Magnifique testament, car d’une modernité incroyable, et ce, sur deux points, sans compter la brièveté relative du passage religieux, alors qu’à l’époque il est fort long :
1 – Abraham Lasnier donne à ses petits enfants à venir de sa fille Jeanne un tiers de la part qui revient à celle-ci, et elle conserve les deux autres tiers. C’est la première fois que je vois des petits-enfants alors que les enfants vivent encore. D’ailleurs, cette donation aux petits-enfants laisse supposer une mauvaise entente probable avec son gendre ou même avec sa fille.
Mais, je dois dire que mettre les petits-enfants dans un testament est bien ce que depuis des décennies, la loi française devrait permettre plus largement qu’elle ne le fait de nos jours, compte-tenu de l’allongement de la durée de vie, les enfants héritent aujourd’hui le plus souvent quand ils sont déja d’un âge assez avancé.
Sur ce point, je trouve donc le testament d’Abraham Lasnier particulièrement moderne.
2 – Il fait une donation complémentaire à sa fille naturelle, qu’il avait déjà doté de 300 livres par donnation, comme cela se faisait à la naissance d’un enfant naturel, pour les pères aisés qui reconnaissaient leur paternité ainsi. Ici, dans le testament, il donne donc, outre les 300 livres des meubles consistant en un lit et un petit trousseau de base, mais suffisant pour se marier lorsque cette enfant sera en âge. Et il lui donne un curateur qui n’est autre que Gervais de Cevillé, notaire à Craon.
Ce point concernant un enfant naturel n’est certes pas l’égalité avec les enfants légitimes, mais la somme de 300 livres d’une part et des meubles, représentent un total que j’estime à 400 livres, ce qui n’est pas une dot négligeable au mariage, reste néanmoins il est vrai que la maman célibataire a supporté l’éducation de l’enfant !
Mais tout de même, c’est un pas vers une succession plus égalitaire, donc plus moderne, entre légitimes et naturels.
Mais le plus surprenant dans tout ceci, c’est que, comme tous les actes que je trouve inlassablement depuis des années et que je vous restitue ici, c’est bien dans les notaires d’Angers que je l’ai trouvé. Or, il demeure à Niafles, qui est située à 67 km au Nord-Ouest d’Angers. Et les notaires ne manquent pas à Craon, et même à Château-Gontier qui sont proches, et bien d’autres entre chemin. Alors, j’ai supposé qu’il était venu voir sa fille à Angers, et qu’il avait mal apprécié soit son gendre soit sa fille, et qu’il exprimait ainsi dans son testament que sa fille n’aurait que les deux tiers, et on peut même se demander si sa fille légitime, Jeanne épouse Poipail, avait connaissance de la fille naturelle, et n’aurait pas fait une protection, qui aurait provoqué la réaction protectrive d’Abraham Lasnier.
Le lundi 30 avril 1629 avant midy, par devant nous René Serezin notaire royal à Angers fut présent et personnellement estably Abraham Lanier sieur de Villeneufve demeurant en la paroisse de Nyafles par la grâce de Dieu sain d’esprit et d’entendement a par forme de testament fait et ordonné ce qui s’ensuit
recommande son âme à Dieu à la glorieuse vierge Marye et cour de Paradis
premier quand son âme sera séparée d’avec son corps veult et ordonne estre inhumé et ensépulturé en l’église collégiale de St Nicolas de Craon paroisse de St Clément proche la sépulture de sa défunte femme au cas qu’il décède en Craonnays sinon en l’église de la paroisse où il décédera et que le jour de son enterrement soit fait service sollenel en la manière acoustumée et pour le luminaire et autres cérémonies, s’en remet à la volonté de ses exécuteurs cy après nommés
et a ledit testateur donné et donne à perpétuité et en pleine propriété aulx enfants nés et à naître de Jehanne Lanier sa fille à présent mariée avec Nicolas Poipail sieur du Verger la part et portion qui eust peu appartenir à ladite Jehanne sa fille en sa succession future cessant la présente donaison à savoir ses meubles debtes droits noms raisons et actions et choses censées et réputées pour meubles acquests et conquests et en ses propres patrimoine et matrimoine qu’il a et aura lors et au temps de sondit décès
relaissant néanmoins ledit testateur à sadite fille pour sa légitime les deux tiers des choses qui lui eussent appartenu de ses propres patrimoine et matrimoine
autrement dit, les petits-enfants à venir auront un tiers, et leur mère les deux tiers de la part légitime de la mère, mais, attention, elle n’est pas fille unique.
et a ledit testateur donné et veult estre baillé à Renée Datée sa fille naturelle par son curateur Gervais de Cevillé un traverslit oreiller paillasse couverture et mante huit draps de toile commune, une douzaine de serviettes deux nappes et deux mères vaches, et en cas que ladite René prédécéda Renée Datée sa mère il veult et ordonne que lesdits meubles demeurent à sadite mère à laquelle il en fait don audit cas
et ce outre les 300 livres qu’il a cy devant données à ladite Renée sa fille par donaison passée par devant Guillot notaire de ceste cour qu’il veult soutenir son plein et entier effet
et pour exécuter ce présent son testament a nommé et choisi Me René Chevalier sieur de la Prévosté son gendre advocat audit Craon et noble homme Pierre Chevallier sieur de la Musse grenetier audit Craon qu’il prie en prendre charge et pour cest effet leur a affecté tous et chacuns ses biens
auquel testament, après que luy avons fait lecture, il y a persisté et ordonné estre exécuté en sa forme et teneur renonçant à tout autre par luy cy davant fait tellement que à ce présent testament tenir etc oblige etc renonçant etc foy jugement condemnation etc
fait et passé audit Angers maison de nous notaire en présence de Me François Lecordier sieur du Paslouys advocat Me Jehan Granger et François Chauviré praticiens demeurant audit Angers
Cette vue est la propriété des Archives Départementales du Maine-et-Loire. Cliquez pour agrandir.
merci beaucoup pour ce testament, les notaires de Craon étant plutôt lacunaires pour cette époque, il donne espoir d’autres trouvailles à Angers.
J’ai déjà rencontré un ancêtre qui déshéritait 2 de ses fils « grands dissipateurs de leurs biens » au profit de leurs « enfants vivants et à naître » Les coutumes du Maine et de l’Anjou devait le permettre.
Note d’Odile :
J’ai aussi rencontré un moins une exhérédation (le fait de déshériter un enfant) et c’est dans les Allaneau, sous prétexte de relations sexuelles entre frère et soeur, la fille fut mise rapidement au couvent, et le garçon est parti pas très loin, mais déshérité, il descend socialement et forme la branche qui va donner des tailleurs de pierre etc…
J’ai même lu, mais non personnellement trouvé et travaillé, qu’à l’époque du peuplement du Canada, certaines familles importantes se débarassaient ainsi d’un héritier indésirable, y compris par lettre de cachet. Je dois avouer que je suis en admiration devant les Canadiens pour avoir si bien absorbé tout ce que le vieux continent ne désirait plus !
Par ailleurs, la présence à Angers de ce testament d’Abraham Lasnier semblerait sans doute montrer qu’il a quelque famille à Angers, et probablement Guy Lasnier lui-même ? Enfin, ceci est une supposition.