Les glaces en Loire, devant le château de Nantes, hiver 1906-1907

Vous avez froid.
Météo France effectue non seulement des prévisions, mais des tas de moyennes, records et autres dans le passé. Ainsi, leur document HIVERS REMARQUABLES EN FRANCE 1900-2012, que j’ai téléchargé sur le site de Météo France à la rubrique HIVERS RIGOUREUX.
Selon ce document les hivers 1906-1907 et 1906-1907 ont été rigoureux.
Ce qui me permet de dater la carte postale qui suit de cette année 1907.

Il exite en 1907 des photos en ligne, autres que cartes postales, ainsi :

Concernant l’hiver 1906-1907, voyez la vue VN67_009 – glaces sur la Loire en février 1907 du fonds de la Société Archéologique et Historique de Loire Atlantique

le verso laisse seulement apparaître un 7 pour l’année, mais quand je regarde d’autres cartes postales de cette période en ma possession, je constate que seul le dernier chiffre de l’année.

Mais, en regardant de plus près la carte postale, je suis surprise au premier plan de constater que ce sont des femmes et des enfants, et je me pose la question de 1917, année où les hommes étaient au frond, mais pourtant je doute qu’on ait alors fait des cartes postales ?
Si vous avez un avis sur la date de la carte postale ci-dessus, merci de nous le faire savoir.

J’ai aussi sur mon site une page météo pour le passé
Odile

Les civelles : article publié en 1920 dans la Pince sans rire.

Le texte qui suit peut être avantageusement lu au son de la chanson « Ah qu’est ce qu’on est serré au fonds de cette boîte, chantent les sardines … »

  • Les Civelles
  • Dans cet admirable bassin de la Loire il y a des richesses ignorées.
    Pendant la guerre on a nourri les sardines bretonnes de tourteaux infects, et cet aimable poisson, qui payait souvent de sa vie le maigre menu que nos pêcheurs bretons et vendéens lui offraient, veut, lui aussi, déserter nos rivages : et faire la grève des nageoires croisées.
    Il s’en va vers le Portugal, le Maroc, n’importe où depuis que la cuisine française est par trop rance.
    Pour le retenir, il nous faudrait de la bonne rogue de Norvège, qui vaut maintenant son poids de papier.
    Le change, là aussi, nous handicape, et nos pêcheurs se lamentent.
    Qu’est-ce que la rogue : c’est le caviar norvégien, le frai de hareng ; or l’anguille aussi, obéissant à la douce loi de nature se reproduit allègrement et son frai, c’est la civelle.
    C’est par tonnes, par dizaines de tonnes qu’on le récolte dans la Loire, en ce moment et d’avisés Espagnols à bas prix, raffllent toutes les civelles pour en régaler les sardines portugaises qui en raffolent.
    Pendant ce temps notre beau poisson des Sables, de Lorient, Audierne et Concarneau refuse obstinément d’entrer en boîte, faute d’appât.
    Qu’il serait simple, pour éviter les frais de transport, surtout en ces temps troublés, de mettre l’embargo sur ces exportations scandaleuses et de réserver à nos pêcheurs un appât efficace et bon marché dont ils ont un urgent besoin.
    Mais il faut exporter, pour améliorer notre change, déclarent nos économistes presque tous hébreux.
    Erreur, il faut produire d’abord ; exporter la civelle en Espagne pour lui permettre d’inonder le marché mondial de sardines portugaises, c’est expédier nos oeufs à couver à l’étranger à vil prix, pour nous mettre ensuite dans l’obligation d’acheter au dehors les poulets que nous pourrions élever chez nous.
    Pour faire de l’économie politique, il n’est pas nécessaire de sortir de Polytechnique : il faut avoir simplement du bon sens et mépriser les boniments des doctrinaires.
    UN PÊCHEUR.

    Cet article est paru page 10 du numéro de mars 1920 de la publication suivante :

    http://gallica.bnf.fr/ark:/12148/bpt6k5653759s/f14.image
    Titre : La Pince sans rire : Chronique hebdomadaire de la vie nantaise
    Éditeur : [s.n.] (Nantes)
    Date d’édition : 1920
    Type : texte,publication en série imprimée
    Langue : Français
    Identifiant : ark:/12148/cb32839920x/date
    Identifiant : ISSN 21349827
    Source : Bibliothèque nationale de France, département Droit, économie, politique, JO-61070
    Relation : http://catalogue.bnf.fr/ark:/12148/cb32839920x
    Provenance : bnf.fr

    Il exite à la BNF 119 numéros numérisés de cette publication dont l’humour m’échappe parfois antiblochévique certes, mais aussi antisémite. Cependant cette publication regorge de nouvelles de certains Nantais, plutôt caricaturés d’ailleurs.
    Vous trouvez ces 119 numéros en ligne sur http://gallica.bnf.fr/ark:/12148/bpt6k5653759s/f14.image
    Titre : La Pince sans rire : Chronique hebdomadaire de la vie nantaise

    Ce même numéro de mars 1920 propose également !

    « « Donnez à l’Etat – Oui, donnez à l’Etat. Souscrivez l’emprun. C’est un devoir, et un devoir impérieux… Si vous avez eu l’heureuse fortune de travailler à l’arrière loin des dévastations et des massacres, et que vous ayez profié et de la guerre et des immenses sacrifices de nos combattants, vous seriez traîtres à la cause nationale si vous n’apportiez pas à l’Etat tout ce qui n’est pas absolument nécessaier à la judicieuse conduite de vos affaires…. » (page 2)
    La grève des cheminots – Ce n’est pas une grève mais un attentat concerté. Des individus, utilisant le droit coorporarif de coalition pour des fins révolutionnaires, se sont dressés contre le pays, estimant leur force suffisante pour arrêter toute la vie nationale… » page 4
    « Bénéfices forcés – Il est certain que les prix de certains produits, matières ou denrées font une ascension formidable par des bonds scandaleux. Au moins de novembre dernier le sucre … » page 9

    Mais revenons à la civelle nantaise. Je me souviens en avoir mangé une fois, cuite et froide à la sauce vinaigrette. Mais rien depuis, et pour cause elle est devenue rare et même contingentée, et elle est vendue 250 voire 1 000 euros le kg par le pêcheur !!!
    Autrefois, elle était si abondante que la tradition orale à Saint Sébastien sur Loire raconte qu’on pouvait la récolter sur les bords de l’eau sans peine en grande quantité pour l’étendre sur les cultures maraîchères comme engrais !
    Par contre, je n’ai pas compris l’histoire des sardines évoquées en 1920 ! Si vous comprenez, merci de me l’expliquer.

    Odile Halbert – Reproduction interdite sur autre endroit d’Internet Merci d’en discuter sur ce blog.

    Nantes en flanant : le Pont Maudit

    Qui avait été nommé le Maudit Pont. En fait, son nom de Maudit n’a rien à voir avec l’écroulement de 1913, que les photographes de l’époque s’étaient empressé d’éditer en cartes postales.
    A cette époque on mettait en cartes postales les faits divers et les évements politiques !

    Le pont Maudit reliait la place de la Petite Hollande à la rue Haudaudine.

    Voici la notice d’Edouard Pied, Notices sur les rues de la ville de Nantes, Nantes, 1906 :
    En 1779, dit M. Petit, les habitants de l’ïle Feydeau auraient proposé une avance de fonds de 15 000 francs pour obtenir un pont en bois destiné à relier cette île à l’île Feydeau ; la ville s’étant refusée à se charger de cette dépense, le point reçu à cette occasion le nom de Maudit Pont, d’où celui qui lui est resté.
    De l’an V à l’an X, les propriétaires de l’île Gloriette sont convoqués pour le rétablissement du pont ; la réparaiton est d’autant plus nécessaire, est-il dit, que la chute du pont de la Belle-Croix et delle du quai Barbinais rendent cette nouvelle voie d’une nécesité absolue. Les fonds avancés, le travail fait, on omit de rembourser les intéressés et ceux-ci réclament en 1814 pour être compris dans le Budget. En 1828, on ferma le pont par des barrières ; l’année suivante on décrète la réparation du pont qui fut achevé en 1831, et enfin 10 ans plus tard on le refit en pierre, mais toujours avec l’argent des habitants, dont le versement annuel devait être de 5 000 francs pendant huit ans.

    Les Archives Départementales de Loire-Atlantique possèdent sur leur site en ligne 19 vues du Pont Maudit, ce qui est beaucoup. Pourtant, on me signale que celle qui est sur mon site est complémentaire.

    Nantes, le Pont Maudit - Collection particulière, reproduction interdite
    Nantes, le Pont Maudit - Collection particulière, reproduction interdite

    Le magasin situé à droite de cette vue est celui qui exposait les bâches fabriquées par l’usine Mazettier :

      Voir l’uzine Mazettier
      Lire l’ouvrage Nantes en flanant d’Henri Barbot
      usine chapitre 40 – Les Vallées de Misère

    NANTES LA BRUME, Ludovic GARNICA de la Cruz, chapitre XVII Fuséïdes, première partie

    Ludovic Garnica de la Cruz. Nantes la brume. 1905. Numérisation Odile Halbert, 2008 – Reproduction interdite.

  • Chapitre XVII
  • Fuséïdes
  • Par les chaudes ondées de soleils, ils allaient en canot sur la rivière. Elle tenait la barre, abritée sous une large chapeau de paille et elle était souverainement joyeuse de chanter ou de plonger ses doigts dans l’eau. L’esquif glissait avec le silence d’une hirondelle qui rase le sol. Les rives décolletées laissaient entrevoir leurs reins verts gonflés des fécondations de l’été. Aux flancs, les villas rivalisant de grâce et de coquetterie formaient les agrafes et les joyaux de leurs ceintures. Le cours sinueux de l’Erdre ouvrait des criques où se penchaient rêveurs les arbres engourdis, frôlait des promontoirs à pic, séjour d’un fouillis d’herbes et de fleurs, s’attardait alentour des meules de roseaux bruissant sans cesse comme un camp de sauterelles.
    Sur la semaine, rares étaient les importuns à leur tête à tête. A peine quelques barques d’étudiants fuyaient aux chocs vigoureux des rames, quelques pêcheurs tenaces s’obstinaient dans un coin, quelqes gros chalands chargés de pierres descendaient de Nort, halés par un remorqueur bruyant, ou vides, remontaient, la voile carrée emplie de vent. Aux environs de Sucé, ils choisissaient un gentil endroit bien calme où ils débarquaient. Tandis que la barque s’ensommeillait, les naseaux accrochés par une corde à un arbre voisin, ils erraient visiter les lieux la main dans la main. Leux chois, c’était toujours la pleine campagne s’étendant à l’infini, de l’herbe épaisse, au-dessus, des ombrelles de feuillages. Après avoir erré, cueilli des fleurs dont elle avait garni son corsage et ses cheveux, aussi sa boutonnière à lui, ils collationnaient de friandises et de baisers.
    Une promenade en canot, un lieu très à l’écart des curieux, une solitude entre deux êtres qui s’aiment, assaisonnés d’une molle chaleur, troublent bien des têtes, épanouissent bien des coeurs. Voici que monsieur l’Amour fait sa cueillette de fleurs vivantes. Les cheveux dénoués auront des brins d’herbe en prison, les jupes seront froissées. Pourquoi ce chapeau erre-t-il à l’anventure, ce soleil grivois s’excite-t-il sur les faveurs roses d’un pantalon épars ? Ah ! les tendres caresses sous le voûte libre du ciel bleu, joindre sa chanson d’amour à celle de la nature qui ne cesse jamais de s’aimer ! Les soupirs s’en vont emportés par le vent vers l’urne des cantiques sacrés. Mi-devêtue, Jeanne est si jolie dans son bain de verdure, qu’il s’affole de ses seins blancs luisant au soleil leur nacre et leurs boutons de rose.
    A ceuillir des fleurs dans les prés, à entendre les oiseaux chanter, Jeanne aima follement les fleurs et le chant des oiseaux. Elle en voulut dans leur jardin. Bientôt leur pelouse balança au vent un chevelure d’épingles d’or, de peignes blancs ; des volières installées alentour.

    Le dimanche, elle allait faire son choix sur la place du Bouffay. Les marchands d’oiseaux y avaient installé leurs cages dont les habitants remuaient, si vifs qu’on aurait dit les barreaux danser. Au milieu du chant des captifs, elle discutait ses préférences. Et les pigeons jaloux qui se battaient comme des députés, le gros ara vert qui dormait le cou dans les épaules, les tourterelles qui récitaient leurs litanies de nonnes éplotées, les serins papillonant leurs ailes jaunes et leurs gorgerins et… d’autres encore. C’était un coin de l’arche de Noé, le domicile d’où partaient l’ingrat corbeau et la timide colombe.
    Ensuite on se rendait par la rue d’Orléans sur la place de la Bourse où s’étalait dans un flot de chartés parfumées le marché aux fleurs. En route, on s’était attardé chez quelque pâtissier. Jeanne avait croqué plusieurs éclairs, barbouillé ses lèvres de crème. Ainsi, toute joyeuse, elle emplissait ses yeux d’une extase en flore, le long des boutiques de fleuristes, habillées de blanc comme une table ornée pour d’extrêmes onctions. Son âme s’égarait dans l’amoncellement des bouquets. La marchande en coiffe, les jupes troussées, les mains rougeaudes, l’incitait à respirer le poison de ses cassolettes « mises par le bon Dieu pour encenser la terre et les dames ». Son corsage garni, elle se suspendait au bras de son ami, plus tendre, plus coquetteuse. Ils évoluaient encore parmi les plantes rares emprisonnées dans de vulgaires pots. René ne pouvait s’empêcher de sourire en l’entendant marchander. Tenace, elle n’abandonnait jamais la proie convoitée avant une discussion terrible. Elle se proclamait victorieuse lorsqu’elle avait fait rabattre quelques sous.
    Jeanne épanouissait ses toilettes resplendissantes, orgueilleuse d’être plus belle que les autres promeneuses. Les heures que l’amour n’employait pas étaient, la plupart du temps, consacrées à l’apprêt de toilettes nouvelles, de coiffures curieuses, de chapeaux merveilleurs. René cédait à ses caprices. Il aimait la voir briller comme une chapelle toujours en fête ; il aimait l’entendre froufrouter près de lui, sentir la moire craquer sous ses doigts quand il la caressait sur ses genoux, connaître de nouveaux parfums en baisant son cou mutin ou sa nuque frisonnante.
    Ils s’éloignaient de la place de la Bourse laissant le soleil encenser les parasols géants et la statue de Villebois-Mareuil émergeant d’une touffe luxurieuse d’hommages comme serait un bouddha fêté en une pagode dont la voûte est bleue et le sole, l’écume de la marée des fleurs universelles.
    Ils prenaient quelquefois le bateau de Tretemoult. Ils déjeunaient à la terrasse d’un café, avec devant eux, la Loire sillonnée de barques. Ils fuyaient ensuite sur les berges du fleuve par les sentiers étroits, au travers des prairies chevelues, buvaient du cidre sur des tables moussues d’auberges champêtres. Parfois aussi, excités par la chaleur et les baisers, ils se laissèrent disparaître dans l’herbe haute et s’aimèrent librement sous les rideaux célestes.

    Sur le bateau-mouche, Jeanne rencontra une amie de pension qu’elle n’avait pas revue depuis longtemps. Elles se dirent bonjour amicalement.

  • Tu es avec ton mari ? demanda l’amie subitement
  • Surprise de cette question inattendue, Jeanne Rougit.

  • Oui, hésita-t-elle.
  • L’autre ne fut pas dupe de ce mensonge et reprit d’un ton plus froid où perçait le dédain.

  • Ah ! … moi, je suis mariée depuis trois ans avec un brave employé… au revoir… Je crois qu’il m’apelle.
  • Jeanne pinça les lèvres de dépit. Elle resta appuyée sur le bord du bateau. René la rejoignit. Elle le brusqua pour la première fois alors que des larmes silencieuses emprisonnaient ses yeux.
    René ne comprenant rien à cette mauvaise humeur, attendit pour l’interroger d’être avec elle dans leur chambre.

  • Pourquoi pleurait-tu ?
  • Je ne pleurais pas, c’est le vent, un grain de poussière.
  • Et ton mutisme, et ton humeur massacrante, était-ce aussi le vent, un grain de poussière ?
  • Tu m’embêtes ! C’est de ta faute si j’ai du chagrin.
  • Voilà qui est bizarre. Tu n’as fait que rire toute la journée. Je ne t’ai même pas contrariée et soudain tu me boudes.
  • On m’a insultée à cause de toi.
  • Où… qui… sur le bateau… ton amie de pension… Pourquoi ?
  • Parce que je suis ta maîtresse… là !
  • Il fallait ne pas lui dire si tu en as honte. Ce n’est pas inscrit sur ton visage.
  • Elle m’a demandé si j’étais mariée… J’ai hésité… Elle m’a tourné le dos.
  • Jeanne se mit à sangloter comme une enfant.

  • Voyons, ma petite chérie, console-toi. Ce te sera une leçon pour ne plus parler à des amies qui n’en sont pas.
  • Alors il faudra que je sois une ours, que je me tienne à l’écart comme une criminelle, qu’on me fasse honte impunément. Je ne sortirai plus d’ici. Je me cacherai du matin au soir. Que je suis malheureuse !
  • En voilà une scène ridicule pour si peu de chose
  • Comment si peu de chose de m’insulter !… Tu ne m’aimes pas !
  • Quelle folie ! Couchons-nous, la nuit te calmera.
  • Ils se couchèrent en silence. Au lit, comme d’habitude, René enlaça son amie désireux de son corps tiède qu’il sentait à travers la chemise. Elle mit sa tête sur son épaule pendant qu’il s’attardait aux préliminaires de l’amour.

  • René, tu m’aimes bien ?
  • Oui, ma chérie.
  • Beaucoup.
  • Beaucoup.
  • Tu m’aimeras toujours ?
  • Toujours.
  • Tu ne me quitteras jamais ? Nous serons toute notre vie ensemble ?
  • Oui, mon aimée.
  • Alors, pourquoi ne m’épouserais-tu-pas ?
  • Tu y songes encore… Vien m’aimer. Le reste importe peu.
  • Réponds-moi ?
  • Nous avons le temps… c’est l’heure de l’amour.
  • Je veux que tu me dises oui ou non ?
  • N’es-tu pas heureuse maintenant ?… Je ne te refuse rien !
  • Je ne veux plus qu’on m’insulte ? Quand je serai ta femme, ils courberont la tête !
  • Orgueilleuse !
  • Je vois que tu ne veux pas puisque tu évites de me répondre.
  • Je t’aime, ma petite Jeanne
  • Non ! Laisse-moi !
  • Méchante qui va bouder !
  • Fiche-moi la paix !
  • Jeanne !
  • Zut !
  • Viens m’embrasser !
  • Zut.. zut… zut… zut.
  • Ils se tournèrent le dos. Le lit dont les ressorts avaient chanté quotidiennement les « nuictées » d’amour s’ennuya comme celui des ménages… prudes ou prudents.
    Ils se boudaient encore un peu lorsq’uarriva la Fête appelée Nationale.
    Au matin du 14 juillet, René fit une tentative de parfaite réconciliation.

  • Jeanne, veux-tu passer la journée à Nantes ?
  • Comme tu voudras, répondit-elle indifférente.
  • Cependant elle s’habilla le plus coquettement possible, coula des parfums sur ses épaules, sur ses mains et dans ses cheveux. Son chapeau mis, elle se regara une dernière fois dans la glace. René la surprit s’admirant. Du seuil de la chambre les parfums de son amie le troublaient, il désirait toujours cette femme aujourd’hui si délicieuse en sa robe de voile rose.

  • Jeanne, la voiture est prête, dit-il en contenant son envie folle de lui baiser la nuque, de la froisser dans ses étoffes légères.
  • C’est bien, je te suis.
  • Ludovic Garnica de la Cruz. Nantes la brume. 1905. Numérisation Odile Halbert, 2008 – Reproduction interdite.

    NANTES LA BRUME, Ludovic Garnica de la Cruz, 1905

  • 1 : le brouillard
  • 2 : la ville
  • 3 : la batonnier et l’armateur
  • 4 : le peintre
  • 5 : le clan des maîtres
  • 6 : rue Prémion
  • 7 : labyrinthe urbain
  • 7 : labyrinthe urbain – fin
  • 8 : les écailles
  • 9 : emprises mesquines
  • 10 : carnaval
  • 11 : le cul-de-sac
  • 11 : le cul-de-sac – suite
  • 11 : le cul de sac – fin
  • 12 : les portes de Neptune
  • 13 : Cueillettes d’avril
  • 14 : Moisson d’exil
  • 15 : Les courses
  • 16 : Une Fête-Dieu en 1903
    17 : Fuséïdes, première partie
    17 : Fuséïdes, fin
    18 : Villanelles
    19 : la hantise
    20 : Chevelure de sirène
    Odile Halbert – Reproduction interdite sur autre endroit d’Internet Merci d’en discuter sur ce blog et non aller en discuter dans mon dos sur un forum ou autre blog.

    NANTES LA BRUME, Ludovic GARNICA de la Cruz, chapitre XVI Une Fête-Dieu en 1903

    Ludovic Garnica de la Cruz. Nantes la brume. 1905. Numérisation Odile Halbert, 2008 – Reproduction interdite.
    Chapitre XVI

  • Une Fête-Dieu en 1903
  • Et Jeanne et René vécurent ensemble.
    Ils s’aimaient, inattentifs à la passion électorale qui remuait même les bourgeois placides et de la bonne ville des ducs de Bretagne. Une luxure d’affiches se vautrait sur les murs. Fraîchement et hâtivement collées ces déclarations sur papiers de couleur faisaient croire à de vieux oripeaux humides trouvés dans ses caves, que la cité étalait pour le séchage.
    Un soir, le jeune homme rencontra son oncle Rachamps, mi-triste, mi-joyaux.

  • René, la réaction triomphe, je suis battu, mais le vieux Lorcin a reçu une forte déchirure dans sa voile.
  • Ah !
  • Viens prendre l’apéritif…OUi, René, le parti socialiste gagne plusieurs centaines de vois. Dans quelques années on les balayera comme des détritus gênants.
  • Il continua… puis il apprit à René que M. de Lorcin voulait l’interdire, qu’il avait fait quelques démarches à ce sujet, et qu’il était nécessaire de se méfier de lui.

  • Maintenant qu’il est vainqueur, ce vieux roublard sera dangereux… Et puis, ça le suffoque de te voir avec la petite Lonneril…Sais-tu à ce propos, que tu affliges ces braves gens ? Ils sont dans un grand chagrin et m’en veulent à moi… Enfin, je ne mêle de rien… cela vous regarde… viens dîner… nous causerons.
  • Le lendemain René ne se souvint que d’une chose : son oncle voulait le faire interdire. La colère le tourmenta pendant quelques jours, et n’y tenant plus, il se rendit un après-midi boulevard Delorme. On le fit entrer au salon, où son oncle pérorait parmi plusieurs électeurs influents.

  • Mon oncle, permettez-moi de vous offrir mes félicitations pour le succès que vous faîtes remporter à votre parti. Je ne croyais pas vous trouver en si grande compagnie, car je venais en même temps vous annoncer mon départ.
  • Où vas-tu ?
  • Oh ! Pas loin. Je suis fatigué de la ville, je vais habiter la campagne, une jolie petite maisonnette sur les bords de l’Erdre. J’y passerai l’été avec… ma maîtresse.
  • Hein !
  • Le mot est peut-être un peu impertinent, j’en conviens, mais n’est-ce pas le terme académique ? Ce n’est pas tout. Mon oncle Réchamps m’a appris votre intention de m’interdire. Ceci n’est pas sérieux, je suppose, car je ne suis ni fou, ni prodigue, j’use de ma fortune comme il me plaît, et puis, sur ce terrain, je me sens fort de ma victoire, malgré la bonne volontér d’un tribunal d’amis, autrement dit complices.
  • La vie que tu mènes depuis quelques mois est vraiement curieuse et scandaleuse pour notre nom. Le bon sens, les avertissements…
  • Les rapts avec violence…
  • N’y pouvant mettre ordre, nous nous voyons forcés d’essayer les grands remèdes.
  • Sans doute avec l’aide de ces messieurs ?
  • Parfaitement. Tous les gens honorables…
  • Vraiment. Qu’en fîtes-vous M. le baron des Valormets ? Et vous M. Varlette ? Et vous messieurs Séniland et Béthenie ?
  • Ce fut un brouhaha d’exclamations indignées.
    René recula vers la porte et croisant les bras sur sa poitrine, il leur cria d’un ton sec et railleur.

  • C’est vous qui vous permettez de critiquer ma conduite ! Est-ce dans les maisons publiques messieurs Séniland et Béthenie, que vous prenez ce droit ? Le maudit hasard – peut-être la providence – en m’y faisant vous rencontrer, vous a fait une vilaine farce.
  • Monsieur, vous mentez…
  • Il haussa les épaules.

  • Si je m’amuse, moi, j’ai la jeunesse pour excuse, vous, vous n’avez pas le mariage, j’imagine ? Si je me suis égaré dans le vice des rues pendant quelques mois, c’est de votre faute. A Nantes, vous passez pour des cléricaux, eau bénite de pères les prudes, et la ville sous votre commandement est infestée, comme pas une ville du monde, d’un débordement malpropre de grues de toutes les catégories. A partir de cinq heures du soir on ne peut faire un pas sans se voir arrêter, coudoyer, interpeller par une de ces harpies, vos pensionnaires brévetées. J’ai réussi, je ne sais comment, bien malgré vous, à sortir de l’égoût. Je touve une amie, je l’emmène respirer un ai sain, loin des contaminures de vos vices. Je le fais hautement, et je me moque de vos menaces, mon oncle, car elles sont vaines. Je ne suis pas une femme que l’on effraie du commissaire de police, je me défendrai. Adieu, je vous quitte avec un seul regret, celui de vous voir adulé par des hypocrites et des misérables dont vous faîtes votre compagnie : un Varlette qui fait lécher chaque semaon son impuissance par deux petites gamines, un Valormets qui abuse de la pauvreté pour contenter ses vices et voles les femmes des malheureux, et d’autres encore qui ne valent guère mieux. Vous criez bien haut votre innocence, messieurs. Vos protestations seront écoutées de vos croyants, mais au fond du coeur, de vous à moi, vous sentze la vérité vous cingler la face de soufflets. Je vous méprise et je vous défie… mais ne bavez pas sur moi, ou je vous donnerais des coups de pieds dans la figure.
  • Les hommes se levèrent menaçants. M. de Lorcin s’avança, sévère, s’interposant.

  • René, on n’insulte pas les hôtes de son oncle ! Je te prie de sortir.
  • René avait-il jeté le désarroi dans le cam de ses ennemis ? Il n’entendit plus parler de la fameuse interdiction.

    En errant leurs baisers par l’ensolleillement des environs de Nantes, ils avaient déniché un gentil pavillon encastré de verdure, dont les pelouses comme un frais tablier descendaient humecter son colant au courant de l’Erdre. A gauche, la Jonnelière étalait ses cafés et ses pontons, plus loin, le point du chemin de fer barrait de son arc géant le fronton de la vallée où doucement se promenait la rivière.
    Comme il l’avait dit à son oncle, René quitta la rue Saint-Pierre, sa chambre était trop étroite et trop sombre pour l’épanouissement de son amour d’été. Ils s’intallèrent aussitôt dans un mobilier neuf et délicat. A l’écart, ils tissaient dans le calme les tapisseries de leurs amours. La campagne si triste et si mélancolique malgré ses habits de fleurs et de verdures lorsqu’on est seul, devient un théâtre féérique à décors nouveaux quand deux amants y mêlent leurs pas légers comme leurs caresses.
    Le dimance, l’Erdre se couvrait de canots. La rivière semblait une vitre sur laquelle courent des mouches. Les chansons folles se trémoussent d’aise. Et l’on rit, et l’on s’embrasse à pleine bouche sur l’eau. Courbés par le vent, les voiliers filent comme les volants d’un jeu de raquette. Les vapeurs, qui font le service d’été, fument, sifflent, troublent l’onde de leur museau tranchant. L’écume vient heurter les roseaux des rives et s’accrocher aux cils des nénuphars.
    L’air tourbillonne en ses arceaux les cris de la Jonnelière envahie par les nantais qui vont s’y donner l’illusion d’une partie de campagne en buvant de la bière, de la limonade et croquant dse galettes sous la tonnelle d’un cabaret.
    Ils y allaient quelquefois. Comme des enfants, ils se balançaient, jouaient aux boules, graissaient leurs doigts aux galettes. La musique, elle aussi, faisait son excursion. Un vieux bonhomme, haut comme une botte de gendarme, grinçait de sa vielle, gagnant quelques sous parmi les générosités du dimanche.
    Le monde des commis et des ouvrières venait prendre provision d’air et d’insouciance, après le renfermé de la semaine dans leurs ateliers clos où les poumons sont mal à l’aise. A la tombée du jour, tous les oiseaux rentrent à la cage, et les derniers refrains s’emplissent d’un au revoir gamin au soleil mourant de la liberté hebdomadaire.
    Après le dîner, tout s’était tu. Assis l’un près de l’autre sur la pelouse, ils regardaient la pluie noire enlacer les bords de l’Erdre. La brise fraîche ondulait des frissons par les choses qui se reposaient. La rivière clapotinait comme un petit chien qui ronge un os sous la table. Les étoiles, une à une, mettaient le nez à la fenêtre pour contempler la terre à l’orée du sommeil. La lune aussi roula sa face bouffie.
    Les amants tressaillirent ; leurs bouches se cherchèrent. Ils se laissèrent glisser sur l’herbe tendre. Quelques agrafes craquèrent ; l’étoffe eut un léger froufrou. L’ombre blême de la lune enlinceula de ses traînées éparses la douceur infinie de l’aimer.

    René venait parfois en ville pour ses affaires. Or, un jour de pluis qu’il passait par la place Saint-Pierre, il vit la cathédrale emmaillotée d’échafaudages grotesques, et des hommes qui la grattaient impitoyablement. Les pellicules blanches ruillselaient partout. Le jeune homme sentit au coeur une cruelle blessure et son âme se meurtrir de colère. Il rentra chez lui furieux.
    A l’heure du dîner, Jeanne, ne le voyant par descendre de sa chambre, où il s’était enfermé, monta le chercher. Elle le trouva dans une grande exaltation au milieu d’une avalanche de papiers et de notes.
    Dès qu’il l’aperçut, il lui conta ce qu’il avait vu.

  • J’ai été si douloureusement impressionné, qu’il m’a fallu confier mon âme à quelqu’un. Je l’ai fait à moi-même et j’ai noté les confidences une à une. Ecoute :
  • René lut, avec une émotion intense, le récit de son âme chagrine et révoltée (Article paru le 10 octobre 1903 dans « Nantes-la-Grise » revue littéraire, artistique et théâtrale fondée par l’auteur.)

    Il pleut. Avec une douceur lente d’amoureuse la pluie s’en vient frotter la figure pâle des maisons et les toits qu’elle caresse ont des sourires humides de volupté.
    Je suis sorti cependant. Sous mon parapluie, je m’achemine au long des murs, perdu dans des haleines subtiles de brouillard, reconnaissant bien ma ville à son âme qui se vaporisait
    Peu de monde. On me croyait seul, un rêveur, alors que la pluie causait avec moi. Elle babillait sur la soir de mon « pépin », gamine heureuse qui vous confie d’interminables suites de choses inattendues.
    J’allais au hasard, je ne sais plus, heureux d’avoir sa compagnie dans l’ambiance monotone et somnolente.
    C’étaient les arbres renfrognés hérissant leurs feuilles alourdies. C’étaient les quais déserts avec les chalands en chiens de garde accroupis près des pâtés de sable et des tartines crêmeuses de tuffeaux. C’étaient les coinquements affolés des tramways crvant la pluie et pissant de la fumée sur les rails. Enfin, la grande cathédrale, comme une difficile énigme de siècles effrondrés, sa base crispée sur le front de la ville, son dos si haut, si perdu dans la brume qu’il semblait former le socle des cieux.
    Pauvre vieille, cassée entre les béquilles qu’on lui impose ! Elle m’a parue bien peinée, bien triste ! La pluie sur sa façade formait de grosses larmes qui ruisselaient. Tout près d’elle, j’ai cru l’entendre parler : plainte d’une séculaire qui ne veut plus rien, sinon qu’on la laisse mourir en paix, descendre morceaux par morceaux vers une immortalité de ruines.
    A quoi bon les vains remères, les cautères inutiles ! A quoi bon la martyriser, rabougrir son orgueil énergique d’antan par des replâtrages honteux et ridicules ainsi qu’une vieille cocotte dont on veut cacher les rices ! Un balai contre cette clique de chirurgiens, d’apothicaires, de rabouteux qui tourmentent sa gigantesque et noble agonie ! un bailai contre tous ces vaniteux d’une science imbécile qui n’a pas plus d’effet que le coup de pied de l’âme !
    Et sa tristesse persistante me disait :
    « Venez vous seuls, mes aimés, vous qui n’avez que de douces paroles. Prenez place à mon chevet. Contez-moi vos rêves d’aujourd’hui, je vous conterai en bonne grand’mère ceux de vos aînée. Vous comprendrez en moi une race d’aïeux dont vous n’êtes qu’un banal reflet
    Tout passe, tout se lasse. La pourpre, l’or, ni les cuirasses ne brillent sous les rayons jaloux du soleil ; les étendard de triomphe ne flottent plus autour de moi, la foule des fidèles n’a plus la foie crédule et splendide d’autrefois. Tout est rapiécé.
    Les barbares jadis envoyaient contre ma grandeur l’océan en furie de leur haine. Ils allumaient des brasiers hauts comme des montagnes pour m’ensevelir et faire taire ma voix dominatrice. Ils avaient alors la colère du temps et des orages. Et quand je succombais, des mains géantes me relevaient sur ma défaite éclatante.
    Les petits chefs minuscules de votre temps n’ont plus de haches, ni de béliers, ils prennent des ciseaux, des maillets, des rabots, ils grattent, creusent, piquent. Que faire contre cette gale inconsciente qui me ronge aussi lâchement que bêtement ?
    Nantes, dont je suis la synthèse formidable de son histoire m’abandonne. Elle me laisse, comme un joujou usé, déchiqueter par les fourmis et la vermine de l’obscutiré. Elle supporte impassible que l’on masque aux générations les cicatrices gravées par les Normands et les Sans-Culottes sur mes vieilles chairs.
    Vous, défendez-moi, ou pleurez avec moi. Soyez l’écho de mon impuissance, vous qui me savez vivre d’une autre vie que la vôtre. »
    Elle s’était tue ! … Ce n’était qu’une illusion. La voix était venue des pores de la pierre me toucher en plein coeur.
    Mais que puis-je faire ? Dire à tous ce qu’elle m’a dit ? Me croira-t-on ? On rira simplement : c’est un fou, pensez-donc ! Et le vingtième siècle avancé chantera sur la place Saint Pierre un « Viens Poupoule » d’un air de « Je m’en fiche », tandis que le bruit du facé concert en délire assourdira les grincements des gratteurs sur les pierres d’une de nos plus merveilleuses cathédrales de France.
    Ah ! s’il plaisait à Dieu que je fusse le maître, je la laisserais s’écrouler seule, et le soir, parmi ses ruines comme des lambeaux d’âme, j’irais apprendre une leçon que l’on a oubliée. Je ne vomirais pas sur les flancs respectables une armée mesquine pour se gaver de poussière et salir sa face d’échafaudaes grotesques. Car je ne suis pas le rustre qui, trouvant un blanson dans son champ, ne lève même pas le soc de la charrue pour l’éviter.
    Je lui sonnerais au contraire mon meilleur fauteuil de calme et de tendresse, cependant qu’assis dévotement à ses pieds sur un modeste tabouret, je l’écouterais souffler en mon âme docile les parcelles d’une tradition bien morte de colossale beauté. »

    Alors l’âme nantaise de la petite Lonneril s’éveilla dans un sourire bénin.

  • Mais tu es fou avec ton boniment. Qu’est-ce que cela peut te faire. Elle sera plus propre, si on la gratte, voilà tout.
  • Stupéfait, René la regarda comme un aigle qui vient de tomber du haut d’une montagne, les ailes coupées. L’antagonisme de leurs deux races cassa le rêve insensé qu’il avait cru. Il lui dit avec une lourde ironie

  • Une fois qu’elle sera grattée, on doit la laver avec nos pompes à indendie pour enlever la poussière
  • Ah !
  • Nous irons ensemble voir ce grand débarbouillage. On le fait tous les cent ans à la cathédrale de Paris
  • ?!?!
  • Les jours succédèrent aux jours. Leur vie ne variait guère, si ce n’est qu’ils s’apaisaient. Lui, s’était remis à l’étude, se sentant absolument seul ; elle, se faisait appeler madame de Lorcin.
    Jeanne arrangeait sa vie de petite bourgeoise avec cet égoïsme particulier aux nantais. Elle potinait chez les voisins et les fournisseurs, parlait souvent de son « mari », portait ostensiblement une alliance au doigt. Il lui laissait toute liberté, même en en souffrant, sans jamais la contrarier. Elle était toujours pour lui l’amante qui se laisse faire, qui s’abandonne à chacun de ses désirs avec un sourire si heureux et si câlin. Cependant l’ennui commençait à le tourmenter, la solitude lui pesait. Certaines heures, il aurait eu besoin d’un ami. Jeanne, prête aux caresses, aux baisers, était distraite à ses propos intimes. Il confia son chagrin à Delange par de longues lettres presque quotidiennes. Le peintre lui répondait, l’encourageait, le suppliait de quitter la province, de venir près de lui. Il lui rappelait ses avertissements au sujet de sa maîtresse. Ses sens l’avaient aveuglé. Comme ses pareilles, Jeanne était l’incarnation de l’âme bourgeoise nantaise, vide de tout penser immatériel. Tombé dans un engrenage périlleux, s’il ne luttait pas dès maintenant, il s’affaiblirait et s’annilhilerait bientôt à toute oeuvre intelligente.
    René avait en vain cherché des motifs de séparation. Les pleurs avaient toujours eu raison de ses velléités. Comment résister à cette soumission perpétuelle ? Comment briser cette petite poupée heureuse de sa nouvelle existence ? Comment aurait-il pu trouver au fond de son coeur la méchanceté nécessaire à cette mauvaise action ?

    Le mois de mai s’en était allé se perdre au labyrinthe du passé. Juin collait à son tour son front brûlant au vitrail de l’été. Un dimanche matin René dit à son amie.

  • Prends ta plus belle robe, nous allons voir les processions de la Fête-Dieu !
  • Vers neuf heures, ils entrèrent en ville. La foule se pressait. On mettait la dernière main aux guirlandes des rues pavoisées comme des rosières. Le ciel s’assombrissait, des gouttelettes d’eau filtraient des nuages gris. Les cloches de la cathédrale carillonnaient fanfaronnes, parsemant dans l’espace leur appel vibrant. Ils arrivèrent sur la place Saint-Pierre lourde de monde. Et quand tous attendaient paisiblement la sortie de la procession, on vit arriver des hommes noirs avec des sous-ventrières tricolores qui gesticulèrent comme des mannequins mécaniques. On vit des sergots refouler les spectateurs le long des trottoirs et des bandes brutales se parquer dans la rue de Châteaudun. Soudain des képis bleus apparurent caracolant sur leurs chevaux. Mais voici que les képis bleus poussèrent leurs chevaux contre les assistants avec bestialité et qu’ils firent des rondes au cendre de la place. Un grand murmure courut de ce burlesque carrousel. Le préfet venait d’interdire la procession. C’était la première fois depuis longtemps qu’un homme avait l’audace d’interrompre une coutume nantaise. Un moment de stupeur passa. Les plus paisibles des commerçants grondèrent. Les catholiques massaient sur les marches de l’église, armés de bâtons ; d’autres étaient partis processionner dans les rues de la ville. Ils entrèrent quelques-uns dans la préfecture, mais la bravoure n’étant pas la vertu des bourgeois, ils ressortirent aussitôt, effrayés de leur vaillance et restèrent derrière la grille d’entrée. Leur lâcheté les enragea, ils brisèrent deux malheureuses guérites, victimes bien innocnentes, ccassèrent une sonnette… puis, énivrés par leur triomphe, élevèrent des barricades avec des barrières en bois vert dans la rue Royale. Ils se battirent contre les gendarmems, rossant leur chef d’importance. Sur la place un grand remous se produisit. Comme balayé par un vent terrible les assistants courbaient la tête et ployaient les genoux. Sous le porche de l’église, Mgr Rouard, évêque de Nantes, offrait l’ostensoir d’or ainsi qu’un fulgureux soleil levant, et donnait solennellement la bénédiction. Un silence plein de fois couvrit la grande place ; à peins quelques rugissements de brutes troublèrent le geste infini d’un Dieu captif qui se montre par la lucarne de sa prison à la foule de ses serviteurs incapables de le délivrer.
    Ce fut tout. Un résumé de beaucoup de bruit, et de bruit inutile.

    René n’avait cessé de sourire à cette agitation grotesque de la force armée et de la colère des catholiques, du chef des képis bleus, à pied, une canne à la main, de l’autre, une cravache comme un vulgaire argousin. Parfois un homme passait, acclamé, les menottes aux mains entouré de quatre ou cinq gendarmes. On demandait : qu’a t-il tué ? Un homme ! un gendarme ! Non, il a effleuré la queue d’un cheval, la botte d’un pandor : non, il s’est laissé marcher sur la pied par cocotte sans lui dire merci ; non, c’est un pendable, il a crié : vive la Liberté. Tant pis pour lui. Est-ce que l’on applaudit les régimes disparus ?
    Les échafaudages emprisonnaient les membres de la cathédrale, dressant sa formidable enverdure en face la tourbe des pygmées. Jadis, lorsque son carillon sonnait l’alarme, les fidèles accouraient prêts à lutter jusqu’au dernier soupir pour elle. L’évêque se serait mis au sommet des marches, aurait présidé la bataille et béni de son geste les râles des mourants. Qu’auraient fait quelques gendarmes en quête d’avancement, quelques commissaires de police, devant la foi sublime et insensée d’un peuple révolté ayant dans les veines du sang de fer ? L’on j’aurait pas brisé des guérites, mais des crânes. Et elle, la Cathédrale, dominant de son orgueil la bataille, fière de ses féaux, elle aurait déployé l’étendart triomphal de son ombre, éblouissant les valets d’un préfet quelconque ou d’un gouverneur ambitieux.

    L’or, le traitement n’étaient pas encore venus salir l’âme des prêtres. Le sang des catholiques n’était pas avachi. Ce n’est plus le même coeur qui battait sous les pourpoints de cuirs ou de soie, qui s’épouvante maintenant sous la redingote boutonnée. Misérable semence qui frétille, que l’on mène tête basse à coups de fouets ! Ils grondent comme des chiens battus. Ils rendent le grandiose ridicule. Ils se dispersent peu à peu dans les rues. Oh ! Ils en causent beaucoup au fond de leurs fauteuils. Ils parlent de luttes futures, de revanches impitoyables en sirotant leurs cafés. Leurs cris ont à peine troublé la somnolence de la cathédrale. Cependant plus d’un sera convaincu s’être montré un héros pour avoir brandi une canne contre un pauvre cheval de gendarme. Il est vrai que des juges pousseront la plaisanterie jusqu’à punir de prison quelques braillards à la voix plus forte, complices d’une farce grotesque à laquelle ils s’en voudraient, certes, de ne pas se joindre.
    Le charlatanisme s’infiltre partout comme une eau d’inondation. Magistrature, armée, ministres des cultres, tous pantins ridicules de foire, ex-titans de granit rapetissés par leur siècle de plâtre. Leurs gestes ne sont plus que des ombres chinoises sur un mur mal éclairé. C’en est fini de la noblesse de la lutte, la mode en est aux pantalonnages. En ce jour, la ville d’un élan unanime s’y adonne. Autour des églises, où les curés peureux font du zèle en chaussons, se tassent la foule des badauds, mimant avec une précision comique le joyeux couplet :

      Quant un gendarme rit
      Dans la gendarmerie
      Tous les gendarmes rient
      Dans la gendarmerie

    Au centre d’un bagarre un bonhomme « socio » s’affale sur le trottoir. Ses citoyens-frères s’émeutent à propos de la mort du vieillard, mort que l’on exploitera avec une impudence politicienne. On fera des pélerinages annuels et civils sur la tombe du marture de l’anévrisme. Les bourgeois en auront la frousse pendant huit jours. Ça calmera le vent guerrier qui vient de soulever les pans de leurs redingotes. Leur coeur sera terrifié de l’accusation lancée contre eux : « Assassins ! ». Mais bientôt ils reprendront leurs sens disloqués. Leur majesté irrévocable saura défendre la pureté de leurs actes. « L’émotion peut hâter la mort d’un vieillard, la fougue, surtout la nôtre, n’est capable que de briser que des guérites préfectorales ».

    A la nuit tombante, Jeanne et René reprenaient le chemin de leur nid. La ville fatiguée s’était isolée au fond de son alcôve de brumes. Une à une ses veilleuses s’éteignaient. Avant de souffler la chandelle le mari contait à son épouse les atrocités des bagarres, les blessures béantes, le sang giclant, les yeux bondissant de l’orbite. L’épouse admirait l’exaltation magnanime de l’époux. La première fois sans doute qu’ils vivaient de chimères.
    Le drap noir du sommeil couvrait la ville ; la ville qui oubliait, la ville qui reprenait sa tranquillité morne. La ville qu’une velléité belliqueuse avait endolorie, à laquelle il fallait le repos habituel ; la ville s’étalant sur le matelas moëlleux de sa boue visqueuse, et qui saigne du moindre effort pour s’en décoller.
    La colère du boeuf est vaine, il reprend son allure placide en recreusant les éternels sillons.

    Ludovic Garnica de la Cruz. Nantes la brume. 1905. Numérisation Odile Halbert, 2008 – Reproduction interdite.

    NANTES LA BRUME, Ludovic Garnica de la Cruz, 1905

  • 1 : le brouillard
  • 2 : la ville
  • 3 : la batonnier et l’armateur
  • 4 : le peintre
  • 5 : le clan des maîtres
  • 6 : rue Prémion
  • 7 : labyrinthe urbain
  • 7 : labyrinthe urbain – fin
  • 8 : les écailles
  • 9 : emprises mesquines
  • 10 : carnaval
  • 11 : le cul-de-sac
  • 11 : le cul-de-sac – suite
  • 11 : le cul de sac – fin
  • 12 : les portes de Neptune
  • 13 : Cueillettes d’avril
  • 14 : Moisson d’exil
  • 15 : Les courses
  • Odile Halbert – Reproduction interdite sur autre endroit d’Internet Merci d’en discuter sur ce blog et non aller en discuter dans mon dos sur un forum ou autre blog.

    NANTES LA BRUME, Ludovic GARNICA de la Cruz, chapitre XV Les courses

    Ludovic Garnica de la Cruz. Nantes la brume. 1905. Numérisation Odile Halbert, 2008 – Reproduction interdite.

  • Chapitre XV
  • Les courses
  • A sa fenêtre, René fouillait la foule qui s’acheminait à l’appel des cloches vers la cathédrale. L’air était d’une pureté remarquable pour la ville. Le soleil se bouffait d’or en la porcelaine bleu-ciel. Ainsi, chaque dimanche, il attendait Mme Lonneril et sa fille se rendant à la grand’messe. Il surprenait un sourire de son aimée. Ces jours maudits, il ne pouvait lui parler autrement.
    Or il arriva qu’en cette matinée de mai, Melle Lonneril se rendait seule vers l’église. Elle salua moins discrètement le jeune homme avant de franchir la porte monumentale qui se croûtait.
    René attendit quelques instants, puis, quand la place redevint claire et blanche de lumière nue il descendit et pénétra à son tour dans St-Pierre. Melle Lonneril était assise à l’angle d’un pilier. Se doutait-elle qu’il allait venir ? A chaque son du battant de la porte, elle détournait la tête. Ils se sourirent sous le regard banal du Suisse doré sur tranches. Il lui fit signe de sortir. Elle obéit.

  • Vous êtes seule ce matin ? demanda-t-il
  • Oui, ma mère est légèrement fatiguée.
  • Profitons-en, venez-chez moi termine la messe.
  • Chez René.

  • Permettez-moi, chère amie, d’enlever votre chapeau, votre ruche, de vous mettre à l’aise.
  • Il offrit des bonbons.

  • Croquez-moi ces petits gâteaux. Jamais, je j’ai été si gai que ce matin. Est-ce le beau temps ou le bonheur de vous avoir ? Peut-être les deux.
  • Elle sourit tendant ses lèvres au gourmand.

  • Savez-vous à quoi je pense, Jeanne, en vous voyant près de moi ?
  • Et à quoi donc, mon chéri, penses-tu.
  • Je pense que c’est aujourd’hui les courses de chevaux, que nous pourrions prendre une voiture et aller ensemble au champ de manoeuvre aux yeux de tous.
  • Tu sais bien que ce n’est pas possible.
  • Rien n’est impossible, au contraire.
  • Je ne pourrai plus rentrer chez moi.
  • C’est certain ; aussi je te garderai.
  • Oh ! non je n’ose pas.
  • On guérit de la peur. Je suis persuadé que vous y avez songé depuis quelque temps.
  • Elle baissa le tête. Il s’assit sur ses genoux, se fit câlin.

  • Veux-tu, petite Jeanne chérie, rester toujours avec moi ? Nous vivrons nuit et jour ensemble sans arrêter de s’aimer. Qu’as-tu à craindre ? Nous n’avons besoin de personne. Si les sots nous ennuient nous partirons loin, très loin. Quant à tes parents, on les enverra se promener tranquillement ; tu ne dépends pas d’eux.
  • Elle hésitait, mais ile en dit et en fit tant et tant qu’elle accepta. Ils allèren déjeuner au restaurant. Une voiture les prit à la porte pour les conduire aux courses.

    Les boulevards s’ensoleillaient embrouillés du vol des poussières. Les coups de fouet stridaient comme un flot de mouettes qui s’ébattent. Les automobiles cornaient ; leur passage semait des éternuements saccadés. Les bicyclettes glissaient légères ainsi que des abeilles qui bruissent. A la queue leu leu, un indéfinissable ruban d’aune en aune sous l’ombre vaine des arbres grisonnés des pellicules de la route.
    Les piétons arrivaient par bandes noires pailletées des spirales claires, vomis par tous les boulevards qui environnent le Petit-Port. Un joyeux enthousiasme mène les groupes ; les uns chantent, les bébés s’amusent, les amoureux s’embrassent, nul n’y fait attention. Des grues harnachées d’oripeaux éclatants se font huer le sourire aux lèvres. Et les chiens se poursuivent joyeusement entre les jambes.

    L’immense fourmilière sortie de Nantes a traversé sans obstacle les voies larges et spacieuses, franchi l’étroite rivière du Cens, escaladé la butte du champ de courses, et là, s’arrête, s’entasse devant les barrières qui fixent la limite de la piste. Le flot s’accumule sans cesse, se gonfle en un circulaire bourrelet, enlaçant l’arène d’une ceinture infranchissable. Les tribunes prises d’assaut reluisent de miroitements féeriques ; les pelouses sont piétinées. Les joueurs sont là, bavards ou silencieux, souvent grotesques, possédés de ce mail ridicule du jeu imbécile.
    Dans l’hyppodrome les voitures se promènent sur le ventre blanc du sol ; des cavaliers galopent. En des rais de lumières ils sembles des pantins de théâtres d’ombres. La piste fourrée d’herbes est envahie devant les triunes où des dames étalent fièrement d’insignifiants tickets rouges, comme des hochets de grandes maisons, où les lorgnettes agitent leurs yeux convexes.

    Le signal se hisse au poteau ; la piste se purifie. Les chevaux font leur entrée, montés par des jockeys aux couleurs brillantes et fantaisistes. Les magnifiques animaux déploient leur beauté ferme, leurs formes supérieures comme une étoffe splendidement ouvragée. Ils partent s’aligner dressant fièrement la tête, hénnissant d’orgueil ou d’éblouissement au soleil qui les salue d’une pluie d’or. Soudain ils partent, découpant leurs silhouettes sur l’horizon bleuté ; derrière les arbres les casaques des jockeys sèment des éclairs ; parfois butant, s’écroulant, sautant d’un élan les fossés et les haies, pour arriver au but les naseaux en sueur, la crinière flottante, écharpe de triomphe ou de dépit. La foule hurle, trépigne ; les fantoches humains sont mis en branle et la comédie ne s’arrête plus. Mais la closhe a tinté, la musique joue des morceaux que le vent emporte par bribes dans sa dorne. L’attente sable les allées de la patience et nivelle les enthousiasmes passés.
    Entre les épreuves, les ombrelles blanches versent des points joyeux sur la foule. Les dames passent re repassent des lignes de clartés dans les chemins d’ombres des hommes. Dans l’enceinte du pesage les chevaux obéissent, rêveurs, aux ordres des jockeys. Leurs yeux ovales sont emplis d’un monde étrange que l’on ne comprends pas, où parfois passent des lueurs brutales. Adoration de la bête dont l’homme se fait l’humble servant et dont il se parera la gloire : le geai volant toujours les plumes du paon. L’animation la plus diverse règne dans le vaste hémicycle du champ de courses où le soleil se mire orgueilleusement.
    Nonchalants en leur landau, Jeanne et René souriaient au bonheur d’être l’un près de l’autre à la face de tous. Il gardait la main de son amie dans la sienne ou tenait galamment son ombrelle. Ils se moquaient des regards ennemis qui les cinglaient à des carrefours de haine. Heureux, ils triomphaient. Le landau de l’amour victorieux écraisait les pierres de l’envie avec une suprême indifférence.
    Lorsque le soleil eut presque fini sa promenade d’après-midi, le départ commença. Les voitures prirent à la fille le long des boulevards bordés de curieux. De rares attelages éblouissaient ; quelques toilettes extravagantes ; des horizontales, la nuque sur des coussins, étalaient leurs oripeaux réclames. En réalité, une effroyable banalité que cette procession de chevaux de camion et de rosses de fiacres, que cete suite trop longue de voitures quelconques, bondées de personnes quelconques. Mais il est une coutume à laquelle les bons nantais s’en voudraient de manquer : voir le défilé des courses. Le long de la route de Rennnes, des badauds installent des chaises sur les trottoirs ; ils regardent placidement pendant deux heures, le bruit, le roulement, avalant la poussière, s’ahurissent d’une attente ridicule. Les aubergistes ont dressé des tables qui se garnissent rapidement de buveurs. Le vin blanc coule à flots, le « gros plant » et le « muscadet » de la Loire-Inférieure aussi émoustillants qu’une chaude fille du midi. De ses dernières lueurs mourantes le soleil semble emplir les verres bas de joyeux écus d’or.

    La voiture de M. de Lorcin, l’avocat, avait croisé celle de son neveu. René avait compris une colère terrible dans l’âme de son oncle, et il lui avait railleusement souri. Aux abords de la rue Noire, M. et Mme Lonneril longeaient tristement le trottoir. Ils baissèrent la tête, honteux au passage de leur fille. Jeanne ne les vit pas. Seul René avait eu, une seconde, quelque pitié pour ces braves gens, puis il haussa les épaules avec dédain. La voiture arriva au Pont-Morand, gravit la rue de Strasbourg encombrée. Le crépuscule venait attirant son couvre-chef sur cette journée ordinaire et sempiternelle des courses. Les courses de chevaux que petits et grands vont contempler béats, comme une merveille intéressantes, pour s’emplir les yeux quelques secondes du galop d’un animal inconnu pour le bénéfice d’inconnus… Résumé : ce sont les tramways qui mangent le refrain des rengaines.

  • Jeanne, il faut rester.
  • Je n’ose pas.
  • Si vos parents vous reçoivent mal ?
  • Je reviendrai.
  • A quoi bon. Le Tout-Nantes sait que vous êtes avec moi ; il n’est plus temps de reculer. Avez-vous peur ? Quand on aime vraiment, les qu’en-dira-t’on sont mesquines choses. L’amour lâche n’est plus l’amour, il frise le mariage commun.
  • Vous êtes méchant, René. Croyez-vous que ce ne soit pas grave de devenir officiellement votre maîtresse. Mes amies me tourneront le dos. C’est l’exil.
  • Un exil que j’envierais pour vous avoir toujours seule à mes côtés. Sois gentille, ma petite Jeannette, reste cette nuit, tu réfléchiras mieux demain. Nous nous aimerons librement pendant le sommeil de la terre, en le silence calme de la nuit. J’écouterai le tic-tac de ton coeur battre les minutes d’amour en baisant ton sein gauche. Laisse-moi dénouer ta ceinture, défaire ton corsage, laisse-moi arracher les épingles de tes cheveux, noyer mes doigts dans tes tresses blondes. Tais-toi, mon aimée, je veux te dévêtir moi-même, ôter les bandeaux qui me cachent ton corps… Je connais par coeur le maquis de tes lacets… Tu te souviens la première fois comme j’étais maladroit… Tes petits seins, je les embrasse tous deux… Un corset, c’est vite décrocheté… Qu’ils sont blancs tes pieds… Je les embrasse aussi, là, sur les ongles, sur les chevilles;.. Aussi tes genoux… Ta chemise, elle est jolie, mais trop difforme pour ta chair. Que je t’aime… Si je pouvais encore te mettre plus nue… Je te veux vite… tout entière… Approche-toi… les draps nous cachent… Tes lèvres… ta langue… enlace-moi… Entrer en toi… t’aimer… Jeanne sens-tu l’amour venir nous éblouir… Je t’aime…
    Des soupirs, doux comme des plaintes, se bercèrent en les rideaux, entr’ouvrant l’alcôve aux pas mystérieux du rêve des amants.

  • NANTES LA BRUME, Ludovic Garnica de la Cruz, 1905
  • : chapitre 1 : le brouillard 2 : la ville 3 : la batonnier et l’armateur 4 : le peintre 5 : le clan des maîtres 6 : rue Prémion 7 : labyrinthe urbainchapitre 7, suite8 : les écailles 9 : emprises mesquines 10 : carnaval11 : le cul-de-sac – chapitre 11 suite – chapitre 11 fin 12 : les portes de Neptune13 : Cueillettes d’avril – 14 : Moisson d’exil – 15 :

    Ludovic Garnica de la Cruz. Nantes la brume. 1905. Numérisation Odile Halbert, 2008 – Reproduction interdite.

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