en 1938, à droite celle de Larousse en 1933 : Larousse penche pour la hallebarde, et Quillet pour la pertuisane.

      Proverbe : Point d’argent, point de suisse, par allusion aux Suisses qu’on louait comme soldats mercenaires ou comme domestiques.

    Huit Cent-Suisses, compagnie de Suisses qui veilla à la sureté personnelle des rois de France de 1496 à 1792.

    Gardes suisses, soldats de la garde du pape.

    Le Suisse d’église existait encore dans les années 50 à Nantes, et fut sans doute supprimé lorsqu’on institua une seule classe pour tous les services religieux. Il semble avoir été tenu par des retraités, comme l’atteste celui de Saint Jacques de Nantes, en 1937, avec pommeau (il me semble que c’est le nom de cette espèce de canne) et épée, mais sans hallebarde ou pertuisane. Cela avait fière allure à la sortie des mariages. Toute la génération née avant 1950 s’en souvient et vous ?


    église Saint-Jacques de Nantes, 1936

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