Journal d’Etienne Toysonnier, Angers 1683-1714

1687 : juin, juillet, août, septembre, octobre, novembre, décembre

Journal de Maître Estienne TOYSONNIER, Angers, 1683-1714
Numérisation par frappe du manuscrit : Odile Halbert, mars 2008. Reproduction interdite.
Légende : en gras les remarques, en italique les compléments – Avec les notes de Marc Saché, Trente années de vie provinciale d’après le Journal de Toisonnier, Angers : Ed. de L’Ouest, 1930

  • Le 1er juin (1687) mourut d’apoplexie et de paralysie monsieur de la Perrière Foussier conseiller honoraire au siège présidial, mari de la dame Gardeau.
  • Le même jour (1er juin 1687) monsieur de la Martinière Girault, conseiller au présidial, fils du feu sieur Girault greffier en chef au siège présidial et de la Delle Baché, épousa la fille de monsieur de la Sauvagère Guinoiseau conseiller honoraire audit siège et de la dame Boizourdy.
  • Le 2 (juin 1687) monsieur Bernard, conseiller au siège présidial, fils de Mr Bernard, conseiller honoraire au même siège et de la défunte dame de la Blanchardière Audouin, épousa la fille de feu Mr Robert Sr de Rouzée avocat et commissaire des saisies réelles et de la Delle Bellière.
  • Le 6 (juin 1687) mourut la femme de monsieur de la Houssaye Boucault conseiller au présidial ; elle a laissé six petits enfants ; elle s’appelait Gandon, fille du feu Sr Gandon et de la dame Denyau, mariée en secondes noces à Mr de Grée Poulain doyen des conseillers.
  • Le 7 (juin 1687) mourut madame Balain ; son fils droguiste confiseur a épousé la dame Olivier.
  • Le 8 (juin 1687) le Sr Viot marchand droguiste épousa la fille du Sr Chantelou du bourg de Foudon.
  • Le 13 (juin 1687) mourut monsieur Artaud âgé de 90 ans. Il avait beaucoup d’esprit, de mérite et de vertu. Il avait épousé la demoiselle Toublanc, dont il y a deux garçons ; l’aîné a épousé la défunte Delle de la Lande de la ville de la Flèche ; et le cadet mademoiselle Lefebvre de Chambourreau. Il fut enterré le lendemain dans l’église de St Michel du Tertre.
  • Le 15 (juin 1687) mourut le Sr Loyseau peintre.
  • Le 17 (juin 1687) mourut la femme de Mr Burolleau marchand de draps de soye ; elle s’appelait Guynoiseau, sœur de feu Mr Guynoiseau avocat ; elle a laissé plusieurs enfants.
  • Dans ce même temps mourut la femme de Mr de Lisle Me apothicaire.
  • Le 25 (juin 1687) le fils de Mr de la Roche Goizeau et de la Delle … épousa la fille de Mr du Brossé Mincé et de la Delle …
  • Le 26 (juin 1687) Mr Maussion conseiller au présidial, fils de Mr Maussion docteur en médecine et de la Delle Chedanne épouse Melle de la Gaudinière Poulain. Elle est sœur de madame Douasseau.
  • Le 3 juillet (1687) mourut à Château-Gontier monsieur de Chassonville cy-devant capitaine aux gardes ; il était oncle de Mr de Bailleur président à mortié au parlement de Paris, marquis de Château-Gontier.
  • Dans ce même temps mourut monsieur de la Hauterivière gentihomme.
  • Le 4 (juillet 1687) mourut la femme du Sr Camus commis aux traites ; elle s’appelait Geslin ; elle n’a point laissé d’enfants.
  • Le 7 (juillet 1687) mourut la femme de Mr de la Saulaye Guynoiseau avocat.
  • Le 13 (juillet 1687) monsieur Denis Guilbault avocat, fils du feu Sr Guilbault et de la dame Voirie, épousa la veuve du feu Sr Audiau ; elle s’appelle Hardy sœur de Melle Bassecourt Gault.
  • Le 26 (juillet 1687) messieurs François de Crespy fils de Mr de la Mabilière de Crespy procureur du Roy au siège présidial et de la dame Chauvel, et Georges Daburon fils de monsieur Pierre Daburon et de la défunte demoiselle Audouis plaidèrent leur première cause.
  • Le 3 août (1687) mourut la femme de monsieur Coiscault avocat ; elle s’appelait Chatelier ; elle a laissé trois enfants.
  • Le 9 (août 1687) mourut la femme du sieur Lourdais, marchand droguiste ; elle s’appelait Le Cout.
  • Le 12 (août 1687) mourut la femme du sieur Bedane, marchand de draps de laine ; elle s’appelait Caternault.
  • Le 13 (août 1687) mourut Legris, Me charpentier, âgé de 41 ans. Il était très habile et honnête homme dans son métier. Il a laissé cinq petits enfants. (il est rare que Toisonnier face place à un artisan dans son journal. On remarque que celui-ci est nommé uniquement par son nom de famille, non précédé de Mr)
  • Le 18 (août 1687) mourut madame Dupré de la Bourdrie ; elle avait été mariée en premières noces avec le feu Sr Mouteau dont il n’y a point d’enfant, en secondes avec le feu Sr Dupré dont il y a plusieurs. Elle avait été lontemps hôtesse de la maison de St Jean au faubourg St Michel du Tertre ; elle s’appelait …
  • Le 30 (août 1687) Mr Deniau et Mr Chantelou plaidèrent leur première cause.
  • Le 10 septembre (1687) mourut monsieur de Pontlevoy Froger, juge des traites.
  • Le 15 (septembre 1687) mourut la femme de monsieur Chauveau Me apothicaire. Elle s’appelait …
  • Le 28 (septembre 1687) mourut monsieur Cupif de Teildras conseiller au sièg eprésidial de cette ville, un des académiciens de l’Académie royale de belles lettres ; il avait épousé défunte dame Tréton duquel mariage il n’y a qu’une fille qui a épousé monsieur Boylesve conseiller au parlement de Bretagne.
  • Le même jour mourut madame Basile ; elle s’appelait Guérin.
  • Le 29 (septembre 1687) mourut Brulé Me boulanger.
  • Dans ce même temps mourut à Paris monsieur de la Grandière Laillé.
  • Le 2 (octobre 1687) mourut la femme de monsieur de la Jaille de St Offange ; elle n’a point laissé d’enfant.
  • Le 4 (octobre 1687) Mr Davy notaire veuf de la dame Boisard épouse Melle Marie Huet.
  • Le 13, le Sr Phelipeau marchand épousa la fille du feu sieur Saulay Me apothicaire.
  • Le 17 (octobre 1687) Mr Boylesve de Goismard, conseiller au siège présidial, fils de défunt Mr de Goismard Boylesve conseiller audit siège et de la dame Guinoiseau épousa la fille de Mr de Chazé Gaultier conseiller honoraire audit siège et de la dame de la Féaulté Renou.
  • Le 19, 21 et dernier (septembre 1687) arrivèrent onze cent hommes du régiment d’Alsace pour le quartier d’hyver.
  • Le 26 (septembre 1687) j’ai épousé mademoiselle Marguerite Guillot fille de feu Mr Guillot marchand en cette ville et de la dame Françoise Hodemont. Dieu donne sa sainte bénédiction à mon mariage.
  • Le 23 (septembre 1687) mourut madame Baillif, femme du feu Sr Baillif marchand ; elle s’appelait Audouin.
  • Le 17 novembre (1687) mourut la femme de Mr de Forges ; elle était fille de Mr de la Hurtaudière Chauvin avocat ; elle n’a point laissé d’enfant.
  • Le 18 (novembre 1687) mourut Mr de Hotteman, prêtre, curé prieur de Faye. Il était savant et très honnête homme.
  • Le 27 (novembre 1687) mourut Mr de Lusson prêtre doyen de St Lo.
  • Le même jour (27 novembre 1687) mourut madamoiselle Françoise Harangot, fille, âgée de 47 ans.
  • Le 29 (novembre 1687) mourut monsieur Lanier trésorier de l’église d’Angers, grand vicaire de monsieur l’évêque. Il fut enterré le mardy ensuivant dans la chapelle de Mrs Lanier dans l’église de St Michel du Tertre. Il était âgé de 86 ans.
  • Dans ce même temps mourut le Sr la Miche marchand poilier.
  • Le 2 décembre (1687) mourut le Sr Papillon marchand droguiste.
  • Le 15 (décembre 1687) le fils de Mr de la Porte Trochon, cy-devant grenetier, se fit installer dans la charge de lieutenant de Mr le prévôt possédée par Mr de Barault.
  • Le 19 (décembre 1687) mourut Mr Gault de Bassecourt, bourgeois de cette ville.
  • Le 21 (décembre 1687) mourut monsieur Jean Delorme avocat.
  • Dans ce même temps, mourut le Sr des Galachères Blouin. Il avait épousé la fille du Sr Binet.
  • Le 27 (décembre 1687) Mr Lezineau prêtre cy-devant avocat et maire de cette ville prit possession du doyenné de St Lo. (Note de Marc Saché, Archiviste du département du Maine et Loire, in Trente années de vie provinciale, 1930 : « René Lézineau, sieur de Gastines et de la Maronnière, avocat au Présidial, était fils d’un fermier de Saint-Macaire. Il fut nommé maire le 1er mai 1677 grâce à l’intervention du gouverneur de la province, Louis de Lorraine, comte d’Armagnac, grand écuyer de France, et malgré les protestations du Présidial et de plusieurs membres du conseil de ville qui lui faisaient grief « de sa basse naissance, du peu de suffisance et de mérite ». Il n’en fut pas moins continué dans ses fonctions jusqu’en 1681. Après son veuvage il entra dans le clergé, (voir sa mort en 1695). Il est bon de faire remarquer que le jugement sévère, porté sur lui lors de son avènement au mairat, doit être attribué à l’orgueil bourgeois du corps des magistrats plus intolérable et encore moins justifié que la morgue nobiliaire (voir C. Port, Dictionnaire, t2 p.514 ; Gontard de Launay, les Avocats d’Angers, 1888, p.176, Registre du Présidial p.98 note)
  • Cette année a été fertile en bled, vin et fruits.
  • Journal de Maître Estienne TOYSONNIER, Angers, 1683-1714
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    Auberge, hôtellerie, taverne et cabaret

    Réponse à la question « mon ancêtre était aubergiste et sergent »

    Si votre ancêtre exerce 2 métiers, c’est que ni l’un ni l’autre n’assurent de revenus suffisants, ou une occupation à plein temps… Le cumul des emplois était très fréquent autrefois, car nombre d’entre eux, surtout dans le milieu rural, ne permettait pas toujours de survivre. Le cumul n’est pas rare de nos jours, et si on ajoute le travail au noir actuel, il est même assez important. En 2008, et ceci n’est qu’un exemple parmi d’autres, on peut avoir un emploi déclaré et tenir gîte déclaré, ce qui est comparable au cas que vous citez. D’ailleurs, j’ose dire qu’il vaut mieux avoir un autre emploi dans ce cas… car le gîte est le plus souvent un complément de ressources, etc…

    Revenons à l’Ancien Régime : même un métayer du Haut-Anjou, aisé et bien occupé par la surface à cultiver, occupe la saison d’hiver par divers travaux (j’y reviendrai). Mon boucher à Segré, relativement aisé, est aussi fermier de campage, comme les appelle si joliement Toisonnier, c’est à dire gestionnaire de biens pour un propriétaire vivant au loin.

    La question posée « mon ancêtre était aubergiste et sergent » semblait en forme d’étonnement qu’un sergent soit obligé de tenir auberge pour vivre, et vice-versa. Il semble que beaucoup d’entre vous aient donc des images toutes faites sur le niveau de vie de chacun, et j’impute ceci à la manière dont on nous apprend l’histoire. Pour moi, dans les années 50, ce fut une catastrophe, car lorsque j’ai commencé les notaires, j’ai dû oublier un grand nombre d’idées qu’on m’avait inculquées…
    C’est grâce à l’ouvrage de Michel Nassiet, Noblesse et pauvreté, la petite noblesse en Bretagne XVe- XVIIIe siècle, SHAB 1993 que je suis parvenue à me débarasser de toute cette scorie que j’avais dans les neurones.
    Cet historien actuel brosse un portrait saisissant de la petite noblesse en Bretagne et montre comment et pourquoi elle s’appauvrissait. Ainsi, selon Michel Nassiet, même les closiers peuvent descendre de nobles. Or, j’ai déjà rencontré ces cas en Haut-Anjou, qu’il cite en Bretagne.
    On m’avait appris l’existence de nobles donc riches, mais on avait omis de me préciser qu’il s’agissait de l’aristocratie, couche très aisée de la noblesse, qui représentait un faible pourcentage de tous ceux auxquels on a joyeusement coupé la tête sous prétexte. Et je ne parle pas de la riche bourgeoisie, se comportant souvent beaucoup plus durement que les nobles pour engranger les cens, rentes et autres devoirs féodaux.

    Montigné, Mayenne
    Montigné, Mayenne

    Regardez bien cette maison, elle est dite gentilhommière, sur cette carte postale des années 1905 environ. Or, un gentilhomme est un noble. Ces petits gentilshommes n’étaient pas si rares, et, parlant de noblesse qui s’appauvrissait aux 15 et 16e siècles, nous arrivons tout droit à l’auberge et la taverne, car ce sont des activités non dérogeantes. Une activité non dérogeante permet au noble de conserver la noblesse, tout en exerceant cette activité.
    Vous savez maintenant que beaucoup de gentilshommes s’appauvrissaient et certains, qui possédaient chambre haute (souvenez vous de la chambre haute) ouvrirent leur maison à titre payant.
    Bonchamps-lès-Laval, Mayenne
    Bonchamps-lès-Laval, Mayenne

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    Cette auberge illustre la gentilhommière tenue au 16e siècle environ par un gentilhomme fauché qui ouvrit sa porte au gîte et couverts payants au lieu de l’hospitalité gratuite. Par la suite, les auberges et hôtelleries furent acquises par des roturiers.

    Auberge ou hôtellerie offrent le gîte et le couvert, taverne ou cabaret offrent seulement la boisson au détail.

    AUBERGE. s. f. Maison où l’on donne à manger à tant par repas, & où on loge en chambre garnie.
    HÔTELLERIE. s.f. Maison où les voyageurs & les passans sont logés & nourris pour leur argent.
    TAVERNE. s. f. Cabaret. Lieu où l’on vend du vin en détail (Dictionnaire de L’Académie française, 1st Edition,1694)

    Auberge et hôtellerie sont à mon sens équivalents, même si beaucoup d’auteurs prétendent le contraire, et il s’agit plutôt de variantes de vocabulaire local, car elles ont tous deux la même fonction. De même pour taverne et cabaret, mais cette fois seulement débit de boissons (cidre, vin, eau-de-vie)

    Et le sergent dans tout cela ? Il viendra la semaine prochaine … à bientôt, et souvenez-vous, je parle de ce que je connais, le Haut-Anjou, or, la France d’alors est si diversifiée que rien n’est transposable ailleurs sans de grandes vérifications au préalable.

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    Journal d’Etienne Toysonnier, Angers 1683-1714

    1687 : janvier, février, mars, avril, mai

    Journal de Maître Estienne TOYSONNIER, Angers, 1683-1714
    Numérisation par frappe du manuscrit : Odile Halbert, mars 2008. Reproduction interdite.
    Légende : en gras les remarques, en italique les compléments – Avec les notes de Marc Saché, Trente années de vie provinciale d’après le Journal de Toisonnier, Angers : Ed. de L’Ouest, 1930

  • Le 7 janvier (1687) monsieur de Boult Sr de Cintré gentilhomme épousa la fille de défunts monsieur la Jaille Davoine et de la dame de Chandolant Goureau
  • Le 8 (janvier 1687) mourut la femme de monsieur Burin, cy-devant greffier en chef au criminel ; elle s’appelait Gigon.
  • Dans le même temps mourut monsieur de Montrou mari de la dame veuve monsieur de Gentian.
  • Le 17 (janvier 1687) le fils du Sr Jouanneau marchand ferron tua sa sœur âgée de 18 ans d’un coup de fusil sans y penser.
  • Le 19 (janvier 1687) mourut monsieur Ganne maître apothicaire en cette ville, âgé de 54 ans.
  • Le 26 (janvier 1687) mourut la femme de monsieur de la Saulaye Jouët ; elle s’appelait Callixte ; elle n’a point laissé d’enfants.
  • Le 27 (janvier 1687) mourut la femme de Mr Gouerrand valet de chambre de Monsieur le Duc d’Orléans ; elle s’appelait Davy.
  • Le mesme jour (27 janvier 1687) le sieur Touchais marchand de draps de soye, épousa la fille de madame veuve Vallée imprimeur.
  • Le 28 (janvier 1687) le sieur Paytrineau de la ville de La Flèche marchand de soye en cette ville épousa la fille du Sr Garciau greffier en chef au présidial et de la dame…
  • Le 29 (janvier 1687) mourut le Sr Banchereau archer de la maréchaussée de cette ville âgé de 42 ans.
  • Le 30 (janvier 1687) mourut monsieur Pierre Landevy prêtre fils de feu monsieur Landevy et de la demoiselle Boisard de la ville de Baugé.
  • Dans ce même temps mourut le Sr Bridier marchand de dentelles.
  • Le 31 (janvier 1687) mourut monsieur Guérin prêtre chanoine en l’église de St Maurille de cette ville ; il était âgé de 41 ans.
  • Le 1er février (1687) mourut la femme de défunt monsieur de la Plante Pierre, marchand droguiste en cette ville ; elle s’appelait Barbier ; de son mariage elle eût un fils unique décédé depuis quelques mois, marié avec la demoiselle Ganches, laquelle n’a eu aucun enfant.
  • Le même jour (1er février 1687) mourut la femme de feu monsieur de la Foucherie Reimbault. Elle s’appelait Chauvin ; elle a laissé plusieurs enfants, un banquier à Rome, un prêtre, une fille mariée avec monsieur de Pretiat Courault, et une autre décédée mariée avec Mr Le Rat, avocat dont il n’y a point d’enfants.
  • Le 3 (février 1687) les Sr Dolbeau et Bogais plaidèrent leur première cause, le premier avec beaucoup de succès.
  • Le 4 (février 1687) mourut la femme de monsieur Peneau de Pegon, conseiller honoraire au siège présidial de cette ville ; elle était extraordinairement puissante, aussi elle est morte d’apoplexie ; elle s’appelait Gaudichon ; elle n’a laissé qu’une fille mariée à Mr de Neuville Poisson, cy-devant maire de cette ville.
  • Le 6 (février 1687) on chanta une grande messe en musique en la salle du palais de cette ville où assistèrent messieurs du présidial en robe rouge, mrs de la prévôté, mrs de l’élection, mrs des eaux et forêts, et mrs les avocats, pour remercier Dieu de la santé qu’il lui avait plu de rendre au Roy. Tous les autres corps et communautés de la ville ont aussi rendu leurs actions de grâce, chacun en particulier.
  • Le 10 (février 1687) monsieur de Villeneuve du Cazeau gentilhomme, veuf de la dame Carion, duquel mariage il y a une fille, épousa mademoiselle Grimaudet, fille de Mr Grimaudet de la feue dame Boylesve, sœur de feu Mr de la Mauroisière Boylesve.
  • Le même jour (10 février 1687) mourut madame Mabit, femme du feu Sr Mabit, marchand de draps de laine ; elle s’appelait Grezil ; elle a laissé cinq filles, une morte femme du Sr Cazeau marchand de draps de laine, remarié avec la dame Maumusseau, une mariée avec le Sr Esnault marchand droguiste, une autre mariée avec le Sr Deschamps receveur des décimes à Rennes, une mariée avec le Sr Fagotin marchand de draps de soie et une autre fille.
  • Le même jour (10 février 1687) mademoiselle Boucault, fille de Mr de Hommeaux Boucault, conseiller honoraire au siège présidial, et de la dame Grudé, épouse Mr de Martin de St Aignan, gentilhomme.
  • Le même jour (10 février 1687) monsieur Dolbeau, avocat, épousa la fille de défunt Mr Gault Bassecour, aussy avocat, et de la Delle Hardy.
  • Le 11 (février 1687) mourut Mr Gontard avocat fils de feu Mr Gontard avocat et de la demoiselle Verdier. Il a laissé deux petites filles ; sa femme s’appelle Melle Primault, fille de Mr Primault et de Delle de la Haye Le Roy.
  • Le 21 du mois passé (janvier 1687) mourut Mr Chardon prêtre docteur en théologie, chanoine en l’église de St Maurille, à Riom en Augergne où il avait été exilé par ordre du … au mois de juillet 1676, après avoir paru trop attaché à la doctrine de Jansenius, qui dans ce temps là a tant fait de bruit dans de Royaume et pour être trop dans les intérêts de Monsieur l’Evêque d’Angers. Il est mort regretté de toute la ville de Riom.
  • Le 12 (février 1687) mourut une des filles de monsieur Gilles Guilbault, avocat ; elle avait été longtemps travaillée d’un mal qui l’agitait extraordinairement qui fit croire qu’elle était obsédée du démon, et ce qui fit qu’on l’exorcisa.
  • Le 19 (février 1687) mourut le sieur Bergereau ; il a marié une de ses filles à Mr de l’étang Gandon.
  • Le 3 mars (1687) monsieur de la Martinière Girault se fit installer dans la charge de conseiller au siège présidial de cette ville, cy-devant possédée par monsieur de la Féaulté Renou, à présent maire de la ville.
  • Le 14 (mars 1687) il fit un grand éclat de tonnerre sur les quatre heures du soir.
  • Le 15 (mars 1687) messieurs Lesourd et Gouyon plaidèrent leur première cause.
  • Le 16 (mars 1687) mourut la femme de feu monsieur Richard, receveur aux Ponts de Cé ; elle s’appelait Guédier, âgée de 80 ans.
  • Le 24 (mars 1687) mourut la femme de feu Mr Brillet bourgeois. Elle s’appelait Richard ; elle a laissé plusieurs enfants qui ne sont point encore établis.
  • Le 25, 26 et 27 (mars 1687) les 1 600 hommes du régiment d’Alsace qui étaient en cette ville en quartier d’hyver depuis six mois, partirent pour se rendre au camp de Maintenon pour la continuation des travaux et pour l’aqueduc de la rivière d’Eure.
  • Dans ce temps mourut le sieur Angoulant ; il avait été pendant plusieurs années valet de pié de monsieur.
  • Le 9 avril (1687) monsieur de la Saulaie Jouët, veuf de la demoiselle Calisse, duquel mariage il n’y a point d’enfants, épousa mademoiselle Françoise Brichet.
  • Le 8 (avril 1687) monsieur Avril, conseiller au présidial, fut élu conseiller et échevin perpétuel de l’Hôtel de cette ville en la place de Mr Avril son frère, cy-devant procureur du Roy à la Prévôté, et à présent major du château.
  • Le 14 (avril 1687) Mr Cordier, fils de Mr Cordier avocat et de la demoiselle Sager, plaida se première cause.
  • Le même jour (14 avril 1687) Mr Gouin, avocat, fils de défunts Mr Gilles Gouin, aussi avocat, et de la demoiselle Chevallier de Laurière, épousa la fille de défunts Mr de la Roche Trochon, grenetier en cette ville et de demoiselle de la Cour Lemanceau.
  • Le 16 (avril 1687) Mr Le Rat avocat veuf de la demoiselle de la Foucherie Reimbault, duquel mariage il n’y a point d’enfant, épousa la fille de monsieur de la Béraudière Cupif.
  • Le même jour (16 avril 1687) mourut mademoiselle Legaufre, âgée de 79 ans.
  • Le 21 (avril 1687) la fille du feu Sr Neveu, cy-devant marchand de draps de laine, et de la dame Nau, épousa le Sr Joly, fils du feu Sr Joly cy-devant fils du Sr Joly cy-devant notaire en cette ville.
  • Le même jour (21 avril 1687) le Sr Dupuy, veuf de la dame Bonnet, épousa la fille du Sr Roger, hôte. Il est hoste à Brissac.
  • Le 27, le fils cadet de Mr de la Roulerie gentilhomme, épousa la fille de défunt Mr de Lorchère Damné, dont le frère aîné a épousé la fille de feu Mr de la Boulaye Chauvel procureur du Roy au siège présidial de cette ville et de la dame Grimaudet.
  • Le 1er mai (1687) messieurs de Montiron Hernault, conseiller au siège présidial, et de la Tirrelière Poulain, furent élus pour échevins.
  • Le même jour (1er mai 1687) le fils de défunts Mr Caternault notaire et de la dame Perrouin, épousa la fille de défunt Mr Cherpentier avocat et de Delle Crosnier.
  • Le 2 (mai 1687) mourut monsieur Piolin, bourgeois.
  • Le 3 (mai 1687) mourut monsieur de la Hussaudaye Robert. Il a laissé plusieurs enfants ; une fille a épousé le Sr Delaunay marchand ; feu son fils était avocat et commissaire des saisies réelles.
  • Le 4 (mai 1687) le fils de feu Mr de Jonchère Thomas avocat et procureur de l’hôtel de cette ville, épousa la fille de feu Mr de la Douve du Cormier et de Delle Siette. Deux de ses sœurs Cormier ont épousé les sieurs de la Hamardière Neveu et Duménil d’Acigné.
  • Le 5 (mai 1687) mourut une fille de feu monsieur Aubert avocat et de la demoiselle Augeard ; elle était âgée de 20 ans.
  • Le 8 (mai 1687) Me Elys, avocat, veuf de la demoiselle Millecent de la Dodaye, duquel mariage il n’y a pas point d’enfant, fils de défunts Mr Elys conseiller au siège de la prévôté et de la demoiselle Brouard épousa la demoiselle Ganches veuve du feu sieur de la Plante Pierre, duquel mariage il n’y a point aussy d’enfant, fille de défunts Mr Ganches Sr du Brossé et de la Delle Toublanc.
  • Le 4 (mai 1687) mourut à Paris monsieur Lanier, thrésorier de l’Eglise d’Angers, fils de monsieur Lanier maître des requêtes et qui avait été ambassadeur au Portugal et de la dame Liquet.
  • La nuit du dernier jour d’avril et la nuit suivante, la plus grande partie des vignes d’Anjou gelèrent. On dit que la même disgrêce est arrivée dans les autres provinces. (mais fin décembre il note : Cette année a été fertile en bled, vin et fruits !!!)
  • Le 8 mourut à Paris madame de la Guérinière Boylesve. Son mari avait été longtemps dans les partys ; elle s’appelait Oger.
  • Le 12 (mai 1687) le fils de Mr Carré notaire en cette ville et de la défunte dame Chesneau épousa la fille du Sr Ponceau marchand à Saumur et de la dame Pigeon.
  • Le 15 (mai 1687) mourut la femme de Mr de Grée Poulain, fils de Mr de Grée Poulain, conseiller au siège présidial ; elle s’appelait Bernard.
  • Le 18 (mai 1687) mourut la femme de monsieur Duménil d’Aussigné ; elle laissa deux enfants ; elle est morte de la petite vérole ; elle s’appelait de la Douve du Cormier.
  • Le 19 (mai 1687) Mr Couesté avocat, fils de Mr Coueffé aussy avocat et de la Delle Huchedé, épousa la fille de feu Mr Aubert avocat et de demoiselle Augeard.
  • Le 20 (mai 1687) le fils de Mr Desplantes Jallet et de la dame Legoaqueller épousa la fille de Mr Gourreau conseiller honoraire au siège présidial et de la feue dame Eveillard.
  • Le 19 (mai 1687) Mr Carré notaire veuf de la dame Chesneau, épousa la veuve du feu Sr Mingon marchand ; elle s’appelle Pelletier.
  • Le 24 (mai 1687) messieurs Duport et Boussac plaidèrent leur première cause.
  • Le même jour (24 mai 1687) mourut subitement à Paris monsieur Belot sieur de Martou, mari de la dame Gohin, duquel mariage il y a plusieurs enfants.
  • Journal de Maître Estienne TOYSONNIER, Angers, 1683-1714
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    Contrat de travail de compagnon tissier en toile, Laval, 1655

    Pour Pierre Bonhommet d’Avénières, payement à la tache et non au forfait comme le contrat d’allouement

    Voici un contrat de travail, mais il est rémunéré à la tache à la différence du contrat d’allouement du verbe allouer : traiter à forfait, connu à Laval.
    Ce contrat, payé à la tache, concerne la plus célèbre des toiles, la toile de Laval, que vous pouvez approfondir dans l’ouvrage de Jocelyne Dloussky, Vive la Toile, Mayenne, 1990.

    Contrairement au contrat d’apprentissage, c’est le maître qui rénumère le compagnon, ayant déjà appris à travailler, donc terminé son apprentissage, et débutant dans le métier réellement.
    Madame Dloussky observait un paiement à l’année, avec un rendement minimal d’une aune et demi à 2 aunes tous les jours. Le paiement au forfait à l’année est le contrat d’allouement, qui subit quelques variations, en particulier la rémunération semble varier selon l’âge (selon Madame Dloussky, un compagnon âgé gagne un peu plus).

    Le contrat qui suit est basé sur le paiement à la pièce sans notion de rendement (voir son ouvrage, cité ci-dessus). Il est vrai que le contrat ci-dessous est passé 56 ans avant ceux dont parle Mme Dloussky. J’ignore si le paiement à la pièce fut utilisé simultanément avec le contrat au forfait annuel dit d’allouement, ou bien si l’un a précédé l’autre, et aurait eu ses limites qui auraient entraîné l’autre ?
    Il concerne un marchand tissier d’Avenières, nommé Pierre Bonhommet, qui ne sait signer, et est probablement un proche parent, voire même frère ou père, de mon Jean Bonhommet qui épouse à Avennières en 1664 Marie Lebeau. (Je suis en panne sur mes Bonhommet, et pourtant j’en ai remué beaucoup. Si vous avez plus que moi, merci de me faire signe)

    L’acte qui suit est extrait des Archives Départementales de la Mayenne, série 3E, voici la retranscription de l’acte : Le 21 avril 1655 après midy, par devant nous Pierre Gaultier Nre et tabellion royal établi et résidant à Laval, furent présents en leurs personnes et deument établis, Pierre Bonhommet marchand tissier en toille d’une part, et René Faulteard compaignon dudit métier tous demeurants en la paroisse d’Avenières d’autre part, lesquels parties après submission pertinente ont fait ce qui ensuit,
    c’est à scavoir que ledit Faulteard a promis et s’est obligé mesmes par corps travailler de son métier de tissier en sa maison et ouvrouer pour ledit Bonhommet pendant le temps d’un an qui commencera le 1er jour de juin prochain et finira à pareil jour et fera des toilles bonnes et vallables, au moyen de ce que ledit Bonhommet lui baillera les toilles ourdies et du fil prêt à employer loyal et marchand (c’est un contrat de travail à domicile à la pièce. Certes, on pourrait aussi le considérer comme un contrat d’achat exclusif, mais vu les fournitures, on peut le considérer comme un ancêre des contrats de travail. Et, on n’a pas inventé le travail à domicile !)
    et luy paiera de la façon de l’aulne de toille scavoir 6 sols de celle qui sera en 58 portées, et 5 sols de l’aulne qui sera du compte de 57 portées, duquel compte de 57 portées ledit Faulteard fera seulement 2 pièces de toilles pendant ladite année, (une aune de Laval vaut 1,43 m, mais j’ignore combien vaut la portée, manifestement une mesure ?)
    à la charge en oultre par ledit Bonhommet de fournir pendant ledit temps d’un an ledit Faulteard de besogne sans le laisser au chommaige, et luy advancera les façons en prenant les toilles,
    et oultre luy baillera la somme de 10 livres dans le 15 août prochain, sans diminution desdites façons, laquelle somme de 10 livres ledit Faulteard promet et s’oblige comme dessus luy rendre 6 mois après ledit prêt, (l’ancienne salariée que je suis comprends cela comme une avance sur salaire, mais vous précise qu’autrefois les salaires étaient payés annuellement, souvent en retard, donc l’avance spécifiée dans ce contrat se justifie pleinement)

    et a l’exécution de la présente convention ledit Bonhommet s’oblige aussy par corps, (vous avez bien compris n’est-ce-pas, c’est comme au jeu de l’oie Allez à la case prison. Non mais ! On ne rigole pas avec un contrat de travail !)

    dont les avons jugez à leur requête et de leur consentement, fait et passé en nostre tabler audit Laval ès présence de Me Jean Chasligné et Jean Landelle clercs praticiens demeurant audit Laval, tesmoings qui ont signé,
    et quant aux parties ils ont déclaré ne scavoir signer. (c’est merveilleux, il n’y a pas besoin de savoir signer pour employer les autres ! Alors, prenez-en de la graine, ce n’est pas parce que votre ancêtre ne sait pas signer qu’il ne sait pas faire des affaires…, en effet le notaire est bon à faire des tas de contrats qui suppléent aux lacunes épistolaires de l’employeur. Ainsi le contrat de travail, désormais obligatoire chez tout employeur même pour une journée de travail, était autrefois écrit par notaire et plutôt annuel, voire pluri-annuel)
    Inversement, nous verrons bientôt que ce n’est pas parce qu’il sait signer qu’il fait des affaires…

    Calcul du salaire réel par an pour 5 jours par semaine
    On sait par les travaux de Mme Dloussky que le rendement est d’1,5 à 2 aulnes par jour. Si on prend 1,5 aulne par jour, le salaire quotidien est dont de 9 sols; soit 117 livres par an sur la base de 5 jours par semaine, soit environ 10 livres par mois.

    Odile Halbert – Reproduction interdite sur autre endroit d’Internet Merci d’en discuter sur ce blog et non aller en discuter dans mon dos sur un forum ou autre blog.

    La propriété d’un bien foncier autrefois : l’exploitant agricole est rarement propriétaire de l’exploitation

    Ce blog illustre uniquement le Haut-Anjou, parce que je le connais, et je ne parle que de ce que je connais pour l’avoir longuement étudié dans les archives notariales et autres archives. Rien ne sort sur ce blog d’un quelconque wiki ou forum, et autres lieux internautiques où n’importe qui a droit de dire n’importe quoi.

    Ce qui caractérise la France de l’Ancien Régime, c’est d’abord l’extrême diversité entre provinces, voire même à l’intérieur d’une province : diversité de droits, coutumes, mœurs, logements, type d’exploitation, de cultures, vocabulaire, accent… etc… Il en résulte très souvent tant de différences sur un seul terme, que vous ne pouvez rien extrapoler hors du Haut-Anjou… voire m’écrire qu’il y a une erreur sur mon site parce que vous avez tel ou tel sens… et que j’en ai un autre. Consultez d’abord le Dictionnaire du Monde Rural de Lachiver, et vous constaterez que chaque mot peut avoir beaucoup de sens différents selon le lieu et l’époque…

    Le présent billet s’efforce de répondre pour le Haut-Anjou à la question

      « mon ancêtre achète en 1623 un bien de 300 livres, à quoi cela correspond ? »

    La question est incomplète car une partie de la réponse est dans cet acte, puisque tous ces actes spéficient clairement lieu, type de terre et superficie ; ces 3 paramêtres sont bien plus utiles que le montant en livres pour comprendre la réponse. Nous allons voir pourquoi, nous étudierons successivement : l’hémorragie du monde agricole, qui possède la terre agricole, comment et pourquoi placer ses économies.

  • 1-L’hémorragie agricole
  • La population agricole était de 80 % en 1800, 50 % en 1870, 36 % en 1945 et seulement 6 % en 1990. Autrefois majoritaire, elle constitue donc la majorité de nos ascendants.

  • 2-Propriété de la terre agricole
  • L’exploitant agricole d’autrefois est rarement propriétaire de l’exploitation. Celle-ci est appellée métairie et closerie en Haut-Anjou, la métairie étant environ le double de la closerie voire plus, en surface, en revenus, et en valeur de cession foncière. Dans les régions très voisines, pour lesquelles il existe des études, on estime que 75 à 80 % des terres agricoles sont sous bail soit à ferme (louage) soit le plus souvent à moitié. (j’y reviendrai). Mais je n’ai encore jamais trouvé d’exploitant en Haut-Anjou qui possède son exploitation.

    Selon Annie Antoine, « Fiefs et villages du Bas-Maine au 18e siècle », Editions Régionales de l’Ouest, Mayenne, 1994, le clivage richesse/pauvreté ne recouvre pas le clivage propriétaire/exploitant,

    et selon R. Dupuy « Structures foncières en Haute-Bretagne à la fin de l’Ancien Régime, Pierre.51-55 in Actes du colloque franco-québécois, Rennes-Québec, 1985, « le clivage majeur nous semble plutôt opposer les pauvres, qu’ils soient tenanciers ou propriétaires, aux riches, également fermiers ou propriétaies ou les deux à la fois. » (j’y reviendrai)

    Or, de temps, y compris de nos jours, une exploitation agricole doit avoir une surface minimale pour être rentable. Nous arrivons donc à la notion de surface plutôt que de valeur monétaire.

  • 3-Comment placer ses économies
  • Nous venons de voir qu’environ 20 % de la terre n’est pas aux mains de gros propriétaires bailleurs des exploitations agricoles. Ces 20 % sont constitués de lopins d’une à plusieurs boisselées, fréquemment des rangs de vigne aussi, et assez souvent exploités en direct. Ces propriétaires sont artisans ruraux, petits hobereaux, et agriculteurs (métayers, closiers, laboureurs).
    En effet, si l’exploitant agricole n’est pas propriétaire de son exploitation, il possède souvent quelques lopins, ou quelques rangs de vigne, pour son utilisation personnelle. Ces lopins sont en quelque sorte le placement de quelques économies, exactement comme de nos jours vous placez les vôtres sur un livret ou autre placement sûr. Ces lopins pouvaient parfois se montrer fort utiles, en cas de coup dur (tout comme votre livret A d’ailleurs…). Ainsi, lorsqu’un proche parent était arrêté en flagrant délit de faux-saunage, s’il n’était pas rédiviste, il pouvait négocier sa liberté contre une amende, souvent de 200 livres. Immédiatement, tous les proches alertés se retrouvaient chez le notaire et vendaient des lopins pour payer cette amende.

      Merveilleuse solidarité !

    Donc, en l’absence de banque autrefois, ces petites cessions de lopins de terre sont des placements d’économies, et ce sont des placement sûrs, ce qui ne gâche rien. C’était en quelque sorte le livret A de l’époque, qui rapportait un peu puisque ces petits lopins permettent de compléter un peu les revenus puisque cette fois les fruits vont entièrement à l’exploitant. Citons le cas de la vigne, que j’ai étudiée au moins jusqu’à Château-Gontier, qui est toujours possédée par quartiers ou rangs par de multiples petits propriétaires, car je le répète, autrefois il était moins dangereux de boire du vin que de l’eau… alors chacun tentait sa production…
    Et puis, et cela est totalement oubliée des générations actuelles, autrefois, on dotait ses enfants au mariage, donc les parents devaient économiser en plaçant dans le seul placement alors connu : un lopin de terre, parfois une petite maison… C’était même la principale destination des économies…. J’y reviendrai très longuement.

  • 4-Conclusion
  • Donc, votre ancêtre a placé ses économies de l’année, comme vous placez sur le livret A. Mais hélas, la comparaison avec le livret A s’arrête là, car de nos jours lorsqu’on économise sur lui ou ailleurs, on peut espérer (on le peut) acheter un jour un bien cette fois plus important comme un appartement, (le fameux apport personnel) etc… Autrefois, ceci n’était pas vrai. Ces populations rurales besogneuses avaient tout juste le temps de parer aux coups dur et de doter leurs enfants avant de disparaître, et tenter de leur procurer un statut comme le leur, mais jamais ils ne montaient socialement, sinon par une autre voie. J’ai dans mes ascendants un exemple, qui fera l’objet d’un billet. Mais ne rêvez pas, c’était rare… voire rarissime… Essayez de deviner la voie… Réfléchissez bien, vous pouvez y parvenir…
    J’ai mis sur ce site un grand nombre de rôles de taille, de contrats de mariage, d’inventaires après décès, et je vais vous faire des tables d’équivalence en autres biens de la même époque, ainsi le lit de chêne du métayer vaut 30 livres lui aussi.

    La prochaine fois je traite le coût d’une maison pour les petits artisans propriétaires. C’est important avant de passer aux meubles nécessaires. Et j’espère qu’au fil de ces billets vous pourrez devenir capables de gérer un budget de l’époque, sans passer par 2008 où les comparaisons ne sont bonnes à rien.. Ainsi, la terre est le bien qui est le plus incomparable : nous avons maintenant n’importe quel prix au m2, avec un facteur hallucinant, qui s’appelle la spéculation. Ainsi personne ne peut dire ce que vaut un m2 en France, tant les différences donnent le vertige. Ces différences n’existaient pas autrefois, seule la qualité agricole de la terre donnait quelques différences, minimes, au regard des abimes que nous connaissons de nos jours…

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    NANTES LA BRUME, Ludovic GARNICA DE LA CRUZ, Paris, 1905 CHAPITRE IX. EMPRISES MESQUINES.

    Ludovic Garnica de la Cruz. Nantes la brume. 1905. Numérisation Odile Halbert, 2008 – Reproduction interdite.

    Le facile ménage du peintre subit quelques lézardes. Après plusieurs scènes la fantasque Touffe d’or disparut définitivement un beau matin en criant à son amant un adieu sincère. Charles la regarda paisiblement partir bourrant sa pipe. Un mince détail, sinon un débarras. Elle l’ennuyait avec sa jalousie depuis quelques jours. Il rêvait d’un tableau original pour leur exposition du mois de mars. Or il avait trouvé le modèle en la personne de sa voisine.
    Madame Janny, la voisine, était une jeune femme de vingt-deux ans, forte, aux hanches puissantes, brune avec de larges cheveux et des yeux sombrement clairs comme des gueules de fournaise. Elle habitait avec son mari une mansarde étroite de l’autre côté du palier. Un logis qui sentait la misère affreuse. Peu de temps après son mariage, son époux fut cloué sur le lit par une maladie de la moëlle épinière. Depuis quinze mois, il n’en bougeait plus. A cet homme qu’elle adorait, elle consacrait son existence entière, le soignant, le nourrissant de son travail assez rare, car elle ne pouvait s’absenter. Jamais elle ne demandait de secours ; par exception seulement elle recevait chaque semaine des bons du Bureau de bienfaisance.
    Lorsque Charles apprit sa situation pénible et son noble servage, il s’empressa de lui rendre délicatement de bons services. Puis un jour il lui demanda de poser le nu. Il lui donnerait un prix très élevé. Vainement il essaya de la séduire par des offres même exagérées. Elle refusait toujours. Nul homme n’aurait le droit de voir son corps que son mari. Il ne le saurait pas. Qu’importe ! C’eut été une lâcheté, une tromperie. Elle serait encore plus que jamais fidèle au pauvre être douloureux qui se confiait naïvement à sa bonté.
    Charles n’avait pas insisté sur ces réponses fermes qui l’avaient touché au fond du cœur. Et maintenant que Berthe était partie, il l’avait priée de veiller à son désordre.
    L’image de l’oeuvre future le hantait. C’était Mme Janny qu’il évoquait au premier plan, puissante éducatrice de chair merveilleuse. Il fit de longues sorties au hasard espérant rencontrer un type semblable. Il fréquenta les mauvais lieux, les cabarets, les cafés chantants, les rues sordides. Rien ne répondait à son vouloir. Il palpa de ces viandes humaines à louer ou à vendre, voulut forcer sa foi, se mentir un instant. Châteaux de cartes qui s’écroulaient au moindre effort d’imagination. Il en fut presque malade. La tristesse l’isola. Des journées entières, il se renfermait chez lui, oubliant toute nourriture. Pêle-méle sur les meubles traînaient des croquis de femmes nues, où le visage — celui de sa voisine, — surmontait, des corps embryonnaires rayés de coups de crayons rageurs. Comme elle le gourmandait de sa conduite, il s’emporta contre elle. N’était-ce pas uniquement de sa faute s’il souffrait ? Ne pouvait-elle se sacrifier pour l’art ? Il ne la cherchait pas pour en faire sa maîtresse. Non ! Il la respecterait ainsi qu’on vénère une sainte. Ce ne sont pas des regards indécents d’homme qui l’effleureraient de souillures, mais des yeux vierges d’artiste, avides de l’unique beauté de la forme. Elle le priait de se taire, de ne pas insister. Elle ne pouvait céder à cause du malade aimé, car malgré tout c’était pour elle une vilaine trahison.
    Mussaud travaillait placidement à son sujet, une matrone épaisse devant épanouir un luxe de matière affriolante. Frayssère caricaturait des types avec ses ses marrons ; il en avait déjà terminé une demi-douzaine très drôles. Verneuil gardait sur son travail un silence discret. Il n’en était pas ainsi de Charmel. Oh ! les méridionaux, ils ne doutent jamais de rien.
    Charles contait son insuccès à son ami René. Celui ci le consolait. Bah ! elle cédera d’un moment à l’autre. De la patience et de la douceur. Bras dessus, bras dessous ils arpentaient les rues malpropres. L’oncle, M. de Lorcin avait réitéré ses invitations à son neveu. Le neveu continuait malgré les menaces de faire la sourde oreille. « Qu’il me flanque la paix, comme je la lui flanque. »
    Le 28 janvier à un dîner offert par René à son ami Delange pour sa fête, il y eut les petites Belle et Line. René ne les avait pas revues depuis leur rencontre au cirque. Il les interrogea adroitement sur le rendez-vous avec Varlette. Légèrement surexcitées par le champagne, elles dirent tout avec une impudeur étonnante. Elles avaient trouvé l’architecte à la porte ; il les avait conduites dans un hôtel meublé de la rue de la Boucherie. Pendant quatre heures il avait cherché des plaisirs insensés de lubricité où le ridicule se mêlait à l’ignoble. Assez obéissantes aux désirs du vieil impuissant, elles s’étaient efforcées de ranimer le feu éteint sous la cendre encore un peu chaude de la vieillesse. Elles riaient de raconter le hideux poussah nu comme un ver, allongé entre elles, la tête appuyée sur leurs pieds, passant sa langue avide entre leurs doigts, le long des chevilles, sous la plante, râlant comme un phoque avec des soupirs de joie, des cris d’enfants inarticulés. Il les avait fait revenir plusieurs fois, se livrant presqu’uniquement à son vice préféré, son mode de jouissance aphrodisiaque de ses sens séniles. René sentait ce récit lui mettre un gant de cuir défensif contre ces bourgeois aux saletés cachées, aux passions de pourceaux.
    René se rendait souvent rue Prémion, après son déjeuner, car il était sûr d’y rencontrer son ami. A la bonne chaleur de la salamandre nouvellement installée, ils causaient de leurs juvéniles aspirations. Deux amis goûtent d’immenses joies, que ne comprendront jamais les oiseux, à se réciter les fables de leurs âmes en une intimité épurée de femmes. Une fois en montant l’escalier, il rencontra le baron des Valormets. Celui-ci l’arrêta.

  • N’êtes-vous pas monsieur René de Lorcin ?
  • Si, Monsieur !
  • Je crois en effet vous reconnaître, car si vous souvenez je vous ai rencontré chez votre oncle vers le mois de novembre dernier.
    Je me souviens aussi de vous.
  • Je connais parfaitement M. de Lorcin. Nous faisions souvent la partie ensemble. Il y a bien longtemps qu’il ne vous a vu, m’a-t-il dit. Il me semble qu’il y a quelque chose d’urgent à vous apprendre. Ce sont vos affaires ; je n’aurais garde d’être indiscret.
  • René le regarda en face se demandant ce que signifiaient ses paroles.

  • Vous connaissez donc quelqu’un dans la maison ?
  • C’est ici qu’habite mon ami Delange.
  • Ah ! vous allez chez lui ! Un drôle d’individu ! Ce qui me déplait chez ces artistes, c’est la conduite dissipée qu’ils affichent partout. La jeunesse n’est pas de bois, je le sais malheureusement, mais qu’elle se cache. Votre oncle est absolument de mon avis.
  • Vous venez de sa part, on le jurerait !
  • Certes, non, M. de Lorcin lave son linge sale en famille, à moins de circonstances fâcheuses pour qui le veut bien !
  • Monsieur, je vous demande pardon, je suis pressé.
  • Quatre à quatre il se précipita chez le peintre à qui naturellement ii raconta la scène. Charles n’y prit qu’une médiocre attention. Dès que René eut fini son récit, il lui demanda brusquement :

  • La dernière fois que tu as vu mon père, as-tu remarqué sa tristesse préoccupée ?
  • Pourquoi cette question ?
  • Réponds-moi… Il m’a semblé ce matin excessivement drôle, craintif ; ses mains tremblotaient. Il m’a affirmé n’être pas malade. Je crains cependant quelque malheur. Le monde des affaires est changeant et la roue de la fortune s’arrête plus souvent sur les zéros que sur les dix.
  • Je ne veux pas te le cacher. Lolette et moi avons été frappés de son visage au cirque. Questionne-le plus vivement. Essaie de savoir.
  • Charles allait répondre, quand Mme Janny se précipita comme une folle dans l’atelier.

  • J’ai eu tort, monsieur Delange, de vous refuser de poser à vous qui êtes si bon pour moi. Vous me pardonnez, n’est-ce pas, car je suis toute prête maintenant, mais devant vous seul ?
  • Elle s’appuya sur le dos d’un fauteuil et deux grosses larmes coulèrent sur ses joues qui pâlissaient peu à peu.
    Les deux amis l’examinaient interloqués.

  • Qu’avez-vous, ma chère dame, qu’avez-vous à pleurer ? Qu’est-ce qui vous prend ? Que signifie cette offre brusque au milieu de votre douleur ?
  • Acceptez, je vous en prie, c’est de bon coeur. J’ai bien regret de mon refus. Il faut souffrir pour vivre et rester honnête.
  • Mais voyons, expliquez-vous ? Que vous est-il arrivé ?
  • Ah ! s’écria René, se rappelant sa rencontre dans l’escalier, M. des Valormets vous a donc, appris une triste nouvelle ?
  • Je ne peux pas vous dire. Non ! j’ai trop honte. Quelle canaille que cet homme !
  • Elle crispait ses poings et ses dents grinçaient de colère.

  • Vous devez au contraire nous avouer ce qui s’est passé entre le baron et vous. Si ce monsieur doit être puni…
  • Puni, vous voulez rire. Ce sont les Maîtres devant lesquels, nous, les pauvres, nous devons courber la tête. Et ils nous tyrannisent lâchement.
    Voyons soyez franche, que s’est-il passé ?
  • Eh bien voilà ! Chaque semaine le Bureau de bienfaisance m’envoie des bons par M. des Valormets. Il m’a fait un jour une proposition infâme. Je l’ai repoussée poliment pour ne pas perdre mes bons. Depuis ce temps-là, il n’a cessé d’insister, m’offrant le double, le triple de ce qui m’était accordé, puis il menaça de me faire rayer de la liste des pauvres. Je pris le parti d’aller moi-même au Bureau toucher mes bons, on me les refusa. Il le sut et insista davantage, voulut me tenter par de l’argent. Lassée, écœurée, je n’ai pu me maîtriser aujourd’hui, je lui ai craché mon mépris en pleine figure, le jetant à la porte de chez moi. Ses yeux flambaient, j’ai eu peur. Il a juré que je n’aurais plus à compter sur le Bureau. Alors il faut que nous crevions de faim mon mari et moi parce que je ne veux pas coucher avec les distributeurs de bons.
  • Calmez-vous, ma brave dame, lui dit doucement. Delange, vous ne manquerez de rien puisque je suis là. En second lieu mon ami René va s’occuper de votre affaire. Je ne sais s’il obtiendra raison, car tous ces gens-là, ça s’entend comme fripons en foire. Enfin,vous allez me faire le plaisir de ne plus pleurer ce qui me gâte vos jolis yeux, et maintenant que vous êtes mon modèle je tiens à le conserver intact.
  • René se donna une peine bien inutile à courir le reste de la soirée aux guichets des réclamations. Les humbles ont toujours tort. Ils mentent pour le plaisir de mentir et d’insulter les honnêtes gens qu’ils jalousent ? Le bon jeune homme sut d’une façon précise à quoi s’en tenir sur le chapitre de la charité collective et administrative. Ceux qui s’engraissent, ce ne sont pas les clients.
    En rentrant chez lui, il ne trouva pas Lolette, mais sur la table deux petites lettres, l’une rose sentant le trèfle incarnat, l’autre simple, griffonnée au crayon. Machinalement il ouvrit d’abord la plus belle. C’était une invitation de Mme Verdian à un thé pour le surlendemain. L’autre contenait ces mots : « René, adieu… il faut que je m’en aille:.. je t’aime toujours… J’ai nien du chagrin… oh ! les vilains hommes, les méchants qui me séparent de toi… ta Lolette chérie… »
    Il resta silencieux les dents serrées, les yeux pensifs, pendant qu’un frisson de peine lui glaçait les épaules. Il courut chez sa propriétaire :

  • Mme Demeux, avez-vous entendu venir quelqu’un chez moi dans la journée ?
  • Oui, Monsieur, il est venu vers deux heures un grand monsieur gris qui vous a demandé. J’ai répondu que vous étiez absent. Il est parti. Environ une demi-heure après, je l’ai vu revenir avec un autre homme. Ils ont frappé chez vous ; votre amie jour a ouvert
  • Vous les avez entendus causer.
  • J’en étais toute épeurée. Ils criaient parfois d’un ton terrible ; votre amie pleurait. Et cela pendant un bon quart d’heure, puis ils sont partis tous les trois. Elle marchait devant avec un gros paquet pleurant à chaudes larmes. Je n’ai pu m’empêcher de lui demander où elle allait. Alors le dernier venu m’a prié brutalement de m’occuper de mes affaires si je ne voulais pas en voir plus long. Je me suis renfermée chez moi, presque morte d’épouvante.
  • René, pâle comme une haut d’ivoire, ne répondit. rien. Il devinait une manoeuvre violente de son oncle. Une rage froide le faisait trembloter, plissait âprement son front blême. S’il avait pu prévoir l’af¬freuse aventure, il n’aurait pas été perdre des heures précieuses par charité. La bonté devient la balle qu’ils se lancent de raquette en raquette. Son oncle, il allait le troubler dans son repaire, il allait lui demander des comptes face à face sur le champ.
    Il courut. La course le rafraîchit. Il se reposa avant de sonner à la porte du bâtonnier. Sans demander quoi que ce soit, il passa hautainement devant le domestique el pénétra clans le cabinet de travail de l’avocat. En voyant entrer son neveu, M. de Lorcin qui écrivait posa sa plume et attendit tranquillement ce qu’allait lui dire le jeune homme. René ferma la porte derrière lui et debout, très froid :

  • Bonjour, mon oncle, vous m’avez plusieurs fois prié devenir vous parler. Je viens vous faire les ecuses de mon retard et vous demander ce dont il s’agit.
  • Mon Dieu, mon cher ami, j’avais à réprimander ta conduite un peu scandaleuse. Nous étions ici désolés de te voir suivre une voie préjudiciable à ton honneur et au nôtre, malgré les conseils que bous t’avions donnés. Nous sommes seuls, René, je fais abstraction des principes religieux. Puisque tu veux t’amuser, pourquoi ne t’amuses-tu pas en secret ? Pourquoi veux-tu que la ville entière sache que tu as une maîtresse et qu’on nous le jette au nez ironiquement ? Mais c’est de la bêtise de se ridiculiser ainsi, de se coller avec une femme quelconque quand on peut en cueillir des milliers qui fuient aux approches du matin ! Ma situation ne me permet pas d’avoir un neveu du même nom que moi balladant à son bras une catin par les rues de Nantes. D’ailleurs je ne comprends pas que tu n’aies pas eu honte d’abaisser ton nom aux yeux de tous les passants. Et ceux qui sont venus me le dire, des bourgeois fiers d’avilir notre race, de se montrer plus hauts parce que plus corrects. Ils riaient ; leurs rires cruels me faisaient mal. A mon âge, j’ai reçu, depuis un mois, trop de soufflets et trop de hontes !
  • René baissait la tête ; des larmes de colère honteuse mouillaient ses yeux. Il ne s’attendait pas à ce genre de reproches. Les paroles de son oncle touchaient juste. Le sang de ses veines avait le bleu du sang des Lorcin, le bleu de la noblesse orgueilleuse. Il avait été ridicule parce qu’il avait aimé. S’il avait été le chercheur de plaisirs grossiers, il serait resté le parfait gentilhomme. Et pourquoi la brute doit-elle annoblir l’homme, et l’amour l’avilir ?

  • Tu as peut-être cru l’aimer, continua M. de Lorcin, en es-tu bien sûr ? Je suis convaincu du contraire. L’amour n’est pas cet attrait rapide d’une chair facile à posséder et dont le charme n’a pas eu le temps de s’épuiser. Echafauder l’amour sur de la volupté, c’est bâtir avec des bulles de savon. Lorsqu’on a sucé le fruit jusqu’à la peau, on croque celle ci avec moins d’appétit, le reste, on le jette dégoûté.
  • Et si je veux goûter ce fruit jusqu’à la peau pour rejeter les déchets dans la paix de mon verger, de quel droit les passants viennent-ils lancer des pierres par dessus la haie ?
  • Du droit qu’ont les jaloux de se venger de leurs rancunes mesquines. Très beau de vouloir réformer la société, mais auparavant courbons-nous à ses lois si despotiques et gênantes soient-elles
  • Alors, qui montrera l’exemple de la future réformation ?
  • Ceux qui voudront pourvu que ce ne soit pas toi.
  • Pourquoi pas moi ?
  • Parce que tu ne t’appartiens pas uniquement à toi, mais à une race honorable dont il reste des descendants du même taux.
  • Et si c’était justement la raison de marcher en éclaireur dans cette nouvelle voie, guidé par la colonne lumineuse d’un nom immense. Si je le voulais parce qu’au-dessus des imbéciles qui m’insultent j’ai le mépris de les sentir mordre au talon, de les voir s’abaisser à leur tour en des replis de vipères, Si, parce que je puis les délier du sommet d’un orgueil auquel ils ne parviendront jamais.
  • Je t’empêcherais de faire une folie inutile !
  • Comme vous l’avez déjà fait ?
  • Comme je l’ai déjà fait.
  • Sournoisement, cruellement, sans vous soucier des larmes, des chagrins, des heures sans sommeils, de la tristesse des brusques séparations. Briser du bonheur avec autant d’indifférence qu’un crayon de deux sous, parce que l’orgueil, — la vanité plutôt — est froissé d’écouter bénévolement ces serfs du qu’en-dira-t-on !
  • Parce qu’il faut couper le mal dans les racines.
  • Qu’en avez-vous fait de ma Lolette aimée ? Quelle puissance draconienne avez-vous encore au vingtième siècle, qu’il vous suffise de parler pour que l’on sépare les amants en une seconde ?
  • Aucune puissance, seulement des droits pour modérer les têtes folles.
  • Vous appelez folie la sincère chanson d’amour, le duo des rires côte à côte, l’attachement juvénile des coeurs qui s’apprennent la vie mystérieuse ! Folie, les heures de bonheur parfait, du seul bonheur où le mensonge ne met pas ses doigts velus ! Folie, le charme de la jeunesse qui se penche en flots limpides de voluptés ! Folie, l’oubli des mesquineries du monde, l’indifférence des méchancetés d’autrui ! … Folie, si vous voulez, mais folie que vous devriez saluer au passage et non tacher de boue ou de sang.
  • Tes expressions me sont la preuve qu’il n’était que temps d’agir brusquement.
  • Avec des façons de valets, des précautions de bandits louches de romans.
  • Mon neveu, tu t’oublies à m’insulter !
  • Dites-moi où est mon amie ?
  • Pour que tu ailles la chercher…. cela m’aurait bien peu servi de l’avoir fait partir.
  • Je ne resterais pas à Nantes. Je ne vous gênerais plus, car c’est uniquement votre orgueil qui est en jeu.
  • Un orgueil qui est le tien et qui sera le même à cent lieues. Inutile d’insister davantage.
  • C’est dit. Vous êtes le plus fort aujourd’hui. Il ne me reste plus qu’à me venger en attendant que des gens plus éclairés suppriment ces droits exorbitants qui n’ont d’autre source nécessaire que égoïsme. Plus d’amour, plus de maîtresses. Ou prendra l’autre route, celle qui vous gène le moins dites vous, mais sur cette route il y a des pierres, et ces pierres seront pour vous. Vous me faites souffrir en mon corps et en mon âme, je vous le revaudrai au centuple. Je sais où est l’angle sensible, je chercherai qui l’écornera le mieux. Nous sommes de même race, têtus et volontaires. Merci de me l’avoir réappris. Je ne l’oublierai plus. Le mal pour le mal, chacun selon sa force, belle devise de conduite haineuse et vindicative que l’on apprend à votre école. Aurez-vous le courage de vous en prendre directement à moi au lieu d’attaquer une petite fille ?
  • As-tu fini bientôt ?
  • Un mot encore. Je ne dépends pas de vous. Si je n’ai pas su protéger mon bien contre les détrousseurs de l’ombre, je me tiendrai sur mes gardes pour me défendre. D’homme à homme, sang contre sang, il n’est pas bien sûr que vous ayez la victoire malgré votre puissance, votre fortune et vos adulateurs. Vous ne représentez ni mon père, ni ma mère, vous n’êtes plus pour moi que la race d’à côté. Je la respecte avec défiance.
  • Va-t-en, tu deviens grossier !
  • Au revoir, mon oncle, vous présenterez mes ramages respectueux à ma tante.
  • Quand la porte se fut refermée sur les pas de son neveu, M. de Lorcin cassa d’un coup sec son coupe-papier d’ivoire et ses doigts osseux en émiettèrent les restes sur le tapis.

    Rentré chez lui, René s’empressa d’accepter l’invitation de Mme Verdian.

  • Autant commencer par celle-là puisqu’elle y tient, pensait-il.
  • Charles auquel il conta son aventure, lui donna des conseils stoïciens.

  • Vois-tu, Charles, elle serait partie de son plein gré, je n’aurais pas fait un pas pour courir après elle. J’aurais bêtement pleuré au coin du foyer désert. Mais savoir qu’ils me l’ont enlevée, çà m’enrage au point que j’en oublie mon chagrin.
  • Allons, mon pauvre René, prenons notre si¬tuation avec une sage tranquillité. Il y a quelques jours nous étions mariés, aujourd’hui nous sommes veufs comme le jour de ton arrivée à Nantes. Est-ce un malheur ? Nous n’en savons rien ! Ce qui arrive doit être une nécessité contre laquelle nous serions bien fats de réagir. A quoi bon ? Cailloux légers des bas-fonds de la vie, les vagues des événements nous arrondissent le caractère. Rire et souffrir, tout est là, parfois l’apothéose d’une conscience indécise. Berthe, Lolette deux fleurs écloses sur le parterre de nos jardins, fleurs cueillies, humées, fleurs perdues dont le souvenir se dissipera comme leur parfum tendre de femmes aimées. Incidents de notre existence, chausse-trappes au long de la route, passé d’hier déjà trop loin. Ne regarder jamais derrière soi, agir le présent, contempler fièrement l’avenir, indifférents aux lambeaux de nos vêtements accrochés dans les haies !
  • René se promenait les bras croisés au travers de l’atelier ; son air sombre contrastait avec le calme de l’ami qui le haranguait du fond d’un fauteuil voltaire.

  • René, tu ne m’écoutes pas.
  • Je te dis que ce sont des canailles !
  • Soit. Ton âme fière devrait-elle s’attarder à des niaiseries ?
  • Des niaiseries ! Tu es fou ! Des niaiseries, ce droit de me voler ma maîtresse !
  • Niais ton emportement !
  • Que veux-tu donc que je fasse : pleurer comme un sot ou leur tordre le cou ?
  • Ni l’un, ni l’autre. Prendre la fortune comme elle vient et te rappeler qu’au-dessus des vicissitudes de nos vies, il y a notre amitié qui vaut plus de cent haines, plus de cent amours.
  • René fut touché. Il s’apaisa.

  • Merci, mon vieux, nous ne nous quitterons plus. Aucune femme ne viendra rompre notre fraternité de son ostracisme tenace.
  • Chez Mme Verdian le thé servi aux reflets d’un salon vert et or, René retrouva d’anciennes connais¬sances : Varlette qu’il affecta beaucoup de connaître et, qu’il terrifia de ses sous-entendus indiscrets, le baron des Valormets auquel il confia que le pire de l’honnêteté était de satisfaire un vice avec de moyens vertueux, le beau Gachard qu’il complimenta sur l’odeur nouvelle de son mouchoir, il entoura publiquement l’hôtesse de ses soins empressés et ultra-galants, afin de faire jaser la société sur de futures relations. Mme Verdian, charmée, congédia définitivement le jeune Gachard en une courte scène derrière un paravent. Au bout d’une heure, René, maître de la place, blagua les moeurs inquiètes de la ville.

  • L’amour est le premier devoir de l’homme. Sans l’acte d’amour que serions-nous ? Des bonbons de néant ! Des bonbons que l’on goûte à deux entre la mousseline des caresses. Et c’est l’acte le plus sacrifié. On en rougit, on le cache, ou l’ensevelit dans la lourdeur de l’ombre comme une jolie fillette sous d’affreuses capelines moires. Si parmi vous, mesdames, j’avais une maîtresse ou une femme qui me désirerait, oserait-elle ici-même se mettre nue et se coucher sur le tapis ? Si je la prenais devant vous, y en a-t-il une seule qui resterait calme et respectueuse ? Ne deviendriez-vous pas un troupeau hostile d’enfiellées semant partent la grande nouvelle de la contaminée sur la porte de laquelle vous inscririez le signe du lépreux. Chose étrange, l’amour, ce bêlement exquis de la douceur, enfanterait la haine, ou plutôt l’ennui de ne pouvoir suivre la même voie, sans que le voisin agisse comme vous agiriez aujourd’hui. L’amour n’a qu’un ennemi unique, un ennemi qui vaut la plus formidable des armées hostiles, l’envie. Souvenez-vous de la parole de Renan : « Si l’humanité n’avait plus qu’une heure et qu’elle en fût avertie, elle se transformerait en un immense troupeau de bêtes à deux dos.
  • Lon se récriait. L’on discutait. C’était un beau débat de femmes prudes qui savaient depuis longtemps à quoi s’en tenir sur la vertu forcée de leurs amies. Varlette s’agitant trop vertement contre René reçut le coup de fouet suivant, qui lui cala la langue le reste de la soirée : Monsieur Varlette, notez qu’il s’agit de l’acte naturel de l’amour et non de certains procédés grotesques qui le disqualifient. Puis René allégrement voulut clore la discussion par un toast malin :

  • Le plus sage d’entre nous, c’est M. le baron de Valormets. Son silence cependant n’est pas charitable. Sa longue carrière aurait pu nous fournir bien des arguments pour ou contre. Vous êtes avare de paroles, M. le baron, à une époque où l’on fait marché de tout, même de la charité. Un toast à M. des Valormets, sans rancune.
  • Celui-ci n’osa pas se fâcher devant le regard cruellement moqueur du jeune homme. Il avait compris.

    Cette nuit, alors que Mme Verdian se pâmait entre ses bras, René songea avec délices que ses gestes audacieux dans le salon envers sa nouvelle maîtresse avaient été épiés, que ses paroles railleuses allaient donner du coeur et de la langue aux bavardes, et que le remplacement du beau Gachard ferait boule de neige jusqu’au boulevard Delorme.

    Ludovic Garnica de la Cruz. Nantes la brume. 1905. Numérisation Odile Halbert, 2008 – Reproduction interdite.

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