Avant le pétrole, les grains et fourrages de milliers de chevaux : la maison Halbert, Nantes

1851 Jacques Mounier fonde la maison de grains

Jacques Mounier, mon trisaïeul (arrière arrière grand père) paternel, né en 1823, fut le cadet d’une famille de laboureurs, nombreuse et pauvre, vivant aux confins du Morbihan et des Côtes d’Armor. Il dût la quitter faute de place pour lui, et sut établir à Nantes un commerce de grains basé sur l’ère du cheval. Il est à l’origine de tous les immeubles des « Halbert » route de Clisson, dont il n’est rien resté à ma fratrie au décès de Georges Halbert en janvier 1974. La voiture avait supplanté le cheval et la fortune des Halbert s’en était allée ! Ces lignes sont le fruit de mes recherches dans les Archives Publiques, car je n’ai hérité d’aucun papier non plus. Ah ! si, j’ai hérité de quelque chose, j’ai la goutte de père et grand père.

Personne ne sait signer dans la famille de Jacques Mounier et la configuration du village natal montre qu’ils n’ont probablement pas beaucoup de terres à cultiver, pas assez pour vivre correctement. Jacques a 4 frères avant lui or dans les familles à l’époque il n’y a de place que pour un fils pour succéder et les autres doivent chercher ailleurs. On met les enfants domestiques chez des notables dès l’âge de 9 ans et ce n’est qu’après la guerre de 1870, que la loi du 18 mai 1874, dite « loi Joubert », élève l’âge minimum à 12 ans, limitant la journée de travail à 6 heures, et à 12 heures de 13 à 16 ans, et le travail de nuit est interdit jusqu’à cet âge. Tous ces enfants n’étaient pas maltraités. Certains au contraire pouvaient atteindre des compétences voire même une forme d’éducation. Ainsi, dans mes ascendants Guillouard, j’ai un Faucillon fils de laboureur, qui sera quasiment intendant et gérant des biens de la veuve Goureau dont l’époux absent faisait le tour du monde. J’ai trouvé un acte notarié qui l’atteste.
Un domestique alors ne touchait aucune mensualité et/ou annuité, mais une somme globale lorsqu’il se mariait ou partait après 15 à 20 ans de loyaux services, de quoi monter son petit ménage.
Dans le cas de Jacques Mounier, il est très surprenant qu’aucun de ses 4 frères, tous restés au pays, ne sachent signer alors qu’il sait signer. Il sait aussi fort bien compter la valeur des choses et les affaires. Cette différence de culture ne peut s’expliquer que par un placement dans une famille notable, dans laquelle il a appris. En effet plusieurs familles notables de Ménéac ont un lien avec Nantes puisque les grains de Bretagne sont indispensables aux chevaux Nantais. Placé chez eux, il aura appris à leur contact et aura observé comment ils s’approvisionnaient aussi en foin puisque Frossay livrait du foin en Bretagne.
C’est ainsi que Jacques Mounier parvint à l’âge adulte à Nantes, ayant acquis beaucoup de compétences, notamment livreur de l’usine de produits alimentaires située à la Piaudière, sur les bords de la Sèvre créée par J. Carrère, reprise fin 19ème siècle par Bonnefon. La mémoire de la famille recueillie en 1939 par Paul Halbert, précise que c’est lors de ses tournées de livraison qu’il constate le besoin en grains de plusieurs habitants de Saint Jacques et que lui vient l’idée de les en fournir en livrant lui-même.

Jacques Mounier était surtout très travailleur, ne comptant jamais ses heures durant lesquelles il remuait lui-même les lourds sacs de grains etc… à la fois pour les approvisionnements et les livraisons. Et j’ajoute, sachant vivre modestement sans domestiques dans peu d’espace.
Son épouse, native de Saint Sébastien, porta toujours la coiffe, et on la voit à gauche sur la photo ci-dessous avec Jacques Mounier, leur fille Marie, son époux Edouard Halbert, et leur gendre Coignard. Cette photo est rarissime car à l’époque on ne prenait par beaucoup la pause au jardin. Ils sont tous endimanchés et ce jardin est celui du 7 route de Clisson en 1887.
Jacques Mounier eut un fils et 2 filles, mais l’une des filles n’eut pas d’enfants, l‘autre un fils unique, enfin, le fils prénommé Georges connut une fin tragique à l’âge de 16 ans et demi à Haïti.
Avant de vous conter son succès à Nantes, laissez moi vous transmettre une trace de mémoire familiale recueillie en 1939 par mon oncle Paul Halbert. On lui avait raconté que Jacques Mounier était venu à pied à Nantes ramassant de la laine sur les chemins. Or, en 2022 je vois un documentaire sur Arte, qui montre en Irlande une maman et ses enfants de 3 à 5 ans autour d’elle ramassant la laine de moutons restée sur les herbes. Cette maman nous montrait même ce qu’elle faisait de cette laine, qu’elle utilisait dans ses tableaux d’artiste. Comme le récit transmis à mon oncle Paul en 1939 me paraissait curieux car je voyais mal la laine sur les chemins, j’ai compris que Jacques et ses frères, dès qu’ils savaient marcher, étaient mis au ramassage de la laine des moutons dans les champs, et manifestement Jacques Mounier avait dit à ses filles qu’il ramassait de la laine. Cela montre qu’autrefois beaucoup d’enfants avaient très tôt l’habitude de travailler… Travailleur, vivant modestement et connaissant l’ère du cheval, Jacques Mounier a acquis plusieurs maisons, mais ses descendants vivront bourgeoisement alors que l’ère du cheval décline, et n’acquèrent aucun bien, jusqu’à plus rien.

Pour mémoire, en 1851, c’est aussi l’arrivée à Nantes du premier train venant de Paris, ainsi, la disparition des chevaux de poste était déjà programmée… Donc il était plus que temps que Jacques Mounier gagne si bien sa vie.

les grains en sac de 100 kg

Nantes, pionnière mondiale des transports en commun en 1826, avec Stanislas Baudry, utilise beaucoup de chevaux et si Paris en compte 80 000, Nantes certainement près de 15 000, sinon plus. Or, un cheval tractant voiture consomme chaque jour environ 8 kg d’avoine et/ou orge, en 1850 surtout l’avoine, et 6 kg de foin. Wikipedia : Cheval au XXe siècle

Les grains venaient surtout des Côtes d’Armor (que l’on appelait alors Côtes du Nord), d’où venait Jacques Mounier, et c’est certainement ce commerce qu’il a imité au Sud de Nantes en fondant son propre commerce.
L’avoine est transportée en sacs de jute. Le sac pèse 100 kg. J’ai connu, après la seconde guerre mondiale, chez mon père Georges Halbert, successeur de Jacques Mounier, la préparation des sacs, alors passés à 50 kg. Il achetait l’avoine en vrac, et préparait les sacs de 50 kg à travers des gros conduits, et ce dans une énorme poussière.
Voyez sur mon blog un usage amusant de ces sacs de jute : La course aux grenouilles, départ 14 h 30 à la Croix des Herses, Nantes lundi 12 mai 1913
Le sac de 100 kg de farine, devenu au 20ème siècle 50 kg est aujourd’hui de 25 kg. Pour ma part, j’ai travaillé dans les grands moulins à Cologne sur le Rhin, et j’ai aussi travaillé à la Biscuiterie Nantaise. Je connais la farine. Lorsque je suis entrée à la BN à Nantes le 1er mars 1969, je n’avais pas de voiture et durant des années, j’ai travaillé dans le bâtiment de la place François II, lieu fondateur de la Biscuiterie Nantaise, et le soir j’attendais l’autobus. Quelques ouvrières, alors encore en activité sur la ligne ancienne de production de biscuits, attendaient avec moi. Et nous échangions de longues minutes l’histoire de la BN. L’une me racontait ce qui pour elle avait été la plus grande transformation : le sac de farine. Elle avait connu le temps où il était de 100 kg et admirait de finir sa carrière parmi des sacs de 50 kg, ce qui lui paraissait un immense changement des conditions de travail de certains à la BN.
Je rends ici hommage à tous les portefaix et ouvriers d’antan, qui encore entre les 2 guerres mondiales, chargeaient ainsi sur leur dos ces 100 kg. Et, si la France a évolué, passant à 50 kg, puis 25 de nos jours pour la farine, je pense à tout ce que nous oublions de voir dans les pays pauvres, et toutes ces charges si lourdes, comme Jacques Mounier les a connues.  Car cela existe encore ailleurs.
J’ai connu de 1945 à 1956 mon père toujours en bleu de travail sauf le dimanche où il s’endimanchait. Il portait lui aussi les sacs sur le dos. Les bleus de travail n’étaient pas encore en Jean, mais un épais tissu, et j’ai eu souvent à y coudre à la main des carrés de réparation, car je cousais bien et à l’époque on réparait tout, même les draps étaient coupés en deux par le milieu bien avant d’être usés, et je faisais les surjets plats recousant les 2 côtés ensemble car moins usés ils perpétraient encore des années au drap.

Les sacs étaient mis sur des balances agréées, et par ailleurs, pour recevoir les camions entiers, il y avait un pont bascule (voir ci-dessous).

le foin de la Basse Loire


Ces photos datent environ de 1900, on y voit quantité de chalands et du foin en vrac, mais surtout un grand nombre de travailleurs pour décharger ces chalands sur des voitures à cheval. Voyez aussi sur mon blog une carte postale du Quai des Fumiers à la Cale au Foin : le quai Magellan, Nantes 1840
Personnellement j’ai connu le foin dans les années 1945-1956 en botte de 90 x 46 x 36 cm pesant 18 kg. Mais auparavant il était en vrac sur les chalands sur Loire comme le montrent mes photos ci-dessus.

Voici Frossay en 1815 selon la carte générale de la France. 130, [Paimboeuf – Redon].  établie sous la direction de Cassini mais la carte actuelle est plus parlante. Vous y voyez le canal de la Martinière que Jacques Mounier n’a pas connu, et le Migron qui fut le port de chargement des chalands de foin au temps du canal de la Martinière  1892-1914

1875 construction du hangar de bois 

En 1870 Jacques Mounier a perdu tragiquement son fils unique Georges décédé à l’âge de 16 ans et demi à Haïti. Il a marié en 1872 sa fille Lucie à Alexis Coignard qui l’a emmenée. En 1875 sa fille Marie épouse Edouard Halbert qui reprendra l’affaire de son beau-père. Il est l’un des 3 fils de feu Joséphine Bonnissant, fille de Mathurin Bonnissant premier investisseur de la route de Clisson, juste en face de la maison de Jacques Mounier. 
Mathurin Bonnissant a laissé 3 héritiers : une belle fille célibataire Marie Judith Lebraire, sans postérité – un fils prêtre – et Joséphine Bonnissant qui a eu 3 fils, Henry et Edouard Halbert, et Etienne Chauvet; Ces 3 fils héritent de tous les biens Bonnissant et Lebraire, puisque l’oncle et la tante n’ont pas d’enfants. Or, les biens Bonnissant et Lebraire avaient bien fructifié ! Assez pour passer au rang de bourgeois.

Sur cette photo, Judith Lebraire, fête ses 80 ans en 1889 en présence de ses proches : Edouard Halbert est à sa droite et son fils Edouard II Halbert est l’un des enfants assis devant
Edouard Halbert apporte donc à Marie Mounier ses biens  Bonnissant dont le grand terrain qui touche les moulins des Gobelets. Ils y construisent un immense hangar de bois au fonds d’une grande cour donnant sur le calvaire de la Croix des Herses. La cour était si grande que le pont bascule qui était à droite disparaissait presque à la vue (la photo de pont bascule est un exemple actuel pour illustrer le pesage d’un camion). Comme les ponts bascules actuels, il avait une guérite, dans laquelle était le dispositif de pesage qui m’impressionnait beaucoup, car on tirait un gros poids de droite à gauche jusqu’à balance exacte. La photo explicative est de Larousse. Avant la seconde guerre mondiale les camions étaient tractés à cheval chez les Halbert, puis après un Ford. Et bien entendu, d’autres utilisateurs étaient autorisés à venir peser sur ce pont bascule leur camion. Et, chose étrange, moi qui suis née en 1938 et ai connu ce lieu de 1945 à 1956 je me souviens beaucoup de ce pont bascule. J’ai eu le grand privilège, en temps qu’aînée, d’avoir le droit d’entrer dans cette cabine de pesage.

Cette photo aérienne de 1956 montre le pont bascule situé à droite en entrant dans la cour, entre le calvaire dans l’entrée, et les bureaux avant le hangar, mais attention les bureaux n’ont été construits qu’au partage en 1936, car auparavant ils étaient encore en face dans le 9 route de Clisson. Ces bureaux avaient été conservés par la carrosserie Landron acquéreur en 1974.

En 1885, Jacques Mounier, le fondateur, se retire dans l’une des maisons qu’il avait acquise, et dont il loue toutes les pièces, et il laisse à sa fille et son gendre toute l’immense maison du 7 route de Clisson. L’homme qui a vécu modestement malgré son succès commercial, laisse la place à des descendants embourgeoisés.
Pourtant il existe déjà un concurrent route de Clisson comme l’indique en 1887 l’annuaire de la Loire-Atlantique qui donne encore 15 marchands de chevaux à Nantes, dont 2 à Pont-Rousseau et 2 route de Clisson, donc 4 au sud de la Loire, mais donne aussi un concurrent marchand de fourrage route de Clisson au Lion-d’Or.

1904 maison 4 rue Lemevel

Aujourd’hui 4 rue Lemevel (ex  chemin de la Gilarderie) cette maison est construite par Edouard 1er Halbert et Marie Mounier sa femme pour s’y retirer, car leur fils unique Edouard II Halbert se marie et ils lui laissent la maison n°7 route de Clisson en entier, tout comme Jacques Mounier l’avait fait en 1875 à sa fille Marie. La maison donnait directement sur la cour et le mur de parpaing que vous voyez ci-dessus date de 1956 car suite à sa demande de divorce , mon père nous enclos tous les 6 avec maman, pour mieux nous expulser. Mais, moi, l’aînée, j’y ai vécu de 1945 à 1956. Outre la cour nous avions accès à 2 jardins, l’un immense, plantée de toutes sortes de légumes, avec un grand poulailler, là où dans les années 1990-2020 la carrosserie Landron stockait des dizaines de voitures. L’autre jardin d’agrément, plus petit derrière la maison, où nous pouvions jouer. En bas 4 grandes pièces, un minuscule cabinet de toilette pour les parents, et en haut Georges, mon père, construisit en 1942 un autre cabinet de toilette et c’est là que j’ai vécu avec ma soeur de 10 mois ma cadette. Nous étions directement sous les ardoises dissimulées par une couche de plâtre et nous avions 45° l’été et moins de 10 l’hiver. On s’en souvient encore et on en parle encore souvent ! L’une des 4 pièces en bas était la grande cuisine avec la véranda, ici photographiée en 2011 exactement dans l’état que je l’ai connue en 1956. Mais la maison avait une merveille, un immense sous-sol, contenant une salle de bain, une buanderie (à l’époque pas de machine à laver mais une lessiveuse), une cave à vin, et une chaudière à charbon. C’est là que nous nous réfugions pendant les alertes aux bombardements pendant la guerre, puis, la guerre passée, c’est là qu’on punissait un enfant fautif, dans le noir dans la cave ! Malheureusement, ce sous-sol a demi sous-terre fait qu’à l’intérieur de la maison à la porte d’entrée il y a 4 marches, et c’est le cas de nombreuses maisons à Nantes. Je n’ai jamais compris comment des vieux pouvaient se construire une maison pour leur retraite, pleine de marches partout, car à la véranda il y en avait environ 9 pour descendre au jardin. Et ce type de maison, dont beaucoup à Nantes, est difficilement transformable en mode de vie 2023 c’est à dire la cuisine et séjour tout en un etc…
La maison, construite en 1904 ne jouit pas alors du confort qui existe déjà un peu en 1940, et pire, le premier étage n’est que grenier, mis à part ce qui fut sans doute au départ « la chambre de bonne », ainsi qu’on logeait autrefois les domestiques, même si il n’y a plus de domestique logé dans cette maison depuis 1923.
En 1942, Georges, très bricoleur et travailleur, entreprend des travaux de modernisation tout en tentant d’aménager le 1er étage afin de faire la place à sa petite famille qui s’agrandit un peu trop d’année en année. Pour le confort sanitaire, il a à sa disposition la miroiterie Marly, qui fait aussi les sanitaires, et est installée route de Clisson, face à la maison de Charles Haury. Il entreprend même une grande avancée dans le confort sanitaire : une baignoire. Mais la maison de 1904 n’était pas prévue pour faire la place à une salle de bains avec baignoire. En effet, elle ne laisse place qu’à un cabinet de toilette, exigu, comme on les faisait sans doute en 1904. Impossible d’y loger la baignoire.
Il décide donc de créer au sous-sol une salle de bains. Le sous-sol est vaste et les soupiraux nombreux. Il va aussi y installer la chaudière à charbon pour le chauffage central, et laissera une pièce pour la laverie, et une pièce pour la cave à vins. Et au premier il ajoute une salle d’eau avec lavabo et même bidet. Sous le toit pentu de ce grenier la pièce laissera même la place au bureau des enfants pour étudier.
Et il y installe sa famille en juin 1942, à la naissance de son 4ème enfant.
Je vais vivre 14 ans la haut, dans cette mansarde, sous les ardoises, car tout le grenier est à même l’ardoise, et la chambre, certes plâtrée, n’est pas isolée : on n’avait pas encore découvert les bienfaits de l’isolation ! Le bain hebdomadaire était orchestré donc au sous-sol par Georges, tous les uns après les autres, dans la même eau, en commençant par les plus petits, car entre-temps nous étions 6 enfants. En entrant dans l’eau, moi, l’aînée, je profitais donc des « traces » laissées par les précédents. Je ne m’en plains pas, car après 1956, je vais connaître ailleurs aucun lavabo, et même aucune eau, pendant des années.
Outre un poulailler nous avions un coq, et l’été il réveillait tout le quartier, et je le supportais très mal. Les coqs sont depuis longtemps maintenant interdits en ville, mais c’était vraiment une autre époque dans les années 1945-1956. J’ignore s’il y avait d’autres coqs dans le quartier, mais je le suppose car il existait d’autres poulaillers…
En 1950, sur le plan de la ville de Nantes apparaît une zone pour la future ligne de ponts, l’actuel boulevard Gabory, et la maison est alors frappée d’alignement. (voir ce plan sur ma page concernant la maison 7 route de Clisson) Ma chambre, que je partageais avec ma cadette Nicole, est la mansarde sur la rue. Cette mansarde était si mansardée que je ne pouvais faire mon lit sans me pencher beaucoup. En outre, les ardoises n’étaient pas loin, et même à nu dans les pièces voisines qui servaient de grenier. Elle était donc très chaude l’été etc… En outre, il est parfois arrivé des fuites dans la toiture et notre plafond prenait des traces noires. Papa nous disait qu’il était impossible de faire des travaux car la maison était frappée d’alignement pour construire une nouvelle ligne des ponts.
La ligne des ponts fut construite plus tard mais n’emporta que l’autre côté de la route de Clisson : la maison du 4 rue Lemevel est encore là en 1969, à ma grande stupéfaction, quand je reviens à Nantes après 13 années passées au loin. Car le 16 janvier 1956 mon père vide la moitié de la maison en partant avec ce qu’il estime ses meubles, même la TSF, le tourne-disque et les disques, et le Mécano alors important. Maman, restant alors seule avec les 6 enfants arrête net mes études faute de pouvoir nous élever tous les 6 car la pension alimentaire et sera rarement versée ou alors après action de l’avocat.  4 ans plus tard elle est expulsée de la maison de mon père, qui vend la maison en 1961 pour 51 600 F pour rembourser maman de son indemnité de divorce et de sa dot, car en se mariant en 1937 elle avait reçu une dot importante de ses parents, dont elle va pouvoir survivre.

1932

Edouard 2° Halbert décède brutalement Edouard 2° HALBERT 1877-1932 : train de vie  Aucun de ses 4 enfants n’est encore marié, et ils travaillent avec leur mère dans l’affaire.

Leur défunt père, qui avait été le premier dans le quartier Saint-Jacques à acheter une voiture, avait transmis le goût des voitures à son fils Georges. La photo ci-dessous le montre en 1936, manifestement heureux de livrer avec une voiture et plus à cheval, mais la photo montre aussi un cheval qui passe, les maisons en face joignant le 9 route de Clisson, la cour, puis la maison Bureau marchand de chevaux, et on devine à droite de la voiture la petite maison basse qui faisait l’angle du chemin de la Gilarderie et la route de Clisson. Sur cette photo on voit Georges heureux de livrer en voiture alors que la voiture est la fin de son commerce… c’est saisissant ! Cette photo me bouleverse chaque fois que je la vois.

Dans les années 1947-1956 Georges eut un camion Ford (plus petit que celui de la photo) avec un toit sur la cabine, et il allait chercher les bottes de foin ainsi ayant supprimé son camion hypomobile et ses chevaux. Lors des vacances scolaires c’est avec ce camion qu’il emmenait ses 6 enfants jusqu’au Pouliguen ou ma grand-mère maternelle possédait une villa. Nous étions installés derrière sur un banc et je surveillais les plus jeunes… Nous n’avions pas conscience d’un risque quelconque et nous jouissions de toute la vue possible et du grand air, le tout bien entendu sans ceinture ni aucune autre fixation. Nous étions probablement les seuls enfants du quartier à jouir de vacances familiales à la mer et revenir tout bronzés. Et à ceux qui trouveraient incroyables ce transport en camion sans attaches, je tiens à ajouter que mes cousins germains des Coteaux du Layon, venaient ainsi chaque hiver fêter Noël chez la grand mère Halbert, et mes cousins me racontaient qu’ils en avaient des stalactites au nez…

1936- 1956

En 1936 les biens des Halbert sont partagés entre les 4 enfants. Georges a le commerce et la maison du 4 rue Lemevel, et les maisons que Jacques Mounier avaient acquises vont aux autres. Le commerce dont a hérité Georges décline devant l’invasion des voitures, camions, trains, entraînant la disparition du cheval. Il doit se diversifier et lance une fabrique de paillassons, dans le grenier de son immense hangar. Voici sa publicité en 1939 dans le journal des maraîchers Nantais, ses clients.

Pour faire connaître ses paillassons, mon papa tenait à la foire commerciale un stand. Le voici dans l’annuaire de 1947 :

Les paillassons étaient fabriqués dans le grenier de l’immense hangar, sans isolation contre le froid et/ou le chaud. Il devait y avoir 2 ou 3 malheureuses employées, qui devaient subir ces épouvantables conditions de travail… sans oublier la poussière et la fatigue debout. Je n’ai jamais vu ce grenier, interdit aux enfants.
J’ai connu dans ces années 1950 le mois de Marie en mai, une fois par semaine dans la cour si grande, tout près du calvaire de la Croix des Herses. C’était bien le calvaire qui motivait ce lieu de prières et non la maison Halbert bien sûr, mais on allait pas installer des bancs sur la rue alors ils étaient installés dans la cour le soir et le quartier venait prier la vierge Marie.
Chaque année, du temps du moins que j’y ai vécu, c’est-à-dire 1945-1956, il y avait dans les semaines précédents la mi-Carême de Nantes, la construction d’un char à l’abri sous le hangar, et je me souviens avoir entendu mon père parler d’un certain Peignon en lien avec la rue des Olivettes. En tant qu’enfant, je crois que je ne réalisais pas très bien l’importance de ces chars pour les fêtes de Nantes. Nous allions voir le défilé un jeudi sans place privilégiée quelconque, comme tout le monde, dans une rue du centre de Nantes. A l’époque il n’y avait pas classe le jeudi, alors que maintenant c’est le mercredi.

1956-1974

Si je n’ai pas connu cette époque à Nantes, je peux la reconstituer car le paillasson pour culture maraîchère disparait dans les années 1960 devant l’industrialisation des maraîchers passés au pétrole et à l’électricité dans les serres. Saint-Julien-de-Concelles en est encore en 2023 une horreur écologique. Le paillasson pour clôture existe encore en 2303 en brande de bruyère, en roseau de Camargue et même en tige de saule. Sur la photo ci-contre vous voyez la clôture installée par mon papa en 1944 pour que moi l’aînée, assise, je puisse surveiller les cadets sans risques.

Je n’ai jamais revu mon père après 1956, mais je constate que le cheval avait disparu, les paillassons aussi, et en 1974, nous apprenons indirectement plusieurs jours après son inhumation son décès et la faillite. Je cours au commissariat Waldeck pour m’informer des conditions de son décès, j’y suis reçue cordialement en tant que fille du décédé, et un agent m’installe devant un cahier en occultant les actes qui ne me concernent pas. Et je lis ce alors une phrase si terrible qu’elle m’obsède toujours : « et le corps a été remis à sa famille ». Ainsi, en France, on n’est plus sa famille, mais on est par contre bien héritier potentiel des dettes, aussi je cours au tribunal renoncer à l’héritage avec les justificatifs des 5 autres enfants. Puis, tout le commerce est vendu à la carrosserie Landron et Mr et Mme Landron m’invitent à cette vente chez le notaire pour connaître l’histoire du calvaire, et j’y assiste donc en « pot de fleur » car il ne reste rien, et la vente couvre tout juste les dettes. Ils me précisent qu’ils ne sont pas croyants, mais respecteront le calvaire, ce qu’ils firent, et j’espère qu’il en sera de même du futur plan PLUM Lemevel. Histoire de la Croix des Herses, Nantes

J’ignore si mon père avait juré à son père en 1932 sur son lit de mort, de conserver l’affaire car cette notion de ne pas toucher aux biens de famille a pesé autrefois dans beaucoup de familles, incapables de suivre l’évolution, devenue rapide, des changements de la société. Mais, ce que je sais par mes années 1945-1956 alors en sa famille, c’est qu’il condamnait tous ceux qui changeaient de métier, persuadé que c’était mal. J’écris ces lignes avec douleur à la mémoire de mon père qui aima trop les voitures et les femmes, et vécut toujours bien au dessus de ses moyens, comme beaucoup de Français encore en 2023, mais ceux-là attendent des autres de l’aide, mon papa a assumé ses dettes.

Georges Halbert, tailleur de pierre, loue la closerie de la Lande, Saint Georges sur Loire 1689

Vous avez sur mon blog plusieurs centaines de baux, mais seulement 68 qui sont directement pris par l’exploitant direct en tant que bail à moitié, les autres sont des baux à ferme. Mais j’ai déjà rencontré quelques baux à moitié qui sont pris non pas par des closiers mais par des artisans comme le bail qui suit, car Georges Halbert est tailleur de pierre. Je me demande donc comment ces artisans faisaient pour assumer les deux, à savoir entretenir la closerie selon leur bail, et exercer aussi leur métier, et je suppose qu’ils vivaient avec un autre proche parent qui leur donnait de l’aide… Donc le bail à moitié qui suit concerne un Georges Halbert de St Georges sur Loire, or j’ai toute une branche HALBERT à Montjean, non loin de là. Ces Halbert n’ont strictement rien à voir avec ceux qui m’ont donné leur nom qui sont ma branche paternelle issue du Loroux-Bottereau. Par contre, j’ai eu beaucoup de plaisir à rencontrer une Nième façon d’écrire mon patronyme, cette fois avec un D à la fin : HALBERD

Cet acte est aux Archives Départementales du Maine-et-Loire, 5E7 – Voici sa retranscription (voir ci-contre propriété intellectuelle) :

Le 6 décembre 1689 après midy, devant nous Pierre Boisseau notaire du conté de Serrant furent présents en leur personne establis et deuement soumis sous ladite cour chacuns de honneste homme Pierre Halberd marchand fermier demeurant en la paroisse de Saint Georges sur Loire bailleur d’une part, et honneste homme Georges Halberd Me tailleur de pierre demeurant en ladite paroisse de st Georges preneur d’autre part, lesquelles parties ont fait entre eux le bail à titre de moitié qui s’ensuit pour le temps et espace de 5 années 5 cueillettes entières parfaites et consécutives qui ont commencé au jour et feste de Toussaint dernière et qui finiront à pareil jour, c’est à savoir que ledit bailleur a baillé audit preneur audit titre la grande closerie de la Lande comme il se poursuit et comporte composé de maison, grange, jardins, terres labourables, prés, comme ledit lieu se poursuit et comporte, lequel lieu ledit preneur a dit bien cognoistre pour en avoir cy devant joui et en joui encore à présent pour y esetre demeurant, à la charge audit preneur de jouir dudit lieu pendant ledit temps en bon père de famille sans commestre aucune malversation et ne pourra abattre sur ledit lieu aucuns arbres fructuaux ni marmantaux par pied teste ni autrement ains coupera et esmondera les haies dudit lieu en temps et saisons convenables, à la charge audit preneur de tenir et entretenir ledit lieu pendant ledit temps en bon estat et réparation et le rendre en bon estat et réparation à la fin dudit bail reconnaissant y estre tenu pour raison de sesdites jouissances, à la charge audit preneur de labourer, cultiver, gresser et ensemancer le nombre de 30 boisselées de grande terre dudit lieu par chacun an et les jardins pour le tout, et les parties recognaissent que ledit Halbert bailleur a fourni 18 boisseaux de blé seigle 9 boisseaux de froment 2 boisseaux et demi d’avoine et ledit Geoges Halberd preneur aussi fourni (f°2) pour ensepmancer un septier de blé seigle un boisseau et demi de froment et 2 boisseaux et demi d’avoine, et est accordé entre les parties que ledit Halberd bailleur reprendra à l’aoust prochain les 9 boisseaux de froment net et le surplus des autres sepmances fournies par les parties demeureront sur ledit lieu pendant ledit bail …

Benoît Halbert, artiste peintre, s’en est allé : ses oeuvres demeurent.

Benoît Halbert demeure par son oeuvre. Ainsi, cet ancien presbytère habite ma salle de séjour, me rappelant aussi que ces lieux ont souvent été désertés faute de prêtres, même certains ont une seconde vie de nos jours.

J’avais acheté cette oeuvre dans les années 1990, découvrant alors que l’artiste peintre avant un ancêtre commun avec moi, mais avant la Révolution, et cela remonte loin. Il est inhumé demain à Sucé-sur-Erdre, et j’aurai une pensée, devant ce presbytère qu’il a signé.

A sa mémoire.

 

 

Porteur de pain à domicile : Nantes St Jacques 1901

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Le recensement de Nantes St Jacques en 1901 que je vais vous donner ici intégralement montre entre autres la présence de nombreuses personnes âgées isolées. Cela m’intéresse beaucoup, car je pensais qu’autrefois les personnes âgées étaient assumées par leur famille et non isolées.

Tout en tappant ce recensement (j’ai déjà tappé 2 500 personnes et cela n’est pas terminé tant c’était dense autrefois) je me demandais donc comment ces personnes âgées vivaient, moi qui suis cliente du Super U à domicile via internet, et qui entend à la radio que pendant le reconfinement beaucoup de magasins tentent de livrer à domicile.

Bref, voici le porteur de pain, donc je suis rassurée, on livrait aussi à domicile autretois, et le pain était important. Donc les personnes âgées isolées pouvaient autrefois avoir le pain à domicile.

Adolphe Guillard a 30 ans, déjà 2 enfants, demeure dans la cour du 104 rue St Jacques, et exerce la profession de PORTEUR DE PAIN de la boulangerie de la veuve HALBERT au 66 rue St Jacques. Cette veuve est une collatérale de mon ancêtre, et je vous signale au passage que cette boulangerie existe toujours et à la même place.

Bail à ferme du droit de pêche en rivière de Sèvres, Rezé

Nos ancêtres pratiquaient plus que nous le carême, et ils consommaient plus de poissons pendant ce temps, surtout les gens aisés des villes.

A la différence du droit de chasse, personnel, le droit de pêche est un droit utile qui peut être affermé.
Mais, néanmoins, le comte de Rezé se réserve sa pêche personnelle, et même pour pêcher, il se réserve l’aide des preneurs du bail et de leurs barges et filets.
Le montant annuel est très élevé, atteignant 60 livres, et sur 2 pêcheurs, mais l’acte ne précise pas s’ils étaient seuls à avoir droit de pêcher en Sèvres, ce que je suppose.
De toutes manières, le droit ne concernait que l’étendue de la juridiction seigneuriale du comte de Rezé, et pas toute la longueur de la Sèvres.

collection particulière - reproduction interdite
collection particulière – reproduction interdite

J’ai trouvé cet acte aux Archives Départementales de Loire-Atlantique, série 4E2 – Voici sa retranscription (voir ci-contre propriété intellectuelle) :

Le 12 mars 1716 avant midy, devant nous (Bertrand notaire) notaires royaux à Nantes, a comparu messire Yve Joseph de Monty chevalier seigneur comte de Rezé et autres lieux demeurant en son château de Rezé paroisse dudit Rezé
lequel afferme par le présent acte avecq promesse de garantie vers et contre tous pendant cinq ans qui commenceront à la fête de St Jan Baptiste prochaine et finiront à pareille de l’an 1721,
à Philippe Ertaud pescheur Marie Dejois sa femme qu’il autorise, Jean Halbert aussi pescheur et Janne Ertaud sa femme qu’il autorise, demeurants en l’île des Chevaliers paroisse dudit Rezé sur ce présents et acceptants,
scavoir est tous les droits de pesche sans réservation luy appartenants en la rivière de Saivre à cause des fiefs et juridictions composants sa comté de Rezé, avec des mêmes fiefs et juridictions, ainsi que lesdits droits luy appartiennent et qu’ils doivent entendre et s’enervier dans ladite rivière
à la charge à eux d’en jouir ainsy que ledit seigneur comte a droit de faire et en conformité des ordonnances et règlements concernant la pesche
ce qu’ils sont dit bien scavoir et connaître et renoncé à en demander autre donnaissance ny instruction
cette présente ferme de la manière faite au gré desdites parties pour lesdits Ertaud, Halbert et leurs femmes enpayer quite franc audit seigneur compte en sondit château la somme de 60 livres chacun an au terme de St Jan Baptiste à commencer le payement de la première année à pareil jour de l’an 1717 et ainsi ils continueront à l’expiration de chacune des dites autres années
à tout quoy faire même à délivrer quite de frais et dans quinzaine une copie garantie du présent acte audit seigneur, iceux Ertaux, Halbert et leur femme, s’obligent sur l’hypothèque de tous leurs meubles et immeubles présents et futurs et pour en défaut de ce contraints en vertu du présent acte et sans autre mistère de justive par saisie et vente d’iceux comme gages tous jugés par cour solidairement les uns pour les autres un d’eux seul pour le tout renonçant au bénéfice de division ordre de droit et de discussion, même par emprisonnement des personnes d’iceux Ertaud et Halbert à cause que c’est pour jouissance de droits champestres le tout suivant les ordonnances royaux se tenant pour tous sommés et requis
et outre ce est expréssement convenu qu’il sera libre audit seigneur d’aller avecq qui bon luy semblera toutetois et quantes qu’il le souhaitera faire pescher pour son plaisir en ladite rivière et de se servir gratuitement des personnes barges et filets desdits Ertaux et Halbert pour ce faire
consanty jugé et condamné à Pirmil au tabler de Bertrand où ledit seigneur comte de Rezé a signé, et pour ce que les autres ont dit ne scavoir signer ont fait signer à leur requeste scavoir ledit Ertaud à Gabriel de Bourgues, ladite Dejois à Me Louis Benoist huissier, ledit Halbert à Martin Hoüet et ladite Janne Ertaud à Jullien Houet sur ce présents, se soumetant et prorogeant lesdites parties par express à la juridiction de ladite comté de Rezé pour l’exécution de tout ce que dessus circonstances et dépendances renonçant à en décliner par quelque cause et raison que ce soit,
fait comme devant lesdits jour et an

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Edouard 2° HALBERT 1877-1932 : train de vie

Edouard 2° HALBERT : train de vie

Son grand-père Mounier, d’origine modeste (j’y reviendrai très longuement) a vécu sans dépenser bourgeoisement, se contentant même d’une pièce à vivre et louant les autres pièces de la maison à des tiers.  Son aptitude au travail, et son modeste train de vie, alors que ses affaires florissaient, augmentaient d’autant les économies, ce qui explique qu’il put acquérir plusieurs maisons rue Saint-Jacques et route de Clisson à Nantes. Ajoutons que la route de Clisson où il s’installa en 1843 était un monde rural non urbanisé, et il était le seul au sud de la Loire à Nantes, à fournir les chevaux, alors nombreux, en avoine et foin.

Edouard 2° Halbert sera héritier du commerce de grains et fourrage créé par son grand père Jacques Mounier à l’époque du cheval à Nantes. Il jouit de la maison et du commerce depuis son mariage, car ses parents se sont retirés en sa faveur, mais il attendra 1923 pour voir la succession effective de son père et 1932 celle de sa mère. Ils ne lui laissent pas que les biens Mounier, car son père a aussi une partie des biens BONNISSANT-LEBRAIRE.

Je suis née en 1938, et j’ai mémoire d’une « bonne à tout faire » nommée Émilie, qui semble avoir terminé sa carrière après la guerre. Je savais donc que mes grands parents avaient une domestique. J’étais loin de m’imaginer ce que je viens de découvrir dans les recensements.

Les recensements de la ville de Nantes, que j’ai entièrement dépouillés et que je vais publier sur mon blog, m’apprennent qu’en 1926 mon grand père n’a pas une, mais deux domestiques, l’une dénommée « cuisinière », l’autre « femme de chambre », et ces domestiques sont recensées sous son toît, car y vivant, logées sans doute sous les toits, comme c’était alors souvent le cas de ces femmes, et travaillant certainement beaucoup plus que 35 h par semaine, comme de nos jours.

Voici le recensement de 1926 concernant la maison de mon grand père Edouard Halbert :

 

Halbert Edouard

Allard Madeleine

Halbert Marguerite

Halbert Camille

Halbert Paul

Halbert Georges

Halbert Marie

Gravoueil Marie

Delhommeau Marguerite

1877

1877

1908

1909

1911

1912

1913

1893

1871

Nantes

La Pouëze

Nantes

Nantes

 

 

 

Chap. Hermier

Vieillevigne

chef

épouse

fille

fille

fils

fils

fille

 

 

négociant en grains

 

 

 

 

 

 

cuisinière

femme de chambre

Certes, ce recensement donne d’autres maisons de la route de Clisson ayant domestique. Notamment, plusieurs personnes âgées, en couple ou seules, ont domestique.

Je suis âgée de 82 ans, vit à domicile. Je sais qu’on ne peut tout faire seule, et j’ai aide ménagère depuis des années faute d’avoir encore mes épaules. Mais j’ai une retraite, ce qui n’existait pas en 1926, et j’ai le système actuel des aides ménagères quelques heures par semaine, alors qu’en 1926, il n’existe aucune retraite, et les personnes âgées terminent leurs jours soit :

  • avec une domestique, pour ceux qui ont encore un capital, donc les plus aisés
  • auprès d’un enfant qui gagne sa vie, pour les plus chanceux en famille
  • à l’hospice pour tous les autres, et je ne sais s’ils sont la majorité. Ce que je sais c’est que l’EHPAD actuel n’a rien à voir avec l’ancien hospice, recueil des pauvres, mais pauvrement.

La route de Clisson n’échappait pas à cette vision sociale des personnes âgées d’alors, et on y observe bien des familles qui ont près d’eux leur ancien(ne), et des personnes âgées seules avec domestique. Et pour mémoire, je me souviens qu’il y avait hospice pour les vieux à l’hôpital Saint-Jacques tout proche. Cela c’était avant les EHPAD actuels.

Revenons à Edouard 2° et à son train de vie. Je dois vous avouer que j’ai été totalement stupéfaite d’apprendre par ce recensement que mon père, Georges Halbert, et ses frères et sœurs, alors tous adolescents, ont connu ces 2 domestiques. Je découvre ainsi une fascette de mon père qui m’était inconnue, car il a donc eu une enfance très bourgeoise.

Mais j’apprends dans ce recensement de la route de Clisson en 1926 bien plus encore.

En effet, le même recensement de 1926 nous apprend aussi toutes les professions des habitants de la route de Clisson, et j’y fais une énorme découverte pour l’histoire de la famille, que je m’empresse de vous conter.

Lorsque Jacques Mounier, le « grand père breton aux origines modestes », s’installe route de Clisson en 1843 et y lance un commerce de grains et fourrages, cette route est un désert rural. Dans tous les recensement avant la seconde guerre mondiale, l’agent recenseur du 4° canton de Nantes fait brusquement une coupure sur son registre et annonce qu’il commence la partie rurale : la route de Clisson.

Le commerce de grains de fourrages est alors seul au sud de Nantes, à une époque où le cheval assure la traction des nombreux véhicules et des machines diverses. Mais la vapeur et le moteur à essence arrivent et vont supplanter le cheval. On gardera de nos jours la mémoire du cheval dans nos instruments de mesure. On a défini le « cheval-vapeur » comme la puissance développée par un cheval pour remonter de 1 m une masse de 75 kg en 1 s.  Et aux chevaux-vapeur on a ajouté les chevaux fiscaux pour les automobiles. Quel Français n’a jamais entendu parler de la 2 CV, la 4 CV …

Tandis que le nombre de chevaux diminue drastiquement entre les 2 guerres mondiales avec la multiplication des automobiles, le recensement de 1926 donne route de Clisson 2 autres marchands concurrents, respectivements installés au 102 et au 72 :

102 Lemaqueresse Henriette

Lemaqueresse Jean

Lemaqueresse André

Lemaqueresse Jean

Tillaud Henriette

1886

1883

1911

1919

1852

St Sébastien

Herbignac

 

 

 

chef

époux

fils

fils

fille

négociant en grains
72 Chataigner Gustave

Marchand Marie

Chataigner Marie

1871

1877

1908

St Sébastien

Vallet

Nantes

chef

épouse

fille

Md de fourrage

 

couturière

Ils sont de la même génération qu’Edouard 2° Halbert, né en 1877, vivent plus modestement car je n’y vois pas de domestiques sous leur toît. Ainsi j’apprends que la concurrence est là alors que le marché décroît.

Or, dans le même temps, voici la mémoire de la famille :

« En 1926, Edouard Halbert, atteint de rhumatisme articulaire, est soigné au salicylate, et est mis au régime. Le traitement déforme ses doigts et agit surtout sur son caractère, tandis que toute la famille doit suivre le régime. En mai, il part en cure 3 semaines pour atténuer sa maladie.
C’est à cette époque qu’il délaisse ses affaires au profit des organisations  professionnelles.
Sa femme, aidée de ses 2 filles aînées, s’occupe du commerce. Elle gère en particulier la comptabilité avec beaucoup de rigueur. Elle transmet cette compétence à ses 2 filles.
En 1930, Edouard Halbert achète une voiture Delaunay-Belleville, qu’il fait transformer près de Paris pour y ajouter des sièges. Ainsi, la famille peut pique-niquer le dimanche au bord de la mer, ainsi à Pornic. Il achète même une tente de plage et fait faire une boîte de rangement de la vaisselle. » 

Je comprends que mon grand père est atteint, comme moi, de la goutte, qu’il a transmise à mon père, puis à un de mes frères et moi. Cela fait plus de 45 ans que je suis volontairement au régime anti-goutte pour la fuir, et il n’a rien de désagréable. Je suppose qu’à l’époque, le régime était sans doute moins connu que de nos jours et un peu plus fantaisiste pour qu’il ait laissé un tel souvenir à ma tante !

Le changement de caractère et l’éloignement des affaires auraient pu aussi être la conséquence des difficultés déjà rencontrés dans son commerce ?

Il n’en est rien puisqu’en 1930 il affiche un tel train de vie avec la Delaunay-Belleville, voiture alors considérée comme exceptionnelle. Pourtant Renault et Citroën ont déjà beaucoup de modèles connus et en série. La petite histoire orale de la famille nous raconte qu’il fallait tant de temps pour la faire démarrer qu’on aurait été plus vite à pied à l’église le dimanche ! Mais, manifestement Edouard tenait à parader.

La voiture est pour alors beaucoup d’hommes un objet d’identification narcissique et virile. Certes, beaucoup de femmes passèrent leur permis de conduire avant la seconde guerre mondiale, comme ce fut le cas de maman, mais elles n’eurent plus le volant après le mariage, car il était réservé au mari.

Ainsi, avec ses 2 domestiques et sa belle voiture, alors que les chevaux se raréfient avec la motorisation, et qu’il y a des concurrents, Edouard 2° Halbert, mon grand père vivait au dessus de ses moyens et méritait les reproches incessants de ses parents, reproches qui nous ont été transmis en 1939 par son fils Paul, écrivant les mémoires de la famille. Voici donc la mère d’Edouard 2°, sachant qu’elle était fille de Jacques Mounier le fondateur, venu de Bretagne d’une famille nombreuse de laboureurs, et créateur du commerce de grains et fourrages :

 

« Marie Monnier, épouse d’Edouard 1er Halbert 1855-1932
Marie Monnier avait hérité des qualités de son père, goût du travail, rouerie dans les affaires, goût de l’économie poussé jusqu’à l’avarice. C’était elle qui portait la culotte.
Route de Clisson le commerce de grains et fourrages prospérait. De Bretagne, les avoines arrivaient par gabares, on les camionait à la maison, on pesait, ajustait, les ficelait en sacs que les camions allaient livrer aux clients. A la saison des foins, des gabarres lourdement chargées des foins des prairies de l’embouchure de la Loire remontaient jusqu’à Nantes sur le quai Moncousu. C’était la période de la cale aux foins. La « cale » durant tout l’été, de juillet à septembre. Sous le soleil de plomb on déchargeait le foin dans les charrettes, sous les ardoises brûlantes des greniers on rentrait la provision de foin pour l’année chez les clients.
Il fallait être partout, être à la cale, chez les clients, assister à la réception des charrettes de campagne, préparer les expéditions d’avoine, et quelquefois travailler tard dans la nuit, les mains coupées par le fil rude à ficeler les sacs pour les livraisons du lendemain, à 5 heures les camionneurs arrivaient, trouvant leurs chevaux pansés par Edouard 1er Halbert. Les dimanches d’été, il fallait aller au Pellerin, à Frossay, ou à Rouans pour acheter du foin aux herbagers, discuter, finasser et montrer de la rouerie pour ne pas être roulé soi-même.
En 1877, ils eurent un fils qui épouse Madeleine Allard.
Avant leur mariage ils firent construire la maison située 2 chemin de la Gilarderie et vécurent tous les deux dans cette maison jusqu’à leur mort.
Edouard Halbert mourut en juin 1923 et sa femme en février 1932.
Durant les dernières années de leur vie, ils ne surent guère profiter du bonheur d’avoir en face chez eux leurs enfants et petits enfants. La mère faisait à son fils des reproches souvent violents sur sa façon de gérer le commerce ou sur ses dépenses. »

Photo de 1936

Hélas, Edouard 2° avait transmis le goût des belles voitures, au dessus des moyens de son commerce, à son fils mon père, que l’on voit sur la photo de 1936 en tablier et béret, le 2ème à gauche debout devant la porte du magasin.