Mémoire d’Avent, l’oeuvre clandestine d’un Angevin à Saint-Julien-de-Concelles 1794-1802 : René Lemesle – chapitre 7 : la mort

(C) Editions Odile HALBERT
ISBN 2-9504443-1-8

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Chapitre VI

  • LA MORT
    1. « On ne meurt qu’une fois »
  • La mort prévolutionnaire
  • Le rôle de l’enregistrement des sépultures dans les registres de catholicité du XVIIIe est la tenue d’un état civil propre à assurer en premier chef les successions. Les prêtres, à ce titre, sont habilités à recevoir les testaments, en vertu de l’ordonnance d’Août 1735, article 15 :

    Les Curés séculiers ou réguliers pourront recevoir des Testaments ou autres dispositions à cause de mort, dans l’étendue de leurs paroisses, & ce seulement dans les lieux o— les coutumes ou statuts les y autorisent expréssement, & en y appellant avec eux deux Témoins; ce qui sera pareillement permis aux Prêtres séculiers, préposés par l’Evêque à la Desserte des Cures, pendant qu’ils desserviront, sans que les Vicaires ni aucunes autres personnes Ecclésiastiques puissent recevoir des Testaments ou autres dernières dispositions.(23)

    Le rituel (23) s’appuie sur le droit coutumier lorqu’il donne les extraits de la coutume de Bretagne, qui domine dans le diocèse de Nantes, et, la formule de testament selon cette coutume. Le rituel précise ensuite qu’une partie du diocèse est soumise à la coutume d’Anjou qu’il convient de suivre dans la région concernée. Les prêtres sont ainsi familiers du droit qu’ils apprenaient, pour ce qui au moins des successions, au séminaire. Ce droit est essentiellement coutumier : il subsiste en 1789 en France environ 300 coutumes différentes applicables à un territoire important. Cette diversité des droits pose bien entendu des difficultés d’ordre pratique et est combattue par la philosophie dominante qui pr“nait l’unification nationale.
    L’enregistrement des sépultures par les prêtres ayant une fonction d’ordre juridique, les prêtres clandestins sont en concurrence avec l’état civil lorsqu’ils enregistrent les sépultures, alors que pour les actes de baptêmes et mariages, qui sont d’ordre sacramentel, ils restent dans le domaine religieux. Dès lors qu’il y a concurrence, il va apparaître une complémentarité des deux types d’enregistrement : le catholique et le municipal. Les populations vont répugner à déclarer leurs morts aux deux pouvoirs à la fois : il leur était difficile de comprendre si la municipalité était capable de répondre juridiquement de tels enregistrements, puisqu’elle s’était éclipsée dès mars 1793. Les populations iront déclarer leurs morts là où le prêtre leur conseillera d’aller, lorqu’il a de l’influence, comme c’était le cas pour René Lemesle.
    L’influence de René Lemesle est relatée indirectement dans une lettre de dénonciation en l’an VII. Cette lettre, qui comme beaucoup de dénonciations, est conservée en série L aux Archives départementales, concerne une période de persécution particulièrement exacerbée. Elle émane d’un concellois qui est nommé et il m’a paru intéressant d’étudier son cas dans le registre clandestin pour voir s’il y figure ou non en tant que pratique de René Lemesle, puisque sont patronyme y est souvent cité.

    « A Saint Julien de Concelles canton du Loroux, maison Copsonnière chez Pichelin aucien juge de la monnaye il y a une société ou réunion assez fréquente sous prétexte de pêche. Cette société est composée en grande partie d’anciens chefs de rebelles, on a invité Debruc ancien rebelle demeurant actuellement à Saint Julien de Concelles à s’y rendre, il a répondu qu’ayant peur d’être guillotiné il ne voulait pas tremper dans aucune conspiration nouvelle. Fait raporté par Biry demeurant à Chebuette en Saint Julien canton du Loroux, ce qu’il a dit à Boutin. Lemesle faisant les fonctions de curé à Saint Julien a reçu une lettre d’invitation de la part des agents de la royauté pour engager les habitants à se rassembler et à se renseigner, lequel prêtre a paru rejetter. Le même prêtre Lemesle a dit la messe publiquement à 9 heures le 16 chez la femme Ve Cheminant à … près la Chef Buette, il y avait beaucoup de personnes surtout des femmes.Rapport de Boutin boulanger à Nantes, 23 ventose An VII » (AD44,L763)

  • La mort clandestine
  • Le nombre de sépultures du registre de René Lemesle est relativement faible (voir chapitre 2). Le rythme annuel des sépultures notées est surprenant, car il se produit une chute brutale au moment de la première période de calme relatif.
    Cette chute est liée au début de notation des sépultures par l’administration civile. Lorsque tout revient dans l’ordre, en 1800, les sépultures sont à nouveau notées par René Lemesle, bien que le taux annuel soit inférieur de plus de moitié au taux prérévolutionnaire. A pertir de ce moment, il n’y a plus concurrence proprement dite, mais une volonté d’une partie de la population de conserver l’enregistrement après la messe de sépulture.

    Pendant la persécution religieuse, les concellois, comme leurs voisins lorousains, n’ont pas perçu la nécéssité de déclarer 2 fois leurs morts, une fois au prêtre et une fois à l’officier municipal, en particulier leurs morts de mort violente pendant la période d’absence de prêtre et de pouvoir civil en 1793 et début 1794. Par ailleurs, René Lemesle a jugé suffisante la déclaration faite à l’état civil. Il a en quelque sorte passé tacitement la main à l’administration civile sur ce plan. La sépulture n’est pas un sacrement et seule l’extême-onction est un sacrement : à ce titre elle ne figure pas dans les registres de catholicité.
    Nous sommes bien en présence d’une entente, probablement négociée entre les hommes publics et Lemesle. On peut dès lors se demander quel était la personnalité de ces hommes que Lemesle avait en face de lui. Etaient-ils vraiement « en face » ? (voir chapitre les réseaux concellois)
    Dans les registres clandestins, on est frappé du dilemmne qui s’est posé à ces prêtres, et chacun a tenté de trouver une réponse à sa manière. La sépulture n’étant pas un sacrement, devaient-ils ou non continuer sa notation, dès lors que l’état civil jouait ce rôle. La réponse passe évidemment par leur degré de confiance dans cet état civil, donc dans les hommes qui le tiennent. Cette confiance n’a pas un caractère purement politique, elle est aussi et sans doute avant tout une question de méthode : la notation des actes est un savoir-faire que les prêtres maîtrisaient, mais que les officiers municipaux ont du apprendre sur le tas, non sans laisser quelques erreurs … (18).

    Chez René Lemesle, la chute des enregistrements de sépultures correspond à la présence dans l’administration civile d’hommes dans lesquels il a confiance, comme Crouëzaud ou Phelippes. Ainsi, le registre civil de l’An IV commence par la signature de Crouëzaud. C’est lui qui fait noter à la fin du registre des mariages de cet an IV, les enregistrements de déclarations a posteriori de décès des années 1793 et 1794 (voir chapitre morts violentes de l’état civil).

  • Victimes de la guerre civile
  • Le curé constitutionnel Le Couteux est parti se réfugier à Nantes dès le 11 Mars 1793, et il n’y eut pas de prêtre attaché à Saint Julien jusqu’à l’arrivée de René Lemesle en Octobre 1794. Cependant, d’après les baptêmes (voir chapitre la vie) on peut émettre l’hypothèse de passages de prêtres clandestins itinérants, sinon il y aurait eu besoin de baptiser les enfants nés en 1793.
    En l’absence de prêtre, la sépulture en terre chrétienne n’est difficile que lorsque l’on ne peut se rendre au cimetière pour cause de persécution. Mais l’année 1793 le cimetière est libre d’accès, puisque la municipalité s’est exilée. C’est fin 1793 que l’accès des cimetières ne devient pas facile dans les régions de guerre civile. Dans beaucoup de paroisses on a dû enterrer sur place.
    François LEBRUN estime que cet attachement à la sépulture en terre chrétienne est si important (47) que son absence est considérée comme une « infâmie » en Anjou au XVIIIe siècle. A la mort violente s’ajoute donc l’horreur de l’absence de sépulture chrétienne quand on ne peut accéder au cimetière qui est le lieu béni. Le transport des corps vers les cimetières a été tenté par les survivants. Il a parfois été possible, comme à la Remaudière, où on peut retracer le passage des 7 charettes qui ramassèrent les corps au lendemain du passage des colonnes de Cordellier pour les porter au cimetière en présence de tous les survivants.
    L’exemple ci-dessous, extrait du registre d’état civil des Archives Communales de la Varenne, illustre ce qui s’est passé pour une grande partie des victimes. Dans de nombreux cas, les sépultures après le passage des colonnes infernales, seront effectuées sur place, et on tentera parfois ultérieurement de remettre les corps au cimetière. On guettait la moindre occasion d’aller les porter au cimetière, parfois en vain.

    Ils mont déclarée que Renée GAGNEUX agée d’environ 32 ans fille de feus René et Perrine BOSSé a été tuée par Larmée Révolutionnaire dans sa maison au bourg de la Varane le 15 ventose An II que son corre a resté sans pouvoir le transportée pendant quelle que tamps sous les débris de sa maison qui fut aux meme ainstans aincandiée et quansuite quelle que tamps à près il fute transportée par Pierre BRUNET dans le citière (sic) de cette commune…. »

    Mais d’autres dans ce même registre civil n’ont pas eu cette chance :

    « …Jean DURASSIER a été tué part Larmée Révolutionnaire proche sa maison à la pileterie en cette commune le 15 ventose An II que son corre a resté lespace de trois jours sur le lieux et quansuite il a été anterré dans son jardin…(AC de la Varenne, registre d’état civil de pluviose an VII)

    L’ortographe est fidèlement recopiée, elle donne une mesure des compétences de l’officier municipal, mais elle est le reflet exact de ce qu’il a entendu sans déformer, ne serait-ce que pour remettre en bon français. Ceci est caractéristique du niveau dans les petites communes, mais le niveau était tout de même très supérieur à Saint Julien de Concelles, où des hommes cultivés ont tenu le registre.

    René Lemesle n’a pas relevé les victimes sous la forme de témoignages a posteriori de morts violentes. Il n’a relevé que les sépultures auxquelles il a participé physiquement. Seules 2 exceptions notées le 2.8.1795 : Françoise Delaunay veuve de Charles Letourneux, 86 ans, et sa fille Françoise Letourneux 63 ans, massacrées en mars 1794 à la Verrie. Ces 2 décès ne sont pas déclarés à l’état civil (voir chapitre morts violentes). Les témoins qui déclarent ce massacre 15 mois après les faits sont Jean Vivant et Pierre Moreau qui ne signent. Mais les 2 victimes sont des personnalités : elles sont mère et soeur de François-Sébastien Letourneux,

    « qui avait atteint aux plus hautes charges de la République : avocat au Parlement de Bretagne, procureur général Syndic de l’administration du département de Loire-Inférieure en 1790, commissaire du pouvoir exécutif près la même administration en l’An IV de la République, ministre de l’intérieur an l’An VI, régisseur de l’enregistrement et du domaine national en l’An VII, législateur et membre du Conseil des Anciens en l’An VIII, juge à la Cour d’appel à Rennes ensuite » (8).

    Pourquoi René Lemesle n’a t-il pris que ces 2 victimes ? Est-ce une reconnaissance de protection ? Je suis tentée de répondre que cette unique faiblesse de René Lemesle, par rapport à son principe de nonrelevé de témoignages a posteriori, est un aveu de lien avec François-Julien Letourneux. Le rôle ambigu de ce concellois a-t-il joué dans la relative tranquilité dont le prêtre a joui pour desservir pendant 7 ans Saint Julien sans interruption ?
    Le registre de R. Lemesle diffère totalement de ceux deses voisins immédiats tel Massonnet au Loroux-Bottereau relevant les témoignages méthodiquement et non sans un certain savoir-faire qui impliquait un interrogatoire pour éliminer les risques d’erreur.
    Les concellois, privés de la possibilité de déclaration de leurs victimes à leur prêtre,ont éprouvé le besoin de faire la déclaration de leurs morts, en partie du moins, au même titre que leurs voisins du Loroux-Bottereau. Ils avaient besoin de papiers pour les successions !Ces déclarations, qui sont donc probablement incomplètes, figurent à l’état civil de Saint Julien de Concelles. Une grande partie d’entre elles a la particularité d’être à la fin d’un registre des mariages, lui même mal classé parmi les autres années de mariages. Si bien que ces déclarations de décès sont quasiment inaccessibles au chercheur peu curieux raisonnant avec un esprit de classement parfait. Il est vain de penser que l’on ait pu tenir correctement un état-civil pendant la guerre civile ! On a tendance de nos jours à oublier la complémentarité état civil et registre de catholicité en zone de guerre civile pour les recherches généaolgiques et démograhiques. Seuls les registres clandestins sont fiables, grâce à Dieu, auquel on ne mentait pas, et grâce au savoir-faire des prêtres. Si René Lemesle n’a pas noté de témoignages, c’est aussi sans doute qu’il percevait déjà la tendance orale à exagérer les faits et qu’il se méfiait en conséquence des témoignages.
    Les déclarations de morts violentes à Saint Julien de Concelles ont un intérêt en ce sens que l’on ne retrouve dans aucune autre source d’archives la majorité d’entre elles. Ainsi, une partie des victimes concelloises figurait dans l’ouvrage du père Petard (8), qui s’est lui-même inspiré d’Alfred Lallié. Or la liste du père Petard diffère de celle des déclarations de l’état-civil. Les 2 sources s’additionnenent sans se recouper (voir chapitre les morts violentes).

  • Les sépultures notées par René Lemesle
  • Malgré leur manque d’exhaustivité, les sépultures du registre clandestin sont curieusement réparties normalement, c’est à dire tout à fait comparables aux sépultures prérévolutionnaires.
    Les jours de sépulture s’échelonnent régulièrement tout au long de la semaine, et René Lemesle ne se repose aucun jour. Pas de repos donc pour un prêtre. Cette répartition est curieuse, puisqu’une grande partie des sépultures n’y figurent pas, et que néanmoins le ryhtme hebdomadaire est régulier. On se rend donc assez facilement au cimetière pendant cette période.
    La répartition des âges au décès est représentative de ce que des études de démographie historique donnent généralement. Ces deux répartitions, par jour et par âge, montrent que décès non enregistrés n’excluaient pas une catégorie, par exemple les enfants en bas âge, qui auraient pû être moins déclarés. La mortalité est plus élevée pour les enfants de moins de 10 ans que pour les autres tranches d’âge et ceci rejoint un profil national de l’époque. Les enfants mouraient-ils plus qu’en temps de paix, du fait des mauvaises conditions de vie ?

    On raconte, dans la tradition orale, que les enfants auraient été décimés par ces conditions difficiles. Le registre clandestin ne permet pas de le déterminer, puisque la sous déclaration est importante et peut avoir majoritairement concerné cette tranche d’âge, malgré le profil régulier de l’histogramme ci-dessus.

  • Jugements
  • Une partie des concellois partis pour galerne en 1793 ont été arrêtés et jugés à Rennes, au Mans.

  • Rennes
  • Pour les personnes arrêtées à Rennes il existe le relevé informatique d’Hervé Tigier « le Jugement des chouans par les commissions militaires d’Ille et Vilaine 1793 » tables des accusés et témoins, 1989 (30). Les concellois y sont relativement nombreux, les voici :

      Joseph Aguesse, 48 ans, marié, 1 enfant, laboureur et pêcheur (FV/P:15, AD35)
      Antoine Bagrin, 17 ans, fils de François et Julienne Bouquet, vigneron, chouan condamné à mort (OB/P:136, AD35)
      Jean Brevet, 42 ans, laboureur et pêcheur (FV/P:15, AD35)
      Michel Brevet, 39 ans, laboureur et pêcheur (FV/P:15, AD35)
      Thomas Brevet, 21 ans, laboureur et bucheur (FV/P:15, AD35)
      Pierre Charbonnier, 23 ans, fils de Mathurin et Jeanne Lallié, marchand de vin en gros (FV/P:15, AD35)
      Pierre Goheaud, 23 ans, pêcheur (FV/P:15, AD35)
      Jean Guillocheau, 38 ans, marié, 1 fille, laboureur et pêcheur (FV/P:15, AD35)
      Joseph Huret, 28 ans, fils de Joseph et de Jeanne Gautron, marchand de sardines et de volailles, chouan, condamné à mort, jugement imprimé, p 34 (AD35)
      Jean Lambert, 35 ans, marié, 2 anfants, laboureur et pêcheur (FV/P:15, AD35)
      François Limousin, 43 ans, pêcheur (FV/P:15, AD35)
      Pierre Lorand, 22 ans, laboureur et pêcheur (FV/P:15, AD35)
      Julien Pouponneau, 47 ans, laboureur, marié, 2 enfants (FV/P:15, AD35)
      Laurent Pouponneau, 26 ans, garçon, batelier (FV/P:15, AD35)
      Pierre Pouponneau, 20 ans, la Perrière, laboureur et pêcheur (FV/P:15, AD35)
      René Rousseau, 42 ans, fils de René (80 ans), le Plantis (FV/P:15, AD35)
  • Le Mans
  • Pour les personnes arrêtées au Mans il existe à ce jour plusieurs ouvrages basés directement sur les archives départementales du Mans dont l’ouvrage d’Henri Chardon « les Vendéens dans la Sarthe » la révolution dans le Maine, 1927, tome III (31) et le travail récemment informatisé « D’où venaient les vendées du Mans, Fauvy Joël, 1990″(32) qui récapitule toutes les sources disponibles. Les concellois sont les suivants :

      Sophie-Pauline Bougoin, 15 ans, interrogée (L 287, AD72)
      Jean Lallier, 13 ans, intérrogé (L 1978, AD72)
      Madeleine Pageot, 12 ans, intérrogée (L 1978, AD72)
      Jean Pitard, 11 ans, détenu à la Mission (L 287, AD72)
      Jeanne Arouet, 26 ans, détenue à la Mission (L 287, AD72)
      René Babonneau, 16 ans, condamné au Mans (C III,98)
      Pierre Louis Chesnais, 15 ans, condamné au Mans (C III,98)
      Jean Pettard, 14 ans, détenu à Sainte Croix (L 28, AD72)
      Jean Pitard, 14 ans, interrogé (L 287, AD72)
      Nicolas Rousseau, 17 ans, condamné au Mans (C III,98)


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    Odile Halbert – Reproduction interdite sur autre endroit d’Internet Discussion autorisée sur ce blog.

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    Mémoire d’Avent, l’oeuvre clandestine d’un Angevin à Saint-Julien-de-Concelles 1794-1802 : René Lemesle – chapitre 6 : l’enregistrement civil

    Ouvrage paru en 1990
    (C) Editions Odile HALBERT
    ISBN 2-9504443-1-8

    Chapitre VI

  • L’ENREGISTREMENT
  • Ryhtme hebdomadaire du mariage civil civil
  • Les noces traditionnelles se sont donc maintenues pendant la guerre civile, mais quand régularisait-on civilement ?
    La seule étude connue porte sur Avignon (18). La comparaison entre les dates des 2 formes de mariage, civil et religieux, montre que 15 % des couples régularisent le jour même, et que 62 % ne régularisent qu’après, dans un délai relativement court : la moitié des retardataires en l’espace d’une semaine, le reste en un an.
    Avignon est cependant d’une ville dans laquelle les interdits religieux, les temps clos et le vendredi, ont été levés par la hiérarchie catholique. Le prêtre réfractaire bénit 82 % des unions un vendredi, et on ne peut donc comparer Avignon à Saint-Julien-de-Concelles.

    L’attachement à la fête du mardi ou du lundi est encore plus marqué lorsque l’on étudie le jour de mariage civil. L’érosion du mardi est très sensible, au profit de tous les jours de la semaine y compris le dimanche. Les couples des lundi et mardi ont pu être ceux, rares, qui expédient le mariage civil le même jour que le religieux.

  • Le délai d’enregistrement
  • L’attitude est bien diffèrente à Saint Julien de Concelles comme au Loroux. Rien de comparable avec Avignon. Le mariage civil est n’importe quel jour et il n’y a pas de corrélation avec la date religieuse : avant, même jour, quelques jours après, mais aussi très longtemps après, jusqu’à 30 ans après au Loroux.
    Ce retard des couples mariés religieusement clandestinement à « régulariser » civilement n’a jamais été mesuré statistiquement en région de Venée Militaire. Au Loroux, il est si élevé, qu’il était intéressant de mesurer quantitavement cet écart dans la paroisse voisine de St Julien de Concelles, pour mieux ultérieurement évaluer l’attitude lorousaine.
    Mais pour évaluer cet écart, les difficultés s’amoncèlent : non seulement il faut chercher jusqu’à 30 ans après, mais encore il faut faire les 2 collections d’archives : les communales et les départementales. Et ce n’est pas tout, car la plupart n’ont pas régularisé dans la même commune : on régularise plutôt dans la commune de l’époux alors que l’inverse est fréquent pour le mariage religieux. Enfin, le Conseil Régional a interdit l’accès aux archives communales et les mairies ferment leur porte. Je remercie donc particulièrement celles qui m’ont ouvert leur porte.
    Les collections d’état civil des archives communales de La Chapelle-Heulin, du Loroux-Bottereau, de La Chapelle-Basse-Mer, sont totalement différente des collections départementales. Elles sont beaucoup plus riches que les départementales, et il convient d’analyser ce phénomène. Voici donc à titre d’exemple l’analyse des différences pour les deux collections, départementales et communales, concernant Saint-Julien-de-Concelles.

    Les mariages des AD, dépouillés par le CGO, sont au nombre de 123 de 1793-1802, alors qu’ils sont au nombre de 245 dans la collection communale. Bien entendu, les fascicules communaux sont reliés dans le désordre le plus total : non seulement les décès sont mélangés aux mariages, mais les années commencent n’importe quand et se suivent n’importe comment. Mieux, les années dont la copie est aux AD, ne sont pas copiées intégralement et il manque plusieurs mariages à l’intérieur d’une année copiée. Il a fallu exactement 70 heures de relevé communal suivies d’environ 30 heures de coordination informatique pour compléter la table départementale faite par le CGO, et ce pour les seuls mariages. Les décès ne sont pas pris en compte dans ce temps de travail.
    L’expérience acquise dans les trois communes citées me permet de préconiser pour l’avenir une méthode d’approche plus rationnelle : dépouillement exhaustif de chacune des deux collections indépendamment, suivi d’une confrontation entre les deux relevés. Pour retrouver ensuit matériellement l’acte lui-même à partir d’une table, il ne suffit pas d’indiquer dans la table « archives communales », et il faudrait une autorisation de numérotation manuelle des pages des registres et faire figurer ce numéro de page après chaque relevé de la table.
    Toutes les communes ayant souffert de la guerre civile ont le même problème. A Vern d’Anjou, paroisse d’adoption de la famille Lemesle, il existe encore plus incroyable : l’année 1791, comme toute la période prérévolutionnaire, a brûlé lors du passage des Vendéens, mais en 1803 le maire retrouve une table manuscrite du XVIIIe siècle se terminant en 1791, rassemble les couples de 1791 et réécrit les mariages. Le tout est relié dans la table manuscrite du XVIIIe qui n’est répertoriée nulle part, puisque rares sont les communes qui attachent de l’importance à une table manuscrite du XVIIIe et jugent utile de les signaler aux AD.
    L’état civil de la période révolutionnaire souffre donc, en pays de guerre civile, de la plus grande misère : son état est le reflet des difficultés rencontrées par les diverses administrations municipales de l’époque.
    Or, depuis deux siècles, les archives souffrent du mode de classement franco-français : « avant » et « après » 1789 ; Avant, les registres de catholicit ; après, l’état civil. Ceci est faux en région de guerre civile, et l’application de cette césure archivistique fran‡aise pose dans notre région un sérieux problème.
    Il serait temps, deux siècles après, de se pencher sur l’indispensable complément de l’état civil : le registre de catholicité, source incomparable du patrimoine historique en région de guerre civile.

  • L’enregistrement civil des mariages
  • 313 mariages sur 411 clandestins, soit 76,2%, ont pu être retrouvés civilement à Saint-Julien et dans les paroisses voisines : le Loroux, Basse-Goulaine et Saint-Sébastien.
    Les mariages pour lesquels les deux dates sont connues concernent dans 75% des cas des Concellois et 25% de non-Concellois.
    Ce nombre de mariages civils permet une exploitation statistique du délai d’enregistrement. L’analyse permet de cerner les réticences des couples.
    Le nombre de mariages trouvés hors de Saint Julien excède le nombre de mariages de horsains constaté dans le registre clandestin. Mais ce pourcentage élevé de horsains est dû en partie au fait que les mariages de Concellois n’ont pas tous été retrouvés, malgré le dépouillement des 2 collections : départementales et communales.
    Le délai d’enregistrement varie selon que l’on considère les Concellois et les horsains. Les Concellois ont eu l’enregistrement facilité par le contexte municipal compréhensif (voir chapitre Pertes de Mémoire). Ils ont donc régularisé massivement 1 à 4 ans après la cérémonie religieuse.

    Le délai, exprimé ci-contre en mois s’étire de 3 ans avant à 27 ans après. Les 2 mariages 3 ans avant sont en fait les 2 mariages constitutionnels rebénis par Lemesle. Il est à noter que ces 2 couples ne sont pas repassés ensuite à la mairie. J’ai rencontré 1 couple dans ce cas au Loroux, qui d’ailleurs repasse dans la paroisse de l’épouse puis dans la paroisse de l’époux, soit 4 mariages au total, en comptant le constitutionnel, pour un seul et même couple.
    Le délai d’1 mois ne concerne pas la moitié des mariages civils.

    Les mariages régularisés 26 et 27 ans après sont plus nombreux pour les borsains, d’ailleurs on observe pour ceux-ci un creux des enregistrements : il n’y a rien entre 1 an et 10 ans. L’histogramme ci-dessus est donc typique de la bonne volonté de la municipalité concelloise. Il y a eu quelques vagues massives mais une régularisation échelonnée sur 27 ans.

  • Saint-Sébastien-sur-Loire
  • Les mariages civils « régularisés » très tard à Saint Sébastien sur Loire sont plus nombreux que les mariages religieux clandestins trouvés à ce jour. D’autres prêtres ont donc unis des mariages clandestins qui nous sont inconnus. En outre, les couples mariés clandestinement par René Lemesle ne viennent plus après leur mariage faire baptiser d’éventuels enfants issus de leur union : ils ont donc trouvé un autre prêtre. En effet, le baptême est considéré par tous les auteurs (17,18) comme le sacrement auquel on ne renonce pas le premier. Un couple ne peut donc avoir été béni dans des conditions difficiles et ne pas faire baptiser ensuite ses enfants. Ainsi, pour Saint Sébastien, les couples de Jean Corgnet et Marie Clestras d’une part et de Pierre Corgnet et Marie Jeanne Choismet d’autre part. Unis le 5.5.1795, ils ne font pas baptiser à Saint Julien de Concelles.

    Baptêmes clandestins
    Après une période de privation de prêtre, la venue d’un prêtre dans une paroisse, est immédiatement suivie du baptême des enfants n’ayant pas pu le recevoir entre-temps (voir chapŒtre 2).
    Le livre de paroisse, commencé en 1829, retrace la période clandestine en ces termes « Monsieur Bascher, ancien curé de Rezé, fût le premier prêtre qui célébra la messe dans la paroisse depuis 1792, et ce le 2 avril 1800. Son successeur fût Monsieur Martin. Enfin le 22.11.1802 J.B. Blanchet est nommé curé de Saint Sébastien (28).

    Ce livre de paroisse est malheureusement écrit 30 ans après les évennements et il est basé sur des témoignages qui donnent une verson tronquée des faits, puisque René Lemesle a dit la messe à Saint Sébastien en la chapelle de la Savarière le 26.11.1795 au moins (voir p.46), si clandestinement que les témoins intérrogés ne relatent pas ces faits 30 ans après.
    Le registre de catholicité de Saint Sébastien, qui suit la période révolutionnaire, donne des indications qui diffèrent de ces témoignages. Ce registre commence le 19.08.1800 comme suit :

    Registre pour inscrire les mariages et baptêmes de la paroisse de Saint Sébastien au diocèse de Nantes depuis le 14 du mois d’Août 1800 et la premier acte est du 19 du dit mois d’août même année, la page où il se trouve doit être regardée comme la première de ce registre qui a été quotté et millésimé par nous prêtre catholique desservant et l’avons signé … J. Martin Rr desservant de Saint Sébastien (registre de catholicité, Saint Sébastien, Archives paroissiales).

    M. Martin baptise et marie dès le 19 août 1800, or les enfants qu’il baptise viennent de naître, donc les enfants de Saint Sébastien nés avant cette date avaient déjà été baptisés. Est-ce que Bascher les auraient tous baptisés entre le 2 avril 1800 et le 19 août ? Bascher a-t-il pu tenir un registre, ou bien a-til tenu uniquement des minutes des actes ?
    Toujours est-il que l’on ne trouve la trace d’un prêtre avant Martin que par déduction, à partir de l’âge des enfants qu’il baptise. Mais on retrouve par contre une feuille volante dans le registre de Saint Sébastien :

    Cet acte écrit en 1799 est signé de façon authentique par le parrain et la marraine. En outre, l’écriture est bien celle de Marchand. Ce prêtre, recteur de la Chapelle Heulin, se déplaca beaucoup pour échapper aux poursuites, et ne réussit à faire que de courtes apparitions à la Chapelle-Heulin. Il aurait donc été présent à Saint Sébastien en 1799. L’acte qu’il signe à Saint Sébastien peut être considéré comme un bel exemple de précision « en la ville de Nantes, au lieu dit Vertais, trêve de Saint Jacques paroisse de Saint Sébastien ». Marchand commence par la géographie communale « ville de Nantes », qu’il n’ignore pas, puis le quartier de Vertais, aujourd’hui absorbé par notre Ile Beaulieu, qui dépendait avant la révolution de la paroisse de Saint Sébastien à travers la trêve de Saint Jacques. Le statut de trêve n’était pas cité fréquemment par les paroissiens de Saint Jacques avant la révolution, on peut donc affirmer que c’est Marchand qui avait appris, sans doute au séminaire, le statut de chaque paroisse du diocèse.
    Cette précision, en pleine persécution, montre que ces hommes poursuivis savent garder un savoir-faire exceptionnel de rigueur et de précision. Les actes de baptêmes délivrés par ces hommes ne sont pas des certificats au rabais : tout se passe comme si, faute de moyens, on avait à coeur de noter rigoureusement le plus de détails possible.
    Marchand ne fût pas le seul prêtre à passer à Saint sébastien. Le registre de 1800 n’est pas écrit de la seule écriture de Martin. La seconde écriture était soit celle de Jaulin, soit celle de Connard. Ces 2 prêtres signent chacun un acte à Saint Sébastien en 1800. J’ai un programme d’analyses graphologiques en cours pour toutes ces écritures.

  • Basse Goulaine
  • René Lemesle a marié des Bas-Goulainais, et il a même marié le 27.1.1795 dans l’église de Basse Goulaine (voir le registre à cette date). Ces Bas-Goulainais ont régularisé civilement plus tard, mais on relève à Basse Goulaine dans l’état civil en 1814 au moins 2 mariages de régularisation qui ne figurent pas dans les registres clandestins connus à ce jour. Il s’agit d’ailleurs de 2 couples qui font enregistrer le jour de leur mariage civil respectivement 7 et 8 enfants vivants, dont plusieurs non déclarés auparavant. Ces mariages laissent supposer un mariage clandestin religieux non connu à ce jour. Il existait donc un prêtre itinérant à Basse Goulaine, qui y fiat des passages pendant la guerre civile. Le registre d’état civil lui-même permet de mettre ainsi en évidence cette existence.
    Pour ce qui est du phénomène d’enregistrements d’enfants, et même nombreux enfants, il est fréquent lors de ce type de mariage civil de régularisation. En fait les enfants avaient besoin de papiers pour se marier d’où la nécéssité dans laquelle étaient finalement les parents de se rendre à la mairie. Une grande partie de ces enfants n’avaient jamais été déclarés, toujours 1 sur 4, souvent 2 sur 4. Les registres de naissances de l’état civil sont donc incomplets, si l’on ne tient pas compte de ces déclarations très tardives. Au moment de la déclaration, les enfants, qui sont dans tous les cas des baptisés clandestins, ont plus de 20 ans.
    Pour mesurer le taux de baptêmes, la comparaison entre le nombre de naissainces dans l’état civil, et le nombre de baptêmes dans les registres clandestins a déjà été tenté. Patricia Lusson-Houdmon s’est heurtée au surplus de baptêmes comparé aux naissances (29). Ce surplus n’a pas d’autre cause que la sous déclaration des naissances. Malgré les menaces, plusieurs couples par commune ont réussi à ne pas déclarer des enfants avant leur âge adulte.

  • Le mariage civil seulement
  • Les mariages civils ne recoupent pas tous les mariages religieux, et quelques mariages civils n’ont pas d’équivalent dans le registre clandestin.
    De là à conclure que les couples mariés uniquement civilement sont détachés de la religion, il faut être prudents. En effet, l’un de ces mariages civils pour lesquels on ne trouve pas d’équivalent religieux est celui du couple de Charles
    Marie Goguet de la Salmonière (voir p.42) et d’Emilie Bonchamps, la soeur du général tombé à Saint Florent le Viel le 20.10.1793. Leur mariage civil le 19.07.1800 à Saint Julien est une régularisation de plus, mais n’a pas été pris en compte dans la statistique du délai d’enregistrement du mariage, car cette statistique n’est basée que sur le registre de Renée Lemesle. Le délai est dans le cas de ce couple de 6 ans et 7 mois. Nous ne disposons que du récit de la Marquise de la Rochejaquelein, mais il est crédible.
    Les autres couples, uniquement civils apparamment, ne sont pas nombreux, puisque non compris le couple ci-dessus, ils sont au nombre de 12. Il n’est pas à exclure que quelques uns soit républicains.
    Certains Concellois ne dédaignent pas les prêtres contitutionnels. Ainsi, le 7 pluviose an IV de la République Française (sic) en l’église de Saint Jacques de Nantes, François Limousin, marinier, 33 ans, né à St Julien de Concelles, et demeurant rue du Port Maillard, épouse religieusement Marguerite Raimbaud de St Fiacre.

  • L’enregistrement
  • Dans ce chapitre, il a été question de « délai d’enregistrement » et non de délai entre le mariage religieux et le civil. C’est que ce dernier était considéré en 1798 à St Julien comme un enregistrement (voir p.).

    Ouvrage paru en 1990
    (C) Editions Odile HALBERT
    ISBN 2-9504443-1-8

    Odile Halbert – Reproduction interdite sur autre endroit d’Internet seule une citation ou un lien sont autorisés.

    Mémoire d’Avent, l’oeuvre clandestine d’un Angevin à Saint-Julien-de-Concelles 1794-1802 : René Lemesle – chapitre 5

    Ouvrage paru en 1990
    (C) Editions Odile HALBERT
    ISBN 2-9504443-1-8

    Chapitre V

  • LA FÊTE
  • La fête prérévolutionnaire
  • Les noces traditionnelles villageoises ont lieu le mardi dans la France rurale avant 1789. Pour la période de 1753 à 1789 à Saint-Julien-de-Concelles, 86,8 % des couples se marient le mardi, et 11,4 % le lundi, également considéré comme jour traditionnel. Ces deux jours totalisent 98,2% des mariages (voir graphique p.43).
    Au Loroux-Bottereau pour la période de 1740 à 1789, ces chiffres sont respectivement de 84% pour le mardi et 10 % pour le lundi, soit 94 % pour ces deux jours (24).
    La préférence du mardi s’explique : on prépare le festin le lundi en tuant le cochon, en confectionnant terrines, plats de volailles. Le mardi on fait ripailles, le mercredi on prolonge. Toute la famille et tous les voisins et amis sont réunis, en outre plusieurs couples sont souvent unis le même jour ; ainsi, le record dans la région est de 22 couples le mardi 22.02.1779 au Loroux-Bottereau.
    Les variations saisonnières sont rythmées par l’église et les travaux agricoles. L’église tient pour interdits le Carême et l’Avent. Ces interdits, aussi appelés « temps clos », sont respectés. Le Carême commence plus ou moins tôt selon les années, au plus tôt le 4 février, et se termine au plus tard le 25 avril, d’où un creux étalé sur deux mois. En outre, on se marie moins quand le travail agricole est intense ; à Saint-Julien ce sont les mois du chanvre, de l’osier et de la vigne, c’est à dire septembre et octobre. De même au Loroux on ne se marie guère en septembre et octobre, alors que 27% des mariages y sont célébrés en février.

  • La fête clandestine
  • La fête clandestine est-elle traditionnelle ? Des récits de mariages clandestins et festifs ont été racontés. En voici deux exemples, extraits de mémoires :

    Mon mariage fut arrêté pour le 18 janvier 1796. Il eut lieu en effet ce jour, mais ce fut au milieu des batailles, car à 2 heures de l’après midi, au moment de se mettre à table, une vive fusillade se fit entendre à 3 lieues et nous laissa dans l’incertitude de prendre le repas ou de rejoindre le bataillon aux prises, commandé par MM Douarin frères, officiers très distingués, lesquels, après une heure de combat, poursuivirent l’ennemi jusque sous les murs de la petite ville de Nort d’où il était sorti et dont le canon de la fortification nous annonça la victoire des Royalistes. Un courrier vint annoncer le succès de MM. DOUARIN et l’on se mit à table aux cris de « Vive le Roi ». Nous passâmes la journée joyeusement car, il faut en convenir, par un bienfait de la Providence dans un temps si malheureux, la tristesse était bannie de tous les esprits et, doutant de son existence au lendemain, on conservait cependant une sérénité, une absence de soucis que l’on n’a pas en temps de paix (25).

    C’est Pierre-Michel Gourlet, général de cavalerie à l’Armée de Scépeaux qui commande la région de Nort-sur-Erdre, qui relate ainsi son mariage clandestin dans ses mémoires. L’union est bénie par M. Royer, vice-gérant de Saint-Mars-la-Jaille, après publication d’un ban à Pannecé. Le registre clandestin est de nos jours à l’état civil de Saint-Mars-la-Jaille.

    La Marquise de la Rochejacquelein raconte le mariage de Charles Goguet de la Salmonière pendant la virée de Galerne :

    Il arriva à Fougères une histoire fort comique; la soeur de M. de Bonchamps suivait l’armée; comme elle était brouillée avec la veuve de ce général, elle restait à peu près seule, ou du moins avec des personnes indifférentes. Elle entra, pour une affaire, avec d’autres dames, à l’état-major ; tout en causant, ces dames dirent combien les femmes qui n’avaient point d’officiers pour parents, étaient à plaindre, abandonnées pour les logements et le reste ; on observa en badinant qu’il leur était aisé d’en avoir, qu’elles pouvaient se marier, qu’il ne manquait pas de jeunes gens. Melle de Bonchamps répliqua en riant que le conseil était excellent, mais que les femmes ne devaient faire d’avances et que c’était à ces messieurs à se proposer. Alors, M. de la Salmonière, officier du corps de Bonchamps, lui demanda si elle parlait sérieusement et si elle accepterait une proposition. Cela dépendrait, répondit-elle, de celui qui la ferait. M. de la Salmonière lui dit : « Eh bien, mademoiselle, me voilà, je me propose et serai fort heureux si vous voulez de moi ». Melle de Bonchamps était jeune et, comme je l’ai dit, se trouvait isolée, elle accepta sur-le-champ; ils se marièrent le lendemain ; M. de Talmond, toujours prêt à s’amuser, leur donna des fêtes. (8)

    Le mariage religieux fut probablement écrit sur une feuille volante et ne nous est pas parvenu, si ce n’est par le récit de la marquise de la Rochejaquelein, qui a tout lieu d’être véridique, même si la marquise n’est pas toujours fiable.
    René Lemesle assista probablement à ce mariage festif en plein coeur de la Virée de Galerne, à Fougères. En tous cas, la marquise ne cite pas le nom du prêtre qui a béni cette union, donc il ne devait pas être connu.
    Comme dans les contes, les époux furent heureux et eurent des enfants à Saint-Julien-de-Concelles. Il y font baptiser le 24.08.1801 leur fils Charles, né le 02.08.1801. Le parrain est l’aîné des enfants, Auguste Charles. La cérémonie réunit trois prêtres : Veillard, Fremont, et René Lemesle.
    Le couple fait enregistrer le mariage civilement le 19.07.1800 à Saint-Julien-de-Concelles : il réside à la Salmonière. Ce mariage civil aurait pu être qualifié de « républicain » car sans son équivalent religieux. Il est donc vain de comparer les mariages civils aux mariages religieux dans le but d’en conclure que les mariages uniquement civils sont le fait de bons républicains.

    Rythme hebdomadaire des mariages clandestins

  • On compare ci-contre la période de 1753 à 1789 à Saint-Julien, à la période clandestine.

    Les mariages clandestins ont maintenu la tradition du mardi et du lundi. L’érosion du mardi est en partie reportée sur le lundi. Ces deux jours représentent 88,3 % des mariages clandestins.
    L’érosion de ces deux jours est plus importante quand la persécution s’accentue. Ceci est surtout sensible pour les non-Concellois.

    L’année 1795 est une année sans difficultés : le profil hebdomadaire est identique au profil prérévolutionnaire pour les Concellois, mais deux Sébastiennais se marient le jeudi.
    Beaucoup de couples sont parfois unis ensemble un autre jour que le mardi ou le lundi. Ainsi, on observe cinq mariages clandestins le mercredi 13.09.1797, trois le jeudi 28.09.1797, deux le dimanche 12.11.1797 et deux le jeudi 26.04.1798. Pour la plupart de ces mariages collectifs, René Lemesle était manifestement situé dans un village proche du Loroux et de La Chapelle-Basse-Mer. On ne peut pas conclure qu’il s’est rendu au Loroux car il y toujours des couples concellois le même jour.
    Par contre, il s’est rendu à Basse-Goulaine le 27.01.1795 pour marier dans l’église deux couples de Saint-Sébastien.
    Il est aussi à la Gagnerie en Saint-Sébastien ou quelques Sébastiennais festoient le lundi 23.11.1795 : cinq couples de Sébastiennais et de Concellois se pressent dans la Chapelle de la Gagnerie « pour éviter les poursuites des révolutionnaires ennemis qui nous environnent ». Les personnes présentes sont au minimum 27, en ne citant que les époux et les témoins, auxquelles il faut ajouter le prêtre et les épouses des hommes présents comme témoins. Car, si ce sont les hommes qui sont témoins et laissent leur nom dans le registre, on doit admettre
    que leurs épouses n’étaient pas restées à la maison, d’ailleurs dans toutes les études de la pratique religieuse en période révolutionnaire, elles sont donnés généralement comme majoritairement présentes aux messes clandestines (18,19).
    Le lundi est jour de mariage festif avant la Révolution, même si cela est de fa‡on secondaire. Il le reste pendant la guerre civile et l’analyse des mariages bénis ce jour-là par R. Lemesle est significative : ce sont très souvent des mariages collectifs : cinq les 14.09.1795, 23.11.1795, 23.01.1798 et 12.11.1798, quatre les 16.02.1795 et 23.05.1796, trois les 18.01.1796 et 08.02.1796, deux les 26.06.1796, 13.11.1797 et 22.10.1798.

  • Saisonnalité des mariages clandestins
  • Les mariages clandestins à Saint-Julien-de-Concelles respectent les temps clos. Le graphique de saisonnalité (voir p.28) montre nettement le creux des mois du mois de mars et celui du mois de décembre. La saisonnalité est identique chez M. Robin à la Chapelle-Basse-Mer, avec cependant une légère différence : René

    Lemesle bénit plus d’unions que M. Robin pendant les mois de travail agricole. Pour voir si la saisonnalité de René Lemesle diffère vraiement d’une saisonnalité connue, on compare ci-contre à celle du Loroux prérévolutionnaire. On constate à nouveau que R. Lemesle bénit un peu plus que d’autres pendant le travail agricole ? Or, ce travail est collectif, lors de rassemblements importants autant que festifs. René Lemesle, qui avait 28 ans en 1794, est capable de se déguiser en ouvrier agricole.

    Il a donc pu bénir des couples au milieu du travail. Le père Petard raconte que cela se produisait quelquefois au milieu des champs (9 p.247). Les champs sont le meilleur espace discret, puisque le rassemblement est justifié par le travail. René Lemesle ne ménage pas pour autant le cérémonial. Il aime une certaine solennité qu’il sait, avec bonheur, concilier avec la réalité quotidienne. S’il se transforme facilement en ouvrier agricole, son voisin, C. Massonnet, refuse de « se déguiser » en otant sa soutane. R. Lemesle montre ainsi que très t“t il a su retirer sa soutane, sans doute dès 1791, pour se fondre dans le paysage agricole ou artisanale. Cette aptitude à se glisser parmi la population témoigne d’une certaine faculté d’adaptation pour ce fils du forgeron issu d’une lignée de marchands de fil.
    En période de persécution, la population reste donc attachée à la forme traditionnelle des noces, et fait la fête à ses risques et périls. En effet, les 411 couples unis en 8 ans représentent un déplacement considérable de population.
    On peut donc se poser la question des allées et venues de toutes ces familles sans se faire remarquer, d’autant plus que les mariages le même jour sont nombreux, jusqu’à cinq ou sept, comme avant la Révolution.

  • Rythme annuel des mariages clandestins
  • Le registre de René Lemesle contient 411 mariages, et sa moyenne annuelle est très supérieure à la moyenne prévolutionnaire avec 50 contre 31. Mais il y a des variations. On observe une pointe trés élevée pour 1795 et 1796, puis un retour progressif aux chiffres prévolutionnaires, avec cependant une chute en 1799, non significative : avant 1789 les variations annuelles sont supérieures. Elle traduit cependant la difficulté à trouver le prêtre durant 1799.

    En 1795 et 1796, René Lemesle bénit trois fois plus de couples que la moyenne prévolutionnaire.
    Le nombre élevé de mariages en 1795 traduit à la fois la pacification et le fait que les couples ont attendu longtemps : les mariages sont d’autant plus nombreux qu’auparavant on en était privé. La reprise d’armes par Charette en juin 1795 et par Stofflet en février 1796 ne contribut pas à faire chuter le nombre des mariages de l’année 1796. On peut tenter d’en conclure que les Concellois n’ont sans doute pas beaucoup suivi cette reprise.
    Les années 1795 et 1796 traduisent également l’affluence des non-Concellois.
    Ces derniers ne viennent plus faire bénir leur union à partir de 1800, donc les années 1800 à 1802 restent élevées pour des mariages de Concellois seulement.
    Les mariages de Concellois, de 1795 à 1802, n’auraient pu être aussi nombreux si la moitié de la population avait disparue en 1794, comme cela a été raconté au Père Pétard (9). La majorité des Concellois a effectivement survécu et le taux annuel de mariages vient renforcer l’hypothse émise à partir des baptêmes, pour estimer le nombre de survivants à environ 2952 (voir p.36).
    Le décompte exact des mariages concellois est délicat, car les couples de Concellois avec non-Concellois sont fréquents avant 1789, comme pendant la guerre civile. Or, un couple de de Concellois avec non-Concellois peut aussi bien concerner une paroisse voisine, dans laquelle le nouveau couple créé s’installe.

  • Pâques avant les Rameaux
  • Avant la Révolution, le premier enfant nait généralement environ 12 à 16 mois après le mariage religieux (26,27). Cette moyenne est loin de refléter la situation individuelle car les écarts sont très élevés : quelques couples ont un enfant moins de 9 mois après le mariage, d’autres 2 ans et plus après le mariage. Le laboratoire de démographie historique considère comme « normale » la période 9 à 30 mois. Passé les 30 mois, c’est qu’une naissance entre temps a pu échapper à l’attention.
    En l’absence de prêtre insermenté entre 1791 et 1794, les couples en ont cherché, parfois vainement, un pour faire bénir leur union. La première naissance du couple est donc un paramètre qui pourrait montrer l’impatience à trouver le prêtre. Elle peut être rapprochée de la date d’union religieuse ou bien de la date d’union civile, lorsque celle-ci a précédé l’union religieuse.
    Citons : Michel Bergalome, marié le 26.09.1796 à Louise Amiot, qui ont un enfant le 06.02.1797 etc…
    Le délai de première naissance n’a pu être établi que pour un nombre assez limité de couples : une bonne partie des enfants ne sont pas des premiers nés.
    L’intervalle entre naissances a pu être évalué dans les baptêmes clandestins pour quelques couples qui ont trois ou quatre enfants pendant cette période. Il se rapproche de la normale prérévolutionnaire.

    En conclusion, en période de privation de prêtres, une partie non négligeable des couples a dû faire Pâques avant les Rameaux.

  • Fille ou fils de « feux »
  • Les père et mère des époux sont toujours, qualifiés de « feu » s’ils sont
    décédés. Cette qualification est assez fiable dans les registres de catholicité du XVIII e siècle. Elle fait partie d’une méthode d’enregistrement des actes soigneusement apprise au séminaire : questions précises à tous les témoins avant d’écrire.
    Les témoins sont moins précis dans l’état civil, à moins que ce soit les
    officiers municipaux qui ne savent pas les questionner. Tous les recoupements des fiches de familles des Lorousains révèlent ces différences de fiabilité, même sur un point de détail comme celui-ci.
    On peut donc suivre avec une grande précision le nombre de parents survivants au moment du mariage de leurs enfants. Pour 411 couples, il y a 1644 parents, dont 1049 sont décédés, soit 63,8%.

  • Veuf et veuve
  • Les remariages sont fréquents au XVIIIe siècle. Ainsi on observe à Saint-Aignan en Loire-Atlantique, 8,6% des hommes et 17,4% des femmes pour la période 1674-1742,(27). A Avrillé dans le Maine-et-Loire, Jacques Thomé constate observe une pointe à 31% chez les hommes et 20% chez les femmes dans le premier quart du XVIII e (28).
    Dans le registre clandestin de Saint-Julien-de-Concelles les remariages
    touchent 13,8% de veufs et 19% de veuves pour 67,2% de premiers mariages. Le taux de remariages est normal, c’est à dire qu’il ne permet pas de dire qu’il y avait plus de veuf ou veuves du fait de massacres.

  • Mémoire d’Avent
  • Tous les Concellois ont respecté les temps clos de l’église pendant la guerre civile. Pourtant, ces temps clos faisaient parfois l’objet de dispenses avant la Révolution. Ces dispenses étaient rares et concernaient surtout les mariages entre veufs. Sur les 6000 actes de mariages du XVIIIe siècle que j’ai déjà dépouillés dans cette région, quelques veufs ne suivent pas le profil traditionnel. Ils acceptent très souvent les mariages hors du mardi ou lundi, et pendant les temps clos. Ils ne refaisaient pas la fête traditionnelle en attirant tout le ban et l’arrière ban. Ceci se comprend étant donné la fréquence relativement élevée des veuvages au XVIIIe.
    René Lemesle a accordé lui-même une dispense du temps de l’Avent à Jean Gautier, veuf de Marie Clestras, et Anne Bretagne, veuve de Michel Chatelier, tous deux Sébastiennais, qui se sont mariés le lundi 07.12.1795 « après la publication d’un ban canoniquement faite et sans opposition au pr“ne de la messe paroissiale de Saint Sébastien, la dispense des 2 autres bans, du temps de l’Avent et d’un empêchement de consanguinité du 4 au 4ème degré donnée par nous en vertu des pouvoirs re‡us des supérieurs légitimes… ». Jean est laboureur à la Goulonnière en Saint-Sébastien et ne fera enregistrer civilement ce mariage que le 25.06.1809 à Saint-Sébastien, soit 13 ans et 6 mois après la cérémonie religieuse (voir p.49).
    Ce couple est l’unique cas de mariage pendant l’Avent sur les 411 mariages. Il s’agissait de laboureurs sébastiennais, qui avaient probablement connu René Lemesle dans la division de Lyrot. Ils avaient « galerné » avec lui et avaient connaissance de sa présence toute proche.
    Ils assistaient probablement à ses messes célébrées en Saint-Sébastien, et dont il est question dans les prônes des mariages de Sébastiennais : « après publication au prône de la messe paroissiale de Saint-Sébastien… ». En effet, R. Lemesle, comme ses confrères, cite toujours la paroisse dans laquelle a été publié le seul ban qui reste souvent ; lorsque le ban a été publié par un confrère, il cite l’autorisation de ce confrère et le nomme, ainsi de M. Robin ou D. Guillet.
    Ces messes sébastiennaises et basse-goulainaises cessent de 1796 au 7.01.1799, date à laquelle il marie encore un couple sébastiennais. D’autres prêtres clandestins ont donc très probablement dit la messe dans ces paroisses pendant cette période.
    René Lemesle est jeune, et comme la plupart de ces contemporains, il est rompu à la marche : en 1800 il va même baptiser une nièce à Vern, à 50 km de Saint-Julien. Pour desservir Saint-Sébastien ou Basse-Goulaine, il résidait parfois à la Vrillère qui est aux confins de ses deux paroisses, à l’Ouest de Saint-Julien. Le père Pétard cite la Vrillère, dans son ouvrage, comme ayant été l’un des lieux où R. Lemesle s’est caché.

    Ouvrage paru en 1990
    (C) Editions Odile HALBERT
    ISBN 2-9504443-1-8

    Odile Halbert – Reproduction interdite sur autre endroit d’Internet seule une citation ou un lien sont autorisés.

    Mémoire d’Avent, l’oeuvre clandestine d’un Angevin à Saint-Julien-de-Concelles 1794-1802 : René Lemesle – chapitre 4

    Ouvrage paru en 1990
    (C) Editions Odile HALBERT
    ISBN 2-9504443-1-8

    Chapître IV

  • LA VIE
  • Selon une tradition, Saint-Julien-de-Concelles serait le berceau de la catholicité dans notre région ; le premier baptême reçu dans le diocèse de Nantes le fut à Saint Barthélémy, sur l’emplacement de bains romains.
    La Chapelle Saint-Barthélémy, du XVème siècle, fut épargnée par les Bleus, sans doute plus hostiles à Marie qu’à un saint, patron des tanneurs, gantiers et relieurs, qui avait connu le supplice d’être écorché vif.
    Le pélerinage à Saint-Barthélémy, le 24 août, attirait les pélerins de Clisson, Beaupréau, et même de l’autre rive de la Loire. A l’occasion des pélerinages, la Loire traversée. Ceux-ci cessèrent pendant la Révolution, mais certains y vinrent prier.
    Le baptême est le sacrement qui fait membre du peuple de Dieu. Ceci est rappelé sur le plus ancien baptistère de la chrétienté, dans la basilique du Latran à Rome : « ici naît un peuple destiné au ciel ».
    L’attachement à ce sacrement permet de mesurer la pratique religieuse pendant la guerre civile : les fidèles y tiennent au Loroux (voir p.22).
    Nous allons maintenant étudier le comportement des Concellois face au baptême et paralèllement nous appréhendererons leur fécondité pendant cette période de difficultés. Et puisqu’à cette époque le taux de natalité est lié au nombre d’habitants, nous estimerons grossièrement le nombre des survivants.

    Le baptême prérévolutionnaire et postrévolutionnaire

  • L’administration du baptême est soigneusement définie dans le rituel catholique romain. Celui-ci remplace depuis 1614 les rituels diocésains, mais certains diocèses ont conservé leur rituel propre. Il est mis en pratique et ses règles sont apprises au séminaire.
    Dans le diocèse de Nantes, c’est le « Rituale Nannetense », édité en 1776 par l’éditeur Joseph Vatar, qui fixe les règles liturgiques. L’extrait suivant montre qu’une ancienne ordonnance royale est toujours en vigueur :

    Par la Déclaration de 1698, le Roi enjoint à tous ses sujets de faire baptiser leurs enfants à l’Eglise de leurs Paroisses, dans les 24 heures après leur naissance, s’ils n’ont obtenu permission de l’Evêque de différer les cérémonies du Baptême. Les Ordonnances du Diocèse chap.1-4 défendent de différer au-delà de trois jours. (14, p.8)

    Selon certains auteurs, pour convaincre les parents de la nécessité du baptême rapide, l’église aurait utilisé, à certaines périodes, la menace d’excommunication envers ceux qui n’ont pas fait baptiser leur enfant dans les huit jours (18). Cette excommunication ne semble pas concerner le diocèse de Nantes en 1776, car le rituel ne donne aucune indication de ce genre.

    Le délai de baptême est par conséquent inférieur ou égal à trois jours avant la Révolution. Puisque l’église et le roi exigent le baptême aussi rapidement, certains parents ont probablement eu la tentation de dissimuler la date exacte de la naissance. Cette « tricherie » devait être tempérée par l’ardeur de la sage-femme à dire la vérité. Lorsque l’enfant avançait en âge, il devenait également impossible de cacher la vraie date de naissance au prêtre.
    Le père part le jour même de la naissance au bourg avec l’enfant, quelles que soient la saison et la distance. Ce voyage a lieu dans la majorité des cas à pied et comme il n’est pas rare d’avoir 4 à 5 km pour atteindre le bourg, on voit que l’enfant subit une rude épreuve qui ne contribue pas à améliorer son espérance de vie.
    En 1869, la situation est inchangée à Saint-Julien-de-Concelles. Michel Launay cite cette paroisse dans son étude du diocèse de Nantes, en tant que paroisse représentative dans le domaine social, économique et religieux. Il observe que la règle des trois jours y est toujours respectée (22) :

    Le délai de baptême a une particulière valeur de témoignage en ce qui concerne la soumission à la loi de l’Eglise. Les statuts diocésains précisent à ce propos :

    « les curés et desservants avertiront les pères et mères de faire baptiser leurs enfants le plus promptement possible et sous trois jours, au plus tard, après leur naissance » (22).

  • Le délai de baptême dans la clandestinité
  • En période clandestine, les prêtres administrent le sacrement de baptême sans faire de difficultés quel que soit l’âge des enfants, et parfois à des enfants très âgés pour l’époque. Ainsi, René Lemesle baptise quatre enfants de trois ans. L’âge de l’enfant ne pose plus de problème et les parents n’ont pas de raison de le dissimuler pour se conformer à la règle des trois jours.
    L’âge déclaré lors du baptême clandestin peut ainsi être considéré comme exact pour les nouveaux-nés. La date de naissance des enfants plus âgés, en particulier ceux qui dépassent quelques mois, pose un problème d’exactitude du fait des défauts de mémoire des dates (voir p.67).

    Dans le registre clandestin de Saint-Julien, 65 % des enfants sont baptisés dans les trois jours, 92 % dans les trois mois, et 8 % de trois mois à trois ans.
    L’histogramme ci-contre donne le cumul en fonction de l’âge exprimé en jours. Ces chiffres recouvrent en réalité des situations variables dans le temps.
    Le même histogramme, en période de persécution accentuée, traduit un allongement du délai de baptême. Il existe une corrélation entre l’intensité de la répression et le délai de baptême.
    Pour mesurer cette corrélation, il faut extraire les périodes de forte persécution de l’ensemble de la période couverte par le registre clandestin.
    Le délai de baptême des non-Concellois diffère de celui des Concellois, de la même façon que celui des non-Lorousains privés de prêtre en 1793 et début 1794.

    DELAI DE BAPTEME en jours

    Le délai de baptême des Concellois est rapproché ci-dessus (voir tableau) de celui des non-Concellois. Les années retenues sont significatives : une année de calme relatif, 1796, et deux années de difficultés, 1798 et 1799. L’écart entre les années est symptomatique ; le délai augmente dès que la persécution reprend le dessus. L’année 1798 est la plus difficile, si l’on en juge par les délais de baptême. Ordinairement, l’année 1799 passe pour avoir été pire.
    Les non-Concellois mettent en moyenne huit à dix fois plus de temps à trouver le prêtre que les Concellois. Ceci recoupe les observations faites au Loroux (voir p.22).

    La reprise du culte, dans une paroisse privée de prêtre, doit par conséquent s’accompagner de baptêmes d’enfants âgés. Toutefois, lors de la reprise du culte à Saint-Sébastien-sur-Loire, on n’observe pas d’enfants âgés. Ceci plaide en faveur de la présence intermittente d’un prêtre ayant baptisé, et dont nous n’avons pas de trace. Les seuls baptisés âgés de quelques semaines, qui viennent à Saint-Sébastien en 1802, sont des non-Sébastiennais, surtout de Nantes-Saint-Jacques et Nantes-les-Ponts.

  • Mode d’expression du délai de baptême
  • Le délai de baptême exprime le nombre de jours entre la naissance et le baptême. Il s’évalue à partir des deux dates notées par le prêtre.
    Les historiens-démographes expriment toujours un délai en jours, mois, ans, révolus. Ils considèrent donc le jour de la naissance pour un délai de zéro jour.
    Néanmoins, selon le rituel, les enfants doivent être baptisés dans les trois jours. Le jour de la naissance compte comme premier jour, soit un délai d’un jour. Dans la présente étude, le délai de baptême est compté en jours non révolus comme dans le rituel car on mesure la pratique religieuse et non la démographie. On a ainsi un délai d’un jour pour le jour de la naissance, de deux jours pour le lendemain, et de trois jours pour le surlendemain.
    Les dates de naissance sont fidèlement transcrites par René Lemesle. Les cérémonies nocturnes ne sont pas précisées et pourtant une partie des baptêmes a eu lieu la nuit en période clandestine.
    Les baptêmes effectués pendant la nuit permettent de baptiser tard le soir un enfant né le matin alors qu’avant la Révolution on aurait été le lendemain matin. Les baptêmes nocturnes raccourcissent ainsi le délai à l’intérieur des trois jours, toutefois, en l’absence de détails sur l’heure, on se contentera du calcul de l’âge des enfants sans tenir compte de l’heure nocturne probable.
    René Lemesle précise très souvent si l’enfant est né le matin ou le soir, même lorsqu’il s’agit de la veille. Ainsi, 246 baptisés sont nés le matin et 188 le soir.

  • Chercher le prêtre
  • Avant la Révolution, le père part avec l’enfant à faire baptiser. C’est aussi parfois le prêtre qui se déplace. Dans les deux cas, il est facile de trouver un prêtre au bourg de Saint-Julien ; ils sont trois prêtres pour desservir la paroisse, et l’un d’entre eux est toujours présent à la cure.
    Il en va tout autrement en période de clandestinité. Encore qu’il faille distinguer les périodes de clandestinité totale et les périodes de semi-clandestinité. Elles correspondent aux périodes pendant lesquelles les officiers municipaux sont soit réfugiés à Nantes, soit de retour à Saint-Julien mais ferment les yeux ou font eux-mêmes baptiser leurs enfants…
    Le délai de baptême dépend surtout du temps mis à trouver un prêtre. La rapidité de localisation du prêtre suppose une organisation, une sorte de réseau d’information, puisqu’il n’y a pas de lieu fixe comme la cure. Un délai aussi court que celui que nous venons de constater est obtenu grâce à un relais d’information dans chaque village, ou tout au moins dans chaque gros village. Cet informateur est capable de situer le prêtre à tout moment, car n’oublions pas que celui-ci doit souvent changer de cachette. La sage-femme peut aussi avoir été un agent de liaison, encore que bien souvent on a d– s’en passer. Tout un réseau de communication était mis en place, pour informer la population (voir p.64).

  • Les baptêmes clandestins
  • Le registre clandestin contient 1095 baptêmes du septembre 1794 à novembre 1802 inclus. Les enfants ne sont pas tous concellois : 184 baptisés sont nés hors Saint-Julien-de-Concelles, soit 16,8 %.

    Les 66 Lorousains sont suivis de ceux de Basse-Goulaine, Nantes et Saint-Sébastien. Les divers sont les enfants venus par la Loire (voir ci-après), et deux de Vertou et trois de La Chapelle-Basse-Mer. Les trois Chapelains sont baptisés le jour de leur naissance. Les parents ont trouvé R. Lemesle plus vite que M. Robin.
    Ces non-Concellois viennent se faire baptiser à des périodes différentes qui sont le reflet de la situation temporaire dans leur paroisse.

  • Loroux-Bottereau
  • Au Loroux-Bottereau, l’année 1794 s’est terminée par un grand nombre de baptêmes. Après le départ de Clair Massonnet, c’est Denis Guillet qui entre en fonction à Sainte-Radegonde. Ce dernier est loin pour les Lorousains vivants à l’ouest de la paroisse, plus proches de Saint-Julien. En outre, Denis Guillet est parfois empéché ; en particulier au printemps 1796, fin 1797, 1798 et 1799. Le registre de Saint-Julien complète ainsi partiellement celui du Loroux.
    Aucun Lorousain ne vient se faire baptiser à Saint-Julien fin 1794 et début 1795. A cette date, Clair Massonnet est encore au Loroux ; ce prêtre a une plus grande influence que Denis Guillet et tient ses ouailles en main.

  • Basse-Goulaine
  • Les Bas-Goulainais viennent irrégulièrement à Saint-Julien parce qu’ils ont parfois une possibilité de culte clandestin sur place. Il n’y a pas de prêtre desservant à demeure Basse-Goulaine comme au Loroux, mais des prêtres itinérants, par intermittence. Sinon, on aurait ils iraient plus souvent à Saint-Julien.
    Curieusement, aucun Bas-Goulainais ne vient durant l’année difficile de 1799 se faire baptiser à Saint-Julien ; malgré la répression, il y a un prêtre à Basse-Goulaine, pour lequel nous ne possédons pas de registre clandestin, mais dont la présence est attestée a contrario.
    Le même raisonnement s’applique à Saint-Sébastien-sur-Loire.

  • Saint-Sébastien-sur-Loire
  • La paroisse de Saint-Sébastien a été divisée en deux en 1791. Une moitié de cette paroisse, annexée par Nantes, englobe Pirmil, la Prairie d’Amont, Sèvres, la Gilarderie (23).
    René Lemesle ne connaît pas la région mais note « paroisse de Saint-Sébastien » pour la partie annexée. Les habitants de ces quartiers sont déclarés « de Nantes » dans les actes civils. En fait, lorsqu’on leur demande de quelle paroisse ils sont, ils se déclarent de Saint-Sébastien au prêtre, de Nantes à l’officier municipal, qui rectifie le cas échéant.
    Le même phénomène se retrouve dans le registre clandestin de Haute-Goulaine, lorqu’il s’agit d’actes de Sébastiennais (24). Le baptême signe la naissance dans une paroisse, non dans une commune, dans une communanté religieuse et non civile.
    Dans la nouvelle paroisse de Saint-Jacques, il y a un prêtre assermenté, mais quelques couples ont attendu de trouver plus loin un prêtre insermenté. Pourtant le prêtre constitutionnel baptise beaucoup : 600 baptêmes par an. Ces baptêmes dépassent en permanence les limites de la paroisse, tout en ne couvrant pas la totalité des paroissiens.

  • Venus par la Loire
  • Les baptisés de Mauves sont au nombre de huit, de Thouaré sept, de Carquefou deux, de Sucé un, de Sainte-Luce un, de Rezé trois, de Bouguenais deux, de Chantoceaux un.
    Tout laisse à penser qu’ils venaient par la Loire, et que c’est par les échanges fluviaux que l’on avait connaissance de la présence de René Lemesle, à moins que ce ne soit par les anciennes connaissances faites pendant la Virée de Galerne.
    Ainsi, les deux enfants Bessac sont de Trentemoult. Il est plus facile à leurs parents de sortir par la Loire que par le faubourg Saint-Jacques, bien gardé.
    Les bateaux républicains de la deuxième division stationnent devant la Chebuette, BoireúCourant et la PierreúPercée (25). On sait déjouer la vigilance des canonniers qui surveillent la Loire.
    Rezé a eu épisodiquement le ministère de prêtres clandestins rezéens. Cette présence est attestée malgré l’absence de registre connu. Ainsi, fin 1797 :

    Il est constant par les rapports qui nous ont été faits, que les prêtres Bascher frères exercent encore leurs manoeuvres perfides dans la commune de Rezé, et que le prêtre Métayer agit dans le même sens en celle de Bouguenais. (26)

    Il n’est pas possible de déterminer avec certitude si c’est le prêtre qui s’est déplacé ou les familles. Le travail intense du prêtre ne lui laisse guère le temps de traverser la Loire : il baptise le même jour des non-Concellois et des Concellois, ce qui laisse penser qu’il quitte peu Saint-Julien.

    Les enfants, « venus par la Loire », sont plus âgés que les Concellois : leurs parents ont cherché un prêtre plusieurs mois. On voit ci-contre l’origine des baptisés âgés de plus de trois mois.
    Les 17 Concellois sont nés entre 1792 et août 1794. La majorité de ces baptêmes ne sont pas faits par R.úLemesle, mais par MM. Robin et Massonnnet, puis retranscrits au début du registre clandestin, avant le 07.10.1794.
    Les retranscriptions faussent généralement les statistiques.
    Elles ont été gardées dans cet ouvrage, car le registre de M. Robin a été brûlé en août 1794 et celui-ci n’a pas pu reconstituer tous les baptêmes des enfants nés hors La Chapelle-Basse-Mer, en particulier ceux des baptisés concellois. Les deux Concellois du registre de La Chapelle ne sont pas dans celui de Saint-Julien ; ce sont Julien Bouhier de Saint-Barthélémy et Pierre Moreau de la Chebuette.

  • Nombre de naissances par an
  • Pour le XVIIIème siècle, on peut évaluer le taux annuel de natalité avec la date de baptême des enfants, peu différente de la date de naissance. En période clandestine, l’âge des enfants est variable et il faut calculer la date de naissance par soustraction de l’âge annoncé par les parents le jour du baptême.
    La date de naissance est portée sur la courbe ci-contre, pour tous les baptisés, Concellois ou non.

    La moyenne concelloise prérévolutionnaire, représentée par un trait horizontal en pointillés, est dépassée en 1795, 1798 et 1800.
    Cette moyenne élevée est partiellement due aux non-Concellois.
    Seul le taux de natalité des Concellois est comparable. Ceux-ci sont au nombre de 911, dont il faut retrancher les 17 enfants retranscrits avant René Lemesle, dans le registre. On obtient 894 naissances concelloises sur 8 ans et 2 mois, soit en moyenne 109 par an. La moyenne prérévolutionnaire était de 119 enfants : on constate que le taux de natalité s’est presque maintenu pendant la guerre civile.
    Cette moyenne élevée peut être partiellement due à un abaissement de l’âge au mariage, ce qui sera étudié sur le Loroux (étude en cours).
    On peut obtenir un ordre de grandeur de la population survivante. Pour 3 165 Concellois avant la Révolution, on a (3 165 x 109) / 119 = 2 899 survivants.
    Ce chiffre est très approximatif, car d’autres facteurs ont pu avoir une influence. Ceux-ci nous sont inconnus en l’absence de reconstitution des familles concelloises.

    Les enfants et les vieillards ont généralement été massacrés en plus grand nombre que les femmes et les hommes en âge de procréer, ainsi au Loroux (27). Il n’en est rien à Saint-Julien, où les hommes de 20 à 50 ans sont très représentés dans les décès déclarés (voir p.80).
    L’évaluation du nombre des survivants, donnée ci-avant, n’a qu’une valeur indicative, toutefois, elle infirme la tradition orale racontée à l’abbé Petard en 1892 (11), selon laquelle la moitié de la population avait été massacrée.
    Elle permet cependant d’affirmer qu’une partie seulement des décès par mort violente a été déclarée à l’état civil. En effet, si on ajoute au chiffre théorique de survivants, le chiffre des décès déclarés (voir p.80), on n’atteint pas les 3 165 Concellois d’avant 1789. La sous-déclaration des décès serait de l’ordre de 50 % de ceux-ci.
    Les courbes ci-contre donnent le nombre annuel de naissances à Saint-Julien comparé au flux des non-Concellois.

    Le taux de natalité est faible en 1795, et fin 1794. L’année 1794 est dure : les colonnes infernales sont au Loroux à partir du 8 mars.
    Dès 1796, la moyenne annuelle prérévolutionnaire, figurée ci-contre par un trait horizontal, soit 119 enfants, est presque maintenue. Les non-Concellois viennent surout de 1794 à 1796. Puis, ils ne fréquentent plus René Lemesle avec autant d’assiduité, alors qu’ils connaissent certainement une remontée du taux de natalité, comme à Saint-Julien-de-Concelles.
    L’année 1796 correspond à la pacification. Le « baby-boom » commence en novembre 1795. Le traité de la Jaunaye a été signé le 26.02.1795 et l’espoir que la paix fait naître est sensible neuf mois après.
    De novembre 1795 à fin 1796, la vie prend sa revanche sur la mort. dans la décennie qui précède la Révolution, il y a en moyenne 11,6 naissances en novembre pour un écart-type de 2,2. En novembre 1795, il y a 12 enfants pour un nombre d’habitants supposé très inférieur.
    En 1796, sur 176 baptisés, il y a 45 non-Concellois, ce qui ramène
    les Concellois à 131. Ce chiffre
    reste considérable et est assimi-
    lable à un « baby-boom ».

    La répartition indique une pointe au printemps, qui correspond
    à un été de paix neuf mois plus tôt.
    Le mois de mai est comparable à ceux de 1801 et 1802, mais plus
    accentué qu’en 1800.
    Le taux inférieur de la conception en mai 1800 correspond à la période de persécution maximale en 1799, déduction faite des variations saisonnières normales (voir p.27).

    En période de paix, le rythme de la conception est lié aux saisons et aux travaux des champs.
    Les historiens-démographes observent le même profil saisonnier en France au XVIIIème siècle.
    On note une particularité concelloise liée au type de culture : chanvre et vigne. Le travail y est maximal en septembre.

  • Enfant de l’impossible
  • Mathurin Beranger, fils de Mathurin et de Marie Vivant, est baptisé par René Lemesle le 09.04.1795 en présence des parents, de Marie Beranger sa tante et marraine et de Gilles Vivant. Rien n’est plus banal, puisque 1095 baptêmes ressemblent à celui-ci. Cependant, ce baptême n’est pas tout à fait comme les autres, car l’enfant revient de très loin.
    Il est né le 07.03.1794 dans les prisons de Nantes et son baptême atteste de la vitalité de toute sa famille, car les parents sont présents.
    Le cas des parents de Mathurin n’est pas rare ; l’abbé Petard cite six
    Concellois emprisonnés ayant échappé à la mort : « Pierre Ripot 37 ans et sa femme née Marie Redureau 33 ans, femme Joubert née Thomas 48 ans, Renote Coutant 23 ans, femme Bizière née Guichard, femme Trébuchet née Perrine Litou » (11).
    Marie Vivant ne figure pas dans cette liste et est donc à y ajouter.
    Mathurin Beranger est un enfant de l’impossible, c’est-à-dire un de ceux que l’on ne s’attend pas à trouver.
    Pendant la guerre civile, la vie a été plus forte qu’on le raconte souvent.

  • Prénoms
  • Les prénoms des baptisés suivent-ils une éventuelle influence ? La totalité des 1 095 enfants est analysée ci-après, ce qui représente 1 234 prénoms, compte-tenu des doubles prénoms. Les non-Concellois ont été conservés, et comparés avec les prénoms des époux et épouses des 1 192 mariages de 1753 à 1802 de Saint-Julien-de-Concelles, dont nous disposons grâce aux tables du C.G.O.
    Les prénoms donnés aux baptisés clandestins sont exempts de prénoms révolutionnaires, comme de prénoms royalistes : il n’y a aucune évolution significative.
    Rose, vierge sainte honorée dans la région, est un prénom relativement fréquent avant la Révolution et pendant la guerre civile à Saint-Julien.
    Barthélémy est absent à toute les époques de l’histoire de Saint-Julien-de-Concelles, ce quiest surprenant, s’agissant du saint local le plus estimé. Enfin, les Brice sont en baisse pendant la Révolution, alors que le prénom de ce saint évêque de Tours figure au « Rituale Nannetense » de 1776 et se donne encore de nos jours.
    A la mode : Armand, Victoire, Félicité, Joséphine … , mais passés de mode : Catherine, Maurice, Antoine, Nicolas…

      PRENOMS CONCELLOIS
      nombre d’occurrences par ordre alphabétique

    FEMMES baptêmes clandestins mariages 1753-1802 HOMMES baptêmes clandestins mariages 1753-1802
    (je n’ai pas pu remettre en format WIKI mon tableau, aussi vous avez deux colonnes, les filles à gauche, les garçons à droite, et les chiffres indique FEMMES baptêmes clandestins mariages 1753-1802 HOMMES baptêmes clandestins mariages 1753-1802

    TOTAL 611 611×100 (1126) 623 623×100 (1184)
    1126 1184

    Adéla‹de 2 0,5 (1) Aimé 3 –
    Adèle 1 – Alain – 1 (2)
    Agathe – 1,0 (2) Alexandre – 3,6 (7)
    Agnès – 1,0 (2) Alexis 1 1,0 (2)
    Aimée 1 – Amant 1 –
    Andrée – 0,5 (1) André 4 4,8 (9)
    Angélique 2 0,5 (1) Antoine 2 10,6 (20)
    Anne 34 31,5 (58) Armand 4 –
    Antoinette 1 – Auguste 2 –
    Augustine – – Augustin 2 2,1 (4)
    Catherine 1 6,5 (12) Barthélémy – 1,5 (3)
    Cécile – 1,6 (3) Bennjamin 1 –
    Céleste – – Bertrand – 1 (2)
    Charlotte – 0,5 (1) Brice 1 3,1 (6)
    Claire 1 – Charles 4 4,8 (9)
    Claude 1 – Christophe – 2,1 (4)
    Claudine – 1,0 (2) Clément – 1,5 (3)
    Constance – 2,2 (4) Cyprien 1 –
    Denis 1 – Daniel – 1 (2)
    Elisabeth 6 3,2 (6) David – 0,5 (1)
    Emerance 1 – Denis 1 –
    Emilie – 0,5 (1) Donatien 1 0,5 (1)
    Félicité 4 – Elie 1 0,5 (1)
    Fidèle 2 0,5 (1) Emmanuel – –
    Françoise 35 24,4 (45) Etienne 1 4,8 (9)
    Gabrielle 1 1,6 (3) Eutrope – –
    Geneviève – 6,5 (12) Félix 2 0,5 (1)
    Hélène 1 – François 60 52,6 (100)
    Henriette 1 0,5 (1) Frédéric 1 –
    Honorée 2 1 (2) Gabriel 6 3,1 (6)
    Isabelle – 1,0 (2) Gatien 1 –
    Jacquette – 2,7 (5) Georges 1 0,5 (1)
    Jacquine – – Gervais – 2,1 (4)
    Jeanne 138 95,5 (176) Gratien – 2 1 (4)
    Joséphine 3 – Guillaume 10 15,2 (29)
    Julie 1 0,5 (1) Henri 1 0,5 (1)
    Julienne 46 41,8 (77) Hervé – 0,5 (1)
    Laurence 2 3,8 (7) Hilarion 3 2,1 (4)
    Louise 14 13,6 (25) Honoré – –
    Luce – 0,5 (1) Jacques 23 31,5 (60)
    Lucrèce – 0,5 (1) Jean 114 97,3 (185)
    Magdeleine 25 15,2 (28) Jean-Baptiste 8 –
    Marguerite 8 22,2 (41) Jér“me 4 1,0 (2)
    Marie 163 164,4 (303) Joseph 19 21,2 (40)
    Mathurine 3 8,7 (16) Jude – 0,5 (1)
    Ménanie 3 – Jules – 0,5 (1)
    Michelle 4 18,4 (34) Julien 75 53,1 (101)
    Modeste 2 0,5 (1) Laurent 5 9,5 (18)
    Nicole – 0,5 (1) Leger 1 –
    Olive 1 2,2 (4) Louis 24 20,5 (39)
    Pauline 1 – Luc 3 3,6 (7)
    Pélagie 1 – Mathieu – 1 (2)
    Perrine 60 78,7 (145) Mathurin 20 32,1 (61)
    Radegonde – 0,5 (1) Martin – 2,1 (4)
    Renée 16 47,2 (87) Maurice 2 5,8 (11)
    Rosalie 4 Michel 16 29,4 (56)
    Rose 7 3,2 (6) Nicolas 1 4,8 (9)
    Sébastienne – – Noel 1 0,5 (1)
    Sophie 1 – Paul 4 1,0 (2)
    Thérèse 3 3,2 (6) Philippe 1 0,5 (1)
    Victoire 5 – Pierre 137 119,4 (227)
    Rémy 1 –
    René 45 54,2 (103)
    Samuel 1 0,5 (1)
    Sébastien – 1,5 (3)
    Sévère 1 –
    Simon – 0,5 (1)
    Sylvestre – –
    Thomas – 3,6 (7)
    Toussaint 1 1,5 (3)
    Vincent – 0,5 (1)
    Yves 1 0,5 (1)

    Mémoire d’Avent, l’oeuvre clandestine d’un Angevin à Saint-Julien-de-Concelles 1794-1802 : René Lemesle – chapitre 3 l’oeuvre de René Lemesle

    Ouvrage paru en 1990
    (C) Editions Odile HALBERT
    ISBN 2-9504443-1-8
    VOIR LE SOMMAIRE

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    Chapître III

  • L’OEUVRE DE RENE LEMESLE
  • Importance du baptême clandestin
  • Pour évaluer l’oeuvre religieuse des prêtres clandestins, nous ne disposons que de baptêmes et de mariages, qui sont des sacrements, et de sépultures plus ou moins exhaustives. Les messes, bénédictions, confessions, communions… ne laissent pas plus de trace écrite que l’extrême-onction.
    La tâche accomplie par René Lemesle peut être évaluée comparativement aux données chiffrées disponibles à ce jour. Les études relatives aux registres clandestins sont rares. Patricia Lusson-Houdemon donne un relevé fragmentaire pour 3 départements (18) repris ci-dessous :

    Le pourcentage de baptêmes, par rapport à la somme des baptêmes et mariages, est toujours supérieur à 70 dans l’Ouest. Les études de registres clandestins de catholicité déjà publiées, s’accordent à reconnaître l’importance relative du baptême. C’est le sacrement auquel les populations sont le plus attachées. Pour Bernard Cousin, il représente seulement 62 % des actes du registre d’Avignon (19). Le pays lorousain, qui figure dans la seconde partie du tableau ci-dessus, totalise 1 528 mariages, dont 26,9 % bénis par René Lemesle. Ces nombreux mariages infirment la phrase de M.úRobin selon laquelle il n’y avait pas de prêtre de Liré à Nantes.
    Le registre de Saint-Julien est numériquement le plus important. Celui de Vallet est inconnu des Valletais, car généralement attribué au Loroux et inconnu du R.P. Laure (20) dans son ouvrage.

  • Activité de René Lemesle comparée à M. Robin
  • L’activité de René Lemesle est donc comparable à celle de son célèbre voisin de La Chapelle-Basse-Mer. Tout comme M. Robin, il n’a pas limité son ministère clandestin aux frontières paroissiales. Il n’y aurait pas autant d’actes si les Concellois avaient seuls profité de son secours pastoral.
    Alors pourquoi l’un est-il si connu, l’autre non ? L’un a le sens de la publicité, est l’enfant du pays et soutenu par sa famille. L’autre n’est pas né en Loire-Inférieure, et protège de son mieux sa famille restée à Vern la républicaine, en s’en détachant. Enfin, il n’a pas oublié qu’il a commis une erreur de jeunesse, qu’il rachète sans ostentation.
    L’un abonde en détails hauts en couleur : « … qui ont été transférés au cimetière par les catholiques après la retraite des anthropophages (sic) qui faisaient partie d’une armée révolutionnaire qui déshonorat à jamais le nom français… » (Robin, registre clandestin du 25.05.1794). L’autre a un style sobre et voici son unique détail, extrait des mariages dans la chapelle de la Gagnerie en 1799 : « pour échapper aux ennemis de la religion qui nous entourent.. »

    Ils ont beaucoup marié et respecté la tradition. La saisonnalité des mariages, étudiée ci-contre en nombre moyen de mariages par mois, est de type prérévolutionnaire.
    R. Lemesle et M. Robin observent les temps clos du Carême et de l’Avent, qui sont des interdits religieux.
    La période des travaux agraires, se situe pour M. Robin en septembre et octobre, comme avant la Révolution. Cette baisse correspond au travail du chanvre et de la vigne. La courbe diffère chez M. Lemesle, alors que la culture est de type comparable (voir chapître « la Fête »).

  • Activité concelloise prérévolutionnaire
  • Avant la Révolution à Saint-Julien, la moyenne annuelle des naissances de 1780 à 1789 est de 119 avec un écart-type de 10,6, celle des sépultures, y compris les enfants en nourrice, de 121,6 avec un écart-type de 21,5, et celle des mariages de 31,1 avec un écart-type de 4,8.
    Les courbes ci-contre donnent la saisonnalité des naissances et des sépultures avant la Révolution à Saint-Julien. La chute des naissances en juin correspond, neuf mois avant, au travail du chanvre, fort pénible, durant lequel on concevait moins.

    Les naissances des mois suivants ne sont pas nombreuses : la conception était généralement moins facile l’hiver du fait de la promiscuité.
    La comparaison qui suit n’est pas une étude de démographie ; c’est une estimation rapide de la fréquentation du prêtre clandestin.
    En période clandestine, on aurait pu s’attendre à une chute du nombre de baptêmes et des mariages pour plusieurs raisons : difficultés à trouver un prêtre, nombre des victimes de la période révolutionnaire ayant entraîné une diminution des vivants, baisse probable de la pratique religieuse.

    Or, on constate l’inverse. René Lemesle a baptisé et marié chaque année en moyenne plus qu’en temps de paix prérévolutionnaire. Seul le nombre des sépultures montre une chute assez brutale.
    Les sépultures sont donc sous-déclarées, tandis que le nombre relativement élevé de sacrements de baptêmes et mariages, témoigne de la vitalité en cette période troublée.

    Il y a plus de mariages qu’avant la Révolution alors que trois prêtres y exercaient alors.
    Ce surcroît d’actes effectués par René Lemesle, est liée à la présence de nombreux non-Concellois (voir chapitres suivants).
    En période prérévolutionnaire les sépultures à Saint-Julien-de-Concelles sont surévaluées du fait de décès d’enfants nantais en nourrice. Ces mises en nourrice
    se ralentissent pendant la guerre civile, mais reprennent dès le moindre signe de paix ; les conditions de vie sont plus mauvaises à Nantes qu’à la campagne. La ville, qui a toujours eu un déficit démographique au XVIIIème siècle, offre une promiscuité favorable à l’élévation du taux de mortalité. Il semble que les enfants de réfugiés aient une mortalité supérieure à celle des enfants restés au pays ; il n’existe aucune étude sur ce sujet et cette constatation découle seulement d’observations personnelles.

  • Le courage des foules
  • Le nombre considérable d’actes contenus dans le registre de René Lemesle nous surprend puisque la population concelloise a eu des victimes pendant la guerre civile ; selon l’abbé Pétard, la moitié de la population aurait disparu (11). On observe le même phénomène sur le registre clandestin du Loroux-Bottereau pour la population lorousaine.
    Cette activité prouve que les survivants sont assez nombreux et ont maintenu une certaine pratique religieuse, et que les non-résidents viennent parfois de loin chercher un sacrement.
    Au XVIIIème siècle, les prêtres mentionnent très souvent les liens de parenté de tous les témoins ; René Lemesle aussi, et cela représente une foule de personnes car à chaque baptême, il faut, au minimum, le père accompagné d’un parrain et d’une marraine, et a chaque mariage, 7 à 10 personnes. Lorsque l’un des époux est mineur et orphelin de mère, à défaut de pouvoir se faire décréter de justice, comme avant la Révolution, on remet en vigueur l’ancienne coutume de Bretagne et on fait témoigner 6 à 10 parents supplémentaires. La majorité n’est qu’à 25 ans et les mineurs sont nombreux. Tous les prêtres du pays lorousain ont remis cette coutume en vigueur, car ils possédaient des éléments de Droit Coutumier.

    René Lemesle a baptisé 1 095 enfants, béni 411 couples, soit 822 époux, et enterré 412 morts. Certaines personnes ont participé à plusieurs cérémonies et quelques couples font baptiser jusqu’à quatre enfants.
    René Lemesle cite rarement le même jour des parrains et marraines communs à plusieurs enfants. Lorsqu’il a affaire à des non-Concellois, c’est-à-dire à des familles qui ont plus de difficultés que les autres à se déplacer en groupe, il se contente parfois de prendre le père de l’enfant précédent comme parrain du suivant. Les familles venues de loin se sont souvent déplacées ensemble et s’utilisent mutuellement comme parrains et marraines.
    Pour estimer combien de personnes ont rencontré René Lemesle, on élimine les recoupements et on atteint environ 3 300 personnes en l’espace de huit ans.
    Aucun n’hésite à décliner son identité. Pourtant, chacun sait que le prêtre note les liens de parenté et que les papiers peuvent être saisis avec lui par les républicains. Cette saisie du registre pourrait les faire condamner à mort par le tribunal révolutionnaire.
    En 1984, Rome a béatifié 50 personnes fusillées à Avrillé près d’Angers. Elles n’avaient commis d’autre crime que celui d’assister à une messe clandestine. Les Concellois risquaient eux aussi le martyre pour la foi. Ainsi, au delà d’une simple mesure de la pratique religieuse, les registres clandestins témoignent des risques pris par les populations pour rester fidèles à leur foi.
    Parmi les milliers d’actes dépouillés à ce jour, il n’existe qu’un cas d’absence d’identité. Ceci se passe au Loroux-Bottereau où des non-Lorousains sont venus faire baptiser leur enfant. Pressés de repartir chez eux, ceux-ci n’ont pas le temps de décliner leur identité, si bien que le prêtre n’a pas assez de temps pour noter et enregistre le 17.10.1794 :

    …Jean Visonneau fils de Georges et Anne Pineau, né à Haute-Goulaine le 17.10.1794, le parrain et la marraine n’ont pas décliné leur identité avant de s’en aller. (Registre clandestin du Loroux-Bottereau)

    L’importance de documents comme les registres de catholocité clandestins est inestimable. Ainsi, René Lemesle donne avec la même exactitude qu’avant la Révolution, c’est-à-dire avec une probabilité très élevée de précision, les filiations et les liens familiaux des personnes présentes. On peut reporter ces détails filiatifs sur les fiches de familles et les reconstituer. Ces fiches de familles complétées, permettent de pister la vie et de la situer dans le temps.
    En comptabilisant ainsi les vivants, on peut, a contrario, estimer les décès, car il y a deux façons de mesurer un verre à moitié plein : on peut mesurer la partie vide, mais aussi la partie pleine. Au lieu de tenter l’impossible martyrologe, on peut faire la démographie des survivants.

      « Toute science humaine, sans une puissante base démographique, n’est qu’un fragile château de cartes, toute l’histoire qui ne recourt pas à la démographie, se prive du meilleur instrument d’analyse. »
      Pierre Chaunu (21)

    Ouvrage paru en 1990
    (C) Editions Odile HALBERT
    ISBN 2-9504443-1-8

    Odile Halbert – Reproduction interdite sur autre endroit d’Internet Discussion autorisée sur ce blog.

      Si vous souhaitez discuter de cet ouvrage, merci de le faire ici et non sur d’autres forums ou blogs. Merci d’avoir un peu de respect pour mon travail, car lorsque vous discutez ailleurs (c’est à dire dans mon dos) vous faîtes tourner les détenteurs des autres blogs ou forums.

    Mémoire d’Avent, l’oeuvre clandestine d’un Angevin à Saint-Julien-de-Concelles 1794-1802 : René Lemesle – chapitre 1er

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    Chapître I

    DE L’ANJOU A SAINT-JULIEN-DE-CONCELLES

  • Neuville et Grez
  • La commune de Grez-Neuville, près du Lion-d’Angers, dans le Segréen, au nord de l’actuel département de Maine-et-Loire, a été constituée en 1789 du bourg de Neuville et de sa succursale paroissiale, Grez, située sur l’autre rive de la Mayenne. En 1766 les prêtres desservent la succursale, mais il n’y a pas de pont pour s’y rendre et la rivière est large…

    En ce 23 février 1766, le grand froid dure depuis si longtemps que J. Davy ne se sou-vient plus quand il a commencé : il a vu la Mayenne prendre en masse, et on la traverse à pied sec. Il a même entendu dire que la Loire est traversée elle aussi à pied, entre Saint-Florent-le-Vieil et Varades. Les anciens ont beau essayer de se remémorer, aucun hiver ne leur a laissé un souvenir aussi glacial depuis 1709.

    Engourdi par le froid, monsieur le vicaire de Neuville et Grez, vient de faire deux grosses ratures. Il s’est trompé de sexe dès le début de l’acte de baptême et cela n’est pas pardon-nable. Peut-on confondre Marguerite avec René ? Enfin, il a écorché le prénom de Françoise-Scholastique Gardais. Certes, elle porte un prénom peu fréquent, mais il figure pourtant dans le rituel et il l’a oublié.

    Maître Jean Lemesle, forgeron à Neuville, est heureux d’avoir un fils pour lui succéder un jour. Il aime sa forge et il en est fier, depuis qu’il a appris son métier à Nyoiseau chez le père Gardais. Car Jean est le troisième fils de Jean Lemesle et d’Anne Houdmond, issus d’une longue lignée de marchands de fil et de filassiers du Craonnais et du Segréen. Le fil ne suffisait plus à nourrir tous les Lemesle qui y travaillaient et Jean avait choisi la forge.
    Marié à Nyoiseau, le 12.02.1760, à Françoise-Scholastique Gardais, il a eu avant 1766 deux fils, prénommés Jean-Charles, décédés peu après leur naissance.
    Paul Gaudin, parrain de ce nouveau fils Lemesle, n’a pas donné son prénom au baptisé ! Il est pourtant cultivé : il signe très habilement. Les Lemesle ne peuvent donc pas faire comme tout le monde, et appeler leur fils Paul comme le parrain, ou Jean comme le père… Pensez donc, ils l’ont appelé René, comme de nombreux Angevins depuis ce Plantagenet. On aime tant se souvenir du bon roi René dans ce petit coin du diocèse d’Angers, tellement qu’à Neuville et Grez il y a autant de René que de Pierre (1). Tous les Angevins ont la même adoration pour leur roi favori et nulle part en France on a autant de René dans les familles du XVIIIème siècle.

    Mais l’abbé J. Davy est jeune et avec le temps, il s’habituera à écrire correctement « Scholastique ». Avec M. le Recteur, qui est très âgé, il a la charge de 1 300 âmes et administre chaque année en moyenne 35 baptêmes, 14 mariages et 33 sépultures (1).

    La besogne n’est pas facile depuis que le pont s’est écroulé. Pour traverser la Mayenne, qui sépare Neuville de sa succursale Grez, l’abbé J. Davy prend souvent le bac. Le prieur de la Chapelle de Grez, Louis-Sébastien Bestrie y dit chaque jour la messe sous le retable de cuir doré, sans avoir le droit d’administrer les sacrements de mariage et de baptême ; M. le Vicaire doit s’y rendre.

    Le petit René ne grandit pas longtemps à Grez-Neuville, car bientôt son père quitte la forge pour celle de Vern-d’Anjou, plus apte à nourrir la petite famille composée déjà de Marie-Anne, René et Charlotte-Françoise.

    L’église de Neuville, reconstruite en 1704, conserve encore, en 1990, un arceau ogival du XIIIème siècle et un autel richement décoré de marbre.

  • Vern-d’Anjou
  • La petite famille s’installe à Vern vers les années 1770. Le bourg est un noeud de communications : de Candé et du Louroux-Béconnais au Lion-d’Angers, et de Segré à Saint-Georges. Il est aussi un centre artisanal préindustriel, avec un four à chaux et une briquetterie à la Drouère, qui fournit « une excellente chaux, préférable à celle de Montjean et d’Angers » pour approvisionner le Craonnais, ainsi que des ardoisières à la Bichetière et à la Pinardière (2). En 1806, Vern compte 14 moulins dont 4 à eau et 4 huiliers, 9 filassiers, 4 cardeurs, 3 tanneurs, 1 charbonnier et 34 fileuses (2).
    Le jeune René grandit au milieu de ses quatre soeurs et de son frère, la famille s’est agrandie à Vern de Gervais, Anne et Perrine. Il aime le contact de ses camarades fils d’ouvriers et artisans, admire les fours à chaux, les ardoisières, où il se fait des amis. Il découvre les aspects variés des activités humaines et il saura bientôt s’y fondre comme un caméléon. Mais n’anticipons pas, car pour le moment son père le cherche encore.

    le prieuré de Vern en 1910

    Tout en martelant, Jean Lemesle fulmine. Françoise-Scholastique ne lui a donné qu’un « bon à rien » : René a encore disparu dans l’un de ces endroits dont il a le secret.
    Son fils se plaît mieux dans la fraîcheur de l’ancien prieuré, parmi les livres, que dans l’atelier de la forge.
    C’est pourtant à la forge qu’est sa place, car il faudra bien qu’il la prenne un jour en main, car Gervais n’en sera jamais capable : il est maladif.
    Il y a du travail à la forge et ce fainéant n’est pas pressé d’apprendre le métier de forgeron.

    Voilà qu’il s’est mis dans la tête d’étudier avec M.le Recteur. Qu’a-t-il besoin d’étudier ? On sait écrire depuis longtemps chez les Lemesle et cela est bien suffisant. Jean craint l’influence du prêtre qui pourrait bien lui ravir son fils.
    Puis un jour, René annonce à son père sa décision :

  • Tu es maréchal en oeuvres blanches ; ta forge attire du monde, et je sais que tu veux que je te succède, mais je souhaite entrer au séminaire car Dieu m’appelle à une autre forge, celle des âmes.
  • Françoise-Scholastique tente en vain de s’interposer entre les deux hommes qui s’affrontent maintenant. Elle est si fière de ce fils et elle souhaite tant qu’il devienne prêtre. Seulement, son père s’y oppose : il ne pense qu’à la forge…
    Elle se souvient alors de sa jeunesse et une idée jaillit dans sa tête :

  • Ne te tracasse donc pas comme cela pour la forge, Jean. Regarde plutôt chez les Phelippeau, à la Pouèze, ou chez les Robert, au Louroux-Béconnais : ils ont chacun un fils qui ferait bien l’affaire, et puis tes filles… Te souviens-tu comment tu m’as connue ?
  • Oui, Jean se rappelle. C’était à Nyoiseau, il y a tout juste 20 ans. Le père Gardais l’avait pris comme apprenti. Il avait une fille lui aussi… une Françoise-Scholastique. Les deux jeunes gens s’étaient unis au pied de la magnifique abbaye.
    Jean a déjà remarqué le jeune Mathurin Phelippeau de la Pouèze, et le jeune François Robert du Louroux-Béconnais : eux au moins, ils aiment le travail. Il pourrait en parler au père Phelippeau, et prendre son fils comme apprenti.
    Françoise-Scholastique a peut-être raison, et il s’avoue vaincu. Il a perdu son fils, car qu’est ce qu’un fils au séminaire pour un forgeron ? Alors, il admire l’ardeur de Mathurin, et l’une de ses filles fera bien l’affaire… Tout de même, jamais il ne pourra se faire à l’idée que lui, Jean Lemesle, a un fils prêtre.
    A la forge on voit passer du monde, ceux de Loiré, de Craon, de la Pouèze, du Louroux-Béconnais, de beaucoup plus loin ; on colporte les nouvelles, on discute.
    Vern se prépare à la Révolution, elle va devenir républicaine et Jean Lemesle sera bientôt l’un de ses partisans.

  • Chemazé
  • Située à 7 km au sud-ouest de Château-Gontier, la paroisse de Chemazé possède en 1789 deux succursales : Molière et Bourg-Philippe. Rattachée au diocèse d’Angers, elle va en être séparée le 26.02.1790 pour rejoindre le département de la Mayenne nouvellement créé.
    En ce mois de décembre 1790, René s’apprête à rendre visite à sa famille dont il n’est séparé que par 27úkm qui sont vite franchis à pied. Il vient d’être nommé à Chemazé, sur la route de Segré à Chateau-Gontier. A 24 ans, il manque d’expérience, mais doit prendre une terrible décision : il a l’intention d’en faire part à sa mère. Il redoute la discussion avec son père, car pour Jean Lemesle cela ne fait aucun doute : son fils doit prêter serment.
    Et Françoise-Scholastique est inquiète de ce serment car son intuition féminine lui annonce des jours difficiles pour son fils. Cette Constitution ne lui dit rien de bon. Qu’adviendra t-il s’il prête serment comme lui suggèrent son père et son curé, Jean Gentilhomme ? Elle a bien senti qu’il était influencé par les deux hommes, plus âgés que lui. Ils ont des tas de bonnes raisons : liberté, égalité, fraternité…, mais son René ne peut tout de même pas renier son Dieu !
    Doucement, elle le confie à la Vierge du retable qu’elle a vue dans l’église de Chemazé, le jour où toute la famille était venue assister à l’installation.

    Noël s’est passé dans la tension à la cure de Chemazé. Aujourd’hui Jean Gentilhomme et son vicaire René Lemesle allongent le pas pour rencontrer Louis Labouré, vicaire desservant la succursale de Molière.
    Les 4,2 km sont vite franchis, car les deux prêtres sont habitués aux distances à pied. De trente ans son aîné, M. le Curé exprime fermement sa position : « nous prêterons serment tous les deux ». Et chemin faisant, il affirme sa confiance en cette république naissante.
    La jeunesse de René le rend dépendant de cet homme si ferme sur ses positions. D’ailleurs, il se sent aussi ébranlé par la position de Pierre Letourneur, vicaire de la succursale de Bourg-Philipe, qui, lui aussi, préconise de prêter serment. Pierre Letourneur se rétractera après avoir prêté serment, et reprendra son ministère en 1801 (3).
    Louis Labouré, natif de Gennes, les reçoit cordialement, mais la discussion est vive cependant. Louis n’est pas de l’avis de son curé, mais il ne réside pas sous le même toit et peut se montrer plus indépendant. Il s’apprête à refuser le serment ; plus tard il rejoindra l’armée vendéenne, puis se cachera dans le pays de Laval, Meslay et Changé, avant de devenir au Concordat curé de Loigné (4).

    Jean Gentilhomme, né à Angers en 1737, curé de Chemazé, sera élu officier municipal après son serment, mais sera destitué le 09.01.1793. Il apostasiera le 07.02.1794 et jouira à Château-Gontier d’une pension de l’état en 1796 (4).

    Nous retrouvons René Lemesle grâce à l’article « Chemazé » du dictionnaire bibliographique de l’Abbé Angot pour la Mayenne, et l’article « Vergonnes » de celui de Célestin Port pour l’Anjou (5,ancienne édition)

    René Lemesle prête d’abord un serment restrictif, mais finit pas suivre l’exemple de son curé. Il est nommé curé de Vergonnes le 02.08.1791. Il ne reste curé intrus de Vergonnes que cinq semaines et est remplacé le 13.09.1791 par Violay (3).

    Lemesle, vicaire de Chemazé, est élu le 02.04.1791, mais c’est Gagneux qui signe en 1793 « curé et officier public » (5).

  • Vergonnes
  • Bordée au nord par la forêt d’Ombrée, surplombant Noëllet et Combrée, entre Pouancé et Le Lion-d’Angers, la bourgade de Vergonnes ne compte que 248 âmes. Le maire, Jacques Jallot, est un bon patriote. Le curé Trochon a prêté serment en février 1791, puis s’est rétracté aussit“t. Il sera arrêté le 4 germinal V (=24.03.1797).
    Voici donc René, à peine âgé de 25 ans, nommé curé assermenté d’une paroisse de 248 âmes majoritairement patriotes, en pleine région de bourgs patriotes.
    Le registre de catholicité de Vergonnes est muet sur Lemesle. S’il y est resté un mois, il n’a laissé aucun acte dans le registre. C’est Paillard, vicaire, qui le signe jusqu’au 28.08.1791 et ses actes se suivent à un rythme normal. Puis, dès le 06.09.1791, on voit la signature de Gagneux qui y reste longtemps ; il signe en 1793 « curé et officier public ».
    Les sources écrites utilisées par Célestin Port (5), qui indiquent que René Lemesle n’aurait été que le seul mois d’août 1791 curé intrus de Vergonnes, sont probablement des traces de sa nomination ; il n’y a aucune trace de son installation dans le registre de catholicité et par ailleurs le registre communal des délibérations de cette époque n’existe plus.
    René Lemesle ne s’est donc probablement jamais présenté à Vergonnes et il disparaît dès août 1791. Qu’est-il devenu de 1791 à 1793 ?

  • La longue marche
  • Pendant les deux années qui suivent le mois d’août 1791, on perd la trace de René Lemesle. Il n’est pas pensable qu’il soit allé se cacher à Vern chez un père patriote, qui l’aurait mal supporté, au milieu d’un bourg très patriote.
    René va immédiatemment apprendre à se cacher tout seul, en se transformant en ouvrier agricole, etc,… favorisé en cela par son jeune âge et sa force physique.
    Il sait utiliser toutes les formes de déguisement pour se rendre « invisible », et n’a qu’une obsession : ne pas impliquer sa mère et ses soeurs.
    Il parviendra si bien à ne pas compromettre sa famille et à se faire oublier, que, lorsque Françoise-Scholastique sera arrêtée avec deux de ses filles, Marie et Charlotte, elles seront envoyées à la Commission Militaire d’Angers par Chollet, agent municipal du district de Segré le 27 germinal II (=16.04.1794), mais elles ne seront pas exécutées (Liste des prisonniers de Vern envoyés à la Commission militaire d’Angers par Chollet, agent national du district de Segré) : femme Lemesle (sa mère), fille Lemesle (sa soeur), femme Phelippeau (sa soeur) (6).
    Sa soeur Marie épouse constitutionnellement à Vern, le 21.11.1791, Mathurin Phelippeau. Sa seconde soeur, Charlotte, épousera François Robert le 20.11.1798 au Louroux-Béconnais.
    A quelques kilomètres de Vern, Noël Pinot, curé insermenté du Louroux-Béconnais, prêche la résistance à la Constitution Civile du Clergé ; il doit se cacher avant de mourir sur l’échafaud le 27.02.1794, place du Ralliememt à Angers.
    La bonne parole de celui qui deviendra le bienheureux Noël Pinot parvient-elle à René ? On peut le supposer. René, qui ne fait pas connaître sa qualité de prêtre, et encore moins sa qualité de prêtre assermenté, commence clandestinement une longue marche de réhabilitation, car il regrette son serment. Pendant cette période de sa vie, il fait l’apprentissage de la clandestinité dans laquelle il excellera.
    Il se cache au nord-ouest de l’Anjou, région qui vit quelques soulèvements dès mars 1793. La répression est sévère à Combrée qui compte 22 hommes guillotinés le 01.04.1793 (7). Peu après, avec un groupe d’angevins du nord de la Loire, René Lemesle rejoint près de Nantes la division de Lyrot, qu’il suivra désormais. Il a définitivement tourné le dos à Vern la patriote. Voici ce qu’en dit l’Abbé Angot :

    René Lemesle, vicaire, finit par se joindre aux Vendéens ; il affirme en l’an X qu’il assistait Bonchamps quand il sauva la vie aux prisonniers républicains, à Saint-Florent. Il habitait alors à Saint-Julien-de-Concelles, agé de 36 ans. Il passa dans le diocèse de Nantes, décédé à Nantes le 07.04.1824 (4).

    Ce passage à Saint-Florent-le-Vieil peut être rapproché de l’anecdote ci-après, racontée dans ses Mémoires par la marquise de la Rochejacquelein :

    On promena un peu M. de Lescure sur la plage, pour éloigner la foule, et, dans le moment où elle était moins nombreuse, une quarantaine d’officiers mirent le sabre en main et formèrent un cercle ; par ce moyen, on l’embarqua facilement. M. du Rivault, ma fille, mon père et moi, avec nos domestiques, nous sautâmes dans le bateau. Melle de Mesnard aussi ; mais le bateau étant trop petit, nous lui dîmes que nous ne pouvions y prendre sa mère, couchée sur un brancard, et elle redescendit à terre.
    Nous voilà donc partis; un matelot en chemise, tout en sueur, nous conduisait ; mon père lui dit de nous faire contourner l’île et de nous mener jusqu’à Varades, pour éviter à M. de Lescure le danger et la fatigue d’un double débarquement. Jamais on ne put l’y faire consentir par promesse, ni par menace ; enfin mon père tira son sabre, alors cet homme lui dit : Monsieur, je vous avoue que je ne suis pas marin, je suis un prêtre ; la charité me fait passer ces pauvres gens depuis huit heures sans relâche, faute de matelot, mais je n’ose traverser que ce petit bras peu profond, et je risquerais de vous noyer si je vous faisais faire le tour de l’île. Nous fûmes contraints d’y débarquer… (8)

    La marquise avait une mémoire considérable des noms. Si le prêtre avait dit son nom, elle l’aurait sans nul doute retranscrit. Il existait donc au sein de l’armée catholique et royale des prêtres qui se faisaient discrets sur leurs origines. René Lemesle en était ; il avait de bonnes raisons, sa famille, son serment. Le 23 novembre 1793, Jean Lemesle et Mathurin Phelippeau, père et beau-frère de René, déclarent le décès de Gervais, le fils cadet de Jean. A-t-il reconnu quelques semaines plus tôt son frère René dans les rangs de l’armée vendéenne ? A-t-il tenté de le suivre ? Nous savons seulement que l’armée vendéenne est bien passée à Vern fin octobre 1793.
    Gervais est-il mort naturellement ? Nul ne sait, mais à Vern les règlements de compte et les morts violentes furent nombreuses pendant la guerre civile (voir Annexe I).

  • Le ministère clandestin
  • Saint-Julien-de-Concelles s’étale sur 6 km, sur la rive gauche de la Loire, à l’est de Nantes. Bordée par La Chapelle-Basse-Mer, Le Loroux-Bottereau, Haute-Goulaine et Basse-Goulaine, cette paroisse de 3ú200 ha compte 3ú165 habitants en 1790 (9). Leur activité est tournée vers le trafic fluvial, la pêche, la culture de la vigne, du chanvre…
    L’abbé Frémont, vicaire insermenté de Saint-Julien, y exerce clandestinement fin 1791, puis il est à Haute-Goulaine début 1792. Il sera arrêté le 05.06.1792 et déporté en Espagne. Un prêtre irlandais, du séminaire de Nantes, vient pendant quelques mois dire la messe dominicale en l’église de Saint-Julien à 7 h, alors que Le Couteux, curé assermenté, la dit à 10 h. Cette situation est probablement due à l’organisation de fidèles (voir p.63). Les conflits sont nombreux :

    A messieurs les administrateurs du district de Clisson : nous vous donnons avis que le sieur Formon (sic) prêtre cy devant vicaire de Saint-Julien-de-Concelles, après avoir passé trois mois dans notre municipalité, et exercé toute l’emprise de l’aristocratie, s’est retiré depuis quelque temps à Haute-Goulaine et qui entraîne une grande partie des habitants de notre paroisse, qui les confesse et leur fait faire leurs pâques depuis le commencement du Carême, et attire aussi la majeure partie des enfants, qu’il leur fait faire leur première communion quoiqu’ils ne soyent point instruits de leur religion ; tous les jours le nombre en diminue dans notre église puisque nos prêtres nous en ont porté plainte, c’est pourquoi que nous vous le dénonçons et requerons qu’il soit conduit au département lieu de sa destinée suivant l’arrêté du département et sommes messieurs avec un fraternel attachement à Vertou le vingt et un mars 1792, vos très humbles serviteurs Saupin maire, Michel David, Gendron officier municipal, Besnard, Rozier, Affilé, Sauvestre (10)

    A messieurs les membres du directoire du département de la Loire-Inférieure résidant à Nantes : le citoyen Riverin Md épicier à Nantes ayant esté passer les festes de Pasque au bourg et paroisse de Saint Julien canton du Loroux, y a vu avec surprise un prêtre irlandais non conformiste y dire la messe et ce à l’invitation de nombreux aristocrates qui se cotisent entre eux pour le salaire du dit prêtre a qui ils donnent six livres par chaque messe à l’insu du curé constitutionnel, ce qui attire un monde considérable de l’endroit et des paroisses voisines, qui ne veulent pas reconnaître de prêtre assermenté, si bien qu’à la grand’messe de la paroisse, il ne se trouve pas soixante habitants patriotes. D’après cet exposé il en a résulté une rixe populaire, dont j’esté le témoing. Un nommé Guillaume Pineaux, domestique dans la paroisse du Loroux, ayant refusé à payer sa contribution pour la messe du prêtre irlandais le jour de pasque a été battu et maltraité dans la cimetière et à la porte de l’église de Saint Julien, après la dite messe basse qui se dit à sept heures du matin, heure ordinaire, qui se dit tous les faites et dimanche depuis environ cinq mois, le dit Guillaume Pineau étant bien blessé a esté trouvé le chirurgien juré du Loroux qui la pansé comme il apput. Par son procès verbal, attaché en joint, que je requis pour preuve des faix que je citte cy dessus et dont plusieurs citoyens patriotes du dit lieu mon priez de dénoncer devant vous, ne voulant pas paraître estre le dénonciateur des troubles que cette messe occasionne, crainte destre assommé par ces fanatiques qui les menassent tous les jours, c’est pourquoi ils désiraient que cette messe nussent plus lieu et que votre arresté soit suivie de point en point, qu’il vous plut de déffendre au prêtre irlandais d’aller davantage faire aucun office ecclésiastique dans l’église de Saint Julien. Le curé Mr le Couteux est bien du mesme avis, mais nossent vous requerir par la mesme cause de ces bons citoyens, je me suis chargé de la présente requeste pour vous prier d’y avoir égard. signé Riverin, Nantes le 11 avril 1792 (10)

    Rapporté par moi René Denis Ragneau Maitre es arts et en chirurgie, chirurgien juré commis au rapport demeurant ville et paroisse du Loroux Bottreau, département de la Loire Inférieure, district de Clisson, Canton dudit Loroux, que ce jourd’hui avril 1792 l’an 4 de la liberté, le nommé Guillaume Pineau agé de 49 ans domestique chez Pierre Lembert laboureur à ses terres demeurant au village de la Guissaudière en cette paroisse du Loroux, est venu me trouver à mon domicile se plaignant davoir été battu et maltraité ce même jour, auquel j’ai remarqué deux contusions l’une légère sur la partie moyenne postérieure de l’avant bras gauche et au dessous du coude une autre plus considérable large de 8 pouces environs du même c“té, encore du même c“té une excoriation sur le coude, ce qui relativement aux fêtes ne peut l’empêcher de vaquer Mercredi à son travail qi’il n’arrive pas d’accident. Les contusions et excoriations paroissent faite par un instrument contondant comme baton, pierre, chute ou autre. Je certifie le présent sincère et véritable en foi de quoi… signé D. Ragneau (10)

    René Lemesle arrive à Saint-Julien-de-Concelles le 07.10.1794. Il vient de Saint-Sébastien, car les deux premières minutes copiées dans le registre sont des baptêmes de Sébastiennais âgés de deux et trois mois respectivement.
    Son action a été relatée 100 ans après par l’abbé Petard (11) :

    « René Lemesle né le 23.02.1766 à Grez-Neuville, vicaire à Chemozé (sic) (partie de l’ancien diocèse du Mans, dont a été formé celui de Laval). Au passage de l’armée vendéenne, il s’était attaché à nos paysans et était venu chercher asile sur le territoire de Saint-Julien. Cet abbé Lemesle devint l’ap“tre de notre pays pendant les plus mauvais jours de la Révolution. Il ne comptait encore que 28 ans quand il se rencontra pour la première fois avec l’abbé Bertaudeau. Déguisé et changeant d’asile tous les jours, il échappa constamment aux poursuites acharnées dont il fut l’objet. Il célébrait la messe et administrait les sacrements partout o— il le pouvait, dans les granges, dans les celliers, quelquefois en plein champ (la messe fut assez souvent célébrée aux Planches, à la Vrillière et dans les greniers de la Richardière, au bourg). Semblable aux prêtres de la primitive église, il avait avec lui son diacre qui ne le quittait point et l’aidait dans la célébration des saints mystères. L’abbé Lemesle eut près de lui l’abbé Bertaudeau jusqu’au mois de mai 1795. Le vénérable confesseur de la foi portait partout sur lui un petit registre, sur lequel étaient inscrits fidèlement les baptêmes, mariages et sépultures. Ce registre, précieuse relique d’un apôtre dont le nom sera à jamais béni parmi nous, existe encore pour l’année 1799 et les années qui suivent jusqu’en 1803. Les actes antérieurs à l’année 1799 ont été perdus ; mais une copie bien fidèle en est conservée dans les archives du presbytère. » (11)

    En 1802, l’abbé Charbonnier vient aider quelques mois Lemesle.
    Gautron, fabriqueur en charge, verse une somme de 137 livres à Charbonnier. Les Concellois estiment qu’elle appartient à René Lemesle :

    « Il n’est pas juste, disent-ils, que M. Lemesle, ancien desservant, soit frustré de son traitement au profit d’un nouveau qui n’est arrivé que 5 mois après l’amas de la somme » (11).

    Pendant 7 ans, avant cet incident, l’abbé Lemesle a vécu de l’hospitalité et de la charité de ses ouailles. En février 1803, il est nommé vicaire à Saint-Nicolas de Nantes et c’est Mathurin Livinic qui prend la cure de Saint-Julien. Cependant son départ de la paroisse laissera des regrets universels parmi les Concellois. Ceux-ci ne surent probablement jamais qu’il avait autrefois prêté serment. Il s’était certes immédiatement racheté, et ceux qui avaient connaissance de l’existence de ce serment étaient en Anjou.
    En règle générale, pendant la guerre civile, la population gardait un certain mépris pour les jureurs qui s’étaient repris par la suite. Ainsi à Chanzeaux, on raconta au comte de Quatrebarbes, 30 ans après les faits, l’anecdote suivante. Les assiégés sont réfugiés dans le clocher, sous la conduite de Maurice Ragueneau. Les républicains ont amené de la paille et mis le feu :

    L’abbé Blanvillain, environné de mourants qui lui demandaient sa bénédiction venait d’être blessé à la tête. Inondé de sang, épuisé de souffrances en face de cette mort présente de toutes parts, un dernier regret de la vie s’empara de son âme, et sa bouche laissant échapper quelques paroles de merci, il exprima à voix basse le désir de se rendre. « Qu’ai-je entendu ? reprend Ragueneau ; ah, monsieur, est-ce à vous de mendier votre vie ? Rappelez-vous le serment sacrilège que vous avez prononcé ; Dieu vous donne pour l’expier le bonheur du martyre. Remerciez le, priez pour nous, et donnez l’exemple du courage … » (12)

  • René Lemesle oublié
  • Nommé vicaire à Saint-Nicolas de Nantes en février 1803, curé de Teillé en 1808, curé de Cordemais en 1810, aumônier du lycée de Nantes en 1818, René Lemesle meurt iacre d’office à la cathédrale le 07.04.1824.
    Sa soeur cadette, Anne, a épousé à Vern le 24.11.1801 un marchand de toile, René Poirier, qui s’installe à Nantes vers 1805. Leurs deux enfants, également marchands de toile à Nantes, furent sa seule famille proche.
    De nos jours, nul ne se souvient de lui à Grez-Neuville et à Vern-d’Anjou. Aucune trace de lui dans les archives et monographies communales. Seuls, Mercier-la-Vendée du Lion-d’Angers, et les serviteurs de M.de la Grandière, ont laissé à Grez-Neuville le souvenir de la guerre civile (1).
    René Lemesle aurait aimé cette discrétion, toute à son image. Mais deux siècles ont passé, et pour sauvegarder l’oeuvre des prêtres clandestins, il paraissait souhaitable de faire connaître un exemple.
    J’ai choisi le registre clandestin de Saint-Julien-de-Concelles par hasard, dans le seul but d’attirer l’attention sur ce type de documents en voie de perdition.
    Ces registres conservent la trace de l’héro‹sme de beaucoup de nos ancêtres et leur mémoire y est consignée. Les Concellois risquaient le martyr pour la foi (voir p.30).
    J’avais commencé la copie informatique du registre de Saint-Julien, afin d’en assurer la sauvegarde, lorsqu’une chose étrange m’arriva.
    Une nuit, je me suis réveillée avec une intuition : « Ce Lemesle dont j’allais faire connaître l’oeuvre ne m’était pas inconnu » ! J’avais autrefois fait une généalogie « Lemesle » dans le Segréen, et des générations de marchands de fil, dont je descends, s’y succédaient de 1600 à nos jours.
    Me levant immédiatement, je me dirigeais vers mon dossier généalogique « Lemesle », qui sommeillait depuis plus de 5 ans. A peine ouvert, le dossier confirmait l’intuition : René Lemesle était présent à Vern en 1800 comme « témoin » d’une déclaration de naissance à l’officier municipal. Il y était dit « vivant à Saint-Julien-de-Concelles ».
    Le prêtre clandestin, dont j’allais faire connaître l’oeuvre, était à Vern en 1800 et il m’était allié.
    Une grande émotion me saisit alors : je travaillais depuis plusieurs années sur la population lorousaine sans me douter que j’avais un lien quelconque de parenté avec le prêtre clandestin voisin de Saint-Julien !
    Remontant alors du doigt la volumineuse descendance, à la recherche du lien de parenté, je découvrais qu’il était le frère de mon ancêtre Marie, celle-là même qui épousa constitutionnellement Mathurin Phelippeau.
    Je me recouchais, avec la certitude qu’une main divine m’avait guidée à lui.

      à René LEMESLE mon « arrière (4 fois)…grand-oncle »
      fait à Nantes le 25.12.1990
      Odile HALBERT

    Odile Halbert –
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